Marc Fesneau : « LFI a joué un rôle absolument toxique depuis le 7 Octobre »

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Marc Fesneau, président du groupe Les Démocrates à l'Assemblée nationale et premier vice-président du Mouvement Démocrate, s'est entretenu avec le Crif pour revenir sur l'attaque terroriste du 7 octobre 2023 et ses conséquences internationales.

Le Crif : Quelles leçons générales tirez-vous de l’attaque terroriste du Hamas, un an après le 7 Octobre ?

Marc Fesneau : Je pense qu’au niveau mondial et pas seulement en France, on n’a pas mesuré l’ampleur du choc que cette attaque terroriste du Hamas a pu provoquer, en termes de violence, de sidération et de traumatisme pour le peuple israélien.
Le 11 septembre 2001 avait été un choc mondial, perçu comme tel immédiatement. Les attentats de Paris en janvier 2015 dans une certaine mesure, aussi. L’ampleur du choc du 7 Octobre a sans doute été sous-évaluée, trop sous-évaluée, peut-être parce que cette région a été malheureusement trop coutumière d’actes terroristes et de guerres. On ne mesure pas assez à la fois le choc traumatique que cela continue d’être pour les Israéliens. On ne mesure pas non plus les conséquences que l’attaque terroriste du Hamas a produites en termes de sentiment de vulnérabilité dans ce pays, pourtant si rompu à la lutte contre le terrorisme, et dans toute la région, du point de vue militaire et géopolitique.
Le deuxième élément d’analyse est de constater que nous sommes dans un cycle de guerre, toujours la guerre et, malheureusement, pour moi et le groupe parlementaire que je représente, on ne voit pas la fin, ni comment, après la guerre, se construit la paix. L’histoire l’a partout montré, y compris dans cette région : la paix se fait toujours, à un moment donné, avec ses ennemis. Ce qu’on voit, c’est que les choses s’enlisent. Il faut et faudra bien pour Israël des interlocuteurs palestiniens, qui ne soient évidemment pas des terroristes mais qui souhaitent concevoir un avenir respectueux de chacun. C’est cette société politique palestinienne que nous devons construire. Or, on ne voit pas le début du commencement de ce « jour d’après », qu’il faut envisager sans tarder.

Le Crif : Sachant qu’Israël considère qu’il faut, au sud comme au nord du pays, poursuivre et réduire militairement les organisations qui ont attaqué son territoire et sa population…

Marc Fesneau : Oui, bien sûr, son droit à se défendre existe mais ces deux fronts de guerre provoquent de nombreuses victimes civiles, en dehors des organisations visées, le Hamas et le Hezbollah. Or, ce sont bien avec les Palestiniens qui ne sont pas terroristes qu’il faut dès à présent et qu’il faudra demain nouer des relations pacifiques de reconnaissance mutuelle. Bien sûr, c’est très compliqué aujourd’hui, car les organisations en question affichent même leur volonté de destruction de l’État d’Israël mais c’est à la population palestinienne qu’il faudrait adresser des signes, avec tous ceux et celles qui sont enclins à avoir des relations pacifiques avec Israël.
Nous ne pouvons que partager la volonté d’éradiquer le terrorisme, dont nous avons été victimes nous-mêmes en France. Agir sans relâche dans cette direction, c’est plus qu’entendable, nécessaire et légitime. Mais, pour parler de Gaza, nous observons des centaines de milliers de personnes qui vivent dans des conditions dramatiques sur un territoire largement détruit, alors que ces centaines de milliers de personnes doivent concevoir leur vie après cette guerre. C’est cela le questionnement que nous avons. Comment prévoir et organiser au mieux cet « après ». C’est l’intérêt de tous, y compris d’Israël.

Le Crif : Parmi les victimes à Gaza, il y a bien sûr beaucoup de civils, c’est bien sûr toujours trop mais les observateurs oublient souvent de rappeler que tous les experts, avant le 7 Octobre 2023, estimaient qu’il y avait à Gaza au moins 30 000 combattants armés du Hamas…

Marc Fesneau : Bien sûr, de nombreuses cibles militaires du Hamas ont été atteintes à Gaza mais, en vérité, on le sait, même avec un objectif juste, la guerre « propre » n’existe pas. Israël a naturellement droit à la sécurité et à vivre en paix et, pour cela, il faut qu’il vive en paix avec son voisinage. Mais je pense aussi aux civils et aux familles palestiniennes ou libanaises décimées comme, depuis le 7 Octobre, je pense aux familles israéliennes.

Le Crif : Y a-t-il selon vous des perspectives à espérer pouvant découler d’échanges noués par exemple avec des pays arabes dits modérés de la région, qui ont signé dans un passé récent les « Accords d’Abraham » ?

Marc Fesneau : La difficulté est que tout le monde dans cette région est incité à « choisir son camp » et les pays signataires de ces accords ont aussi à tenir compte de leurs populations qui penchent largement, et parfois le manifestent, pour la cause palestinienne. C’est tout le piège tendu, politique celui-là, par le Hamas et le Hezbollah : solidariser « la rue arabe ». Pour ceux des pays qui étaient prêts à signer ces Accords d’Abraham, comment les remettre dans le jeu et la perspective de la paix sans qu’ils se mettent à dos leurs opinions publiques qui tendent à se radicaliser ? C’est la grande question, l’enjeu et la difficulté.
Israël va gagner cette guerre à la fin, sa supériorité militaire et technologique est claire. La question est de savoir comment, avec Israël et d’autres acteurs, tracer une perspective pouvant aboutir à une paix durable. Et comment l’on fait respecter les décisions des organisations multilatérales.

Le Crif : Un plan de paix israélo-palestinien a été présenté par l’ancien Premier ministre israélien, Ehud Olmert, est-ce une des perspectives possibles ?

Marc Fesneau : Il faut espérer en tout cas que les initiatives, sérieuses, visant à se parler et à dessiner un avenir proche et vivable dans cette région puissent non seulement voir le jour mais aboutir. Quand ? C’est toute la question. Mais ce jour viendra.
On peut aussi observer le silence des deux grandes puissances que sont la Russie et la Chine. Or, ils pourraient jouer un rôle important et agir également pour la paix.

Le Crif : Sachant que la Russie est l’allié de la Syrie et de l’Iran, qui lui livre des armes dans sa guerre contre l’Ukraine…

Marc Fesneau : En effet, l’Iran livre à la Russie de Poutine des armes, notamment des drones.
Nous pouvons nous trouver dans un schéma risqué : « les occidentaux contre le reste du monde » ; il faut donc trouver d’autres alliés. Les partenaires arabes qui ont, ou pouvaient, signer les Accords d’Abraham sont importants, d’autant que les attaques militaires de l’Iran ont vu le jour. Le risque pour l’État d’Israël est d’être isolé même s’il gagne la guerre.

Le Crif : La position d’Emmanuel Macron, qui appelle au cessez-le-feu et évoque un embargo sur les armes livrées à Israël, va bien plus loin. Il est vivement critiqué en Israël où on estime que c’est le droit de se défendre qui est mis en cause…

Marc Fesneau : Depuis de Gaulle, la relation France-Israël a connu des épisodes ombrageux, souvenons-nous aussi du séjour de Jacques Chirac en Israël et de son coup de colère. La France est l’ami d’Israël mais notre pays a aussi une histoire dans cette région, une relation particulière avec le Liban et d’autres pays ce qui peut rendre les choses compliquées et susciter des incompréhensions. La volonté du président de la République est que l’élargissement du conflit cesse et que les armes se taisent. On peut comprendre que ce soit mal compris mais, compte tenu du risque d’embrasement, Emmanuel Macron a raison d’estimer que c’est le rôle de la France de le dire et que c’est aussi dans l’intérêt de l’État d’Israël, qui est l’un des seuls États démocratiques de la région et qui a une responsabilité particulière.
On peut le dire de différentes manières mais il faudra bien que les hostilités cessent et qu’une autre période s’ouvre. C’est nécessaire pour garantir la sécurité et l’intégrité territoriale d’Israël comme celles du Liban. Il y a beaucoup de drames humains dans cette période et dans cette région. Il est très difficile de garder la tête froide, mais il faut d’autant plus penser à la suite et favoriser les conditions pouvant réunir à la fois l’impératif de sécurité et l’impératif de paix.

Le Crif : Dans les leçons du 7 Octobre, il y a la déferlante, dès ce jour-là, d’actes antisémites en France ; comment notre pays doit combattre ce fléau ?

Marc Fesneau : Dès le 7 Octobre 2023, il y a eu cette flambée d’antisémitisme. Le premier problème a été qu’un certain nombre de gens, à La France insoumise (LFI) tout particulièrement, ont été incapables de reconnaître le caractère terroriste de l’attaque du Hamas, qui a massacré en masse des civils, assassiné des enfants, violé des femmes, abattu des personnes âgées, commis des atrocités, pris des otages dans des conditions épouvantables. Certains ont osé parler d’actes de « résistance » ou « de guerre ». Non, ce vocabulaire appliqué à de tels actes de terrorisme est impossible et inadmissible.
L’ambiguïté sur les mots est un problème grave car on sait que l’antisémitisme, dans l’histoire, s’est toujours niché dans l’ambiguïté sur les mots. LFI a joué un rôle absolument toxique en la matière depuis le 7 Octobre. Il s’est honteusement servi de ce conflit et des drames qu’il produit pour instrumentaliser la tragédie et nourrir son projet, qui est profondément et dangereusement communautariste.

La lutte contre l’antisémitisme en France doit se développer avec force et détermination. Il y a bien sûr le volet sécuritaire et des mesures ont été tout de suite prise en termes de protection, notamment des lieux sensibles, synagogues et écoles notamment. Il faut aussi amplifier un volet éducatif, au sens large. Je suis sidéré de constater certaines ignorances sur les ressorts, la nature et la dangerosité de l’antisémitisme qui est un problème pour tous les citoyens français, car la haine, quand elle se déchaîne, vise les Juifs mais touche tout le monde. C’est une peste, comme l’a si bien écrit et décrit Albert Camus. Il faut lutter contre sa contagion. Pour les plus jeunes en particulier, à l’école, il faut investir dans un chantier d’ampleur.
Il faut à la fois une répression immédiate et forte pour sanctionner tout acte antisémite, et une éducation renouvelée soulignant ce qu’est et ce qu’a été l’antisémitisme, relevant les injustices, les violences et les malheurs auxquels il a conduit, rappelant qu’il peut être la préfiguration de l’ensemble des malheurs qui peuvent s’abattre sur un pays. L’antisémitisme n’est pas que l’affaire des Juifs, c’est l’affaire de l’humanité. Ce n’est pas le problème d’une communauté, c’est le problème de la société entière, de la société humaine.
Il est bien sûr insupportable d’abord pour les Juifs de vivre cette période où il est devenu risqué par exemple de porter une kippa et d’afficher sa croyance religieuse. C’est insupportable et contraire à tous les principes de la République. L’humanisme républicain est en cause. C’est pourquoi tout le monde, quelle que soit sa croyance, sa non-croyance ou sa sensibilité, doit en prendre pleinement conscience. L’histoire de l’antisémitisme ne peut pas se reproduire, la haine doit être combattue à tous les niveaux, elle ne peut avoir aucune justification, ni géopolitique, ni idéologique. Dans le contexte tourmenté que nous connaissons, la mission éducative, au sens le plus large de la pédagogie publique, est très importante.

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