"Dans la vie politique du pays aujourd’hui, on a l’impression que c’est le déséquilibre qui triomphe"
Invité de Laurence Ferrari sur i>Télé, le président du MoDem a plaidé pour traiter les principaux sujets de notre pays avec l’équilibre et le bon sens nécessaires, sans provocation, ni intolérance.
Ce soir notre invité sur i>Télé est François Bayrou !
Bonsoir !
Le torchon brûle entre les patrons et le gouvernement à cause de la loi El Khomri. Pierre Gattaz menace de suspendre les négociations sur l’assurance chômage si la loi n’évolue pas sur des mesures très précises et la CGPME affirme qu’elle ne signera pas l’accord sur l’assurance chômage si le gouvernement surtaxe les CDD. Êtes-vous d’accord avec ce chantage, ce bras de fer ?
Premièrement, est-ce que je pense que le gouvernement a eu immensément tort de surtaxer les CDD ? Oui ! Je pense que c’est une énormité. On est entré dans cette loi dite « El Khomri » avec une idée simple : rendre plus souple le contrat de travail et baisser le coût du travail. En gros, il s’agissait des deux lignes directrices. Au final, on se retrouve avec un contrat de travail plus rigide et un travail plus cher. Alors, je dis bravo ! On a fait exactement le contraire de ce que l’on avait dit. Et c’est tellement fréquent dans l’action du gouvernement que l’on y voit un symptôme d’une incroyable faiblesse. Deuxièmement, les patronats ont-ils raison de prendre en otage l’assurance chômage ? On ne comprend pas car la question du chômage et de l’équilibre du régime de chômage est évidemment une question pour tous les citoyens. Nous sommes dans un pays où 6 millions de personnes ou en partie sont au chômage et on ne peut pas s’occuper de leur sort ? Le patronat dit « non, je ne m’y intéresserai pas ». C’est impossible ! C’est impensable ! S’ils vont au bout de leurs menaces, quel est le résultat ? On rend au gouvernement la totalité du pouvoir sur l’assurance chômage. On est dans une situation d’absurdité généralisée, de laquelle il est important d’appeler le gouvernement à sortir et à réfléchir à ce qu’il propose dans la loi El Khomri avec évidemment des dégâts considérables sur la majorité. Ils l’ont cherché par l'absence de préparation. Le gouvernement doit appeler le patronat à prendre ses responsabilités car il serait irresponsable de ne pas s’occuper de l’assurance chômage.
Que faut-il faire pour cette loi El Khomri ? Faut-il abandonner cette idée de surtaxe des CDD ?
C’est pour moi une urgence de sortir de la logique de surtaxation des CDD. J’ai proposé depuis très longtemps l’idée d’un CDI à droits progressifs dans lequel on ferait entrer le plus possible de personnes qui auraient un horizon qui ne s’arrête pas brutalement comme une guillotine et qui pourrait améliorer leurs droits en cas de rupture du contrat de travail au fur et à mesure que l’on reste dans l’entreprise. C’est exactement ce que Matteo Renzi, le premier ministre italien, a choisi et cela a créé 300 000 emplois en quelques mois. 10 ans de combat autour d’une idée simple et qui n’est pas seulement la mienne car lorsque je l’ai proposé je ne savais pas que le prix Nobel Jean Tirol défendait une idée du même ordre. Si l’on ne se rend pas compte que la rigidité du contrat de travail est un obstacle sur la route de l’emploi c’est que l’on se ment à soi-même. Et notamment aux jeunes que l'on est en train d'intoxiquer de manière à les conduire dans une situation dans laquelle ils sont les victimes !
Autre polémique qui vient d’Emmanuel Macron : il préfère un impôt sur la succession plutôt que l’ISF qu’il souhaite supprimer alors que Manuel Valls dit que c’est une faute. Quelle est votre opinion sur cette contribution de solidarité sur le patrimoine ?
Tout cela est à peu près la même idée n’est-ce pas ? Vous avez deux moyens si vous considérez que le patrimoine doit participer - et c’est justice - à l’équilibre du pays : vous avez l’ISF et dont on voit les inconvénients et vous avez le prélèvement au moment de la transmission du patrimoine. Il me semble que ce deuxième moyen est plus efficace que le premier mais tout cela mérite des débats qui ne soient pas uniquement des débats de posture et de communication.
C’est ce que fait Emmanuel Macron, de la communication ?
Non mais c’est assez simple, il dit à peu près le contraire du gouvernement sur tous les sujets. Ainsi il se démarque du gouvernement, c’est une méthode de communication que vous connaissez bien car c’est votre métier, ça s’appelle de la triangulation ! C’est-à-dire que vous êtes avec les uns, vous soutenez les idées des autres et ainsi cela fait une pelote.
Il joue quoi Emmanuel Macron ? Il joue sa carte personnelle ? Il prépare l’après François Hollande au cas où François Hollande serait empêché de se présenter ?
Je ne sais pas. J’y verrais assez clair s’il n’était pas ministre de l’économie. Vous avez cette proposition antagoniste avec les grands axes du gouvernement et le ministre de l’économie. Le ministre de l’économie est là normalement pour agir, pas pour parler. Je ne connais pas Emmanuel Macron, je n’ai jamais discuté avec lui mais je pense que la responsabilité première qui devrait être la sienne serait de faire mieux marcher l’économie française. S’il pense qu’il faille à tous prix supprimer l’ISF, qu’il propose un projet de loi pour le supprimer, ça serait intéressant, courageux et cela ferait avancer les choses ! Mais vous voyez le combat des postures plonge la France dans des agitations intellectuelles où il n’y a pas grand nombre de citoyens qui comprend ce que l’on fait et ce qu’il se passe. Un peu de clarté et de cohérence ne nuirait pas entre l’action et la pensée.
L’idée d’un RSA jeune pour les 18 à 25 ans qui couvrirait une période où ils n’ont pas d’argent, cela vous convient-il ? Est-ce de l’assistanat selon vous ?
Je comprends que ce soit attractif. Mais est-ce que l’on peut dire une chose simple : tous les jours, le gouvernement sort son grand carnet de chèques et annonce qu’il va signer des chèques avec un argent dont il n’a pas le premier euro. On lit des chiffres astronomiques, on nous annonce que cela va coûter sept milliards, on jongle avec les milliards comme s’il s’agissait du Monopoly, des billets pour acheter la rue de la paix... D’où le gouvernement tire-t-il tout cet argent pour donner des primes aux autres, pour créer des contributions sociales supplémentaires ? Vous observerez au passage - parce que j’ai trouvé cela assez intéressant - que dans la plupart des cas le gouvernement annonce que ce sera pour l’année prochaine...
2017-2018 ?
Et qu’est-ce que c’est 2017-2018 ? Cela veut dire que l'on va signer un chèque mais ce n’est pas nous qui paierons. Ce seront les suivants, les successeurs. Je trouve qu’il y a dans tout cela, je ne veux pas employer de grands mots…
Du clientélisme ?
Il y a dans tout cela bien sûr du clientélisme mais un peu d'incivique. Quand on tire des traites alors il faut les acquitter soi-même. Quand on prend des engagements, il faut soi-même les assumer. On voit bien qu’il y a un état de panique, le Président de la République et le gouvernement ne savent plus où ils habitent, on va dans tous les sens, par peur, parce qu’on voit venir l’inéluctable de la défaite et de l’échec. Il n’y a pas de cohérence et pas de ligne. Cette absence de ligne avec ce caractère incivique qui consiste à distribuer de l’argent que l’on n'a pas est très inquiétant pour l’état du pays.
Est-ce que la traduction de ce que vous décrivez ce n’est pas ce mouvement « nuits debout » ? Vous ne vous êtes pas exprimé depuis le début l’occupation de la place de la République. Comment est-ce que vous percevez ce mouvement ?
Il y a deux choses. On voit très bien qu’il y a dans une partie de la société française une demande d’idéal et de radicalité, une demande de "on ne peut plus se laisser arrêter par le réel".
Cela fait-il référence aussi bien au djihad qu’à "nuits debout" ?
C’est tout cela. Il y a une partie de la société française qui est là dedans, dans une remise en cause à la fois désespérée de la situation et jubilatoire. Simplement une fois que l’on a compris cela, il faut poser une autre question : quels débouchés y a-t-il pour tout cela ? Parce que tout de même nous sommes un pays, nous formons ensemble une famille dans une maison qui s’appelle la France et qu’est ce que l’on va faire de la maison ? Si l'on pense qu’il faut que tout progresse comment la faire progresser ? Ce que ces mouvements disent, c’est "nous refusons de proposer des solutions".
Donc c’est l’anarchie ?
Sauf la langue des signes, ce qui est sûrement intéressant mais tout de même pas à la hauteur de la situation. Il y a quelque chose qui est d’un grand désordre semé dans les esprits.
Faut-il concrètement évacuer la place de la République ? Proposer une autre agora à ce mouvement ?
La gouvernement est aux prises avec cela. En tout cas il ne faut pas accepter les violences.
L’état d’urgence prolongé de deux mois pas Manuel Valls ?
C’était inéluctable, je crois qu’à ce micro, à cette table et devant vous, j’ai dit depuis le début que cela serait prolongé jusqu’à l’été et jusqu’au moment où j’espère on aura des instruments législatifs ordinaires suffisants pour pouvoir sortir de l’état d’exception qu’est l’état d’urgence. J’aurais préféré quant à moi qu’on inscrive cela dans la Constitution pour qu’on ait des recours faciles et naturels, cela n’a pas été possible de la part des uns, ni voulu de la part des autres. Avec cela on est bien barré comme dirait les plus jeunes.
Un mot rapidement sur la journée du hijab organisée par Sciences Po Paris, cela vous inspire quoi ? Est-ce un épiphénomène ? Est-ce marginal ? Au contraire très symbolique ?
J’espère que c’est marginal mais j’ai envie de dire quelque chose. Franchement, il faut dire que l’on en a assez des provocateurs, de ceux qui font profession de faire flamber tous les bûchers et de souffler sur toutes les braises. Je ne sais pas si c’est à leur insu ou s'ils s’en rendent compte. Cela ne peut avoir qu’un effet, c’est renforcer le ressentiment d’une partie de la population contre les femmes musulmanes qu’ils proposent de protéger. C’est cela l’effet. Pourquoi ? Qu’est ce qu’il y a derrière le caractère très irritatif de ce sujet ? Il y a la crainte d’une partie importante de nos concitoyens que nous allons être d’une certaine manière envahis par ces pratiques. Que l’on n'y peut rien, que cela va se répandre et beaucoup de Français sont, je crois, tolérants au fond d’eux-mêmes mais ils n’ont pas envie que se répandent dans la société française des attitudes de cet ordre. Et on vient leur expliquer qu'à Sciences po Paris, on va faire en sorte que cela soit répandu et porté par toutes les jeunes filles présentes et que cela va être un acte militant. Mais franchement c’est quelque chose de très profondément troublant pour des gens ce que l’on voit à la télévision. Je pense qu’il faut faire reculer la provocation, il faut que des gens à peu près censés prennent les choses en main en disant que il faut traiter ces sujets avec l’équilibre nécessaire. Ce qui est frappant, peut être vous le ressentirez aussi parce que vous l’observez tous les jours, c’est que dans la vie politique du pays aujourd’hui on a l’impression que c’est le déséquilibre qui triomphe. Une espèce de déstabilisation générale et contre laquelle on ne pourrait rien. Je plaide pour que l’on choisisse un peu d’équilibre et un peu de bon sens.
Une dernière question François Bayrou. On a vu que la campagne présidentielle a démarré, François Hollande a fait une longue émission la semaine dernière …
Avec beaucoup de succès …
Avec le succès que l’on connaît. La Une de l’Express cette semaine était très claire. C’était : « Renoncez », en photo il y avait François Hollande et Nicolas Sarkozy. Ce message aux anciens candidats qui se sont déjà présentés en 2012, est-ce que vous le prenez pour vous aussi ? Est ce que vous pensez qu’il faut une nouvelle génération pour incarner l’offre politique de 2017 ?
La succession des générations est un phénomène naturel et c’est la vie. Encore faut-il que les générations nouvelles aient la stature pour s’imposer. Parce que personne ne s’étonne que Nadal gagne encore des tournois, le 50ème ou 100ème de sa carrière. Personne ne s’étonne que les entraîneurs de football ou de rugby soient des gens expérimentés. Les Français, les citoyens savent très bien faire la différence entre des modes et des gens qui ont du poids, qui disent quelque chose de sérieux, des gens que l’on peut écouter, dans lesquels on peut se reconnaître, dans les temps les plus critiques que les pays aient vécus depuis au moins cinq ans. Ils ont besoin de gens responsables, pas de gens qui prennent tout au tragique. Ils ont besoin de gens qui soient entraînants qui sachent où ils vont et qui sachent parler à un pays de son âme, de ce qu’il croit, de ce qu’on peut faire et partager ensemble. Pour moi c’est la ligne qu’il sera nécessaire de suivre dans les années qui viennent.
Merci François Bayrou d’être venu ce soir sur i>Télé.