"Les jeunes ont voté à 75% pour demeurer Européens : quand un peuple vote contre ses enfants, le signal est inquiétant !"
François Bayrou, s’il est un Européen, c’est vous ! Des millions de Britanniques pétitionnent actuellement au Royaume-Uni pour que l’on revote. Est-ce que vous avez de la sympathie pour eux ou est-ce vous trouvez leur démarche peu démocratique ?
J’ai beaucoup de sympathie pour eux et je partage leur tristesse. Ce sentiment de tristesse, nous l’éprouvons aussi en France ! J’ai été frappé vendredi de voir combien de gens se sentaient blessés. Mais il y a quelque chose de plus inquiétant encore pour la Grande-Bretagne, une fracture qui est terrible : les jeunes ont voté à 75 % pour demeurer européens ! Et ce sont les générations beaucoup plus âgées qui ont, elles, choisi de revenir à l’isolement britannique. Quand un peuple vote contre ses enfants, contre les forces vives les plus jeunes de son pays, alors il y a là un signal très inquiétant. Je trouve que s’il y a une fracture qui est particulièrement blessante pour l’avenir de la Grande-Bretagne, c’est celle-là. Vous avez entendu sur votre antenne il y a quelques minutes tous ces jeunes qui disent « mais de quel droit on nous enlève cela ? ».
Mais de quel droit des gens, parce qu’ils sont plus jeunes, plus éduqués, plus Européens peuvent s’abstraire du destin commun ? La démocratie, c’est une voix de prolétaires isolationnistes de l’île et cela vaut une voix de jeunes londoniens.
Ceci est tout à fait vrai et heureusement. Mais il faut ajouter une chose : la démocratie est au risque quand la démagogie prend les commandes. Le risque que l’on est en train de vivre est un risque que l’on a connu très bien dans l’histoire anglaise. Alors qu’il y avait la montée d’une guerre, il y a eu des élections dans lesquelles la victoire s’est jouée sur le fait du désarmement. Churchill s’est battu tout seul contre cette vague mais dans les années 30, vous voyez la majorité du peuple britannique entraînée par des démagogues qui vont vers le désarmement ce qui fait qu’évidemment, lorsque Hitler va réaliser l’agression qu’il portait en lui, la Grande-Bretagne va avoir le plus grand mal à se battre.
Sommes-nous immunes, nous, d’un vote qui vous paraîtrait aberrant lors de l’élection présidentielle de l’an prochain par exemple ?
L’élection présidentielle a sans doute beaucoup de vertus mais a une vertu : le peuple juge de la responsabilité du caractère de celle ou de celui qu’il va porter à sa tête. Le peuple sent si c’est un capitaine, si c’est quelqu’un de solide, à qui l’on peut faire confiance, ou bien si au contraire c’est un aventurier ou une aventurière. C’est la principale vertu de l’élection présidentielle. Alors naturellement, les hommes ou les femmes ne sont pas toujours à la hauteur de cette attente. J’espère que cette fois-ci, ils vont l’être parce que ce qui se joue est tellement important, grave, lourd de conséquences que cette prise de conscience des citoyens va j’espère aider ceux qui sont des hommes d’État.
Vous étiez hier avec un homme pour lequel vous avez voté en 2012. Y a-t-il un test de caractère et de présidence pour François Hollande maintenant après le Brexit ? Plus qu’après les attentats ?
C’est la dernière chance, à supposer qu’il y en ait encore une possible. Le jugement des Français sur François Hollande est très sévère et probablement à mes yeux à juste titre. On a besoin d’hommes d’État, c’est-à-dire de gens qui ont une vision et qui sont capables d’entraîner leur peuple et leurs partenaires européens ! C’est sur ce point que j’ai des doutes. La situation qui a été créée par cette espèce de retrait de la France depuis des années n’est plus possible. Il y a pour François Hollande une exigence d’être enfin à la hauteur de cette histoire. Premièrement, il faut que se règle rapidement la situation de la Grande-Bretagne qui a choisi de sortir. Vous avez vu qu’hier - c’est un geste que j’ai trouvé élégant - le commissaire anglais a démissionné. La voix de la Grande-Bretagne par ses représentants - commissaire ou parlementaires européens - ne pourra plus du tout être la même ! La place des fonctionnaires britanniques au sein de la commission de Bruxelles ne pourra plus être la même ! Les fonctionnaires britanniques avaient bâti depuis très longtemps une présence clé. Ils avaient fait cela très habilement et sélectionné de très bons fonctionnaires ! Maintenant, il faut que tout cela se règle. Il y a une deuxième chose nécessaire : que le gouvernement dise enfin aux Français où va l’Union européenne dans laquelle nous sommes embarqués. On ne peut pas continuer à avoir une Union européenne qui apparaisse comme totalement opaque aux yeux des Français ! Il faut que le Président de la République dise enfin ce que l’Union européenne est en train de délibérer, ce qu'elle va décider, ce qui se passe avec le traire transatlantique, quelles sont les harmonisations par exemple sociales ou fiscales que nous pouvons avoir au sein désormais d’une Europe plus compacte, en tout cas nous pouvons l’espérer.
On avait donné beaucoup à David Cameron lors d’un sommet européen en décembre dernier. Comment puis-je faire confiance moi citoyen ou français dans ces dirigeants européens qui étaient prêts à tout donner à Cameron et qui expliquent aujourd’hui qu’ils vont refonder l’Europe de manière plus cohérente ?
Je voudrais qu’ils disent qu’ils vont la refonder de manière cohérente. Je ne suis pas certain que ce soit l’intention d’un certain nombre de dirigeants européens et c’est là où l’on a besoin de la voix d’un Président de la République française qui se fasse entendre ! L’Europe est un projet français, simplement nous l’avons laissé dévoyée, nous l’avons laissée entrer dans une espèce de monde pour initiés. Nous avons maintenant besoin d’en faire un espace dans lequel citoyennes, citoyens, jeunes et plus âgés retrouveront leurs choix.