"On est dans un délitement du pouvoir"
Marielle de Sarnez, députée européenne et vice-présidente du MoDem, a jugé ce lundi au micro d'Yves Thréard que "François Hollande était complètement isolé" et que l'on assistait aujourd'hui à un "délitement de la gouvernance à un moment où jamais les défis n'avaient été aussi nombreux".
Bonjour Marielle de Sarnez.
Bonjour.
Trouvez-vous normal qu’on reporte l’examen du projet de loi El Khomri ?
Ça ne m’étonne pas plus que cela.
Pourquoi ?
Il y a deux questions qui se posent. J’ai le sentiment que le texte se faisait dans une espèce d’improvisation, sans concertation.
N'est-ce pas un bon projet de loi pour vous ?
Écoutez, on doit réformer le marché du travail, on doit l’alléger, on doit le simplifier, on doit prendre en considération la question des heures supplémentaires, des contrats, des indemnités… Tout cela doit se regarder mais doit être bien inspiré. Il faut faire les choses bien, pas de façon improvisée. Par exemple, les heures supplémentaires, moi je suis pour que les salariés continuent à avoir une prime fondée et importante mais par contre qu’elle soit neutre pour l’employeur. Or, ce n’est pas ce qui était prévu. Plutôt que de regarder les questions de licenciements, de prud’hommes, ne faudrait-il pas regarder la question du contrat unique comme cela a été fait en Italie ?
Vous qui êtes centriste, c’est une bonne chose de laisser de la liberté aux entreprises ?
Il faut réformer, mais il faut bien le faire et de manière inspirée, il faut que le contenu soit subtil, intelligent et pertinent. J’ai le sentiment que la direction globale n’était pas mauvaise mais qu’il y avait plusieurs points sur lesquels nous pouvions avoir des différences. Deuxième chose, on voit bien qu’il n’y a pas de majorité à gauche pour ce texte, on voit bien même qu’il y a une division entre le Président de la République et le Premier ministre.
Peut-être que la droite aurait pu venir se substituer à une partie de la gauche ?
Vous savez, quand vous voulez vraiment réformer, vous ne vous y prenez pas comme ça. Vous ne mettez pas, tout d’un coup, brutalement sur la table un projet, sans préparation, sans concertation, dans un timing qui, oui bien sûr, est tardif. C’est plus que tardif.
Il aurait fallu le faire au début du quinquennat ça ?
Ça aurait été mieux d'avoir au début du quinquennat, une politique de réformes. Une politique de réformes, qui notons-le au passage, n’avait pas été faite par les précédents locataires de l’Elysée. Oui, bien sûr, il faut corriger notre code du travail. Vous savez, François Bayrou ne cesse de montrer ce code qui est extrêmement lourd, plus de 3000 pages, ce n’est pas raisonnable. Mais si on veut vraiment réformer, il ne faut pas s’y prendre de cette manière-là. Donc, je ne suis pas étonnée qu’ils reculent et qu’ils déposent ça plus tard.
Vous avez des amis de droite et centristes, notamment Dominique Reynié, qui poussent à la roue pour que ce texte soit examiné et pour que ce texte soit voté, pour eux c’est un bon texte, ils ont lancé une pétition.
Je ne sais pas si le texte est si bon que cela.
Personnellement, vous ne l’auriez pas voté ?
Je l’aurais amendé. Je pense, par exemple, sur les heures supplémentaires, que les salariés doivent continuer à percevoir des heures supplémentaires qui soient intéressantes pour eux mais il faut les rendre neutres pour l’employeur, ce n’était pas prévu dans le texte. Je pense qu’on peut avancer vers un contrat de travail unique pour les futurs contrats de travail, pas pour les contrats de travail existants bien sûr. Cette question n’est même pas abordée dans le texte. Donc oui, il y avait des choses que l’on aurait pu ajouter.
Les candidats de la primaire à droite sont quasiment tous pour abandonner les 35h, est-ce votre cas ?
Je pense que si l’on a des heures supplémentaires qui sont neutres pour l’employeur, c’est une façon au fond de les rendre intéressantes pour les salariés.
Donc pas de suppression des 35h ?
Écoutez, je ne sais pas si c’est absolument nécessaire, je pense que l’on a des leviers et des outils pour avancer autrement.
Il y a eu une surprise lorsque ce texte, cet avant-projet de loi, a été présenté par Madame El Khomri, on s’est dit pourquoi F. Hollande et M. Valls sortent cela maintenant ? Cela vous a-t-il étonné vous aussi ? Est-ce un coup politique ?
Je pense que M. Valls veut mettre son empreinte mais j’ai peur que l’on soit dans un jeu de postures.
C’est quoi le jeu de posture ?
C’est : « vous allez voir ce que vous allez voir maintenant, je suis un réformateur etc. ».
Qui parle là ?
Manuel Valls. Et puis François Hollande dit derrière là : « Non ! Non ! Non ! Il faut faire attention, il faut que le texte soit plus équilibré. » Les ministres importants du gouvernement, le jour où le projet sort, disent : « Ah ! C’est un texte qui est déséquilibré ».
Joue-t-il une carte personnelle Manuel Valls ?
Écoutez, quand on n’est pas capable de convaincre déjà son propre gouvernement que le texte va dans la bonne direction, et qu’on n’a même pas été en capacité de négocier avec les syndicats dits réformistes, réformateurs, et qu’on a la CFDT, au fond, qui est opposée au texte, moi je me pose des questions. N’est-il pas allé trop vite ? Est-ce que ça a été vraiment bien préparé ?
Manuel Valls a–t-il des ambitions présidentielles, selon vous ?
Je pense qu’aujourd’hui il se sent un peu coincé et que l’on est déjà dans "l’après Hollande". Cela implique forcément un jeu de postures qui se déroule.
Manuel Valls pourrait quitter Matignon justement si ce texte n’est pas étudié ?
On verra. Là, il recule. Après nous avoir fait : « On y va ! On réforme ! ». Et puis avoir quelques parlementaires de droite qui disent : « On est là, on est là ! ». Visiblement, on voit qu’ils ne s’y sont pas bien pris.
Martine Aubry est en désaccord avec ce texte, elle dit "trop c’est trop". Est ce que vous pensez que le PS peut exploser ?
J’en suis presque à penser qu’une recomposition de ce point de vue ne serait pas inutile pour le pays parce qu’au fond pourquoi restent-ils ? Parce que peut-être il y a des places, des élections mais on voit bien qu’il va falloir faire bouger tout cela. Si on veut réformer le pays, il va falloir qu’on travaille, les uns, les autres, à avoir des majorités plus larges.
Pourriez-vous travailler avec Manuel Valls ?
Encore faudrait-il que le Premier ministre actuel travaille autrement, c’est-à-dire que poser un texte sur la table et dire maintenant votez le…
Mais sur le fond ?
Sur le fond, le Manuel Valls de la primaire, c’est un Manuel Valls avec lequel je ne me sens pas très éloignée. Emmanuel Macron c’est la même chose. Tout cela n’est pas non plus très loin des "Républicains" qui peuvent être réformateurs. Cela fait 30 ans qu’on ne réforme pas la France, qu’on ne réforme pas le pays. 30 ans, que nous sommes à la traîne par rapport à d’autres grands pays européens comme l’Allemagne. C’est qu’il y a des fondamentaux dans la vie politique qui ne fonctionnent pas.
Pourrait-il y avoir un grand pôle centriste avec des centristes de gauche, des centristes de droite?
Je pense que chacun doit rester chez lui, je pense que c’est très important. Il y a des partis de droite, de droite républicaine. Il y a le centre avec François Bayrou. Il y a des réformateurs au centre gauche et à gauche. Je crois qu’il faut qu’ils s’assument clairement. Est-ce qu’il y aura du travail à faire ensemble dans deux ans , au moment de l’alternance ? Je crois que oui.
Le centre, avec François Bayrou, mais vous oubliez un peu vite, l’UDI avec Jean Christophe Lagarde...
J’ai du mal à le suivre en ce moment.
Ah bon ?
Pour les Français c’est simple, il y a au fond une personnalité qui représente le centre : François Bayrou.
François Bayrou, maintenant, est-il revenu à droite alors ? On avait compris qu’il avait voté pour François Hollande en 2012.
Nous n’avons pas voté pour Nicolas Sarkozy, cela est tout à fait exact. On peut réouvrir le débat si voulez sur le bilan de Nicolas Sarkozy, mais je ne pense que c’était un bon bilan.
Est-ce qu’il faut un candidat du centre à la primaire de la droite?
La primaire de la droite est faite justement, vous venez de le dire, pour la droite. Moi je ne suis pas de droite et suis assez heureuse de me tenir à l’écart de tout cela. Car plus les jours passent, plus les candidats se rajoutent. Je reste un peu septique sur la primaire, donc je regarde.
Vous allez regarder quand même ? François Fillon, Alain Juppé, Bruno Le Maire, Nicolas Sarkozy, ils ne sont pas tous déclarés, mais pour qui, vers qui va votre regard ?
Il y a une dizaine, douzaine de candidats. Nous nous continuerons à dire ce que nous pensons être utile pour la France et ce n’est pas la question de la primaire. La question est : qu’est ce qui est utile pour le pays ? Qu’est-ce qui fera que la présidentielle dans quinze mois sera réussie ? Il faudra un président rassembleur, qui aille au-delà de sa majorité, ou qui ait en tout cas une majorité plus large pour agir, pour le bien du pays et de l’Europe dont nous n’avons pas encore parlé.
Est-ce que François Bayrou peut être un Premier ministre pour Alain Juppé ?
Non, le Premier ministre sera le chef de la majorité parlementaire et c’est très bien comme cela. François Bayrou jouera un rôle important, bien sûr.
Donc vous aussi ?
Écoutez, nous sommes toujours en responsabilité pour faire évoluer le pays dans le bon sens.
L’accueil de François Hollande par les éleveurs qui étaient très en colère, au Salon de l’agriculture, est-ce que cela vous a choquée ? Il a été très chahuté.
Oui, ce n’est jamais comme cela que l’on dialogue. En même temps je crois qu’il y a une colère qui monte, les agriculteurs se sentent abandonnés par leur pays, par la France. Et c’est vrai, je trouve que la France doit réinvestir une position politique à Bruxelles qu’elle a perdue de vue depuis des années.
Et F. Hollande, il n’est pas un peu abandonné aussi ? Par sa majorité, par le PS…
Je le trouve complètement isolé. On est dans un délitement du pouvoir, délitement de la gouvernance. Et cela à un moment où jamais les défis n’ont été aussi lourds et nombreux.
Marielle de Sarnez, est ce que cela peut tenir jusqu’en 2017 ?
Je ne le sais pas.
C’est-à-dire ?
Peut-être que le Président peut, je ne sais pas, dissoudre, changer de Premier ministre, faire un référendum. Ce sont les leviers, les outils institutionnels qu’il y a. Mais, il peut aussi ne rien se passer, et on continuerait dans un délitement de plus en plus lourd. Ce qui fait que oui à ce moment là, le rendez-vous de l’élection présidentielle prochaine, sera crucial.
Un changement de Premier ministre est-ce possible ?
On verra, je ne sais pas ce qu’il a en tête. Mais il est vrai que le pouvoir est isolé, divisé en son sein. Il n’y a pas de boussole claire, on voit bien que cela tire dans deux sens opposés, qu’il y a une vraie fracture de la gauche. Tout cela n’est pas très bon pour le pays.
À treize mois d’une élection présidentielle, peut-on faire un référendum ? Peut-on dissoudre ?
Je crois que tout cela ce sont des outils qu’a le Président à sa portée mais je ne suis pas sûre que cela changera le climat.
Merci Marielle de Sarnez.