Intervention du chef de l'État: "Les mesures restent très insuffisantes pour relancer l'économie"
François Bayrou a salué, vendredi sur France 2, le projet "d'un gouvernement économique de la zone euro", tout en déplorant, qu'en France, François Hollande s'en tienne à "des mesures très insuffisantes" pour relancer l'économie.
Gilles Bornstein - Vous avez écouté le président de la République hier. Quelle est votre réaction ?
François Bayrou - C'était une intervention au bon niveau. C'est la première chose qui compte. L'approche des problèmes et l'expression étaient au niveau de ce que le président de la République française doit être et doit dire. Il y avait une annonce et une vision très importante dans cette intervention : la France va proposer l'établissement d'un gouvernement pour l'économie de la zone euro. C'est la première fois qu'il y a une réponse explicite sur le sujet. Lorsque vous avez une monnaie en commun, il faut avoir un gouvernement. C'est-à-dire une possibilité de réfléchir ensemble et peut-être un jour de décider ensemble, sur ce qu'on doit faire sur la fiscalité, pour la croissance, pour pousser les dix-sept pays membres de la zone euro à avancer ensemble pour que la prospérité revienne. C'était une annonce très importante, décisive pour ce que l'avenir de l'Europe doit être, et donc l'avenir de la France puisque les deux sont étroitement liés.
Cela fait déjà deux bons points.
Pour le reste, il y avait la reprise et la répétition d'un très grand nombre de décisions déjà annoncées. De ce point de vue là, il n'y a pas eu d'avancée décisive et même un manque : les très grandes réformes, des piliers de la société française qui sont aujourd'hui lézardés, n'ont pas été abordées. Rien sur l'Éducation, rien ou presque sur le droit et le marché du travail. Ces grandes réformes ont été éludées et ça manquait dans l'intervention de François Hollande.
S'il refuse le terme de social-démocrate, il a affirmé une politique réformiste. Il n'y a pas eu un seul propos vraiment de gauche dans son intervention. En prenez-vous acte ?
Il y a eu l'affirmation d'une ligne, dont je pense qu'elle est la seule possible pour le peuple français et la nation : la ligne réformiste. Avec une chose qui doit être claire pour moi dans l'esprit de tous et qui pour l'instant n'est pas complètement affirmée, c'est que les problèmes de notre pays ne viennent pas de l'extérieur. Ils ne viennent pas de l'Europe, pas de l'Euro ou de l'Allemagne comme on l'a scandaleusement affirmé ces temps-ci. Les problèmes de la France sont des problèmes internes à notre pays. C'est chez nous que sont les faiblesses et c'est pourquoi nous devons trouver en nous l'énergie pour apporter les réponses. Cet aspect là des choses n'est, pour l'instant, pas entré dans l'esprit des Français. Le jour où il le sera, on verra que le seul chemin est le chemin réformiste et qu'il faut qu'une unité nationale soutienne cette vision de l'avenir.
Justement, il a refusé cette idée d'union nationale. Il a dit qu'il y avait une majorité et une opposition. Après l'avoir entendu, êtes-vous dans la majorité ou dans l'opposition ?
Je suis indépendant et libre. C'est notre plus et notre différence. Il y a des gens qui sont systématiquement pour et d'autres systématiquement contre. Nous, nous pensons qu'il faut avoir la liberté de jugement et de parole nécessaires pour que les impulsions viennent. Lorsque la politique réformiste qu'il faut pour la France aura été définie, l'unité nationale ne viendra pas d'en haut. Si vous attendez que les deux partis, qui se partagent le pouvoir depuis des décennies, fassent le pas nécessaire pour sortir de leurs "a-priori", qu'ils se réforment d'eux-mêmes et prennent conscience de la gravité des choses, vous allez attendre longtemps ! Lorsque l'unité nationale s'imposera, elle s'imposera à partir des Français. C'est un mouvement profond des Français, un mouvement du peuple, qui fera que l'on sortira des affrontements artificiels et stériles pour soutenir les idées nécessaires pour que l'avenir du pays soit repris en main, reconstitué, rebâti comme il doit l'être. Mais ça ne viendra pas du sommet. Vous voyez bien ce qui s'est dit ces jours ci : qu'au fond, ils considèrent que les choses sont comme elles doivent être. Je considère moi que, étant donnée la situation du pays, les choses ne sont pas comme elles devraient être. Ce changement profond, cette prise de conscience, cette volonté exprimée par les Français de sortir de l'enlisement où nous nous trouvons, feront le cadre nouveau nécessaire pour que la France retrouve le chemin qu'elle n'aurait jamais dû quitter.
Mais avec la feuille de route développée hier, avec ce que vous avez entendu, vous auriez l'impression de renier vos convictions en siégeant à côté de lui au Conseil des ministres ?
L'idée que je pourrais être dans une vision de ralliement, vous le savez bien, est une idée fausse.
Il est allé très loin vers la social-démocratie et vers les thèses que vous défendez. À un moment il faut peut-être en prendre acte ?
Il y a heureusement des points de rencontre. Autrement, ce serait que le choix que j'ai fait au moment de la présidentielle ne serait pas le bon. On voit aujourd'hui qu'il fallait pour notre pays une alternance et que cette alternance ne peut aller que dans le sens que j'ai défini, qui est celui d'une politique réformiste pour la France. Mais un très grand nombre de choix en profondeur ne sont pas encore prononcés, exprimés, explicites. Ce que François Hollande appelle sa boite à outils, défendue à nouveau hier, avec les emplois d'avenir, les contrats de génération et le crédit d'impôt compétitivité... Ces trois mesures sont très insuffisantes. Ce n'est pas ça, et je crois qu'on commence à le voir, qui permettra de changer l'énergie et la volonté du pays, de recréer les emplois et les richesses dont nous avons besoin pour que le pouvoir d'achat des familles augmente. Ce que nous avons sous les yeux, c'est une situation à zéro : la croissance est à zéro, les emplois disparaissent. Ce n'est pas avec les outils définis jusqu'à maintenant qu'on y arrivera. Mais l'orientation principale, qui est de dire qu'il faut soutenir l'entreprise, la création d'emploi, la recherche et l'innovation, est juste.