Depuis le studio numérique installé dans sa mairie, François Bayrou a jugé ce soir sur i>Télé qu'il était impossible de reconstruire l’élan nécessaire pour que le pays s’en sorte sans retrouver la confiance des Français.
Notre invité ce soir dans Tirs croisés est François Bayrou, maire de Pau et président du MoDem. Bonsoir Monsieur Bayrou. C’est une première ce soir : nous inaugurons avec vous votre studio numérique en direct de la mairie de Pau.
Monsieur Bayrou, vous demandiez dès dimanche soir la démission du gouvernement Valls I, le gouvernement a été nommé hier. Comment qualifiez-vous cette nouvelle équipe gouvernementale : est-elle cohérente selon vous ou pas ?
On voit bien en tout cas qu’il y a un axe clair dans les mots, dans les affirmations. Maintenant la question va être les actes et le soutien. Comme vous le voyez, ce qui risque de manquer au gouvernement, c’est le soutien de l’opinion et le soutien d’une majorité. Les affrontements internes sont très vifs, très importants, très haineux par moment et ce sont des oppositions sur le fond. Il n’y a plus aujourd’hui une majorité ou une gauche. Il y a deux gauches qui sont en guerre l’une avec l’autre : la guerre des deux gauches qui va marquer pour de nombreuses années la vie politique française, qui était en germe depuis longtemps, que tout le monde voyait et qui se réalise aujourd’hui sous nos yeux. C’est là que va se situer la principale faiblesse, le principal talon d’Achille du nouveau gouvernement.
Visiblement François Hollande et Manuel Valls ont essuyé un certain nombre de refus de personnalités pour entrer dans le gouvernement. Est-ce que vous avez été contacté vous-même François Bayrou ?
Non, je n’ai pas été contacté et pour une raison très simple : Manuel Valls et François Hollande savaient que j’aurais dit non, faute que les circonstances ou les conditions d’exercice du pouvoir soient celles qui me paraissent absolument nécessaires pour que réussisse une politique réformatrice.
À quelles conditions auriez-vous accepté ?
D’abord, cela ne se fait pas comme cela, par foucades ou par humeur. Mais vous savez que depuis des années, j’ai indiqué qu’avec ce mode institutionnel, avec l’affirmation de l’opposition entre droite et gauche et avec l’impossibilité de fixer un cap compréhensible, on était dans l’échec. Aujourd’hui ce qui manque est quelque chose d’absolument essentiel : la confiance. Je ne le dis pas seulement pour l’exercice du pouvoir, je le dis aussi pour l’économie et pour les chiffres du chômage que nous avons sous les yeux. Tant que les Français, les familles, les entreprises ne retrouveront pas la confiance, il est impossible de reconstruire l’élan nécessaire pour que le pays s’en sorte. Or, c’est cette confiance qui manque, car l’on voit bien les affrontements, les tensions et on ne voit pas du tout d’issue. Le nombre de personnes que j’ai rencontrées aujourd’hui dans les rues de Pau et qui m’ont dit « mais où va-t-on ? », « comment va-t-on s’en sortir ? » ; c’est exactement cela qui explique le fait que les entreprises n’investissent pas et les ménages n’achètent pas. C’est cette confiance qui va manquer cruellement et c’est cela qu’il faut reconstruire.
Néanmoins, la clarification de la politique économique de Manuel Valls a eu lieu. Il est épaulé d’Emmanuel Macron à Bercy. Est-ce une bonne chose selon vous ?
Je ne connais pas Monsieur Macron, je le connais seulement de réputation. C’est quelqu’un qui a une bonne réputation. Ce qui va peut-être manquer c’est l’expérience de la vie quotidienne réelle des entreprises d’en bas – du terrain -, des petites et moyennes entreprises. Je faisais tout à l’heure une réflexion à des amis qui m’entouraient à Pau. Je leur disais que ce qui me frappait, c’est que quand un homme comme René Monory – disparu aujourd’hui – a été nommé au gouvernement, c’était un chef de petites et moyennes entreprises. Il avait de l’économie non pas une connaissance théorique ou conceptuelle, mais une connaissance réelle et pratique de ce qu’étaient une entreprise, un garage, un compagnon, une équipe de compagnons. Cela a fait, je crois, beaucoup de bien au pays.
Vous parliez tout à l’heure de la crise politique qui n’est pas terminée selon vous Monsieur Bayrou. Selon un sondage du Parisien, 63% des Français sembleraient souhaiter la dissolution de l'Assemblée nationale, une partie de la droite aussi. Et vous, est-ce que vous pensez qu'elle est envisageable, est-ce que vous pensez qu'elle est souhaitable ?
Je pense que la dissolution est la sortie de crise que prévoient nos institutions. Il y a trois voies possibles, trois options possibles : la première est un referendum. Je ne crois pas que François Hollande s'y risquera. Il aurait dû le faire au début. Je le lui ai recommandé mais il n'a pas fait ce choix. Un referendum qui permettrait au pays de se prononcer sur des choix fondamentaux de la politique. Mais je crois qu'il ne le fera pas, par risque de le perdre. La deuxième option est une démission. Le Président de la République qui dit "on va remettre devant le pays les responsabilités qui sont les nôtres et le pays choisira". Je crois qu'il ne le fera pas non plus. Donc il ne reste qu'une option, qui est celle de la dissolution de l'Assemblée nationale. On revient devant le pays pour rebattre les cartes et rendre aux citoyens leur liberté de choix.
Dans ce cas-là, une cohabitation serait ouverte. L’UMP envisage de ne pas participer à une cohabitation. Qu’est-ce que vous en pensez ?
Ce sont des débats qui ont déjà eu lieu dans notre histoire récente. Moi, je suis obligé de dire, ayant beaucoup réfléchi à cette question, que je ne connais pas la réponse. Comment, si on gagne les élections, peut-on obliger le Président de la République à démissionner ? Sauf à faire un coup d’État, sauf à assaillir l’Élysée et les lieux de pouvoir ou alors à dire au pays « nous ne gouvernerons pas »... Mais vous ne pouvez pas vous présenter devant le pays en disant « nous ne gouvernerons pas ! ». Les Français ont une logique de bon sens qui est rude. Ils diraient par hypothèse « vous avez une majorité », « vous prétendez avoir des idées et des équipes, alors rassemblez-vous et tirez-nous des difficultés dans lesquelles nous sommes ». L’idée que l’on organiserait une espèce de putsch constitutionnel ne me paraît pas crédible et raisonnable. On va avoir l’occasion d’en parler parce que je crois comme vous que ceci va être une des questions des semaines et des mois qui viennent. En tout état de cause, un républicain respecte les institutions et les institutions c’est que chacun dans son rôle, on assume les responsabilités que l’on doit au pays.
Pour l’heure, l’UMP est totalement divisée. Alain Juppé s’est récemment déclaré candidat à la primaire et vous l’avez soutenu d’ailleurs dans cette démarche. On parle beaucoup du retour de Nicolas Sarkozy : est-ce que vous pensez qu’il va prétendre à prendre la tête du parti, l’UMP ?
En tout cas jusqu’à ce jour, tout montre que c’est le choix qu’il va faire. Il y a eu beaucoup d’indices de la part de Nicolas Sarkozy que c’était le choix qu’il s’apprêtait à faire : reprendre la tête du parti qu’il a représenté à la tête de l’élection présidentielle.
Est-ce que c’est une bonne nouvelle pour l’UMP ?
C’est aux adhérents de l’UMP d’en décider. Comme vous le savez, ce n’est pas mon engagement politique. Mon engagement politique est simple, il consiste à tout faire pour qu’une force politique se constitue, qui soit une force de renouvellement de la vie du pays. Notre responsabilité est de faire que le centre se réunisse pour être solide, costaud, imaginatif, volontaire. Toutes les petites querelles, dissensions doivent s’effacer et les gens de bonne volonté accepter de se mettre au service de la réponse à une situation qui n’a jamais été aussi grave. On vient d’avoir à l’instant les chiffres du chômage et il s’agit de 26 000 chômeurs de plus, donc on est sur le rythme de presque 300 000 chômeurs supplémentaires par an ! Vous voyez de quelle gravité la situation est aujourd’hui marquée.
Justement le Premier ministre et le Président misent tout sur le pacte de responsabilité. Est-ce que c’est le pacte de la dernière chance pour l’économie française selon vous ?
Il faudrait d’abord qu’il soit appliqué. Il y a une raison de doute très profond chez les Français, c’est qu’ils entendent les mots et ils ne voient jamais les actes. Il existe une immense distance entre les écrans comme le votre, les déclarations, les fanfaronnades parfois, les affirmations qui veulent avoir l’air historiques et les actes… Tout cela se délite avec le temps, disparaît, n’existe plus et alors on est devant un gouffre d’incompréhension. Les gens ont le sentiment - et nous sommes comme eux - que plus on parle en haut, moins ça change en bas. Ce relais entre la parole politique et la réalité, c’est là que le bât blesse, c’est là qu’il y a le problème, c’est là qu’il y a la fracture. On parle de pacte de responsabilité. Ni vous ni moi ne savons précisément ce qu’il y a dedans ! Ce qu’il y aura quand il sera voté – s’il l’est, parce que l’on est seulement en première lecture – tout cela désespère les gens.
Une dernière question à propos de Christine Lagarde : elle a été mise en examen aujourd’hui dans l’affaire Tapie – Crédit Lyonnais. Doit-elle démissionner de son poste selon vous ?
Je ne veux pas entrer dans le sujet. Je veux seulement dire ceci à ceux qui comme moi se sont engagés au début de cette dramatique affaire pour une certaine idée de l’État et de la République : 400 millions d’euros dont 45 millions de préjudice moral alors qu’hélas quand un enfant est tué, le préjudice moral est de 30 000 euros, c’est 1 500 fois plus qui ont été accordés ! Avoir dit depuis le début « attention, ce qui se passe là n’est pas normal », l’avoir dit seul pendant longtemps contre tous et voir aujourd’hui que les éléments s’accumulent, c’est d’une certaine manière avoir le sentiment que la justice trace son chemin. Après, c’est à elle de prendre ses décisions.
Donc Madame Lagarde ne doit pas démissionner ?
C’est sa responsabilité et celle du conseil d’administration du FMI. Je n’ai pas l’impression qu’ils aient l’intention d’y répondre comme vous, par oui et non.
Merci beaucoup François Bayrou.