"Les obstacles entre les différentes familles centristes ont presque disparu"
Dans une grande interview publiée dimanche par Le Parisien, François Bayrou estime que le Centre doit "mettre fin à la guerre de cent ans" afin de "reconstruire le pays"."
Le Parisien - Avec votre rapprochement avec l’UDI de Jean-Louis Borloo, une nouvelle dynamique au centre est-elle vraiment enclenchée ?
François Bayrou - Je le crois. Les obstacles les plus importants entre les différentes familles centristes ont presque disparu : pour ceux qui avaient les yeux fixés sur l’UMP, l’idée d’un parti unique de la droite et du centre s’est dissipée. Sous la pression de l’extrême droite, le climat, de ce côté, est plutôt à l’explosion. Du côté du pouvoir socialiste, c’est la glaciation : on refuse les réformes nécessaires et on oublie les engagements de changement politique. L’attente est forte d’une réponse politique originale et qui donne espoir. C’est pour cela que nous, au Centre, avons décidé de mettre les rivalités personnelles et le bal des egos au second plan.
Le bal des egos pourtant est inhérent aux institutions de la Vème ?
Je ne le crois pas. L’élection présidentielle est un rendez-vous mais elle ne viendra que dans trois ans. Nous avons bien autre chose à construire avant.
Ne craignez-vous pas qu'on vous taxe d'opportunisme? Les noms d'oiseaux n’ont pas manqué...
Peu importe. Vient un moment où il faut savoir finir la guerre de cent ans. Quand on a un pays à reconstruire, il faut faire passer les histoires de personnes et de tendances au second plan.
François Fillon a t il dérapé ?
Je ne crois pas aux dérapages. Devant la question de l’électorat FN, il faut décider si on le légitime en le suivant ou si on résiste en présentant une autre vision. Il y a une inflammation de la société, troublée par la crise, le chômage, par l’immigration mal intégrée, par le surgissement de l’Islam. Une approche nouvelle, courageuse et imaginative, doit permettre d’aborder ces questions sans obsession. Il y a une exaspération à l’égard de la politique. J’ai proposé de répondre par un référendum de moralisation de la vie publique. François Hollande s’y était engagé auprès de moi en cas de blocage du parlement. Il n’en a rien fait. Et même ce qu’il y a de plus choquant demeure inchangé.
Trop de dérogations et de privilèges ?
La moindre des choses serait par exemple que les parlementaires qui votent l’impôt soient soumis aux mêmes règles fiscales que les autres contribuables. Or ils bénéficient d’un régime dérogatoire qui fait qu’une part de leurs indemnités n’est ni imposée ni contrôlée. Le Sénat vient de repousser le non cumul des mandats. C’est la même logique : faites ce que je dis, pas ce que je fais. Voyez le nombre de parlementaires PS, députés et sénateurs, qui se présentent aux élections municipales, contrairement à leurs engagements, dans l’espoir qu’une dérogation viendra encore retarder les choses !
Vous croyez au retour de Nicolas Sarkozy ?
Qu’il veuille revenir ne fait aucun doute : il envoie régulièrement des signaux explicites.
A t il changé ?
Les hommes changent-ils vraiment ? Je n’en suis pas sûr… Mais il ne faut rien exclure. Moi-même parfois… (rires).
Qu’est ce qui fait changer les hommes politiques ?
Les difficultés, les défaites qui obligent à réfléchir. Et l’expérience…
La perte de votre circonscription à Pau en fait partie ?
J’ai perdu une élection, pas ma région, pas mon pays, pas mes amis. Car pour moi le Béarn est d’abord une famille humaine. Pas un territoire politique.
Avez-vous une envie de reconquête à Pau ?
Je parlerai de Pau… à Pau.
Qu’en sera t il de vos alliances avec la gauche aux prochaines municipales ?
Au Mouvement Démocrate, nous croyons que les élections locales traitent de problèmes locaux et peuvent faire naître des majorités locales, pas le décalque perpétuel de la guerre droite contre gauche. Nous sommes fiers de ce principe. C’est d’ailleurs ce qui se passe dans la plupart des villes petites et moyennes. Cela dit, quand je regarde le terrain, ville par ville, nos équipes locales sont d’accord dans la plupart des cas. Et quand ce ne sera pas le cas, nous en parlerons et nous assumerons.
Que reprochez-vous le plus à François Hollande ?
De ne pas affronter l’exigence vitale de réformes sur les grands sujets du pays. La réforme des retraites n’en est pas une. Or, ne rien faire tout en prétendant que l’on fait une réforme, c’est épuiser l’énergie du pays et au bout du compte le désespérer. Car lorsqu’on s’apercevra dans quelques mois qu’il faut encore une réforme, que diront les Français ?
Qu’est-ce qui le contraint selon vous à l’immobilisme ?
Sa majorité. C’est hélas le sujet dont il s’occupe le plus. Il donne l’impression de se déterminer à partir des enjeux intérieurs à la gauche : les courants du PS, les alliés du PS, les satellites du PS, y compris les ultimatums des écologistes ! Tout cela donne une impression d’improvisation et de désordre. Pas de réforme de l’Etat ni de moralisation de la politique, pas de réforme des collectivités locales, pas de vision ou de pensée nouvelle sur la sécurité sociale. Il élude les questions essentielles.
Hollande n’est pas à la hauteur ?
Je ne veux pas employer de mots blessants. Mais plusieurs millions de ceux qui ont voté pour lui, qui n’étaient pas de gauche, attendaient du courage et des décisions. Il avait des atouts pour le faire, par exemple un climat de confiance avec les syndicats. François Hollande élu pouvait tracer un horizon, créer les conditions d’une majorité réformiste. Il a choisi de n’en rien faire.
Vous n’aviez pas négocié votre appel en sa faveur au second tour de la présidentielle ?
Jamais. Le marchandage n’est pas dans ma pratique. La liberté ne se divise pas.
Sous Hollande comme sous Sarkozy on constate une usure rapide des présidents dans l’opinion…
Il y a d’autant plus d’usure lorsqu’ils n’assument pas leur mission. Le rôle du président de la République c’est d’affronter ce que personne n’ose affronter, de montrer le chemin au pays. De créer les conditions des mutations nécessaires. Prenez de Gaulle, ou même Giscard : une partie de l’opinion résistait aux mutations pourtant nécessaires, eh bien ils ont entraîné le pays à passer l’obstacle. C’est cela, président de la République.
Les programmes d’histoire-géo ont été réaménagés. Qu’en pensez-vous ?
Les programmes sont souvent trop lourds. Mais je crois surtout que l’enseignement de l’histoire est trop abstrait, désincarné. Je suis sûr qu’il faudra en revenir à la chronologie, aux dates, et aux grandes figures, femmes et hommes de chair, de sang et de conscience, qui l’ont faite.
Une réélection de la chancelière Angela Merkel serait-elle une chance ou un risque pour la France, et l’Europe ?
Ce serait une chance. Angela Merkel est une femme construite, persévérante, qui peut assumer une majorité plurielle, tournée vers l’Europe et qui peut être le partenaire fiable dont la France a besoin en Europe.