"Le fonctionnement de L'Etat, centralisé, administratif, doit être changé en profondeur."
Ce jeudi 7 juin, François Bayrou était l'invité de Frédéric Haziza de la rédaction de LCP, Frédéric Dumoulin de l'AFP, et Fabien Roland-Lévy du magazine Le Point, dans l'émission "Questions d'info". Nous vous invitons à revoir cette interview.
Bienvenue à Questions d’Info. Social, justice, institution, écologie, politique de la ville ou encore Europe, la majorité est-elle unanime derrière le président Emmanuel Macron ? Invité de Questions d’Info aujourd’hui le président du MoDem et maire de Pau, François Bayrou. À mes côtés pour vous interroger, monsieur Bayrou, Fabien Roland-Lévy pour Le Point et Frédéric Dumoulin de l’AFP.
Bonsoir.
Bonsoir.
Tout le monde se souvient que vous avez fortement contribué à la victoire d’Emmanuel Macron à la présidentielle. Un an après, quand vous dressez le bilan, est-ce que vous vous dites : « bravo, c’est parfait », « encourageant, va dans le bon sens », « peut mieux faire » ou alors « attention, danger, il ne faut pas oublier les promesses et ce pour quoi on a été élu » ?
Heureusement que j’ai abandonné la culture des bulletins de notes, parce que je dirais quatre fois oui. Cela a été un extraordinaire moment politique qui a permis le renversement du monopole du pouvoir qu’exerçaient depuis 50 ans deux partis minoritaires dans la vie politique française, et ça a été un événement, je crois, extrêmement heureux. Les Français ont découvert, non pas seulement un homme politique jeune et entreprenant, mais un vrai président de la République, avec la dimension personnelle qu’il faut pour être à la hauteur de ces interlocuteurs internationaux, dans un moment où tout le monde voit la vie politique du monde, la vie politique de la planète et diplomatique exposée à des tourments qui sont incroyablement risqués et incroyablement révélateurs.
Ça, c’est ce que vous auriez pu dire il y a un an. Qu’est-ce que vous dites maintenant ?
Donc un, c’est vraiment cette attente-là qui a été depuis un an entendue et couronnée de réalité. En même temps, va dans le bon sens une grande partie des réformes qui ont été initiées. Et troisièmement, oui, en effet, la promesse qui a été celle d’Emmanuel Macron et de l’élection d’Emmanuel Macron, cette promesse doit servir à chaque instant de guide à toutes les décisions qui sont prises. Donc je vais expliciter ce qu’est cette promesse. La promesse de l’élection d’Emmanuel Macron, c’est le renouvellement profond, non seulement de la vie politique, mais aussi de la manière de diriger l’État. C’est cela la promesse d’Emmanuel Macron.
Promesse tenue ou pas ?
Et que cette promesse-là impliquait plusieurs éléments, le premier de ces éléments : on va rendre à la France sa vitalité, son optimisme, la capacité d’entraînement et de faire face au problème du monde au lieu d’avoir peur et d’être recroquevillé sur soi-même. Deuxièmement, on va le faire en pensant à ceux qui n’ont pas la chance d’être du côté des privilégiés, et troisièmement on va le faire en changeant la vie politique. Donc sur ces points-là, vous voyez bien qu’il reste encore beaucoup de chemin à faire, et c’est pour moi le sort de ces cinq années, c’est là qu’il va se jouer, cette capacité de renouvellement et de justice, et pas la réédition de la manière de gouverner qu’on a connue pendant des décennies.
Vous ne craignez pas...?
Non, je ne crains pas. Je dis ce qu’était la promesse.
Depuis un an, on a entendu un certain nombre de vos critiques. On va parler avec vous d’un certain nombre de points particuliers. Fabien Roland-Lévy.
Premier point précis qui est dans l’actualité, il s’agit du glyphosate, cet herbicide nocif. Vous êtes issu d’une famille d’agriculteurs, éleveur vous-même, donc vous vous y connaissez. Fallait-il ou non, comme le réclamaient certains dans la majorité, inscrire dans la loi agriculture, alimentation, l’interdiction, le calendrier d’interdiction du glyphosate ?
Je pense qu’il était tout à fait envisageable et même souhaitable d’inscrire dans la loi comme objectif une date pour que chacun se fasse à cette idée. Il y a beaucoup de discussions autour de cet herbicide, qu’on appelle pour tous les utilisateurs - en particulier - le « Round-up ». J’aurais voulu pour ma part qu’on demande à l’Académie des sciences et à l’Académie de médecine, de bien vouloir donner après étude de toutes les contributions internationales un avis absolument circonstancié de manière que l’opinion publique puisse se faire une idée.
Il est encore temps ou pas ?
Oui, je trouve qu’il est encore temps qu’on tranche cette question. L’Argentine produit toutes ses céréales au glyphosate. Ce qu’on appelle les OGM, c’est l’introduction dans le capital génétique d’une plante d’une résistance au glyphosate, de manière que vous n’ayez plus besoin de désherber, d’arracher les herbes qui ne sont pas celles que vous souhaitez, et qu’en un seul passage, on les supprime.
On s’adresse à l’agriculteur, on le sent bien, vous connaissez le sujet, ça vous intéresse. Néanmoins, là, c’est un problème de rapport de forces entre les agriculteurs, le lobby, les syndicats agricoles et les défenseurs de l’environnement. Est-ce que l’Académie des sciences va les aider à trancher ?
Je disais renouvellement des pratiques, renouvellement des méthodes de gouvernement. Ce renouvellement, que doit-il introduire ? Premièrement, l’établissement des faits de manière indiscutable par des autorités objectives, pas par des contributeurs plus ou moins influencés par les uns ou par les autres. Premièrement, je pense que c’est l’Académie des sciences et l’Académie de médecine qui auraient dû faire ça. Deuxièmement, on fixe des objectifs en donnant une période d’adaptation qui permettra de faire ces choses. On parle généralement dans le débat, vous qui les suivez, il y a des gens qui disent : « il ne faut pas de surlégislation par rapport aux décisions européennes ».
De transposition.
De « surtransposition » si on veut employer, en effet, le terme technique. Mais il faut faire attention parce que l’Europe - les instances qui travaillent sur ces sujets dans l’Union européenne - n’a pas donné de date. Elle a seulement dit : « dans cinq ans, on se reverra pour en parler ». La France aurait pu fixer un objectif qui aurait été un objectif plus contraignant et donc plus entraînant, notamment sur cette question qui est extrêmement délicate : est-ce qu’il existe des équivalents bios compatibles à cet herbicide ? Et pour être président et maire de collectivités locales, je puis vous assurer que c’est une question qui n’est pas simple puisque les collectivités locales en France n’ont plus le droit d’utiliser le moindre herbicide.
On vous a entendu sur les promesses, sur l’importance des promesses, de tenir les promesses. Sur un sujet qui vous est cher…
Je ne dis pas les promesses, j’ai dit la promesse.
Là, on va parler des différentes promesses qui ont été faites pendant la campagne, et notamment la banque de la démocratie, un sujet qui vous est cher, c’est-à-dire permettre de mettre un peu tout le monde au même niveau et que tout le monde puisse avoir un financement pour les campagnes électorales.
Les campagnes électorales et la vie des formations démocratiques.
Exactement. Est-ce que vous craignez que le projet soit définitivement enterré ?
J’ai vu, je dois dire avec surprise, les déclarations du gouvernement au Sénat…
De Christophe Castaner.
Le gouvernement - parce qu’il parlait au nom du gouvernement - les déclarations du gouvernement au Sénat disant que ce n’était pas la peine, que ce n’était pas un engagement personnel. Le programme d’Emmanuel Macron à l’élection présidentielle, la délibération du Conseil des ministres quand j’ai porté la loi de moralisation, c’était le texte de la loi d’habilitation qui a été voté par les deux assemblées et qui était donc devenu, en quelque sorte, la loi de la République. Pourquoi ? Pour une raison extrêmement simple qui n’est pas du tout celle qui a été avancée par le gouvernement ou qui n’est pas seulement celle qui a été annoncée par le gouvernement, la raison qui a été avancée par le gouvernement, c’est les campagnes électorales. Mais ce n’est pas l’essentiel. Ça compte beaucoup…
Il y a aussi la vie des partis.
Mais c’est le fait de donner aux banques privées droit de vie et de mort sur une formation démocratique.
Qu’est-ce que vous attendez du gouvernement sur ce sujet ?
Je prends des exemples simples : il se trouve que j’ai, comme beaucoup d’autres, vécu moi-même la décision de grandes banques qui vous refusent des avances de trésorerie alors même que vous avez la garantie nécessaire. Si vous n’avez pas la garantie, je comprends qu’on puisse hésiter, mais si vous avez la garantie nécessaire et une formation politique qui se crée… J’ai beaucoup parlé avec Emmanuel Macron de la création d’En Marche. Les difficultés qu’il a rencontrées étaient les mêmes, même s’il avait naturellement l’oreille d’un certain nombre de ces décideurs-là.
On en reparlera.
Mais ils ont rencontré les mêmes difficultés, et d’autres aussi. Donc l’idée la plus d’ouverture sur une vie politique plus souple, plus sincère, plus honnête, non trafiquée, cette idée était de dire : comme on a fait une banque pour l’industrie, il y aura une banque pour la démocratie, ouverte aux formations démocratiques politiques et syndicales, adossée à la Caisse des dépôts et consignations - dont je rappelle qu’il n’est pas l’argent de l’État, mais l’argent des Français et que c’est spécifié dans la loi de manière absolument claire, adossée à la Caisse des dépôts et consignations. Vous allez avoir un établissement dont la mission sera d’imposer l’équité dans ce genre de choses et la protection de l’argent public. Si vous n’êtes pas sûr d’avoir les voix, on vous impose de prendre une assurance ou on vous demande si vous avez des garants, des cautions, par exemple 100 000 Français qui vous cautionnent pour 50 euros chacun, ça fait 5 millions. Et vous voyez bien que ce n’est pas du tout la même chose d’avoir un organisme public dont c’est la mission, au lieu d’avoir une banque privée où on vous dit : « monsieur, le comité d’engagement » (qui est-il et quelle est la légitimé des décisions prises ?) « a décidé qu’on ne vous aidait pas ». Et sur ce point, il y a beaucoup de formations politiques qui rencontrent des difficultés, ce sont des formations politiques avec lesquels généralement je ne suis pas dans l’accord.
Comme le Front national.
Mais dont vous voyez bien que probablement ces difficultés sont réelles. On avait l’occasion de régler tout cela. Cela avait été décidé par le Conseil des ministres et voté par le Parlement. Le gouvernement annonce qu’il l’abandonne, je n’accepte pas cette décision et je me battrai pour que cette réflexion soit reprise.
Liée à cela, à ces propositions, aux campagnes électorales, l’actualité. Une enquête de France Info confirme ce jeudi que des remises ont été faites par des fournisseurs à Emmanuel Macron dans le cadre de sa campagne présidentielle. France insoumise demande que la justice soit saisie. Qu’est-ce que vous en pensez ?
Je dois vous dire que c’est une polémique qui, depuis quelques semaines qu’elle dure, me stupéfie.
Pourquoi ?
J’ai fait trois campagnes électorales, j’ai eu donc trois trésoriers qui étaient des gens absolument dévoués au bien public et respectueux de toutes les règles. Qu’avaient-ils comme consigne de ma part ? Une consigne très simple, et j’imagine que tous les candidats sont dans mon cas.
Laquelle ?
C’est : « prenez les fournisseurs les moins chers », et bien sûr qu’il y a des fournisseurs qui font des remises.
Oui, mais là on nous dit : « des fournisseurs font des remises à Emmanuel Macron, mais pas aux autres ».
Je ne crois rien de tout cela. Je suis absolument persuadé que la recherche des fournisseurs, c’est comme dans une famille, quand vous devez acheter un produit, vous essayez de trouver le moins cher, et vous essayez si vous le pouvez de trouver des remises.
Donc une fausse polémique ?
C’est une polémique totalement infondée et je dis ça, encore une fois, au vu de l’expérience. Quand vous devez faire imprimer 5 millions de tracts, vous cherchez le fournisseur le moins cher. Et bien sûr que pour avoir votre marché, le fournisseur rogne sur sa marge. Il n’y a rien de plus simple. Ce n’est pas l’économie soviétique ici, il n’y a pas un barème fixé, ou alors qu’on le dise. Mais vous voyez bien que tout ça est fantaisiste, c’est n’importe quoi. Le drame, pour élargir un peu, vous voyez le drame de ce qu’on est en train de vivre : on met sur le même plan des faits répréhensibles ou discutables, ou graves, et des faits totalement infondés, et on accorde la même orchestration médiatique ou de réseaux sociaux, le même retentissement à coups de tambours et de cymbales à des fais qui sont totalement étrangers les uns aux autres.
On revient sur le bilan des un an d’Emmanuel Macron, ce qu’il a fait depuis un an.
Quand vous entendez un responsable comme Jean-François Copé dire : « Macron, c’est le président de droite dont on a toujours rêvé », est-ce que vous vous félicitez de ce compliment ou est-ce que ça vous inquiète ? Qu’est-ce que ça vous inspire ?
Qu’est-ce que ça veut dire président de droite ? Ça veut dire président partisan. Donc…
Oui, mais la réflexion de Jean-François Copé…
Non, mais la réflexion qui est la mienne est la mienne, et généralement ce n’est pas celle de Jean-François Copé que je prends pour modèle. Il se trouve que l’engagement depuis la première seconde qu’Emmanuel Macron a présenté devant les Français, et qu’il respecte, c’est qu’il ne sera pas un président partisan, s’il était élu. C’est-à-dire qu’il ne serait pas le président d’un intérêt contre un autre intérêt. Ceci est une dimension absolument obligatoire de son action parce qu’on a besoin de rassembler la France et pas de la diviser. Alors tous ceux qui insinuent et veulent introduire dans l’esprit des gens que les décisions qui sont prises sont des décisions de clan, ceux-là essaient évidemment de nuire à l’action du président de la République.
Il s’agit, je pense, de la part de Jean-François Copé d’un constat : c’est que pour adapter la France à la mondialisation, on fait des réformes que la droite et peut-être le centre droit ont portées depuis longtemps. C’est ça qui…
Ils voulaient le faire, ils ne l’ont pas fait, en gros, c’est ça.
Faut-il que la France soit adaptée au monde comme il est ? La réponse est oui. Y-a-t-il un certain nombre de rigidités qu’il fallait à tout prix surmonter ? J’espère qu’on l’aura fait, j’espère que dans les réformes récentes, on l’aura fait. Mais il y en a beaucoup, je vais en citer une, dans laquelle la droite de gouvernement et la gauche de gouvernement ont été identiquement engagées et dont je voudrais que la période qui s’est ouverte résolve les problèmes, c’est la manière dont l’État fonctionne. L’État, centralisé, « administrativo-technocratique », si je voulais faire des formules, cet État-là doit être changé en profondeur. La décision concentrée au sommet, pas de pacte de confiance entre le terrain et le sommet, ça, c’est un problème majeur pour la France.
Un pacte de confiance ?
Le fait qu’on doive respecter la même norme, que vous soyez dans une agglomération d’un million d’habitants ou dans une ville de 100 000 habitants. Je vais citer un exemple extrêmement précis.
Mais par rapport au pacte de confiance, il y a pacte de confiance et il y a pacte social aussi.
Excusez-moi, je vais citer un exemple extrêmement simple. Dans la loi, on est en train d’introduire une obligation, on peut en accepter le principe, que les offices HLM soient obligés de fusionner quand ils n’ont pas 15 000 logements, ou en tout cas de se regrouper quand ils n’ont pas 15 000 logements. Mais est-ce qu’on a réfléchi un quart de seconde que 15 000 logements, ce n’est pas la même chose selon que vous êtes une agglomération de 2 millions ou une ville de 100 000 habitants. Exemple, Pau, les offices HLM, en tout, il y avait deux offices, on va les fusionner, mais c’est normal et légitime, les deux offices avaient, avec la totalité des logements sociaux, 10 000 logements. Si vous êtes en Seine-Saint-Denis, 15 000 logements, c’est une pellicule à la surface. Est-ce qu’on pourrait réfléchir une seconde à une adaptation de ces normes à la réalité du terrain ? Si on fait ça, alors je suis sûr qu’il y aura plus de souplesse et plus de confiance, plus de compréhension. Dois-je ajouter qu’entre 15 000 logements et 10 000 logements, je ne vois pas vraiment les économies d’échelle qu’on va faire.
Alors adaptation de ces normes, ça reprend ce que vous disiez aussi sur une certaine forme de justice, vous dites : « il faut un président juste ». Est-ce à dire que le président actuel n’est pas juste ?
Je vais le préciser encore devant vous. Dans l’idée que la France se fait de ses relations avec les femmes ou les hommes qui ont son destin entre leurs mains, dans cette idée-là, il y a plusieurs éléments. Il y a un élément qui est la dimension. Est-ce qu’ils sont à la hauteur ? Il y a un élément qui est très important qui est la capacité d’entraînement : est-ce qu’ils nous entraînent ? Est-ce qu’ils nous montrent un cap ? Est-ce qu’on sait où on va ? Est-ce qu’ils nous donnent envie d’y aller ? Et il y a une troisième dimension, c’est : est-ce que les orientations qui sont prises sont des orientations justes, est-ce qu’elles concernent tout le monde ou seulement une partie ?
Est-ce que c’est le cas ?
J’ai appris à connaître Emmanuel Macron. Il a ça en lui, mais on n’a pas l’impression que l’application des décisions telle qu’elle se fait dans la machine gouvernementale va toujours dans ce sens.
Donc c’est un gros problème pour la majorité.
Ce n’est pas un gros problème, c’est une exigence.
Une exigence.
Et je n’ai aucun doute que sur ce point-là, le président de la République sait très bien…
Justement, vous parlez souvent avec lui, vous avez un déplacement de deux jours avec lui en Allemagne, à Aix-la-Chapelle. Est-ce que d’après les conversations que vous avez avec lui, vous pensez qu’il va vous écouter ?
Ce n’est pas m’écouter, moi.
Écouter en tout cas ce que pense une partie du pays.
Ce n’est pas le pays, c’est lui-même. Cet incroyable moment historique d’un homme jeune qui s’avance tout seul, qui trouve des alliances avec lesquelles on emporte toutes les barricades et tous les châteaux forts qui résistaient depuis 50 ans, ce moment-là, il porte en soi un engagement personnel d’Emmanuel Macron comme homme. Cet engagement exige en effet que toute l’action gouvernementale en soit inspirée.
Ce qui n’est pas le cas.
L’action gouvernementale, ce n’est pas une action de gestion, c’est une action politique. Et cette action politique porte naturellement des réformes, on a vu qu’elles étaient proposées, imposées, mais elle porte aussi cette idée qu’Emmanuel Macron avait traduite par « en même temps », qui est la prise en compte de ceux qui ne sont pas du côté favorisé.
Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
Je n’ai pas dit que ce n’était pas le cas. On a fait beaucoup de choses, on a fait l’allocation adulte handicapé, ce n’est pas une petite chose, l’augmentation d’un certain nombre de minimas de vie, ce n’est pas une petite chose, tout ça est important. Mais on ne l’a pas entendu, et c’est le président de la République qui a comme vocation, comme mission de le faire entendre.
On avance, actualité sociale aussi.
Je vais vous citer, vous avez récemment déclaré à propos des aides sociales : « pendant des décennies, quand on parlait du projet social, on parlait d’allocations. L’État distribuait de l’argent public à des catégories de population. Ce modèle est épuisé parce qu’il n’y a plus autant d’argent public ». Donc dans le débat sur les aides publiques entre Bruno Le Maire, Gérald Darmanin et d’autres, de quel côté… ? On a l’impression que vous êtes plutôt du côté de Bruno Le Maire.
Fabien Roland-Lévy, il se trouve que…
Il n’y a plus d’argent.
Vous avez suivi ma vie politique depuis quelques mois.
Je continue !
Mais quand je dis quelques mois, je dis de nombreux mois ! Donc j’ai toujours dit ça.
C’est tout à fait juste, je le reconnais.
Vous savez que je me suis constamment battu contre l’idée que l’argent public était inépuisable, contre le fait qu’on ait conduit la France à vivre à crédit en empruntant pour payer chaque jour ses factures.
C’était au centre de vos campagnes présidentielles.
J’ai constamment défini ça. En revanche, est-ce que pour autant il n’y a rien à faire ? Je plaide exactement le contraire. Je plaide pour un nouveau contrat social, un nouveau projet social. Ce nouveau projet social, sur quoi est-il fondé ? Sur l’idée qu’on doit donner à chacun des Français, ou au plus grand nombre, le désir et les moyens de s’en sortir et de progresser dans sa propre vie, le désir et les moyens, et les moyens, c’est, je vais en citer un très simple, l’éducation.Vous êtes un enfant qui est né dans un milieu qui n’était pas le milieu des relations ou de la culture ou de l’argent, l’école doit vous fournir le moyen de vous en sortir, et à votre famille le désir et la fierté de vous aider à le faire. C’est ce qui est en train d’être fait. Jean-Michel Blanquer conduit une politique dont on avait besoin depuis très longtemps, qui est le retour de la transmission des fondamentaux. Je bénis la providence d’avoir fait qu’enfin on sorte du cycle mortifère dans lequel on était et qui était l’abandon de la transmission. Quand Emmanuel Macron s’est exprimé sur la deuxième et troisième chance : quelqu’un qui a raté quelque chose, en France il est rayé. Mais on doit imaginer de toutes les manières qu’il ait la possibilité de trouver une chance nouvelle, de recommencer quelque chose, ça veut dire des adaptations du ministère de la Justice, des adaptations vis-à-vis de l’administration. Tout cela, c’est le nouveau projet social dans lequel on doit entrer, la possibilité, le désir et les moyens de s’en sortir…
Avec aussi un sujet et un thème qui vaut depuis des années, depuis votre entrée en politique, c’est l’Europe. Fabien Roland-Lévy.
En Chine, en Russie ou en Turquie, on s’inquiète pour la démocratie, c’est au cœur même de l’Union européenne. Est-ce que vous êtes d’accord avec ce constat et qu’en pensez-vous ?
Oui, mais si vous me permettez de dire : on ne doit pas entrer dans la question européenne par cette porte. Elle existe, cette question existe, mais il y a une autre porte qui est infiniment aujourd’hui plus impressionnante, qui devrait conduire les Européens à des décisions drastiques : le destin de l’Europe n’est plus entre les mains des Européens. Pourquoi ? Monsieur Trump a décidé pour des raisons qui appartiennent au président des États-Unis de prendre une décision vis-à-vis de l’Iran, et toutes les compagnies européennes sont obligées de se plier à cette décision.
Ou sinon elles seront… ?
Ce qui font du commerce sur l’énergie, ceux qui construisent des voitures, ces groupes-là ont été contraints, sont contraints à la minute où je vous parle. Il y a dans toutes ces compagnies des réunions qui sont en train de se passer : « comment on doit s’en aller ? ».
Il n’y a eu aucune vraie riposte.
Il n’y a aucune vraie riposte parce qu’on ne cherche pas de riposte.
Voilà…
Avançons, parce que la puissance du dollar, du système bancaire américain, du système monétaire américain est tel que ces compagnies-là ne peuvent pas s’en sortir et le jour où le gouvernement a accepté que la BNP soit obligée de payer une amende de 10 milliards aux États-Unis, ce jour-là on a sans rien faire, sans prendre de riposte, sans se mettre en situation de résister, ce jour-là on s’est couché aux pieds des États-Unis comme on ne s’était jamais couché dans l’histoire.
Le G7, qu’est-ce que vous en attendez ?
J’attends que ces questions se trouvent posées, et j’attends des Européens qu’ils prennent la dimension du défi, et pas que chacun joue sa propre carte en essayant de passer entre les gouttes, et qu’on se trouve dans une situation de dominer. Si on ne voit pas, si tous les prétendus anti-européens de la place ne voient pas ce qu’il est en train de se passer pour nous, pour notre économie, pour nos emplois, pour notre indépendance, alors c’est qu’ils ne voient rien. Et ceci, ça peut se démultiplier sur tous les secteurs stratégiques, pas seulement économiques, mais de défense, de diplomatie. Nous sommes dans une situation où monsieur Trump, président des États-Unis, a révélé que l’Europe en particulier et les autres étaient désormais dans une situation de soumission. Je suis reconnaissant à Emmanuel Macron de lever l’étendard de la révolte en face de ça.
C’est le leader de l’Europe, Macron ?
C’est le seul qui propose ça, c’est le seul qui a dit…
Madame Merkel ?
J’étais en effet, vous l’avez rappelé, à Aix-la-Chapelle dans la remise de ce prix européen qui s’appelle Charlemagne, il a dit devant madame Merkel quelle était notre obligation sur ce sujet.
Ça ne bouge pas.
Ça ne bouge pas, et donc les élections européennes vont être très importantes.
Les élections européennes, justement, qu’est-ce que vous en attendez ? On dit que pour réconcilier les électeurs avec l’Europe, il faut que l’Europe devienne protectrice. Est-ce que ça vous semble juste ? Comment le faire ? Et puisque vous faites partie de la majorité, autour de quelle liste ?
Protectrice, c’est un mot qui est assez souvent utilisé, qui est juste, mais qui ne suffit pas. Il faut que l’Europe devienne entraînante, qu’elle soit reconnue dans la vie de tous les jours des citoyens et il faut que l’Europe devienne enfin unie. Alors unie, ça ne veut pas dire à des questions administratives, unie dans la volonté politique sur les sujets de fond, le sujet de fond que je viens d’évoquer devant vous, la question démocratique que Fabien Roland-Lévy indiquait et qui est évidemment très importante, ce qu’il se passe en Italie. Ce qu’il se passe en Italie, c’est la Grèce puissance 10.
C’est déjà la Grèce puissance 10 ou ça peut devenir la Grèce puissance 10 ?
Non, c’est la Grèce. Ce qu’il se passe, c’est un événement politique qui est de la dimension de ce qu’il s’était passé dans les débuts de Tsípras et qui est puissance 10, c’est-à-dire un grand État européen qui dit : « vos règles, je n’en ai rien à faire ». Je ne crois pas une seconde que ça résiste à la réalité, c’est ce qui est arrivé à Tsípras, vous vous souvenez, Tsíprasa fait par une série de votes puis par un référendum solennel voter aux Grecs qu’il n’était pas question d’accepter les disciplines que l’Union européenne, fort maladroitement et parfois discutablement, essayer de lui imposer. Il a fait voter le dimanche et le jeudi il a signé complètement les décisions qui allaient dans le sens inverse. Et aujourd’hui, on se trouve en Italie dans cette situation qu’on va voir en grandeur réelle, un pays endetté et qui annonce que la politique qui va suivre va être une politique de déficit très important. On va voir la dimension que ça va prendre.
On revient en France.
Avec en Italie ce qui a porté ce nouveau gouvernement, c’est le thème de l’immigration principalement. Justement, on voulait revenir sur un tract des Républicains qui vient de sortir et qui titre : « pour que la France reste la France », et qui affirme qu’il n’y a jamais eu autant d’immigrés ou qu’il n’y a jamais eu autant en France une telle pression communautariste.
C’est une rhétorique classique, connue, éprouvée et qui est la rhétorique que le Front national a portée.
Le groupe LR devient populiste selon vous ?
Je ne veux pas avoir de jugement à l’emporte-pièce. Je suis un homme du centre, pour autant je pense que la droite existe, la gauche aussi, et qu’il est légitime que ces courants différents s’expriment. Qu’il y ait un souci sur l’identité du pays, je n’ai aucun doute que c’est vrai dans de larges parties de la population française, et c’est un souci légitime. Est-ce que cette question suppose que la question de l’immigration doit être traitée de manière totalement irréaliste et simpliste ? Je ne le crois pas.
Qu’est-ce que ce tract dit de Laurent Wauquiez ?
Vous voyez bien la difficulté dans laquelle se trouvent cette formation politique et son nouveau leader.
Qu’est-ce que ça dit de Laurent Wauquiez ?
Ils sont en train de choisir une orientation qui est extrêmement remise en question par un grand nombre de ceux qui forment cette famille politique et notamment par les élus qui, sur le terrain, l’incarnent. Ceci est une crise qui, à mon sens, mais je n’appartiens pas à cette formation politique et je n’y ai jamais appartenu, cette formation politique, je ne crois pas qu’elle résoudra ses problèmes en courant vers cette dérive-là. On verra, mais en tout cas j’y vois simplement un signe des orientations politiques qui ont été prises et dont vous voyez que ce sont des orientations politiques de rapprochement avec les thèmes de l’extrême droite.
C’est inévitable un rapprochement formel LR Front national, Rassemblement national maintenant ?
Parti comme c’est, c’est dans ce sens que vont les orientations. Mais encore une fois, n’ignorez pas ce que je vous ai dit et ce que j’observe : c’est la très forte résistance ou réticence d’un très grand nombre des élus de ce mouvement à cette dérive-là.
Oui, on vous a entendu, qui peuvent peut-être se rapprocher de vous, de la majorité ?
En tout cas, ils n’adhèrent pas à cette orientation. Et cette orientation, vous voyez bien à quoi elle conduit, il y a tous les jours des idées qui disent : « on va faire le programme commun de la droite », mais je ne crois pas que la plupart des responsables de cette famille politique adhèrent à ce choix.
Ça nous conduit à parler des municipales.
On est sur le thème de la recomposition, en quelque sorte. La République en Marche s’apprête, ou a commencé déjà, à des rapprochements avec des maires, soit des maires Les Républicains, soit des maires socialistes en vue des municipales pour faire des alliances, appuyer tel ou tel. Je voudrais savoir si vous êtes content ?
Si j’avais eu cette responsabilité, ce n’est pas la stratégie que j’aurais choisie. La stratégie que j’aurais choisie, c’est de dire : nous allons - cette force politique formée de la République en Marche et du MoDem, qui s’est réunie au moment de l’élection présidentielle et qui a l’intention de changer la vie politique du pays - nous allons constituer des équipes dans toutes les villes.
Des équipes autonomes, indépendamment de la droite ?
Des équipes dans toutes les villes, et après nous verrons quelle est la démarche la plus juste et la plus crédible. Est-ce que ces équipes proposent aux électeurs un choix ? Est-ce qu’au contraire ces équipes vont rechercher des ententes ? Ce n’est pas moi qui vais vous dire que chercher des ententes, c’est mal, j’ai toujours plaidé le contraire.
C’est un aveu de faiblesse, là, en fait.
En tout cas pour moi c’est une option stratégique qui n’est pas la mienne. Je pense que le moment était à s’affirmer, à constituer des équipes, à dire que ce grand courant novateur et central, ce grand courant existe, qu’il va faire sortir des personnalitésparce que, mettez-vous dans la tête du maire LR ou PS qui n’était pas avec nous au moment de l’élection présidentielle, et à qui on dit : « mais on est prêt à s’entendre ». Est-ce que vous croyez que ça le pousse à être plus ouvert ou au contraire à dire : « maintenant, je suis tranquille » ? Vous voyez ce que je veux dire. Alors, je ne sais pas pourquoi cette option stratégique a été prise, mais il me semble qu’il faut y réfléchir. Le contrat initial que je rappelais au début de cette émission, « renouvellement de la vie politique », on n’est pas ici dans une démarche de renouvellement de la vie politique au sens propre du terme, on est dans une démarche d’accommodement avec ceux qui sont en place. Je suis moi-même un maire en place, je suis assez heureux, content et fier de mon bilan et je crois que mes concitoyens aussi, mais je ne suis pas prêt à abandonner l’idée du renouvellement.
Vous serez d’ailleurs candidat à votre succession ?
Il y a quelque chose que je sais avec certitude - tout à l’heure on rappelait mes origines agricoles - c’est qu’il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs. Vous savez, c’est les bœufs qui traînent la charrue, c’est le calendrier qui commande les décisions et les annonces, et j’ai tout à fait l’intention de respecter ce rythme naturel.
Par rapport aux municipales, est-ce que vous souhaitez que les dirigeants de la République en Marche changent de stratégie ?
Je ne vais pas leur donner des leçons, je ne suis pas là pour ça. Je suis là pour affirmer une position qui est une position qui, je crois, correspond à l’attente d’un grand nombre de Français. Les Français n’ont pas choisi ce courant central pour être un courant de plus d’accommodement avec ce qui existait, ils l’ont choisi pour être un moteur de renouvellement. On peut être un moteur de renouvellement dans une entente, mais on commence par l’affirmation de ces équipes nouvelles, de ces personnalités nouvelles, de ces idées nouvelles et après on voit.
Fabien Roland-Lévy.
Finalement je constate que vous faites énormément de compliments en général sur Emmanuel Macron, mais que vous critiquez quand même beaucoup…
Non, vous vous trompez complètement.
Ce n’était pas une question, c’était un constat. Alors depuis le début du quinquennat, on peut quand même s’interroger sur le poids, sur l’influence du MoDem. Avez-vous vraiment été interrogé sur l’ISF, sur la CSG, sur la proportionnelle ? Je crois que maintenant vous proposez de compenser la taxe d’habitation par une augmentation de la TVA. Alors… ?
Non, j’ai indiqué que de toute façon il faudrait pour compenser la taxe d’habitation une partie d’un impôt national, autrement les collectivités ne pourraient plus être financées.
À quoi sert le MoDem aujourd’hui ?
C’est le deuxième parti de la majorité et le troisième groupe de l’Assemblée nationale et le seul fait que vous en parliez indique l’importance, je crois, clé de ce qu’est une formation politique très différente d’En Marche. En Marche, c’est une formation politique nouvelle, qui s’est créée en 2017. Nous, nous avons un enracinement, un passé, une vision du monde, une doctrine, comme on voudra, une très forte solidarité entre nous, et une implantation sur l’ensemble du territoire français.
Ce qui n’est pas le cas d’En Marche, pour ces trois cas-là ?
Ceci est une originalité, chacun a sa personnalité. En effet, nous sommes avec cette personnalité différente, avec ces atouts différents, ces faiblesses, peut-être. Nous sommes une partie de la majorité, c’est-à-dire en situation de défendre les principes qui ont fait l’élection d’Emmanuel Macron. En tout cas les principes tels que nous les avons défendus pendant la campagne et tels qu’Emmanuel Macron, à de très nombreuses reprises, les a défendus. La question est : est-ce que les Français ressentent l’action gouvernementale comme correspondante à cette promesse ? C’est ça la question.
Et vous ?
Pour que les Français se trouvent assurés que la réalité correspond à la promesse, alors il faut qu’il y ait des signes, et des signes de changements profonds. J’en ai indiqué plusieurs : relations entre le terrain et le sommet, esprit de justice et nouveau mode de gouvernement du pays.
Merci, c’est la fin de Questions d’Info. Merci, François Bayrou, d’avoir répondu à notre invitation. Merci à vous de nous être fidèles, à la semaine prochaine. Merci.