"La responsabilité politique doit être mise à l'abri des intérêts"
Ce mercredi matin, François Bayrou était l'invité de la matinale de France 2 et a rappelé la nécessité de recrédibiliser la parole des responsables politiques vis-à-vis des Français.
Bonjour François Bayrou.
Bonjour.
Vous avez déclaré dimanche dernier que François Fillon n’avait pas d’autre choix que de renoncer. Il avait un autre choix : tenir, se défendre. C’est de l’entêtement ou de la détermination ?
Il faut qu’on mesure ce qu’il se passe dans notre pays aujourd’hui. J’ai l’impression que certains politiques ne le mesurent pas. Le sentiment d’exaspération, d’écœurement, de trahison que ressent un très grand nombre de citoyens de tous bords et spécialement des électeurs de droite, qui croyaient que la primaire – je ne l’ai jamais cru, comme vous le savez – allait résoudre leurs problèmes et leur rendre leur fierté.
Ils voient aujourd’hui se déliter, preuve après preuve, élément après élément, avec deux thèmes extrêmement lourds.
Le premier : dans quel monde ces gens vivent-ils ? Est-ce qu’ils savent qu’une infirmière gagne 1 300 euros. Est-ce qu’ils savent qu’un fonctionnaire de catégorie C, ceux qu’ils accusent tout le temps de ne pas faire leur travail, c’est 1 180 ou 1 250 euros ? Est-ce qu’ils savent qu’un maître de conférence à l’université, débutant, c’est 1 600 ou 1 700 euros après dix ou douze ans d’études ?
Vous ne le découvrez pas ce décalage ?
Non, depuis très longtemps je le plaide, y compris à votre micro. Une deuxième chose est en train d’apparaître : de très grandes sociétés multinationales appointent, se paient des hommes politiques pour qu’ils les aident à ouvrir des portes, à se servir de leurs relations pour leurs intérêts.
Vous faites référence à quel affaire, dossier, société ?
Ce qui a été annoncé hier y compris par François Fillon lui-même, sur sa société de conseil et les sommes incroyables… 200 000 euros par ci, 200 000 mille euros par là.
C’est AXA, disons les choses clairement.
Entre autres ! S’il n’y en avait qu’une.
Quel est le problème ?
La responsabilité politique doit être mise à l’abri des intérêts. Vous reconnaîtrez-là le combat que je mène depuis longtemps. Ce que la France, les Français, de droite, du centre, de gauche, ont besoin d’avoir un président de la République qui leur garantit la loyauté, l’intégrité du débat.
François Fillon nous répond : « ce sont de vieilles pratiques, cela s’est fait auparavant, c’est de l’acharnement médiatique et du système pour atteindre le candidat de la droite ».
Je n’aurai jamais imaginé ça. Je pensais que François Fillon était absolument de ce point de vue-là à l’abri. Jamais dans l’histoire de la République, un candidat aux plus hautes fonctions, à la présidence de la République, n’a été ainsi sous l’influence des puissances d’argent. Si vous jetez un coup d’œil sur l’ensemble du champ politique aujourd’hui, vous verrez que l’argent s’insinue partout, qu’il y a de très gros moyens déployés.
Tout ceci fait que la responsabilité d’un gouvernant, d’un dirigeant politique, est soupçonnée.
La chose la plus importante que nous ayons à faire aujourd’hui, c’est de reconstruire cette confiance, quelles que soient les opinions.
Nous sommes à 75 jours des élections présidentielles. Il y a eu une primaire de droite et un candidat qui semble vouloir l’être jusqu’au bout. Faut-il laisser entre les mains de la justice le sort de la prochaine présidentielle ?
Ce n’est pas le sujet que je traite devant vous.
C’est le sujet qui se pose aux Français dans les semaines qui viennent.
Le sujet qui va se poser pour les millions de Français, c’est : est-ce que nous prenons notre destin en main et est-ce que nous disons stop à ces pratiques ?
Est-ce que vous prenez votre destin en main ?
Je ne laisserai pas faire cela. J’espère, je rêve que des rassemblements soient possibles. J’ai tout fait pour cela. L’état de dégradation où nous sommes arrivés – j’ai souvent eu des débats avec la droite sur ces sujets, de l’intégrité – mais aujourd’hui, c’est de salut public qu’il s’agit. Si je pouvais le marteler pour qu’on l’entende…
La situation dans laquelle sont plongés les citoyens de bonne foi qui disent : « monsieur, nous ne savons plus pour qui voter »…
Vous avez dit : « il faut prendre collectivement notre destin en mains ». Qu’est-ce qui vous empêche ce matin de nous dire que vous serez candidat à la présidentielle ?
J’ai fixé un calendrier, un objectif dans le temps. Autant que je le pourrai, je m’y tiendrai. Il y a peut-être des évolutions qui vont arriver.
Comme quoi ?
Je ne sais pas. J’espère toujours, contre toute probabilité.
Vous voyez bien de quoi il s’agit. Pendant des décennies, le débat politique a été entre droite, gauche, centre, entre des opinions différentes. Aujourd’hui, nous ne sommes plus dans le débat des opinions, nous sommes pour savoir si la vie politique est loyale, si on peut croire ce qu’on nous dit, si les gens qui sont là sont des gens fiables.
On peut avoir des opinions différentes et être fiable ! Ce qu’il faut restaurer aujourd’hui, c’est la fiabilité en politique.
Diriez-vous encore aujourd’hui que François Fillon doit renoncer ?
Je l’ai dit et cela s’impose chaque jour davantage, en raison de ce que nous avons évoqué ensemble. Ce n’est pas seulement François Fillon le problème. Le problème est que toute la vie politique est entachée par ces pratiques. Ces pratiques-là vont menacer l’alternance.
Cela se termine comment, l’histoire ?
Cela se termine mal, si l’on ne fait rien.
Cela veut dire quoi ?
Se terminer mal si l’on ne fait rien, vous voyez bien tous les risques de dérapages, de dérives, d’extrémismes, qui existent.
Mettez des mots sur ce que vous dîtes.
Vous voyez très bien ce que je veux dire.
Vous parlez de la victoire du Front National ?
Cela veut dire une menace qui pour moi est insupportable. Que veulent la majorité des Français ? Ils veulent que l’on sorte de ces pratiques déshonorantes et qu’on évite l’extrémisme. Ils veulent une alternance et qu’en même temps on restaure une démocratie, une République dignes de ce nom, où l’on puisse regarder les gens dans les yeux en sachant qu’ils ne sont pas les instruments d’autres forces dissimulées derrière eux.
Avez-vous pris votre décision ?
Je vois venir des choses tellement lourdes que je prendrai mes responsabilités. J’ai souhaité des rassemblements. Ce que je vois aujourd’hui est une menace telle sur la démocratie que je n’hésiterai pas à prendre mes responsabilités. Je ne laisserai pas faire ce qui est en train de se faire.