Jean-Noël Barrot : "Si l’extrême droite fuit les questions européennes, c’est qu’elle est incapable de témoigner d’un bilan au Parlement"

Par Nathalie Funès pour le Nouvel Obs
Jean-Noel_Barrot-JNB
(© Jacques Giaume)

Dans les colonnes du Nouvel Obs, Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de l’Europe, analyse les conséquences pour l’Union européenne de la montée de l’extrême droite et de la multiplication des ingérences russes sur le continent.

A l'approche du scrutin européen, les nouvelles allégations d'ingérence russe se multiplient. Des eurodéputés d'extrême droite polonais, hongrois, belges, néerlandais, allemands et français auraient été payés pour faire la propagande de Moscou. L'élu allemand Maximilian Krah, tête de liste du parti d'extrême droite Alternative für Deutschland (AfD), est par ailleurs l'objet de deux enquêtes préliminaires pour des soupçons de financements russe et chinois. Comment analysez-vous cette intensification ?

Jean-Noël Barrot Depuis quelques mois, nous sommes pilonnés par la propagande et ciblés par les tentatives d'ingérence de la Russie, de Vladimir Poutine et de ses courroies de transmission, avec des campagnes structurées et coordonnées pour déstabiliser le débat public et fragiliser dans l'opinion le soutien à la résistance ukrainienne. Ces ingérences prennent de multiples formes. Celles que nous observons quasiment chaque semaine en France passent par des détournements de sites officiels, des propagations de fausses nouvelles à partir de sites d'information fictifs, et même des manoeuvres de corruption délibérées de parlementaires européens. Une enquête du parquet fédéral belge a été lancée.

Si ces faits d'une extrême gravité sont avérés, ils relèvent de la trahison de ce que nous sommes, car ils frappent le coeur de la machine européenne. Ils sont le symptôme du fantasme impérialiste de Vladimir Poutine et de son agressivité désinhibée à l'égard des démocraties européennes. Face à ce danger, l'Europe doit agir.

Vous venez de présenter un plan de lutte contre la désinformation dans le cadre du scrutin européen... Comment la France peut-elle se protéger ?

Le gouvernement est pleinement mobilisé pour garantir l'intégrité du scrutin. Nous renforçons notre dispositif de vigilance, autour de Viginum, service unique en Europe, créé en 2021 sous l'impulsion du président de la République, pour détecter les manoeuvres d'ingérence et les campagnes de fausses informations en lien avec la toute nouvelle sous-direction de la veille et de la stratégie au Quai d'Orsay, qui dispose elle aussi d'une expertise en matière de lutte contre la désinformation.

Le 12 février, Stéphane Séjourné [ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, NDLR] a ainsi dénoncé 200 sites dormants d'origine russe destinés à perturber le débat démocratique. Le 29 avril, j'ai révélé une nouvelle salve d'une ampleur inédite lors de la rencontre avec mes homologues allemand et polonais, à la maison Jean-Monnet, dans les Yvelines. Des dizaines de sites internet de propagande associés à des chaînes Telegram créés fin mars et visant dix-neuf Etats au total, parmi lesquels les Pays-Bas, la Belgique, le Danemark, la Suède, la Finlande, la Moldavie ou l'Albanie.

J'appelle les plateformes à bloquer ces sites au plus vite, et à exercer la plus grande vigilance à l'approche du scrutin 9 juin. Avec la secrétaire d'Etat chargée du Numérique, Marina Ferrari, nous avons convoqué leurs représentants en France et les recevrons dans les prochains jours.

Le Parlement européen est également menacé par une vague d'extrême droite inédite dans son histoire. Les partis de la droite radicale arrivent en tête des intentions de votes dans un tiers des Etats membres, dont la France, la Belgique, l'Italie, les Pays-Bas, la Hongrie et l'Autriche.

L'extrême droite de Marine Le Pen et de ses amis, notamment l'AfD allemande et la Ligue italienne de Matteo Salvini [qui sont membres du groupe Identité et Démocratie, ID, NDLR], est extrêmement isolée au Parlement européen.

Si les suffrages se portaient sur les listes d'extrême droite, comme l'indiquent les sondages, le risque principal serait celui de l'effacement de l'influence de la France en Europe, alors même que depuis le premier discours de la Sorbonne du président de la République en 2017, nous avons pesé sur toutes les grandes décisions et avons réussi à faire progresser les idées françaises. Du nucléaire à l'Europe sociale, en passant par l'emprunt commun, voilà autant de projets que la France défend depuis longtemps et qui se sont concrétisés depuis cinq ans grâce à la combativité, mais surtout à la place centrale de Valérie Hayer et des 23 députés européens de la majorité présidentielle à Strasbourg.

Jamais la France n'a été aussi influente en Europe.

Si les sondages se confirment effectivement, le groupe Renew, actuellement la troisième force de l'hémicycle, et où siègent les élus macronistes, perdrait une quinzaine de sièges.

Si le groupe Renew, qui est central et où notre délégation française est la plus importante, n'était pas reconduit avec force dans les urnes, le risque serait que l'Europe avance sans nous, qu'elle nous échappe. Ces cinq dernières années, nous avons posé les fondations d'une Europe puissante, souveraine, qui se donne les moyens d'agir face aux grands défis de ce siècle, d'être libre et de faire ses propres choix.

Mais l'Europe peut mourir, faute d'être à la hauteur des enjeux tant pour sa sécurité et sa souveraineté économique, que pour la protection de son modèle de démocratie libérale, que nous devons défendre.

Comment expliquez-vous ce paradoxe : l'attachement et l'adhésion à l'Union européenne de la part des citoyens des pays membres n'ont jamais été aussi forts et, en même temps, les intentions de votes pour les partis europhobes atteignent un niveau historique ?

L'adhésion au projet européen a progressé ces dernières années parce que les Français ont eu le sentiment qu'ils étaient mieux représentés, mieux entendus et qu'ils avaient repris le contrôle à Bruxelles et Strasbourg et vu progresser leurs priorités.

Ils ont eu le sentiment, dans les grandes crises que nous avons traversées, à commencer par la pandémie de Covid-19, que l'Europe était leur assurance-vie, qu'elle leur avait permis d'être les premiers au monde à être vaccinés et, grâce à l'emprunt commun de 750 milliards d'euros et au plan de relance, de voir leurs emplois et leurs entreprises préservées.

Je constate par ailleurs que ces partis d'extrême droite ont, eux aussi, perçu ce renforcement de l'adhésion des citoyens européens, et ont remisé certaines de leurs propositions, comme la sortie de l'Union européenne ou de l'euro. En tout cas en façade.

Si ces partis fuient les questions européennes durant cette campagne, c'est qu'ils savent pertinemment qu'ils sont incapables de témoigner d'un quelconque bilan au Parlement.

Quelle est la vision de l'Europe du Rassemblement national ?

C'est celle d'un Frexit en pièces détachées. D'un repli sur le champ national qui empêche toute forme de compromis européen. Or c'est sur le fondement de compromis européen que l'Europe se renforce et, ce faisant, qu'elle renforce chacun de ses Etats membres, à commencer par la France.

Le RN est le parti du rétrécissement national.

La liste de la majorité conduite par Valérie Hayer décroche, dans les sondages, elle est de plus en plus distanciée par celle de Jordan Bardella et se fait rattraper par celle de Raphaël Glucksmann.

Ce ne sont pas les sondeurs qui font les élections, c'est le peuple français. Traditionnellement, pour les élections européennes, l'attention de nos concitoyens se cristallise dans les toutes dernières semaines. A ce jour, moins d'un Français sur dix connaît la date du scrutin, et les indécis sont encore nombreux.

La campagne qui est devant nous va nous permettre de reconfigurer le débat, de le placer au bon niveau, sur le terrain européen. Les défis qui se dressent devant nous sont d'une extrême gravité : le risque de la guerre et des atteintes portées à nos démocraties, le risque de décrochage économique face aux grandes puissances comme la Chine et les Etats-Unis, ou le risque climatique.

Dans ce contexte, Jordan Bardella est un fusil à blanc. Il n'a eu aucune influence au Parlement européen ces cinq dernières années, et n'en aura aucun au cours des cinq prochaines, tant il est isolé à Strasbourg.

Raphaël Glucksmann, candidat de la Nupes, quant à lui, voudrait laisser penser qu'il est un grand européen. Mais c'est un Européen en toc, qui a raté tous ses rendez-vous avec l'Europe, en ne votant ni le plan de relance, ni la neutralité climatique, ni le pacte sur les migrations et l'asile. Le seul vote utile dans cette élection, c'est celui de Valérie Hayer, et de la liste Besoin d'Europe.

(...)

Retrouvez l'entretien complet sur le Nouvel Obs

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