"Je veux lancer un appel pressant à la prudence sur la Syrie"
Au micro de RMC, mardi midi, François Bayrou a lancé "un appel à la prudence" sur le dossier syrien. "Réfléchissons bien, en tant que France, aux conséquences d'une telle intervention", a-t-il prévenu.
Les Grandes Gueules - Êtes-vous d'accord avec Laurent Fabius sur la Syrie ?
François Bayrou - Il est en train de se développer un acte supplémentaire d'une tragédie que nous ne maîtrisons pas. J'ai soutenu de toutes mes forces l'intervention militaire au Mali, car je la trouvais judicieuse, juste, qu'elle avait une chance de l'emporter, qu'elle allait clarifier la situation au lieu de la compliquer. Je vous rappelle que j'ai soutenu, y compris contre bon nombre de mes amis, la position de Jacques Chirac au moment de l'Irak, car je trouvais qu'elle aussi était juste. Dans les deux cas, c'est la France qui, par sa vision du monde, affirmait une position originale. Au point où nous en sommes dans l'affaire syrienne, qui semble se développer comme une mécanique implacable, je voudrais lancer un appel pressant à la prudence. À la prudence, sur plusieurs points. Premièrement, qu'en est-il des faits ? Laurent Fabius a dit : "Le massacre chimique est établi. Il y a la responsabilité de M. Bachar el-Assad". Est-ce que les deux phrases sont reliées l'une à l'autre ? Est-ce que la preuve est apportée, que c'est l'actuel pouvoir à Damas qui a pris cette décision, qui a fait cela ?
Vous êtes plus prudent là dessus ?
Je suis prudent et interrogatif. Il y a beaucoup de manipulations dans ces guerres civiles. Je voudrais qu'on attende le rapport de l'ONU, qu'on ait des preuves certaines, car la décision qui se prépare est une décision extrêmement grave et c'est là mon deuxième appel à la prudence. Une intervention armée, quelles vont en être les conséquences à long terme ? Quelles vont en être les conséquences sur la pauvre Syrie ? C'est un conflit qui a une dimension communautaire très importante et qui est pris dans un ensemble, qui est une double guerre, un double affrontement historique entre les Sunnites et les Chiites, et entre l'Iran et en particulier Israël. Vous voyez bien qu'une intervention occidentale, militaire, risque de créer des déséquilibres colossaux. Troisième appel à la prudence : à supposer qu'on réussisse à mettre à genoux le régime actuel, qu'est-ce qui vient après ce régime ? Et notamment, quelles sont les conséquences sur les minorités ? Toutes les minorités de cette région, en particulier les minorités chrétiennes, sont déjà la cible des islamistes. Qu'est-ce que ça provoque comme onde de choc sur le Liban ? Nous avons, nous Français, une responsabilité particulière avec le Liban. Nous sommes pour l'instant à la pointe d'un mouvement États-Unis, Grande-Bretagne, France. Je demande qu'on réfléchisse bien, en tant que France, aux conséquences d'une telle intervention. Quatrièmement, est-ce que c'est notre guerre, est-ce que c'est notre conflit, est-ce que c'est notre responsabilité ?
On a signé des conventions interdisant l'utilisation d'armes chimiques...
Nous sommes allés au Mali, je l'ai soutenu, approuvé, en termes non mesurés. Nous sommes allés en Libye, j'avais déjà des interrogations...
Donc n'allons pas en Syrie ?
Je ne veux pas prononcer des phrases définitives. Mon appel est un appel à la prudence.
Mais s'il est avéré qu'il y a utilisation d'armes chimiques ? Vous appelez à ce que la France retrouve sa voix dans le monde, mais peut-elle se taire s'il y a crime contre l'humanité ?
Elle ne peut pas se taire face à des exactions, mais il y en a partout des exactions dans ces conflits. Je demande qu'on réfléchisse bien aux risques géopolitiques, à l'échelle de toute une région, du monde et peut-être même à l'échelle des siècles. Le premier devoir du gouvernement doit être de réfléchir sur ces points et non pas d'être pris dans un mouvement qui rappelle beaucoup, à certains moments, la préparation de la seconde guerre en Irak.