"Le travail de reconstruction du pays n'est pas fait par le gouvernement"
Alors que les ministres font leur rentrée, François Bayrou critique leur manque de courage : "Les blocages de la France n'ont en rien été corrigés ces derniers mois", déplore-t-il dans une interview à La Croix.
La Croix - Les derniers chiffres de la croissance semblent confirmer l’optimisme du gouvernement. Pensez-vous que la fin de la crise approche ?
François Bayrou - Le dernier chiffre paraît meilleur, il faut s’en réjouir. Mais les signes inquiétants sont aussi nombreux, par exemple la production industrielle qui a chuté au mois de juin. Une chose est certaine pour moi : le travail de reconstruction nécessaire pour notre pays n’est pas fait !
La France est paralysée par des lourdeurs et des blocages qui viennent de loin et se sont renforcés au long des dix dernières années. Mais ils n’ont été en rien corrigés ces derniers mois, et même parfois pas identifiés. L’augmentation continue des impôts et des taxes n’est pas autre chose que l’addition à payer pour cette inertie.
L’État, les collectivités locales, la place de l’entreprise, le droit du travail, nos innombrables régimes de retraite, l’éducation nationale, la formation professionnelle, la rénovation de notre démocratie : aucune de ces questions n’est prise à bras-le-corps pour donner l’élan nécessaire à la créativité de notre pays, à l’activité et à l’emploi. L’idée qui prédomine, c’est que les choses vont s’arranger d’elles-mêmes. Ceux qui le croient se trompent.
Vous ne croyez donc pas à "l’inversion de la courbe du chômage" promise pour la fin de l’année ?
Cette inversion n’aura de sens que le jour où la France créera de véritables emplois soutenus par une véritable demande de l’économie et de la société. Les emplois artificiels financés par des fonds publics ne sont qu’un palliatif. La réforme nécessaire à la recréation d’emplois sera un travail de fond, soutenu par une vision, ou elle ne sera pas.
Pour la réforme des retraites, préférez-vous un allongement de la durée de cotisation ou une hausse des impôts ou des cotisations ?
Si le gouvernement devait se limiter, comme l’annoncent des bruits insistants, à augmenter la CSG, il manquerait gravement à son devoir. Le véritable équilibre des retraites, rassurant pour les Français, durablement équilibré, ne viendra que d’une réforme en profondeur. Cela passe, comme dans de nombreux pays, par un système par points, universel, qui remplacerait les innombrables régimes particuliers, souple pour les salariés et prenant en compte la pénibilité de l’emploi.
Il y a dix ans, cette idée était très minoritaire. Aujourd’hui, elle convainc tous les jours davantage, y compris du côté de la CFDT. Cela pourrait se faire progressivement, avec un délai raisonnable, par exemple huit ans, en respectant les droits antérieurement acquis par tous les salariés, même ceux de la fonction publique et des régimes spéciaux.
Pensez-vous toujours qu’un gouvernement d’"union nationale" soit seul à même de réformer le pays ?
L’esprit partisan, l’idée que chacun est dans son camp et que les camps sont en guerre entre eux, bloque tout et empêche les réformistes d’agir ensemble. Il sera donc nécessaire un jour ou l’autre de penser différemment la vie politique et institutionnelle.
L’année 2014 sera celle des premières élections depuis la victoire de François Hollande. Quelle sera l’attitude de votre parti aux municipales de mars prochain, puis aux européennes de mai ? Serez-vous vous-même candidat à ces échéances ?
Les questions personnelles viendront en leur temps. Notre ligne est que les élections locales s’organisent autour de projets locaux. Nos équipes les préparent partout en France, sans esprit partisan, en étant ouvertes à des rapprochements avec des sensibilités proches.
Pour les élections européennes, l’enjeu est crucial. La construction de l’Europe a été le fil conducteur de la démocratie française depuis cinquante ans. Cette idée est aujourd’hui en péril en raison de la paralysie et du labyrinthe de l’Union. On la refondra, ou elle s’écroulera. On a l’impression que ne se font plus entendre que les sceptiques et les anti.
Les Européens sont penauds, avec des airs de chiens battus. C’est le moment où il faut de l’enthousiasme, de la lucidité et de l’imagination. Le PS et l’UMP sont divisés sur cette question et seront forcément mi-chèvre mi-chou. Cela impose donc que les Européens de conviction mettent leurs idées au clair, acceptent de dialoguer et se rapprochent pour refonder ce combat.
Vous espérez donc encore et toujours rassembler les centres, aujourd’hui dispersés entre le Parti radical de gauche, le MoDem, l’UDI de Jean‑Louis Borloo et l’aile "humaniste" de l’UMP ?
Bien sûr, la question européenne crée une obligation de rapprochement pour tous ceux qui se réclament du centre. Mais c’est toute la politique nationale qui attend une offre politique nouvelle. Le PS et l’UMP, sous leur forme actuelle, sont deux appareils très puissants, je connais leur force et leurs réseaux.
Mais, cela crève les yeux, ils n’ont plus à eux seuls les clés pour sortir de notre crise nationale. Ils ont exercé le monopole du pouvoir, l’un après l’autre, et l’on n’a pas l’impression qu’ils aient fait le travail nécessaire. Pour cette offre nouvelle, le centre a une responsabilité particulière. Il est le seul point de départ possible, en dehors des extrêmes, pour la rénovation de la vie politique nationale.
Il faut donc que s’impose, progressivement et avec souplesse, une démarche de rassemblement. Mais, au-delà du centre, il ne faut pas perdre de vue qu’il est des femmes et hommes d’État qui auront un jour le devoir de travailler ensemble pour que la France échappe à son affaissement.
Pour aller plus loin : commentez cette interview sur le site internet de La Croix.