🎙 « La priorité c’est d’imposer une nouvelle gouvernance, d’imposer un nouveau rapport entre le pouvoir et le pays. »
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Extraits :
Retrouvez ci-dessous la retranscription de l'interview :
Bonsoir François Bayrou soyez le bienvenu, on vous a très peu entendu depuis le résultat des élections européennes.
Merci d'être avec nous à 24 heures de ce rendez-vous important.
Pour vous qui écouterez ce message, ce discours de politique générale, on dit que c'est l'acte 2 du quinquennat, quelle est la priorité que vous attendez dans ce discours ?
La priorité, c'est de changer, d'imposer une nouvelle gouvernance, d'imposer un nouveau rapport entre le pouvoir et le pays.
Pendant très longtemps, depuis des années et des décennies peut-être, on a en France un État qui est en situation d'absence de confiance par rapport à la société.
On a une société vivante, on a des entreprises, on a des associations, on a des familles, on a la vie du pays, puis l'État sa propre logique, son propre rythme, très lent, les décisions mettent du temps à se prendre et encore d'avantage à s'appliquer.
C'est ce qui s'est passé pendant ces deux premières années.
La profondeur du terrain ne s'y reconnaît pas. Ce qui s'est passé pendant ces deux premières années, c'est que le Président de la République a été élu sur une vision nouvelle, sur un engagement nouveau, sur un engagement à changer ces choses-là et les Français n'ont pas eu toujours le sentiment que cela allait aussi vite, aussi loin, que cela ressemblait à ce qu'ils avaient entendu de la promesse d’Emmanuel Macron quand il se présentait à l'élection présidentielle.
Pour moi, c'est la priorité. Je ne dis pas que tout le monde entend cette priorité, mais le Président de la République, lui, l'entend.
Quand vous dites tout le monde, vous parlez du Premier ministre ?
Non, pas du tout, je parle avec le Premier ministre aussi de ce genre de sujet.
L'organisation de l'État en France, elle a une tradition, une histoire, elle a des formes que l'on voit sur votre écran. Tout cela est solennel et n'a pas l'agilité, la vivacité et aussi le degré de confiance immense qu'il faudrait dans un grand pays comme le nôtre entre ceux qui vivent la vie sur le terrain et ceux qui occupent les responsabilités politiques et administratives.
Est-ce que votre souhait rejoint le constat d’Emmanuel Macron qu'il a fait cet après-midi lors d'un discours quand il a confessé une erreur dans la crise des gilets jaunes. On écoute le Président de la République :
La France a traversé ce et derniers mois une crise très dure, mais que j'ai personnellement vécue comme une forme d'opportunité.
Nous avons peut-être parfois construit des bonnes réponses, trop loin de nos concitoyens en considérant qu'il y avait des sachants et des subissants.
Je pense que c'était une erreur fondamentale.
Donc c'était une erreur.
En tout cas, ce que je peux attester, c'est ce que vient de dire le Président de la République, c'est exactement ce qu'il a vécu, en tout cas dans le dialogue que j'ai avec lui.
Cette crise a été une crise extrêmement lourde, y compris pour lui-même, avec des incidents qui ont été très choquants.
Le Puy-en-Velay.
Par exemple, et tous les observateurs disaient : « c'est fini », « voilà, on n'y arrivera plus, en fait on s'est trompé », « c'était une erreur ». Puis, lui a vécu cette rencontre avec les Français que le Grand débat a été comme au fond se replonger dans le bain d'authenticité qu'avait été la campagne électorale et qu'était son attente à l'égard du pouvoir et de la responsabilité qui était la sienne.
Depuis quelques minutes, on parle de la méthode, on parle de la façon de gouverner, mais sur le fond, pour vous, ce discours de politique générale pour l'acte 2 du quinquennat, est-ce qu’il doit marquer une profonde continuité dans la volonté de réformer, une inflexion ou bien un tournant, peut-être un tournant social. On dit beaucoup que vous êtes une des incarnations de la préoccupation sociale dans ceux qui parlent au Président.
C'est un tournant et il faut que cela en soit un.
Sur le fond.
Sur le fond. Cela ne veut pas dire que l'on renie ce qui s'est passé dans les deux premières années, bien ou mal ; d'ailleurs, il ne faut jamais renier. En tout cas, je ne pratique pas cette forme de remords public et de flagellation.
Ce n'est pas du tout ma manière de voir les choses.
Mais il faut un tournant sur le fond.
Vous voyez bien ce qui est arrivé. L'élection présidentielle, c'est une promesse de changement profond qui a emporté les cadres habituels de la vie politique française et, jusqu’aux élections européennes, il y avait des tas de gens qui croyaient que ce n'était qu'une parenthèse - on en a discuté sur un plateau ensemble - des tas de gens qui croyaient qu'on allait revenir aux formes antérieures, puis les Présidentielles suivies des Européennes sanctionnent le fait qu'il y avait une perte de confiance absolue entre les Français et, au fond, la représentation politique et le sommet de l'appareil administratif.
Cela, c'est fait. C'était la première chose. Puis, on a eu une année et demie où les Français avaient un sentiment d'inconfort par rapport à la manière dont la politique était conduite et à la pensée qui la gouvernait.
Ils avaient le sentiment que ce qui avait été promis n'était pas au rendez-vous. Puis il y a eu cette immense crise et comme le Président de la République vient de le dire, il l’a vécu, et à mon avis à juste titre, comme une opportunité.
Ce tournant sur le fond que vous souhaitez, dans quel sens ? Un tournant social ? Une accélération ?
On vient de parler de l'État et c'est très important, mais il y a aussi la recherche que le Président de la République a profondément annoncée dans la conférence de presse à la sortie du Grand débat, la recherche d'un nouveau modèle de société.
Donc un tournant écologique.
L'écologie cela en fait partie mais cela ne résume pas tout. On peut essayer de voir l'ampleur de ce qui se passe.
Vous voyez bien quel est le sujet. Le sujet, c'est qu'à la surface de la planète, dans les pays développés en tout cas, il y a un modèle de société qui s'impose, qui gouverne, qui commande tout et, ce modèle de société, c'est la société du plus fort et, souvent, du plus riche. La société de ceux qui imposent leur volonté aux autres. C'est à l'échelon international ; vous voyez bien ce que Donald Trump montre chaque fois qu'il parle.
Le président des États-Unis, chaque fois qu'il parle, il dit : « Nous sommes les plus forts et vous allez nous obéir » et cette vision du monde, elle est profondément le contraire de ce que l'histoire de la France et la vocation de la France attendent et appellent ; ce qu'au fond de Gaulle avait assez bien senti en son temps.
Donc c'est un discours de gauche, pardon… Vous souhaitez une inflexion à gauche ? Humaniste ?
Avec l'histoire de ma vie, est-ce que je peux vous dire que cette vision qui consiste à penser que tout est en droite/gauche, pardonnez-moi de le dire, est une vision périmée. Je crois qu'elle a toujours été fausse, mais elle est périmée.
Comment la qualifieriez-vous ? Humaniste ?
On le voit bien. Il s'agit de remplacer la société du plus fort par la société du plus juste.
Pourquoi ? Qu'est-ce cela veut dire la société du plus juste ?
Cela ne veut pas dire qu'on ignore l'économie, qu'on ignore la finance, cela ne veut pas dire que l'on ne sait pas qu'il faut de l'argent pour faire vivre la société, la vôtre, comme les autres, cela veut dire simplement que l'on pense que le moyen ne doit pas être plus fort que tout le reste.
L'argent est un moyen, il ne doit pas être plus fort que tout le reste. Cette attente-là, vous voyez bien tout ce qu'elle représente. D'abord, vous parliez de l'environnement, de l'écologie, de la préservation de ce qui nous appartient à tous.
Cela, c'est une dimension que vous attendez.
De ce climat. Ensuite il y a la question des retraites.
A-t-on des retraites justes ? Tout le monde sait que non. Il y a la question travail.
Sur les retraites, il y a eu un débat, en tout cas dans la majorité : il faut inciter les gens à travailler davantage car l'équilibre financier du système de retraite le demande. Mais il y a deux façons de le faire : incitative, vous travaillez au-delà de 64 ans, vous aurez une prime à la retraite et une autre façon « punitive » : si vous n'allez pas jusque-là votre retraite sera sous-cotée, il y aura une décote de votre retraite.
Faut-il une décote de la retraite ? Est-ce que le Premier ministre doit l’annoncer ?
Je crois que ce qui est incitatif est bon et vous voyez bien de quoi il s’agit. Il se trouve que la durée de la vie s'allonge et il n'y a pas un Français parmi ceux qui nous écoutent qui imagine, qu'alors que la vie s'allonge, on va raccourcir le temps de travail. Ce serait un mensonge d'État et ce serait une manière de tromper si profondément les gens qu'on aurait le droit de se mettre en colère contre.
Bien sûr, il va falloir que tout le monde adapte sa vie de travail à sa vie physiologique, à la durée de sa vie physiologique de sorte que la retraite demeure un long temps, mais un temps proportionnel à la durée de la vie.
Faut-il passer par la décote ?
Ce qui est incitatif est intéressant. Qu'est-ce cela veut dire la retraite par points ?
Tout le monde dit cela sans que l'on ait réfléchi à cette question. Vous vous souviendrez que j'en ai défendu le principe depuis très longtemps.
Cela veut dire que l'on donne aux Français plus de liberté pour choisir l'âge de départ à la retraite. Et choisir l'âge de départ à la retraite, d'une certaine manière à la carte, cela veut dire aussi que l'on choisit le niveau de la pension et le niveau de la pension est d'autant plus grand que l'on reste plus longtemps dans des cadres définis par la loi.
Et, avec cela, vous avez le principe et un principe qui est juste.
Y compris quand cela peut amoindrir le niveau de la retraite si l’on ne travaille pas jusqu’à 64 ans, il faut peut-être en passer par là ?
Je n'ai pas dit cela. Le choix du niveau de la pension est un choix qui va avec l'âge de départ à la retraite, mais, moi, je pense que l'on devrait pouvoir enrichir cela encore davantage, car il y a des gens qui ont eu des vies avec un travail très difficile, le point ne doit pas être le même.
Selon les parcours.
La durée de travail n'est pas là même selon que vous avez travaillé dans le bitume sur le trottoir, comme cela arrive assez souvent, comme on le voit dans nos villes ou que vous avez été exposé aux intempéries ou que vous avez travaillé de nuit.
Cette adaptation-là, c'est la question même du nouveau régime de retraite qu'on a le temps pour installer, mais qui est nécessaire.
Encore un point précis et un point surprise parce que personne ne s'y attendait vraiment : nos confrères du Monde disent cet après-midi que l'immigration devrait faire partie de ce discours de politique générale avec peut-être un nouveau projet de loi, après celui de Gérard Collomb. Est-ce que ce serait justifié et nécessaire ?
Tout d’abord, je ne sais pas si c'est vrai et vous entendez le point d'interrogation dans ma voix. Mais on verra demain.
En tout cas, que la question de l'immigration doive être traitée les yeux ouverts par des gouvernants qui soient à la hauteur de ce que ressentent les citoyens, eh bien cela, c'est légitime.
Je ne dis pas que cela va se faire demain. Vous vous souvenez que le Président de la République avait mis cela dans sa première lettre aux Français et que cela avait suscité une espèce d'interrogation, de sentiment d'étrangeté par les gens qui préfèrent mettre la poussière sous le tapis.
Pas chez vous donc, on le comprend.
Moi, je pense que c'est légitime que l'on en parle et que l'on essaie d'inventer des systèmes, y compris des systèmes nouveaux, qui permettront de résoudre cette question. Je crois qu'on peut le faire.
Un mot des enseignements des Européennes où l’on a constaté que, de plus en plus, le vote de ceux qui se disent de droite était aujourd'hui un vote Emmanuel Macron.
Je voudrais que l'on écoute quelques appels lancés du côté du gouvernement aux élus de la droite suite à ces résultats.
Les électeurs leur disent me semble-t-il que, désormais, il faut monter à bord pour essayer d’aider le Président de la République à réussir.
Je dis : bienvenue au club, à celles et ceux qui souhaitent aujourd'hui rejoindre cet élan réformateur pour notre pays.
Est-ce que vous aussi vous dites après ces élections aux élus de droite, aux maires : Rejoignez-nous.
Je vais vous surprendre, je n'aime pas les injonctions. Les gens qui veulent décider à la place des autres et j’aime le pluralisme… Vous vous souvenez que, lorsque l'UMP s’est créée, j'étais à la réunion de formation de l'UMP à Toulouse, il y a longtemps, c'était juste avant l'élection présidentielle de 2002.
J'ai dit : Vous dites que l'on pense tous la même chose, mais si l’on pense tous la même chose, c'est que l'on ne pense plus rien.
Je pense que la majorité a besoin de pluralisme ; je ne pense pas qu'il faille réduire ou enfermer tout le monde sous la même étiquette.
Ce n'est pas ma manière de voir les choses. En revanche, votre interrogation suscite chez moi une réflexion.
Je pense que c'est un très mauvais service à rendre au Président de la République que d'en faire le président d'un bord, très mauvais service. J'ai toujours pensé que, au contraire, le Président de la République avait une vocation de fédérateur - cela ne vous étonnera pas - au centre de la démocratie française.
Même aujourd'hui encore ?
Aujourd'hui encore et aujourd'hui plus que jamais.
Alors que les électeurs semblent dire l'inverse.
Vous avez bien entendu ce que j'ai dit.
L'enjeu majeur, c'est de trouver un projet de société qui ne soit pas le projet de la société de la loi du plus fort, mais le projet de société de la loi du plus juste.
Si nous arrivons à faire cela alors, je n'ai aucun doute que ceux qui vont se reconnaître dans cette action, d'un bord et de l'autre et du grand socle central, ceux-là se réuniront dans la diversité avec des aspirations différentes ; ils en ont bien le droit et c'est nécessaire que l'on puisse faire respirer cette diversité.
En attendant, le Macronisme, en tout cas d'un point de vue électoral, penche plutôt à droite et du coup, est-ce qu’Édouard Philippe dont on disait qu'il était peut-être sur la sellette avant n'a pas une autoroute pour terminer à Matignon jusqu'en 2022 ?
C'est le Président de la République et le Premier ministre qui voient cela ; J'ai toujours pensé que la fonction du Président de la République et celle du Premier ministre n'étaient pas les mêmes et que l'on a tort de les regarder comme s'ils exerçaient la même fonction.
Il y a, d'un côté, une fonction d'inspiration et, de l'autre, une fonction de conduite de l'action quotidienne.
Ces deux fonctions-là sont nécessaires au pays. Jamais je n'ai cru que le Premier ministre était un collaborateur du Président, même à l'époque où c'était la doctrine d'État, la doctrine officielle.
Vous parlez de Nicolas Sarkozy avec François Fillon, mais vous savez, François Bayrou, que l'on avait évoqué votre nom comme possible prétendant à Matignon.
Cette hypothèse s'éloigne. Est-ce que vous en nourrissez un regret ?
Non il n'y a aucune sorte de question personnelle dans cette affaire.
Peut-être vous vous en rendez compte, moi je suis très épanoui dans les deux fonctions qui sont les miennes. J'ai la responsabilité d'une collectivité locale pour laquelle j'ai une immense affection…
Vous êtes maire de Pau.
Maire de Pau et de toute cette région qu'est le Béarn au pied des Pyrénées et tout cela est pour moi très précieux. Et j'ai la responsabilité d'un courant politique national important ; au fond que le courant politique a été le précurseur de ce qui s'est passé aujourd'hui ; Donc, pour moi, c'est très bien, je suis un tout tient du Président de la République, un soutien amical et un soutien, quelqu'un qui se sent partie prenant de cette immense aventure que 2017 a permis aux Français de vivre et dont ils n'ont pas découvert encore, et de très loin, la profondeur car ce qui se joue - on vient d’en dire un mot - aujourd'hui a une grande importance, pour la France pour l’Europe et je crois une grande importance pour le monde.
Nous sommes précisément dans ce moment et dans ce pays où ces questions peuvent être posées sans avoir l'air déplacé.
Je trouve, moi, que c'est une très grande chance.
Puisque vous m’y amenez et loin de moi l'idée de faire de la politique politicienne, mais le débat émerge déjà : Un seul mandat suffira-il à Emmanuel Macron ? On estime déjà qu'il faudrait qu'il envisage un deuxièmement mandat. Est-ce que vous, vous souhaitez qu'il se représente ?
J'aime beaucoup la tradition agricole française.
Il y a un proverbe que je vous encourage à méditer : « Il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs ». Il ne faut pas inverser le temps.
Laisser le temps se vivre. Ce que nous sommes en train de vivre est crucial.
Ce que nous vivons dans les jours où nous sommes-là, est-ce que c'est possible d'inventer une deuxième phase, un deuxième acte à partir de la même élection ? Est-ce qu’on peut approfondir l'action pour que les Français découvrent qu'il y a là, pas seulement de la gestion, c'est nécessaire la gestion, mais qu'il y a aussi un projet qui porte dans les années qui viennent, dans les 5, 10, 15, 20 ans à venir, que quelque chose se fonde, que les fondations soient en train de se couler sur lesquelles on va bâtir quelque chose de très important.
Un nouveau projet qui n'était pas celui de 2017.
Il était en germe en 2017, mais il n'a pas été explicité.
Si j'avais ce sentiment-là, au fond, l'élection présidentielle a ouvert un cycle qui a été un cycle de décisions importantes dans le domaine de la gestion mais, pour moi, la politique, et singulièrement la politique quand elle est exercée par le Président de la République, cela va beaucoup plus loin. Ce n'est pas seulement fait pour régler des problèmes qui sont des problèmes très importants, économiques financiers, c'est fait pour donner aux gens des raisons de vivre, des raisons d’y croire, des raisons au fond de s'engager et de retrouver confiance dans la vie que nous partageons, dans la société qui est la nôtre et dans le pays qui est le nôtre.
Merci François Bayrou d'avoir répondu à nos questions ce soir.