"La réforme du collège n'est pas une querelle droite-gauche"
François Bayrou était l'invité de l'émission "Les Quatre Vérités" sur France 2 ce matin. Interrogé sur le soutien réaffirmé du premier ministre à Najat Vallaud-Belkacem, le président du MoDem a déploré que Manuel Valls réduise la réforme du collège à un affrontement "droite-gauche".
Bonjour François Bayrou.
Bonjour.
Une bonne nouvelle pour l’économie française ce matin, +0,6% de croissance au premier trimestre de l’année 2015, est-ce que la politique de François Hollande est en train de payer ?
Tout le monde sait quelle est la cause de ce léger rebond, c’est la chute des cours du pétrole et on ne peut pas dire que la politique soit la responsable de la chute des cours du pétrole ! Votre journaliste l’a d’ailleurs dit tout à l’heure sur le plateau. Mais toute bonne nouvelle doit être reçue comme telle et donc il n’y a pas de raison d’ergoter sur ce sujet.
En meeting hier soir, Manuel Valls a apporté son soutien à Najat Vallaud-Belkacem. Elle dit qu’elle est et qu’elle restera selon lui comme l’une des grandes ministres de l’Éducation nationale. Est-ce que vous partagez cet avis ?
Ce sont des mots de meeting. Il y a une chose que je sais : ce que Manuel Valls a essayé de dire hier, de faire entendre, et que ce matin reprennent un certain nombre de ceux qui relaient la parole du pouvoir, c’est qu’il s’agit d’une querelle ou d’un affrontement entre la droite et la gauche.
Est-ce le cas ?
C’est faux ! Il y a autant - et heureusement - de responsables, d’intellectuels, d’écrivains, de philosophes, qui se sont opposés à cette réforme venant de la gauche qu’il y en a venant de la droite. S’il y a une chose certaine pour moi, c’est que la question de l’éducation n’est pas une question de parti. Les approches partisanes sur ce sujet - la gauche qui dit « c’est une question de moyens », la droite qui dit « c’est une question d’autorité » - sont les deux discours que l’on entend et pour moi l’une et l’autre passent à côté de l’essentiel.
Pourquoi est-ce que vous êtes toujours inquiet, François Bayrou ? On continue d’assurer qu’il n’y aura pas de suppression du grec, du latin, de l’allemand…
Le monde dans lequel nous vivons – vous le savez bien parce que c’est votre métier - est un monde dans lequel on utilise les mots pour dire le contraire de la vérité. Alors c’est très simple : il y avait depuis 400 ans en France un enseignement, une transmission de ces langues mères de la langue française, des langues qui expliquent ce que nous sommes, ce que les mots veulent dire, qui nous donnent la nuance de pensée. Voilà que nous nous trouvons dans une situation où on les raye ! Ce n’est plus une discipline. On dit « on fera un peu d’enseignement interdisciplinaire, il y aura une heure par semaine pour ceux veulent, pour les enseignants qui le choisiront… » mais vous n’aurez en réalité plus le droit de recevoir un enseignement dans ces disciplines ! Donc pour moi, cela est une atteinte profonde à quelque chose de tout à fait précieux qui est la clef pour les enfants venant de milieux non favorisés par la culture ou par les aspects matériels des choses : ces enfants-là ne pourront plus recevoir à l’école ce que jusqu’à maintenant on leur offrait.
Est-ce que vous diriez comme Nicolas Sarkozy que l’école de la République est en danger ?
En tout cas, je dis que notre socle est mis en danger. Mais Nicolas Sarkozy lui aussi il y a quelques années avait envisagé de porter atteinte à cette discipline des langues anciennes qui – disait-il – coûtaient très chères pour ne pas rapporter beaucoup à la nation.
Vous pensez que l’on doit retirer cette réforme aujourd’hui ?
Je pense qu’il faut retirer, reconstruire, reproposer une réforme différente mais ce n’est pas le seul aspect. Il suffit de lire les programmes et de découvrir le côté complètement jargonneux, incompréhensible – il m’est arrivé de citer des phrases entières que personne ne comprendrait.
Effectivement, on l’a vu sur le sport, la piscine…
Exactement.
François Hollande, le Président de la République, rentre aujourd’hui de son déplacement dans les Caraïbes, est-ce qu’à sa place vous auriez rencontré Fidel Castro à Cuba ?
On ne va pas faire une polémique de cela. C’était une rencontre symbolique. Symbole de quoi ? Je ne sais pas. Disons de quelqu’un qui a été une figure dans l’histoire. Mais ce que Fidel Castro a fait de son peuple et de son île n’est enviable par personne et notamment par aucun dirigeant de nos pays de la liberté.
Vous l’auriez rencontré ?
Peut-être l’aurais-je rencontré mais je n’aurais pas mis en scène. Il y a eu une mise en scène – les journaux l’écrivent ce matin – on a survendu la visite à Fidel Castro. Je pense qu’il était normal d’aller à Cuba, normal de rencontrer le président actuel cubain Raoul, le frère de Fidel Castro. Pour le reste, le caractère sur-souligné et éclairé par la communication ne me parait pas convaincant.
Ce n’est pas une faute morale, vous n’iriez pas jusque-là ?
Non, je ne dis pas cela.
D’ici quelques semaines, l’UMP devrait désormais s’appeler « Les Républicains ». On sait que vous n’êtes pas fan de cette nouvelle appellation, vous l’avez dit il y a quelques semaines. Est-ce que vous appelez les adhérents qui doivent se prononcer, les adhérents de l’UMP, à rejeter ce nouveau nom ?
Ce n’est pas ma responsabilité, ce n’est pas mon affaire et je ne veux pas faire de l’ingérence dans les affaires d’un autre parti. Ce que je dis seulement, c’est que si vous y réfléchissez bien, cela signifie que bientôt il y aura des gens en France qui diront « moi je suis anti-républicain » parce qu’ils seront contre ce parti qui s’appellera « Les Républicains ». Il me semble qu’il y a quelque chose qui n’est pas heureux pour la nation de voir ce que nous avions en commun pris comme étiquette par un seul parti. J’aurais préféré – mais c’est leur affaire - que tout ce qui a trait à la République reste, ou demeure, partagé par vous, par moi, par tous ceux qui se retrouvent dans le grand idéal que la France s’est donné.
On vous sait proche d’Alain Juppé. Personnalité politique la plus populaire, on l’a vu encore cette semaine dans plusieurs baromètres politiques. Est-ce que vous irez voter pour lui à la primaire en 2016 ?
À titre personnel, et comme citoyen, je ne participerai pas à la primaire – sauf bouleversement, on ne sait pas ce qui peut arriver -. Parce que quand vous participez à la primaire et que vous êtes un responsable politique, cela signifie que vous vous engagez à respecter le résultat de la primaire et à vous engager derrière celui que la primaire aura choisi. Et pour moi en tout cas, je veux exercer le bénéfice d’inventaire, c’est-à-dire de dire si ce choix me plait, si je le trouve bon pour la France, ou s’il ne me plait pas et ne me convainc pas. C’est une liberté essentielle que je tiens à garder. De ce point de vue, j’ai comme vous le savez des interrogations sur la primaire et une réserve à l’égard de son déroulement.
Que vous inspire la volonté de Jean-Marie Le Pen de créer une nouvelle formation politique ?
Déjà que je ne suis pas compétent ni engagé pour ce qui est de l’UMP, alors je ne veux pas apporter de commentaires à ce qui se passe à l’intérieur du FN !
Est-ce que cette prise de distance de Marine Le Pen à l’égard de son père la rend plus fréquentable ?
Je n’ai jamais jugé Marine Le Pen par rapport à son père et je trouve d’ailleurs que ce sont des assimilations qui ne sont pas fondées. J’ai jugé Marine Le Pen par rapport à son programme, à ce qu’elle dit aux Français être bon pour leur avenir. Et chaque fois qu’elle s’exprime sur son programme et sur cet avenir, je trouve qu’elle se trompe gravement. Je pense qu’il y a un danger mortel dans la manière dont on prétend, dont on affirme devant les Français que sortir de l’Europe, sortir de l’Euro, distribuer de l’argent que l’on n’a pas, va nous sauver. Cela est un discours que je trouve dangereux pour le pays. Et quand quelque chose est dangereux pour le pays, comme je suis libre, je le combats et c’est cela qui guide mon attitude face au Front national.
Merci beaucoup François Bayrou.