"La mission d’un président de la République est de dire la vérité et de guider ses citoyens"
Alors que les Grecs vont se prononcer, dimanche 5 juillet, sur les propositions des créanciers européens, François Bayrou n'a pas caché pas son inquiétude ce matin sur France 2 : "Je suis inquiet comme tous ceux qui sont lucides" a-t-il déclaré.
Bonjour à tous, bonjour François Bayrou. Merci d’être avec nous en direct depuis votre ville de Pau. Nous sommes à deux jours du référendum grec, vous êtes un Européen convaincu, est-ce que ce matin vous êtes un Européen inquiet ?
Je suis inquiet comme tous ceux qui sont lucides. Ceux qui ne seraient pas inquiets ce matin, quelles que soient leurs opinions, et quelle que soit leur situation, sont des gens qui seraient des rêveurs éveillés, comme un responsable financier l’a dit.
Mais qu’est-ce qui est vraiment inquiétant ?
Ce qui est vraiment inquiétant c’est qu’on va se trouver lundi matin dans une situation inédite : soit le oui passe et alors peut être les négociations peuvent reprendre de manière plus équilibrée mais il n’y a plus de gouvernement grec, soit c’est le non qui l’emporte, et le non nous fait entrer dans une zone qui est absolument sans précédent, dans laquelle on s’achemine vers la sortie de la Grèce de la zone euro, et pour les Grecs, une situation qui va entraîner d’immenses difficultés. Est-ce que vous vous rendez compte qu’actuellement les retraités grecs sont obligés d’aller faire la queue devant les banques et ils ne peuvent retirer que 120 euros par semaine ? Ils attendent des heures, c’est une situation extrêmement choquante, y compris humainement, extrêmement humiliante, et qui vient de ce que les ponts ont été coupés, et que les banques grecques se trouvent dans une énorme difficulté. Or elles ne pourront pas rouvrir facilement la semaine prochaine, parce qu’elles n’ont plus les réserves. Donc vous voyez à quel point on est dans une situation que personne ne maitrise, qui ressemble à de la roulette russe, dans laquelle le gouvernement Tsipras, et les gouvernements précédents, et puis peut-être des maladresses de la zone euro, ont entraîné ce pays et l’ensemble de la zone.
Alors ce référendum c’est le premier ministre grec Alexis Tsipras qui l’a voulu, est-ce Tsipras, selon vous, est un homme politique de confiance, est-ce qu’on peut lui faire confiance ?
C’est un homme politique, j’ai l’impression, intelligent et talentueux sans doute, mais c’est un joueur. Il a décidé de jouer, j’ai dit que ça s’apparentait davantage à la roulette russe qu’à l’euro million, si on voulait prendre une image. Non nous sommes dans une situation extrêmement risquée parce que le gouvernement grec a fait des promesses intenables et il est aujourd’hui dans l’improvisation devant une situation qui le dépasse et qui risque de créer un tsunami pour les Grecs et pour le reste de la zone euro, contrairement à ce que croient les optimistes.
Christine Lagarde, la patronne du FMI disait qu’il fallait « discuter entre adultes ». Cela visait notamment Alexis Tsipras, est-ce que vous reprendriez le même terme ?
Il faudra, une fois le référendum acquis, s’assoir autour de la table pour essayer de faire le bilan des dégâts et pour s’efforcer de construire une sortie de crise. Mais je le dis à l’avance ce sera difficile, pénalisant, et ce n’est pas une situation dans laquelle on aime qu’un pays de la zone euro se trouve. Dois-je ajouter qu’il y a quelque chose pour moi d’incompréhensible, c’est que dans une crise aussi grave, les autorités françaises ne s’expriment pas, ne parlent pas avec les Français, ne disent rien. Hier on a eu au parlement allemand, au Bundestag, un débat de plusieurs heures sur la situation grecque. Est-ce qu’il y a eu un débat en France ? Plus gravement encore, est-ce que le président de la République a parlé aux Français ? Est-ce qu’il leur a dit qu’elle était, selon lui la situation ? Son analyse, la gravité des choses ?
Il a dit une chose, il a dit qu’il n’y avait pas de risque pour l’économie française.
Et bien c’est un optimisme qui pour moi confine à la légèreté. S’imaginer qu’un pays membre de la zone euro peut faire faillite, et qu’il n’y a pas de conséquences pour le reste, c’est ignorer à quel point on est dans un système européen et mondial où tout est lié. Souvenez-vous de l’incroyable drame qu’a été la faillite d’une banque en 2008. Aujourd’hui on se retrouve avec la faillite d’un pays tout entier, qui ne peut plus faire face à ses engagements et on dit comme ça le cœur léger qu’il n’y a aucun risque pour les autres ? Mais à mon sens c’est être à côté de la réalité, ou vouloir dorer la pilule, présenter les choses de manière favorable, de manière à rassurer ceux qui sont inquiets. Mais à quoi bon rassurer si on est dans des turbulences aussi graves ? Alors franchement il y a peut-être un optimisme natif chez le président de la République, mais là, franchement, il me semble que le moment devrait être plutôt à la gravité, à l’explication, et à la communication, sur le fond, avec les Français. La mission d’un président de la République c’est de dire la vérité et de guider ceux qui sont ses citoyens.
Est-ce que vous pensez qu’il y a un enchaînement possible qui pourrait mener à la catastrophe, en France, dans l’hypothèse d’un non ?
À la catastrophe, je ne sais pas ce que le mot veut dire, j’espère qu’il n’y aura pas des conséquences irréversibles, mais en tout cas il y en aura une. Jusqu’à maintenant, l’ensemble des pays de la zone euro était protégé par le bouclier de la zone euro, par le parapluie que l’euro plaçait au-dessus d’eux. L’euro était une protection pour l’ensemble des pays de la zone euro, ce qui fait que tous les prêteurs du monde disaient : si un pays de la zone euro emprunte, alors on peut être sûr qu’il remboursera, et comme on peut être sûr qu’il remboursera, on peut lui prêter à des taux bas. La sécurité entraîne la confiance. Aujourd’hui il risque d’apparaître qu’un pays de la zone euro, prétendument protégé par la zone euro, peut faire faillite, alors tous les pays de la zone euro vont être soumis aux soupçons, et singulièrement ceux qui sont très endettés, singulièrement la France. Et pour moi en tout cas c’est une mauvaise nouvelle qui va entraîner une méfiance à l’égard des pays de la zone euro, et quand il y a méfiance, il n’y a pas une économie en bonne santé, il n’y a pas de prêt « bon marché ».
Juste un mot sur un sujet différent : la presse de ce matin titre sur un autre sujet : la fin de l’émission des Guignols de l’info. Comment vous réagissez ?
Moi je pense que l’humour, la satire, l’irrévérence sont nécessaires dans une société comme la nôtre, dans tous les pays, dans une démocratie, chaque fois qu’il y a un pouvoir, il est nécessaire d’avoir en face de ce pouvoir des contre-pouvoirs. Qu’ils soient institutionnels, parlementaires, judiciaires... Parmi ces contre-pouvoirs, celui qui est le plus efficace, celui qui amène les puissants à réfléchir, c’est évidemment la satire et le rire. Ceux qui veulent faire disparaître ce contre-pouvoir se trompent à l’égard du pays et contre eux-mêmes. Pour moi il me semble qu’il faut réfléchir avant d’entrer dans des suppressions de cet ordre.
Merci François Bayrou.