"Les choix historiques exigent de renoncer au perpétuel compromis"

François_Bayrou-FB

Dans une interview au Nouvel Observateur, François Bayrou déplore la "propension à la synthèse" de François Hollande. Il l'appelle à "trancher" pour faire face "aux défis historiques" de la France.

Le Nouvel Observateur - Un an après son élection, désespérez-vous de François Hollande, pour qui vous avez voté ?

François Bayrou - Mon vote avait deux raisons. La première, c'est que ce choix était la clé de l'alternance nécessaire. Les mauvaises habitudes prises au pouvoir depuis des années, les dérives, l'axe de la campagne de Nicolas Sarkozy, tout cela imposait un changement à la tête de notre pays.

La seconde raison, c'est que j'étais convaincu que la gauche serait obligée de réorienter sa politique, d'abandonner ses illusions et de faire la pédagogie des réformes que depuis longtemps elle repoussait. Pour la France, c'était l'étape nécessaire à sa reconstruction.

Aujourd'hui, êtes-vous déçu ?

Sur le premier point, l'alternance a eu du bon. Des principes qui n'auraient jamais dû être oubliés sont mieux respectés. Les juges, dans une démarche indépendante, font sortir des affaires enfouies. Même quand il s'agit de membres du gouvernement. Sur le second point, mon jugement est beaucoup moins positif. Les intentions affichées vont dans le bon sens, mais les décisions sont confuses, contradictoires et insuffisantes.

Précisez vos reproches...

La "boîte à outils" du président me paraît très courte, très loin de permettre à la France de retrouver son efficacité en matière de création de richesses et d'emplois. La BPI est le lieu d'une guerre picrocholine entre Ségolène Royal, qui veut la prééminence des "politiques", et Nicolas Dufourcq, pour qui la BPI est une banque avec obligation de résultats. Les contrats d'avenir sont très loin de leur objectif : le gouvernement va être obligé de les étendre au privé. Le mécanisme des contrats de génération est trop complexe : Martine Aubry avait raison de dire que ça ne marcherait pas et que ça coûterait cher. Quant au crédit d'impôt pour la compétitivité, c'est une usine à gaz qui ne crée pas de nouveaux emplois.

Qu'approuvez-vous dans le domaine économique et social ?

Deux choses. Un, la négociation entre syndicats et patronat, qui a abouti à une première réforme du droit du travail. Deux, une idée qui est objet de moqueries, bien à tort : le choc de simplification s'il est vraiment mis en oeuvre peut lever beaucoup d'obstacles inutilement paralysants pour l'économie et la société française.

Pourquoi François Hollande est-il aussi impopulaire ?

D'abord parce que sa campagne a volontairement laissé croire qu'il suffisait de changer de président pour que les problèmes se règlent d'eux-mêmes. Et que la gauche française retrouve sans coup férir le temps béni dont elle a la nostalgie : celui de la dépense publique. De ce point de vue, la réalité a fracassé la fiction. Le réveil est douloureux pour beaucoup.

La deuxième cause tient à l'exercice du pouvoir par François Hollande : il y a chez lui une propension à la synthèse entre les différents courants de son parti et entre les différentes ailes de sa majorité qui n'est pas en phase avec ce que les Français attendent d'un président de la République en une époque de grande mutation. Son style est politique alors que le temps est celui des défis historiques. Or les choix historiques exigent de renoncer au perpétuel compromis.

Il continue de se conduire en premier secrétaire du PS ?

Il se conduit en gestionnaire de sa majorité, ce qui devrait être la mission du Premier ministre. La France a besoin d'un homme d'Etat qui tranche, y compris parfois contre sa majorité...

En sanctionnant les "ministres à couacs" ?

La question des couacs ne se poserait pas s'il n'y avait pas ambiguïté. François Hollande se persuade que la situation va se retourner à la fin de l'année. Je n'en crois rien.

Pour l'instant, il n'est pas à la hauteur ?

Je ne participe pas à l'éreintement général qui le cible. Quand il y a des rendez-vous importants, comme les conférences de presse, il s'exprime avec maîtrise, comme un président doit le faire, sans abus de mise en scène et sans trop de pirouettes. Mais je le répète : un président doit dessiner un horizon.

Propos recueillis par Hervé Algalarrondo - Le Nouvel Observateur

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