« Le sujet central, c'est le besoin de proximité »

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Jacqueline Gourault, notre ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales, était l’invitée du Club de l’économie du Monde, ce jeudi 21 mars. Nous vous invitons à découvrir son interview.

Propos recueillis par Françoise Fressoz et Philippe Escande

De nouvelles violences ont éclaté samedi 16 mars, lors de la dix-huitième journée de mobilisation des « gilets jaunes » ; Emmanuel Macron n’a-t-il pas crié victoire trop vite ?

Il n’a pas crié victoire, certainement pas, mais on avait l’impression de sortir petit à petit d’une période qui avait été plus difficile. Les dernières manifestations s’étiolaient et on pouvait imaginer qu’on se dirigeait vers une nouvelle étape, plus pacifique. Les événements de samedi ont un peu rebattu les cartes. Les exactions commises ont provoqué l’exaspération d’un certain nombre de nos compatriotes. Des images de notre capitale ont circulé sur les écrans. Les Français en ont été catastrophés, sans parler de la mauvaise publicité faite à l’extérieur de nos frontières. Il fallait apporter des réponses concrètes et rapides en termes de sécurité pour éviter que, samedi prochain, de nouvelles violences se produisent. C’est ce que nous avons fait.

Comment expliquez-vous la persistance d’une telle violence ?

Le mouvement des « gilets jaunes » est protéiforme. Au début, se rassemblaient sur les ronds-points des personnes très diverses qui étaient plutôt dans la revendication sociale : retraités touchant des petites retraites, femmes seules élevant trois enfants, travaillant à mi-temps et dont les maris ne paient pas les pensions alimentaires, etc. Ce qui m’avait frappée, c’était leur solitude. Elles recréaient sur les ronds-points une espèce de lien social.

Petit à petit, le mouvement a évolué jusqu’à la violence d’un côté, des récupérations politiques de l’autre, la violence n’étant pas associée forcément à la récupération politique. En tout cas, ce mouvement est devenu très multiple, sans corps constitué, avec des démarches individuelles, politiques, des démarches de groupuscules violents. C’est la raison pour laquelle la réponse à apporter est naturellement multiple.

Le président de la République a prévu de s’exprimer mi-avril. Doit-il accélérer le calendrier compte tenu de ce qui s’est passé ?

Je ne le crois pas. Il faut raison garder, ne pas tomber dans la précipitation et bien préparer la réponse aux Français.

Vous avez participé à un grand nombre de débats locaux, qu’en avez-vous retenu ?

D’abord, la participation. On ne pensait pas qu’elle serait aussi importante, y compris dans des départements très ruraux. Je me souviens être allée avec Agnès Buzyn, [ministre des solidarités et de la santé] participer à une réunion organisée par les « gilets jaunes » à La Charité-sur-Loire, dans la Nièvre ; 250 personnes étaient présentes. L’autre chose qui m’a frappée, c’est le caractère extrêmement posé des dialogues : pas de violence ni d’agressivité. Les gens venaient pour débattre, souvent en présence de « gilets jaunes », même lorsque la réunion avait été organisée par la mairie ou des associations. Dans mon département, l’évêque s’y est mis aussi. Il a organisé des réunions dans toutes les paroisses. Tout s’est déroulé très tranquillement.

Quelles ont été les revendications les plus fréquentes ?

Partout, dans toute la France, a été exprimée une demande de présence médicale. C’est un sujet très important. Et puis, bien sûr, l’accès aux services publics, à l’école, les problèmes de déplacement dans les campagnes. Curieusement, dans un pays où le taux de chômage est encore important, le thème de l’emploi a été peu abordé. Les gens parlaient des difficultés qu’ils avaient à se déplacer. De temps en temps, ils précisaient « pour aller chercher du travail ». Mais le point de départ n’était pas : « Je suis au chômage, il faut que je trouve du travail ». C’est plutôt leur vie quotidienne qui était évoquée, pas le problème social du chômage. Ça m’a surprise.

Quel est le principal sujet à traiter, selon vous ?

Le sujet central, c’est le besoin de proximité. Quel que soit le lieu où ils ont choisi de vivre, les Français demandent les moyens de vivre correctement, de trouver à proximité de chez eux un hôpital, une école, une épicerie, un bistrot, La Poste, etc. Ils veulent aussi refaire du lien social. Tout cela est lié à la lente dégradation des services publics. Quand le président de la République a dit « ça vient de loin », effectivement, ça vient de loin. Donc il faut réparer en étant inventif. En ce moment se développent en France, souvent à l’initiative des collectivités, des « tiers lieux », c’est-à-dire des endroits où on trouve des ordinateurs et un coin convivial pour prendre un café.

Cela permet de lutter contre la solitude que crée le télétravail. C’est un exemple à suivre. Mais des réponses spécifiques doivent être apportées aux travailleurs pauvres et à la classe moyenne. Toute une catégorie de jeunes et de moins jeunes considèrent que tout pèse sur eux, que la répartition de la charge n’est pas assez large, qu’il y a, au-dessus d’eux, des plus riches qui devraient payer davantage et, à côté d’eux, d’autres qui ne travaillent pas et vivent aussi bien qu’eux, sinon mieux, par la solidarité nationale. C’est quelque chose qu’ils vivent mal.

Comment concrètement mieux répondre au besoin de proximité ?

Il est impératif que l’Etat et les collectivités travaillent ensemble car nous vivons dans une République décentralisée. J’ai entendu « Territoires unis » [qui regroupe l’Association des maires de France, l’ADF et Régions de France] réclamer une nouvelle étape de décentralisation mais à part les Régions qui voudraient avoir l’emploi dans leur compétence, il n’y a pas de revendication précise. Ce qui est vrai, c’est qu’il reste encore quelques doublons entre l’Etat et les collectivités locales, notamment dans le domaine du sport, qu’il faudrait supprimer. Par ailleurs, des politiques sont mises en chantier par les départements, qui relèvent en fait de décisions de l’Etat.

On peut donc procéder à un bilan de la décentralisation. C’est une proposition que le président de la République va faire pour voir si des choses seraient mieux faites si elles revenaient dans le giron de l’Etat et inversement évaluer si d’autres seraient plus efficaces si elles étaient transférées à telle ou telle collectivité. Mais il ne faut pas oublier la déconcentration. Nos concitoyens sont très attachés à l’Etat. Quand ils réclament « des services publics au plus près », ils englobent les préfectures et les sous-préfectures. Ils ont en tête que c’est l’Etat qui assure l’équité, que son rôle de régulateur est très important.

C’est pourquoi je ne plaide pas pour le big bang mais pour le sur-mesure. Il faut répondre aux besoins des territoires de façon intelligente, en assouplissant et en faisant si besoin de la différenciation mais sans jamais renoncer à garantir, à travers l’Etat, l’unité des Français.

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