«Du grand débat va sortir un nouveau projet national.»
François Bayrou était l'invité de JP_Elkabbach ce mercredi à 7h20, dans La Matinale de CNEWS.
Bienvenue François Bayrou.
Bonjour.
Président du Modem ou maire de Pau, qu'est-ce que qui vous touche le plus ?
Les deux sont importants pour moi.
En même temps, macronisme jusqu’au bout ! Maire de Pau et Président !
Oui, ce sont les deux volets de mon engagement politique.
Aujourd'hui, les personnels pénitentiaires bloquent les prisons, ils sont inquiets de l’insécurité qui se développe sur les lieux de leur travail et l’illustration, c’est l’acte terroriste qui a eu lieu hier dans la prison de Condé-sur-Sarthe, réglée au bout de 10 heures par une intervention du Raid.
J’ai envie de vous demander : Qu'est-ce que vous en penser, d'un coup, comme cela, en tant que maire et responsable politique ?
Nous savons bien que les prisons sont des lieux dans lesquels la contagion du radicalisme se propage beaucoup plus vite. La clé c'est le renseignement pénitentiaire. #LaMatinale
— François Bayrou (@bayrou) 6 mars 2019
Tout le monde sait bien que les prisons sont un lieu dans lequel, hélas, la contagion de la radicalisation, de l'intégrisme et, ailleurs, la contagion des bandes se développent beaucoup.
C'est pourquoi je trouve justifié le fait que, lorsqu'on en est aux premiers actes de la marginalisation, de la délinquance, on cherche d'autres voies que l'emprisonnement. Et, ensuite, à l'intérieur des prisons, il y a un travail énorme à faire qui est le renseignement pénitentiaire.
Qui est en train de se développer.
C'est-à-dire, chercher à observer les circuits, les réseaux qui sont en train de se mettre en place et qui conduisent, on l’a vu hier, au pire avec la mort de la jeune femme qui avait apporté l'arme au détenu.
Et la blessure des deux gardiens.
Là, il se faisait tout gentil, les renseignements de l'intérieur des prisons pénitentiaires n'avaient pas remarqué, c'est un catholique converti, radicalisé dans la prison et le phénomène est en train de se développer.
Oui, c'est une dérive de marginalisation ; dans la rue depuis l'âge de 17 ans et, donc, oui, de ce point de vue-là…
Et avec une épouse qui est morte dans l'assaut et qui aurait livré l'arme, un couteau en céramique, on se demande comment il est entré.
Et une jeune femme enceinte et 2 blessés parmi les gardes.
Aujourd'hui on en parlait avec M. Fennec tout à l'heure, il y a à peu près 2000 délinquants radicalisés, en cours de radicalisation, dans les prisons françaises. Vont s'ajouter les djihadistes qui vont revenir des lieux de guerre.
Quels types de moyens supplémentaires il faut par l'administration pénitentiaire pour neutraliser ce phénomène qui a l'air inévitable et dangereux pour la sécurité ?
La clef, s'il y a une clef, car personne ne peut dire qu'il a la clef entre les mains, c'est le renseignement pénitentiaire.
C'est que, dans le cadre fermé des prisons, la puissance publique fasse ce qu'il faut et ce qu'elle peut pour empêcher ce type de réseau de se mettre en place, mais il ne faut pas se tromper. Celui qui vous dit qu'il a absolument tous les moyens, qu'il n'y a aucune difficulté à faire cela, celui-là n'est ni dans la réalité ni dans la vérité.
Le problème se pose dans presque toute l'Europe.
Nicole Belloubet visite un à un les établissements pénitentiaires. Hier, elle était dans la prison pour femmes pour Versailles et c'est là qu’elle a appris l’agression de Condé.
Ma dernière remarque là-dessus pour aujourd’hui : Faut-il des établissements pénitentiaires pour regrouper les djihadistes, leurs complices et leurs partisans ?
Je ne sais pas si c'est l'établissement pénitentiaire le bon mot, mais en tout cas il faut une surveillance particulière, adaptée et tout ce travail doit reposer - ce sont des principes et des vœux que nous formons - sur la stratégie de déradicalisation, si un jour on arrive à en mettre une au point : surveillance, renseignement, sévérité quand il le faut et, en même temps, déradicalisation, surtout chez les plus jeunes.
Dans sa lettre aux citoyens de l'Europe, Emmanuel Macron propose une renaissance européenne, une souveraineté européenne.
On a envie de dire : ce n'est pas demain la veille.
Vous vous trompez.
Au Conseil des Ministres, Bruno Lemaire va présenter tout à l'heure la taxe française contre les GAFAM, les géants mondiaux du numérique. La France est seule, les autres européens se planquent, ils ont peur.
Et alors, vous proposez que l'on se croise les bas et qu’on laisse faire ? C’est cela ?
Vous dites : au fond, c'est très difficile donc il faut renoncer.
C’est justement parce qu’on est tout seul et que les autres ne veulent pas qu’il faut y aller ?
Eh bien, voilà, c'est très difficile sans aucun doute.
La loi du monde, la loi de l'univers, on la connaît bien, c'est la loi des intérêts et pas la loi des principes. En face de cette loi des intérêts, nous, les Français, parce que c'est notre histoire, et parce que ce sont nos valeurs, nous opposons des lois plus morales, si j’ose dire, en tout cas un horizon dans lequel nous n'abandonnons pas les valeurs qui sont les nôtres.
C'est exactement ce que le Président de la République a dit dans cette tribune très importante publiée dans tous les pays européens et dont vous avez vu qu'elle a des échos dans tous les pays européens.
Qu'est-ce qu'il dit ? Il dit : La question des peuples aujourd'hui, c'est la souveraineté. Comment retrouver la prise sur notre propre destin.
C’est-à-dire la souveraineté nationale ou la souveraineté européenne qui passe par la souveraineté nationale ?
La souveraineté des peuples et, aujourd'hui, on ne peut pas imaginer la souveraineté des peuples s'il n'y a pas cette construction que nous avons faite ensemble qui est en face des empires sans scrupule, empires j'allais dire sans loi et sans foi pour ce qui est de leurs intérêts.
En face des intérêts des empires, à ce moment-là, il faut que nous bâtissions, nous, quelque chose qui nous permette de résister et de faire entendre et si possible notre voix.
Mais en même temps, sans oublier les intérêts nationaux.
Là on voit que c'est le GAFAM…
Comprenez-moi, c'est la même chose. Le fait qu'il y a d'immenses intérêts privés, ce dont on va parler ce matin au Conseil des Ministres c’est : puissances numériques de la planète, Google, Amazon, Facebook, etc.
Domination du monde.
Ces puissances-là, industrielles et financières et les puissances des empires, de la Chine, des États-Unis, de tout ce qui se passe aujourd'hui et de tout ce qui se met en place sur la planète, en face de cela, nous n'avons qu'un recours, et ce recours c'est que les pays européens se rassemblent et se rapprochent pour défendre ensemble l'essentiel.
Il n'est jamais trop tard pour le faire.
Ce n'est pas seulement qu’il ne soit pas trop tard, c'est qu'il est urgent de le faire. C'est cette urgence-là. Vous voyez bien la question des frontières, la question des vagues migratoires, la question des mafias, comment vous voulez que l'on y résiste seul ?
En face des puissances numériques et étatiques, nous devons bâtir une défense. Notre recours est que les États européens se rapprochent et il devient urgent de le faire, nous ne pouvons faire face seuls. #LaMatinale
— François Bayrou (@bayrou) 6 mars 2019
Il y a un lien d’ailleurs entre les mafias et les migrants. Il y a d'autres choses, sur les migrants, puisque vous y venez, il y a peut-être un changement assez net à l'égard des migrants chez le Président de la République.
Il demande à tous les Européens de négocier un nouveau Schengen, c'est-à-dire qu'est-ce qu’on met dedans ?
C'est une chose très importante.
C'est ce que réclamait la droite il n'y a pas longtemps.
Oui, ce que réclament les gens qui connaissent le sujet.
De quoi s'agit-il ? Nous pouvons constituer ensemble un espace qui comprend les pays déterminés à lutter contre ces trafics parce qu'il y a beaucoup de trafics derrière. Il y a d'immenses intérêts mafieux qui vendent du rêve aux migrants et qui prospèrent sur leurs dos, quitte à ce qu'ils perdent la vie, ils s’en moquent.
Donc il faut fermer les frontières et laisser les migrants dans les mains des passeurs et des trafiquants ?
Cet ensemble de pays souverains décidés à faire respecter leurs lois, ils vont faire deux choses. D’abord défendre ensemble le territoire qui est le leur, des frontières.
Il y a déjà Frontex.
Oui, et je ne suis pas sûr que cela suffise. Ensuite, avoir pour l'asile la même loi, c'est-à-dire que l'on ne puisse plus se trouver dans la situation où nous sommes aujourd'hui dans laquelle il suffit, à un migrant qui se voit refuser le droit d'asile dans un pays européen, de passer dans le pays voisin pour recommencer tout le processus.
Parce que, par exemple, la Chancelière Merkel dit non à un Afghan, il fait le tour de l'Europe et il redemande chaque fois.
Oui et chaque fois il gagne des années.
Vous dites, vous, ce migrant ou cet Afghan, s’il est débouté en Allemagne, je l’expulse ?
Je le dis, la même loi et la même décision pour tous les pays européens qui feront partie de cet accord de sécurité.
Ce ne seront pas tous les pays européens, sans doute, ce seront un petit nombre de pays européens qui constituent cette entente-là.
Puis, il dit d'autres choses qui touchent l'économie, la tribune du Président de la République, « Si vous regardez le monde, la Chine et les États-Unis, ils se défendent, ils ont une préférence pour défendre leurs outils stratégiques et défendre aussi leurs intérêts industriels. Ils ont établi, en fait, des règles de protection.
Eh bien, dans ce monde-là il faut que l'Europe nouvelle que nous avons à construire, elle soit capable de faire la même chose.
Donc vous êtes tout à fait d'accord avec lui.
Oui.
C’est-à-dire, Emmanuel Macron est Bayrouïste ou Bayrou est macroniste ?
L'essentiel est que nous sommes sur les mêmes orientations profondes. Je suis sûr que vous vous rendez compte, mais peut-être on ne le dit pas assez, le moment que nous sommes en train de vivre, c'est le plus périlleux que nous ayons connu depuis 50 ans, pour notre pays, pas seulement pour les grands principes de la planète, pour notre pays, pour nos intérêts.
On est comme cela sous la menace de puissances qui veulent nous imposer leurs lois, de puissances dont on considérait hier qu'elles étaient de notre côté de la barrière.
M. Trump.
Oui, évidemment j’évoque les États-Unis, de puissances en voie de constitution, extraordinairement riches et capables d'aller très foin pour défendre leurs intérêts.
Le grand débat a fini par mobiliser une grande partie des citoyens qui avaient probablement besoin de se parler, d'échanger. Qui perd, qui gagne dans ce grand débat ?
Je pense que c'est la France qui gagne. Vous voyez bien ce qui s'est passé.
François Bayrou : « Les gens ont dit pendant cette crise des gilets jaunes qu’ils ne se sentaient pas représentés. Donc il y a aura des réponses de ce côté-là. » #LaMatinalepic.twitter.com/I0WE9ohOHP
— CNEWS (@CNEWS) 6 mars 2019
Même ceux qui critiquent ?
Oui, vous en avez fait le reportage très souvent.
On a eu 30 ans pendant lesquels, chaque fois, il y avait une élection présidentielle, les sujets profonds et les attentes du pays surgissaient, on votait, un nouveau régime ou censé être nouveau se mettait en place et on retrouvait exactement les défauts et les faiblesses d’hier.
Ce n’est pas ce qui va arriver ?
Je ne le crois pas.
Parce que vous pensez que, du grand débat, va sortir quoi ?
Du grand débat va sortir, formulé par le Président de la République au nom du pays, un nouveau projet national.
Avec quoi dedans ?
Laissez s'élaborer le projet.
D’abord, on a vu les problèmes de souveraineté…
Nous avons fait, à Pau, pour l’instant, quatre grands débats, le cinquième aura lieu vendredi, avec des centaines de personnes chaque fois.
Vous dites le pouvoir d'achat, vous dites la ré-indexation des retraites ?
Il y a un aspect social. Qu'est-ce que la solidarité, sans oublier ce que tout le monde sait que, pour la solidarité, il faut des moyens, et les moyens sont ceux de la Nation.
Alors, certains disent, à juste titre, il faut accentuer sur la fraude fiscale, à condition qu'on l'identifie, j'en suis d'accord. C'est au fond ce que l'on va dire au Conseil des Ministres ce matin avec cet impôt nouveau sur les GAFA, les grandes puissances numériques de la planète et qui vont devoir payer, en France, puisqu'on n'a pas réussi à mettre tout le monde autour de la table.
Cela, un aspect social.
Il y a un aspect d'économie, il y a un aspect de démocratie.
Les gens très souvent ont dit pendant cette crise qu'ils ne se sentaient pas représentés.
Donc ils le seront ?
Donc, il y aura des réponses de ce point de vue-là et il y aura une grande réponse, j'espère, plus importante qui est : qu'est-ce que la France défend dans le monde aujourd'hui ? Parce que tous les pays sont interpénétrés, tous se tiennent.
C'est ce que l'on dit depuis le début.
C'est déjà très bien qu’on le dise.
Au-delà de la philosophie, par exemple, il peut continuer avec le même gouvernement ?
Oui, si les orientations ou quand orientations seront clairement fixées, c'est le Président de la République qui forme son gouvernement et je ne crois pas qu'il soit bon de changer tout le temps de gouvernement.
Il y a un papier dans l'opinion aujourd'hui, plutôt favorable à François Bayrou qui dit que vous avez parfois des petits tiraillements avec Édouard Philippe. Vous avez milité pour qu’il reste ou pour qu’il s'en aille ?
J'ai eu des divergences, tout le monde le sait, je les ai exprimées en public, avec un certain nombre d'orientations publiques au moment où elles ont été prises. Mais tout ceci est derrière nous.
Nous sommes aujourd'hui dans une situation dans laquelle le gouvernement, qui conduit une action très importante, songez aux retraites, qu'il va bien va falloir traiter, mérite le soutien de la majorité.
Les élections européennes, est-ce qu’il y aura une seule tête de liste ou un trio ?
Je crois une tête de liste. C'est la même chose pour toutes les listes.
On a beau dire : on met une équipe en tête.
À LR, ils en ont mis trois, comme ils ne sont pas mis d’accord.
Vous pouvez me citer le nom des trois ?
François-Xavier Bellamy, Arnaud Danjean et Agnès Evren. J'ai appris la leçon par cœur !
On dit que vous aviez d'emblée milité en faveur d'Agnès Buzyn. Elle a des compétences européennes ?
Je pense que c'est une femme qui, par les responsabilités qu'elle a exercées et aussi par la vie de médecin qui a été la sienne, a quelque chose qui peut en effet parler au nom de la France mais il y en a d'autres candidatures, on parle de Nathalie Loiseau.
Et vous, que dites-vous ?
Je ne milite pas pour les uns ou pour les autres ? J'essaie de trouver, ou de recommander si je peux, l'équipe qui, non seulement fera de la politique en Europe, mais parlera au nom des Français avec une sensibilité que les Français reconnaîtront.
Est-ce qu’elle pourra être une grande spécialiste avec beaucoup d'autorité et de charisme etc. sur tous les problèmes de santé, peut-être d'affaires sociales, mais c'est la politique.
Est-ce qu’elle va trouver des formules pour ne pas être dévorée par les Laurent Wauquiez, Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon ? Est-ce qu’il n’y a pas un risque pour vous ?
Cela, c'est la politique du combat dans l'arène. Je ne crois pas que la représentation de la France en Europe doive relever du combat dans l'arène française.
Si j'avais à m'exprimer sur ce sujet, je dirais que la liste qui va représenter cette volonté européenne, elle doit être le plus ouverte possible sur les problèmes de tous les Français.
C'est-à-dire Modem, macronistes, centristes, juppéistes ?
Tout cela, ce sont des noms de courant politique. Ce qui est le plus important, c'est la sensibilité des Français, ceux qui nous écoutent, ceux qui sont dans leur écran chez vous, qui ont des problèmes, qui ont des soucis, qui voudraient bien…
De l'efficacité.
Qui voudraient bien avoir, en Europe, un soutien pour leurs espoirs.
Jean-Louis Raffarin a dit bye-bye à Laurent Wauquiez, il rallie Emmanuel Macron, pour vous ce n'est certainement pas une surprise.
Pourquoi on quitte comme cela les républicains aujourd'hui ?
Parce que les Républicains ont l'air, je n’appartiens pas à ce parti, de s’enfermer et, jour après jour, le fait que les responsables politiques expérimentés qui ont fait la preuve, qui se sont engagés, qui ont exercé des responsabilités, disent : « On ne s'y reconnaît plus », alors c'est une crise de ce courant politique français, mais l'un après l'autre tous les courants politiques sont en crise, vous le voyez bien, il suffit d'ouvrir les yeux.
En revanche, c'est un signe positif que quelqu'un de l'expérience de Jean-Pierre Raffarin dise : « Ce que fait le Président de la République, c'est bien pour nous » pas bien pour un courant politique ou pour un autre, pour une étiquette ou pour une autre, mais c'est la première fois depuis longtemps que la France retrouve une voix de leader en Europe.
Qu'un pays commence à dire : Nous ne sommes pas obligés de subir la fatalité, mais il y a quelque chose que l'on peut bâtir ensemble, voyez bien que pour nous, Français, c'est une très bonne nouvelle.
C'est incroyable votre, je ne sais pas comment dire, votre passion pour celui que vous avez choisi comme candidat et, maintenant comme Président. Cela n'a pas varié.
Dans ma vie politique, il m’est souvent arrivé de m'affronter avec des Présidents de la République.
Celui-là non !
Cela a peut-être même été un défi.
Celui-là, c’est un bon !
C'est de la dérision que je veux éviter.
Je me suis souvent affronté avec les Présidents de la République, cette fois-ci je trouve que l'homme qui exerce cette responsabilité est à la hauteur de ce que nous vivons.
Il doit être content, s'il vous écoute.
De ce point de vue-là, qu'est-ce que fait un homme engagé ? Qu'est-ce que fait un citoyen ? Il dit : Écoutez, il y a peut-être des plus et des moins, des faiblesses, mais cela va dans le sens de l'intérêt du pays, il faut donc s'engager.
S'il vous a écouté ce matin, il va bien commencer sa journée.
Il a, j'espère, d'autres motifs de satisfaction que de nous écouter le matin.
Et d'autres soucis. Merci d'être venu François Bayrou.