Parquet financier : "Un coup d'annonce qui va aggraver la bureaucratie judiciaire"
Pour Philippe Bilger, le projet de parquet financier national est plus "un coup d'annonce qui aggravera la bureaucratie judiciaire" qu'une "mesure efficace" contre la fraude fiscale.
Le gouvernement a présenté, mardi, son projet de parquet financier national, qui vise à renforcer la lutte contre la fraude fiscale et la corruption, suite à l'affaire Cahuzac. Philippe Bilger, président de l'Institut de la parole et ancien avocat général, nous apporte son éclairage.
Quel jugement portez-vous sur le projet de parquet financier ?
Philippe Bilger - L'affaire Cahuzac devait entrainer des initiatives du président de la République. Je ne suis toutefois pas persuadé qu'il était absolument nécessaire de créer ce parquet. Il est évident, que ce procureur national, dont l'indépendance n'est pas garantie, va se trouver en concurrence avec le procureur de la République à Paris. Il est déjà très difficile de faire fonctionner les juridictions quand il y a des conflits de compétences, alors imaginez une telle concurrence ! Tout cela ne m'apparaît pas très cohérent.
L'objectif du gouvernement est pourtant d'aboutir à une justice plus efficace...
Alors il aurait été plus simple de faire l'inventaire du dispositif existant et de l'améliorer s'il y avait des possibilités ! À moins d'un miracle, j'ai plutôt peur ce que parquet aggrave la bureaucratie judiciaire. Dans l'affaire Cahuzac, comme dans d'autres, François Hollande me paraît victime à sa manière du syndrome de Sarkozy : il faut tout de suite donner l'impression qu'on a accompli un acte. Je ne suis pas fanatique de ces annonces. Tout cela est fait trop vite. Je regrette qu'il y ait quelque chose du Nicolas Sarkozy battu dans le François Hollande qui a été élu.
Pour vous, ce parquet est donc avant tout un effet d'annonce ?
Oui. Les gouvernants ressentent toujours le besoin de modifier les processus législatifs pour justifier une impuissance dans le présent. On fait des grands coups d'annonce, brillants, éclatants, qui laissent entendre que demain ne sera plus comme avant, qui appellent les applaudissements des citoyens... On devrait plutôt privilégier l'art du possible : des actions empiriques modestes mais efficaces.
Quelles seraient-elles ?
Renforcer les personnels, la coopération entre les administrations, les conventions entre les États pour faciliter la circulation de l'information. Mais j'insiste sur le fait que rien n'interdisait dans l'affaire Cahuzac d'utiliser ce qui existait. Nous avons déjà les outils, les professionnels et la justice indépendante. Mais, au fond, contre les transgressions de la morale publique, je ne crois pas au diktat législatif. Je pense qu'il faut avant tout avoir le courage de rappeler les règles de la morale publique et la nécessité d'une éthique personnelle. S'il y a des lacunes, si les règles sont violées, alors il faut être impitoyable. Mais nous avons l'arsenal pour cela.
Pour aller plus loin : le blog de Philippe Bilger.