"Pendant que tant d'autres préparent l'alternance, nous préparons une renaissance"
Discours de clôture de François Bayrou | Université de rentrée du Mouvement Démocrate | 25, 26 et 27 septembre 2015 (Guidel-plages)
Seul le prononcé fait foi.
"Je voudrais insister sur l’adhésion qui est celle d’un très grand nombre de ceux qui sont présents dans cette salle, sur l’analyse qu’a exprimée Bruno Joncour et la volonté qu’il a portée de faire de l’élection régionale autre chose qu’un simple affrontement partisan, un simple affrontement d’appareils, et pour cela de trouver l’équilibre nécessaire dans la formation des équipes. Moi-même, dans les jours qui viennent, je m’adresserai à ceux qui ont la charge de construire ces équipes pour leur rappeler, Bruno, ce que tu as dit en notre nom à tous.
Je m’adresse à vous dans un moment qui est particulièrement grave. Nous avons appris ce matin que les forces aériennes françaises avaient frappé en Syrie les positions de Daesh et je veux exprimer, avant de commencer l’analyse de cette rentrée, en votre nom à tous, ce que nous estimons être la nécessaire et vitale solidarité du pays devant le pire. Nous savons bien que sur la surface du monde, et particulièrement dans cette région déchirée du Proche et du Moyen-Orient, il n’est pas de régime idéal et il y a même un très grand nombre de régimes et de situations politiques qui sont odieux. Mais, il y a des gradations dans le pire. Dans le pire, Daesh a un fondamentalisme qui veut imposer une dictature sans nuance et sans merci. Avec comme moyens d’action l’atteinte même à ce que nous considérons comme le plus élémentaire de l’humanité, l’atteinte aux personnes et l’atteinte au patrimoine immatériel et matériel que l’humanité a su construire au travers des millénaires. Ce terrorisme là, cette volonté d’écraser tout ce qu’il y a de divers, d’humain et de libre, mérite en effet que nous unissions nos forces contre ces exactions.
Et cela exige une solidarité. Une solidarité entre les nations et les forces qui veulent réduire le pire du pire, et une solidarité à l’intérieur de notre pays entre les sensibilités différentes qui animent comme c’est normal le débat démocratique français. Cette double solidarité, je pense et je crois qu’elle ne devra pas s’arrêter à de seules frappes aériennes. Il y aura un jour des décisions encore plus importantes à prendre, et je souhaite que le climat d’unité nationale – qui je n’en doute pas va s’exprimer aujourd’hui – soit le jour de ces décisions aussi présent et actif. Quels que soient ceux qui, à cette époque, seront en charge de la destinée de la France.
Je suis très heureux que nous nous retrouvions ensemble ici en Bretagne comme nous avons pris l’habitude de le faire chaque année. Je veux citer ceux qui m’entourent, les vice-présidents qui se sont exprimés tout au long de ces journées : Marielle de Sarnez qui a dû repartir pour participer à une réunion de mobilisation en Île-de-France, Jacqueline Gourault, Robert Rochefort, Jean Lassalle, Nathalie Griesbeck qui est malade, et Jean-Marie Vanlerenberghe qui nous rejoindra peut-être avant la fin de cette rencontre. Je veux remercier Marc Fesneau de son travail et de son implication ! J’ai déjà eu l’occasion de dire que moi qui ai été à son âge, ou à peu près, secrétaire général d’une grande formation politique, c’est la première fois de ma vie que je vois un secrétaire général populaire !
Je veux remercier tous ceux qui ont organisé la réunion, les bénévoles et les personnes engagées dans le mouvement. Je veux remercier la fédération régionale, autour de toi Bruno, pour sa présence, son accueil et son amitié.
Qu’est-ce qui m’a frappé pendant ces journées ? Ce qui m’a frappé, c’est la qualité des échanges et la qualité humaine de cette rencontre. C’est un engagement que vous manifestez ici mais c’est un engagement qui d’une certaine manière tire vers le haut tous ceux qui sont là, tous ceux qui réfléchissent, tous ceux qui interviennent, tous ceux qui parlent. Donc, c’est vers vous tous que va cette gratitude. Les plus de 600 congressistes qui ont pris en charge la totalité des frais – nous n’avons pas de sponsor extérieur et nous n’avons pas l’attention d’en avoir parce que, bien sûr ça ne nous fait pas riches mais à coup sûr, cela garantit que nous sommes libres.
Je veux vous remercier, vous qui avez fait le tissu humain de ces journées, de ces rencontres qui sont singulières dans le paysage politique français, parce que je veux simplement vous rappeler que la plupart des formations politiques ont renoncé à organiser autre chose que des meetings. Ici, ça n’est pas un meeting. C’est une réunion de solidarité, de réflexion, d’engagement, d’expression d’une volonté que nous élaborons ensemble et que les responsables du mouvement ont la charge d’exprimer. C’est particulièrement frappant dans l’ambiance que nous vivons en France et que je veux résumer en une formule : un paysage politique en explosion dans un pays en implosion.
C’est naturellement l’implosion du pays qui est de loin le plus frappant, le plus dramatique et le plus grave. Je vais énumérer plusieurs échecs :
- Celui, qui est une souffrance pour beaucoup d’entre nous, de l’éducation nationale.
- L’accroissement continu du chômage quasiment chaque mois malgré les assurances répétées. Les 20.000 nouveaux chômeurs ce mois-ci portent en réalité à presque 6 millions le nombre de chômeurs absolus ou partiels. Donc, autant de familles qui se trouvent atteintes, autant d’inquiétudes qui se multiplient.
- L’explosion du déficit et de la dette.
- L’insécurité sociale. Tout le monde voit bien que notre système de protection sociale est fait de saupoudrages pour la plupart incompréhensibles. Qui a accès à des droits et ne va pas jusqu’à réclamer ces droits ? Il y a des centaines de milliers de Français qui sont relégués même de leurs droits sociaux.
Dans le monde agricole, des centaines de milliers d’hommes et de femmes ont peur que l’exploitation à laquelle ils ont donné beaucoup d’eux-mêmes au travers du temps, simplement ne puisse même perdurer au-delà des quelques mois qui viennent. Vous imaginez ce que cela suppose à la fois de drames personnels et de tragique pour la société que nous formons ensemble, et qui est si profondément enracinée dans le monde rural. Et je dirai également un mot sur le labyrinthe constamment en échec de nos institutions, malgré les assurances qui avaient été multipliées, sur le fait qu’on allait les réformer et qui sont toujours plus inefficaces et toujours plus injustes. Nous croyons que l’injustice est liée à l’inefficacité et, d’une certaine manière, l’injustice est la cause de l’inefficacité. Tout cela est symbolisé dans une image qui a été, pour moi, tellement frappante : cette vague de réfugiés se précipitant vers l’Europe, des centaines de milliers de personnes peut-être jusqu’à un million, prenant tous les risques, passant les frontières, se retrouvant en Grèce puis en Macédoine, puis en Serbie, et de là traversant jusqu’en Hongrie et en Allemagne dans le dénuement le plus absolu. Beaucoup de ceux-là étaient d’ailleurs formés, capables, volontaires et la France a pris sa part de l’effort. Et bien ces réfugiés, sans émotion supplémentaire, ont indiqué que cela ne les intéressait pas de venir chez nous.
Imaginez l’image de notre pays, qui a été leader de l’Europe, pays des Droits de l’Homme, protecteur des abandonnés, et devant lequel ces hommes - très souvent - et ces femmes, en dénuement, chargés d’enfants et de familles disant : « Vraiment, ce n’est pas en France que nous voulons aller ».
Bien sûr, je crois que c’est exagéré, je pense que l’image qui a été ainsi propagée n’est pas justifiée, mais je vois ce que cela signifie pour notre pays, pour sa place, pour ce qu’il devrait représenter d’attractif et de chaleureux, et qui, tout d’un coup, se retrouve ainsi ignoré et, pour ainsi dire, laissé de côté.
Je trouve qu’il y a là un effrayant symptôme - je devrais dire formidable symptôme au sens étymologique du terme : ce qui fait se dresser les cheveux sur la tête - de la situation de la France. Je dis que c’est une implosion. Et cette implosion s’accompagne - il a y a un lien de cause à effet - avec le sentiment que l’Europe n’est plus au rendez-vous.
Je le dis comme un Européen, parlant en votre nom, vous qui êtes vous-mêmes des Européens engagés, qui savons ce que représente de nécessaire l’idéal européen car aucun pays ne peut seul affronter les défis du temps. Regardez à quel point cela devient caricatural et manifeste dans cette affaire des migrants. La Grande-Bretagne dit « Non, nous, on veut sortir de l’Europe » mais cependant exige que la France, en son nom, soit un garde-frontière, et la France elle-même dit « Il faut réformer absolument tout ce que l’on a fait jusque-là, en particulier Schengen » et exige que l’Italie lui serve de garde-frontière. C’est une manifestation évidente que l’on ne peut rien faire tout seul. Ce n’est pas seulement pour que l’on soit plus fort tous ensemble, c’est que l’on ne peut rien tout seul devant les immenses mouvements du monde qui sont comme des marais, et où seule la solidarité de la famille européenne pourra permettre d’apporter une réponse construite et, nous l’espérons, efficace.
Par défaut des institutions de notre pays, ou plus exactement par défaut de la pratique de ses institutions, les citoyens français, comme bien d’autres citoyens européens mais à un degré supplémentaire, éprouvent une perte de confiance. Tout cela est l’implosion du cadre social, économique, démocratique du pays que nous formons tous ensemble.
Et dans ce pays en implosion, il y a un système politique en explosion. Je n’ai pas besoin de faire la liste mais il suffit de la faire défiler devant soi. L’extrême-gauche est coupée en au moins trois partis. Le Parti socialiste est en guerre interne et sur des sujets de fond, pas seulement en guerre d’appareil. Avec les écologistes, on en est à 18 partis nouveaux ou 19. J’exagère un peu, c’est simplement pour dire que l’on n’arrive plus à les compter. Au sujet de « LR », je dois dire que j’ai beaucoup de mal à dire « Les Républicains », même si nous savons qu’il y a des républicains dedans, heureusement, comme dans l’essentiel des entités politiques françaises, et nous sommes fiers de l’être et de l’affirmer. De même que nous, nous croyons, nous qui nous appelons Mouvement Démocrate, qu’il y a des démocrates partout, mais au moins est-ce notre idéal. Donc LR est bien sûr pris dans une compétition ayant trait à l’élection présidentielle, dont chacun voit la source et le déroulement même si nous ne savons pas encore, au fond, à quel horizon et sur quelles solutions elle débouchera. Le Front national, il n’y pas besoin d’en causer, cela fait les pages des magazines, dans une guerre de famille autant qu’une guerre de sensibilités. Le centre lui-même, qui devrait être dans cet univers chahuté, un pôle de stabilité, de vision et de propositions, est lui-même déchiré entre plusieurs familles qui sont sans doute - sauf la nôtre - déchirées aussi à l’intérieur. Cela c’est le paysage politique français.
Et il n’est donc pas étonnant que, nous l’avons appris hier, la dernière enquête d’opinion sur le sentiment de confiance des citoyens aboutit à ce que la confiance dans les partis politiques soit la plus basse exprimée à l’égard de toutes les institutions sans exception. Les citoyens français déclarant avoir confiance dans les partis politiques ne sont que 5% et 95% donc des Français n’ont pas confiance dans les partis politiques. Voilà la réalité.
Permettez-moi de m’arrêter une seconde à la question de savoir pourquoi les partis politiques sont dans cette explosion. Je veux simplement tracer quelques lignes. La première de ces lignes, c’est que les vieilles idéologies se heurtent au réel.
Nous avons vécu une expérience qui restera historique, qui restera dans les analyses du temps, lorsque l’on écrira des livres d’histoire sur notre époque : c’est l’expérience grecque. Alors, je ne veux pas m’arrêter aux personnalités. Je pense qu’Alexis Tsipras est un homme politique puissant, habile, mais il demeure qu’il a proposé devant nous, un schéma qui est un schéma d’école. Alexis Tsipras s’est fait élire par une majorité puissante, au mois de janvier, sur le seul thème du refus de « l’austérité », laquelle austérité était censée être commandée par la malveillance d’un certain nombre d’institutions : la Troïka, dont l’Union européenne et la Banque Centrale Européenne étaient deux des pôles majeurs. Il s’est fait élire sur ce thème, celui du refus de l’austérité.
Les négociations ayant beaucoup de mal à aboutir, nous sommes arrivés au mois de juillet. Au mois de juillet, il a convoqué un référendum du peuple grec pour rejeter un accord exposé ligne à ligne qui comportait des dizaines de mesures précises. Il a obtenu les deux tiers des suffrages du peuple grec pour rejeter cet accord, le dimanche. Le jeudi il signait, intégralement, au nom de la Grèce le même accord.
Et je pense, pas avec moquerie ni sévérité, à ces millions de femmes et d’hommes - pas seulement en Grèce, chez nous aussi, sur tous les bancs comme on dit à l’Assemblée nationale, en tout cas très à gauche et très à droite - qui croyaient possible de dire que la volonté politique allait imposer qu’un pays libre et souverain puisse refuser de rembourser la dette sous lequel on l’écrase. C’est cela le thème principal.
Et pourquoi ont-ils fait cette incroyable volte-face, ce salto, ce saut périlleux intégral, pourquoi l’ont-ils fait ? Pas du tout parce qu’il y avait la volonté de tromper, de décevoir, de la ruse, du vice, pas du tout !
Simplement parce qu’Alexis Tsipras a mis devant leurs yeux ce que seraient les conséquences réelles d’une dénonciation par la Grèce des accords préalables et ce que causerait dans la vie même du peuple grec la sortie de l’euro qui en découlerait inévitablement.
C’est ça la vérité. Parce qu’ils ont découvert, je me suis permis de le dire hier, que la démocratie, la souveraineté populaire, ne peuvent pas intervenir sur des choses qui lui sont extérieures. J’ai dit, par exemple, que la souveraineté populaire ne pouvait pas décider s’il allait pleuvoir ou faire beau demain. On peut décider de se couvrir, de construire des abris, de se protéger du soleil. Cela, c’est possible. Mais lorsque l’on a besoin d’emprunter pour vivre, ce qui est le cas de la Grèce - je le dis à voix basse, comme la France - il faut évidemment donner des assurances sur le remboursement. J’emprunte, je rembourserai, avec intérêts, un peu plus d’intérêts, un peu moins d’intérêts, peut-être sans intérêts, mais au moins l’emprunt suppose le remboursement. Or, la Grèce ne peut pas vivre et la France non plus sans emprunter pour assurer l’équilibre de ses salaires, de ses fonctionnaires et de ses retraites.
Voilà première raison : le réel est plus fort que les idéologies alors qu’on a laissé croire pendant très longtemps que les idéologies pouvaient dominer le réel. Et après tout, c’est ce qui s’est passé de l’autre côté du mur de Berlin il y a quelque 25 ans.
Deuxième raison de la désaffection à l’égard des partis politiques, c’est que, j’en suis persuadé, la forme des partis politiques est dépassée. Il suffit de voir les chiffres publiés récemment et je ne fais aucune ironie sur ce point parce que je sais à quel point - et vous savez à quel point - il est difficile aujourd’hui de faire des adhésions comme on dit, de persuader. Mais les chiffres du grand mouvement de droite et les pratiques du mouvement de gauche sont en elles-mêmes une mise en question de la forme politique habituelle.
C’est la raison pour laquelle je considère que nous avons une responsabilité. Nous qui sommes peut-être plus libres que d’autres, plus indépendants que d’autres. J’espère un peu d’avant-garde, on l’a montré assez souvent. Je prends la responsabilité de réfléchir à ce que peut être la forme d’un mouvement politique pour le futur. Je dis mouvement plutôt que parti parce que cela ne devrait pas être tout à fait la même chose. Mouvement plutôt que parti, raison plutôt que caporalisation, avec une place pour les sympathisants. Il y a beaucoup de gens qui veulent soutenir sans forcément s’engager parce qu’ils ont l’impression, fausse à mes yeux, que l’engagement est une contrainte. Et on doit réfléchir à la place de ces sympathisants, on doit réfléchir à ce que doit être la sélection pour le futur, de générations nouvelles et à la formation de ces générations nouvelles. C’est la raison pour laquelle je vais demander à Marc Fesneau de mettre en place un groupe de travail sur la forme que pourrait prendre un engagement politique à l’avenir et l’organisation de cet engagement. Je compte beaucoup sur les jeunes nombreux qui sont là, qui ont l’habitude du collaboratif, de la mutualisation des idées, du partage de la « wiki », réflexion pour que nous puissions faire avancer cela. Vous retrouverez là un rêve que j’ai depuis longtemps et que je n’ai pas réussi à réaliser autant que je le voudrais. Et donc, tout en ayant conscience que nous ne sommes pas un think tank, nous ne sommes pas uniquement une « cocotte minute à idées ». Il faut avoir des idées et j’espère que l’on en a ! Mais un mouvement politique, c’est autre chose. Cela a une responsabilité dans la société. Et c’est de cette responsabilité dont j’aimerais vous parler maintenant.
Nous avons deux devoirs. Et le premier de ces devoirs, dans la situation politique du pays, est un devoir d’opposition. Je suis mieux placé que d’autres pour me souvenir de l’espoir qui était celui de millions de Français qui n’étaient pas de gauche et qui ont cru que les promesses de François Hollande pouvaient devenir réalités. Ces millions de Français, qui n’étaient pas de gauche, qui n’avaient pas un vote d’étiquette, ont cru que, en raison du cheminement qui avait été le sien, en raison du fait qu’il avait passé une grande parti de sa jeunesse dans les mouvements que Jacques Delors avait créés, en raison d’une certaine bienveillance après la période très tendue et agressive que Nicolas Sarkozy avait voulue, qu’il pourrait être le réformiste qu’il annonçait devoir être.
Il a choisi de ne rien bouger, de ne rien changer. Et si j’énumère les sujets que j’ai simplement soulignés au début de cette intervention : éducation nationale, chômage, décentralisation, découpage des régions, institutions, incapacité à porter une simplification, alors on s’aperçoit que, au-delà du caractère jovial de ses interventions, et de sa nature sans doute, le sentiment que François Hollande a créé, c’est celui d’une immense déception. Là où il faudrait innover et trancher, il reporte constamment au lendemain. On dit « il procrastine », c’est-à-dire qu’il reporte à demain. Là où il faudrait vouloir, il ne veut pas. Là où il faudrait pouvoir, il ne peut pas. Parce que c’est toujours trop tôt ou parce que son parti l’en empêcherait. Et cette absence de vouloir et cette absence de pouvoir, il en fait un système, il théorise cela. Et sa théorie – tous ses visiteurs le disent – c’est que les cycles vont se retourner, qu’après la pluie viendra le beau temps, que demain ce sera beaucoup mieux. Et au fond il est sur la ligne qu’un de ses prédécesseurs corréziens, et ce n’est pas celui que vous croyez, avait théorisé. C’est le Président Queuille qui disait : « il n’est pas de problème si compliqué et si urgent qu’une absence de solution ne finisse par résoudre ».
Il y a dans la stagnation du pays une responsabilité personnelle de François Hollande. Et je le dis, nous sommes mieux placés que d’autres pour la dénoncer. Et il y a, aussi lourde et peut-être plus lourde encore, une responsabilité de son parti, le Parti socialiste, de son appareil et de ses pratiques, de son idéologie, des habitudes qu’il a prises.
Il suffit de regarder, je vous en supplie, les nominations. La manière dont la carrière à l’intérieur du parti, au fond, ouvre la voie à l’installation dans les situations d’État, avec leurs responsabilités et leurs privilèges. Je veux rappeler que c’était explicitement la promesse de François Hollande de rompre avec cette pratique. Et c’est ce qui tous les jours - je ne veux pas citer d’exemple précis - est frappant dans l’ensemble de la conduite de l’appareil d’État devenu au service de l’appareil partisan. Ce qui est le contraire de ce que nous croyons juste et de ce que nous croyons nécessaire à l’équilibre du pays pour qu’il trouve son avenir. Les carrières d’apparatchiks : il suffirait qu’on fasse le décompte de ceux qui au sein du gouvernement n’ont jamais eu de métier, qui ont suivi la carrière bien connue, classique : militant du MJS et puis après responsable d’une section du MJS, et puis après responsable de SOS racisme, et puis après assistant parlementaire, et puis après adjoint au maire d’une commune, et puis conseiller régional, et puis ensuite appelé aux responsabilités de l’État. Nous, nous croyons qu’il devrait y avoir dans la responsabilité publique, comme un élitisme républicain. Quelque chose qui qualifie ceux qui ont fait l’expérience du terrain, de la vie professionnelle, des épreuves qu’elle recouvre, et qui ainsi se trouveraient en situation de responsabilités pour avoir parcouru le chemin qui vous permet d’en apprendre beaucoup sur les hommes, sur les choses, sur le monde, sur votre pays et sur ce que l’on doit faire pour le faire évoluer et aller dans le bon sens.
Ce double échec - celui du Président de la République et celui du parti qui est le sien - mérite sanction. Et c’est évidemment une dimension tout à fait essentielle des échéances électorales qui viennent.
Tout le monde aura compris - j’en dirai peut-être une phrase - que la réforme régionale, ou la prétendue réforme, est pour nous totalement insatisfaisante. Les découpages sont scandaleux. Prétendre qu’Alsace, Lorraine, et Champagne-Ardenne, c’est la même région, c’est se moquer de l’histoire, se moquer de l’identité, oublier le patrimoine, c’est-à-dire vider la décentralisation de son sens ! Affirmer que Pau et les Pyrénées, c’est la même région que Bressuire et que le marais poitevin, et que c’est la même région que Limoges, c’est non seulement une insulte au bon sens, mais aussi une condamnation à ne pas pouvoir gouverner, parce que ce n’est pas une région, c’est une sorte d’État fantôme. Il faut 1300km pour en faire le tour, 600 km d’un bout à l’autre, sur des routes qui n’ont pas toujours - pas assez - la qualification nécessaire. Parallèlement - ne prenez pas mal ce que je vais dire - laisser la région Centre toute seule, quelle est la logique de tout cela ? Et on a découvert - plusieurs sont venus nous le dire dans nos sessions de réflexions - qu’aucun géographe, qu’aucun historien, qu’aucun sociologue, qu’aucun spécialiste des collectivités locales à l’étranger, particulièrement en Allemagne, présenté comme le parangon, n’a été consulté pour cette affaire... Vraiment c’est une insulte à la décentralisation. C’est une insulte au bon sens, c’est une insulte à l’éthique démocratique, mais c’est une insulte à la décentralisation. Nous qui sommes partisans, militants de la décentralisation, nous croyons que pour qu’il y ait une volonté il faut qu’il y ait une identité. Si vous détruisez l’identité vous détruisez la volonté et vous faite de la technocratie. Vous ne faites pas de la démocratie, mais de la technocratie. Et donc cette réforme est très insatisfaisante.
Nous allons cependant nous y engager en recherchant des rassemblements équilibrés, comme Bruno Joncour l’a dit avec vigueur, et donc oui nous allons nous y engager. Mais en particulier parce que les occasions de s’exprimer du peuple doivent être, me semble-t-il, dans la situation où on se trouve, l’occasion de dire le refus. On n’a pas beaucoup de moyens de dire qu’on est en désaccord avec la réforme du collège que je trouve scandaleuse. Et bien on a un bulletin de vote. On va s’en servir à cette occasion.
Nous qui aurions voulu que les élections régionales fussent des élections régionales, qu'elles soient inscrites à une date où le débat politique aurait pu exister. Et peut-être aurions-nous pu imaginer pour ces élections des rapprochements et des rassemblements qui ne soient pas uniquement des rapprochements et des rassemblements d'expressions politiques nationales.
Notre rêve – vous le savez bien – aurait été que les élections régionales fussent des élections régionales. Cela a l'air d'une tautologie mais en France c'est incompréhensible. En France les élections régionales doivent nécessairement être des élections nationales. Si il en est ainsi, nous exprimerons notre réprobation – en tout cas je vous y invite – dans ce scrutin.
Mais je ne voudrais pas laisser croire que cet échec n'est que l'échec du gouvernement actuel et de François Hollande. Il porte une grande part de responsabilité. Mais cet échec est un échec qui vient de loin. Et nous avons bien raison d'avoir depuis 15 années au moins, indiqué où allaient conduire les insuffisances et les incapacités de la politique française.
Je vous ai apporté deux courbes, je ne sais pas si on va pouvoir les projeter... si voilà. Vous avez deux courbes. L'une c'est la courbe du chômage de catégorie A depuis 15 ans -, comme vous le voyez, c'est la petite inflexion - elle n'a cessé de monter, et de monter au même rythme. Si vous regardez la courbe, il n'y a pas eu de changement dans l’augmentation du nombre de chômeurs. Il n'y a pas eu de rupture, et bien au contraire c'est au même rythme que le chômage n'a cessé de progresser.
Et si vous regardez la courbe du déficit et de la dette, sur les 15 dernières années, identiquement, vous voyez que de la même manière, depuis le petit faux-plat très court de l'an 2000, la dette n'a pas cessé de progresser en France et de progresser systématiquement au même rythme au cours des années.
La responsabilité de François Hollande et du gouvernement est grave et lourde mais, c'est une responsabilité qui est largement partagée avec les années précédentes qui, quelque soit leur style, et ce n’était pas toujours le même, étaient en réalité enfermées dans la même impuissance.
Je regarde l'heure, j'ai l'impression que je vais être moins bref que je ne le croyais.
Et donc cette impuissance a des causes sur lesquelles je demande que nous nous interrogions. Il y a une citation de Bossuet que j'aime beaucoup. C'est du français du 17ème siècle mais il se comprend. Bossuet dit : « Le ciel se rit des prières qu'on lui fait pour écarter de soi des maux dont on persiste à vouloir les causes ». Si tu veux les causes, tu auras les conséquences. Et ce n'est pas la peine de te plaindre des conséquences si tu continues à vouloir les causes. Et Bossuet, par cette formule, est le plus moderne des analystes de la situation dans laquelle se trouve le France, de l'impuissance que nous constatons et que nous voulons combattre, réduire.
Je voudrais vous dire simplement qu'il est impossible de gouverner la France courageusement dans la double paralysie dans laquelle nous vivons. C'est à dire d'un côté l'institutionnalisation de la division – la France coupée en deux –, la confiscation de la représentation. Parce que si vous additionnez les gens qui ne sont pas du tout sur les mêmes sensibilités, que nous combattons vigoureusement pour quelques uns, ou pour beaucoup, mais qui existent. Le Front National à 25% - et encore j'évoque des sondages modérés -, l'extrême gauche à 10%, le centre à 12 ou 13%... Si vous additionnez cela, vous arrivez au faramineux total de 50% des Français qui ne sont pas représentés. Si vous y ajoutez les 40% de Français qui s'abstiennent, alors vous êtes dans la situation où le monopôle du pouvoir est exercé par des partis qui n'ont pas de base électorale. Qui ont des réseaux d'élus, oui. Qui ont des appareils, oui. Qui ont de l'argent – Dieu sait que oui –, des moyens sans comparaison avec les autres. Mais, ces formations politiques-là elles ne représentent pas le pays, elles n'ont pas le soutien nécessaire. Elles ne peuvent donc pas le réformer parce que les décisions de réformes sont des décisions qui exigent du courage.
Tant que ce Tiers Etat-là : 40% d'abstentionnistes, 50 % du reste... Qu'est-ce que le Tiers Etat? Tout. Que représente-t-il? Rien. A quoi aspire-t-il? A être quelque-chose. On a fait une révolution en France pour cela ! Et oui, au nom de tout cela nous affirmons que la relégation du Tiers Etat, ça suffit! Il faut que le Tiers Etat enfin soit reconnu comme ce qu'il est, c'est à dire une partie respectable et nécessaire du peuple français pour qu'enfin les décisions aient une assise et que les débats aient un sens.
C'est la première cause, l'institutionnalisation de la division et le monopole de la représentation par des gens qui ne la mérite pas ou qui n'ont pas de soutien.
Mais il y a une deuxième cause. En raison de cette pratique, il est impossible pour la France de faire ce que toutes les autres démocraties font, c'est à dire créer des alliances, des coalitions, des ententes entre formations politiques certes différentes mais qui pourront aller dans le même sens.
Bruno tu évoquais la Bretagne et sa tradition démocratique. A sa source il y a ce qu'on appelait le CELIB, Comité d'Etude et Liaison des Intérêts Bretons, dont j'ai toujours trouvé très belle la devise : « Associer les volontés et respecter la diversité ». Associer les volontés et respecter les sensibilités.
Si cette devise avait été appliquée en France, alors ce n'est pas l'Allemagne qui serait en tête de l'Europe, c'est nous. En l'an 2000 - c'est hier matin l'an 2000 - nous étions le premier pays européen et l'Allemagne était l'homme malade de l'Europe. Les spécialistes, Robert, se souviennent de cela. C'est notre souvenir immédiat. Simplement, ce que l'Allemagne a fait a été de prendre en charge par des sensibilités différentes, opposées dans les élections, la nécessité des réformes que l'Allemagne était obligée de faire pour s'en sortir. Et ils l'ont fait ! Ils l'ont fait parce que leurs institutions permettaient et même invitaient à la rencontre des volontés et à l'association des volontés au service du pays.
C'est la deuxième cause et c'est la raison pour laquelle en France la volonté est empêchée et la vision est contrariée.
Je voudrais donc replacer cette analyse, que je crois fondée, dans la perspective de l'échéance de 2017. Pour nous, cette échéance de 2017 ne doit pas se réduire ou se limiter à la question de l'alternance.
Nous avons une différence fondamentale avec les autres. Les premiers, ce qu’ils veulent, c’est garder le pouvoir. Les deuxièmes, ce qu’ils veulent, c’est reprendre le pouvoir. Nous, nous voulons changer le pouvoir pour changer le pays ! La question n’est pas seulement celle de l’alternance, qui est de remettre en 2017 ceux qui ont été écartés en 2012. Ça, ce n’est pas un changement, c’est une restauration ! Ce n’est pas notre but, ce n’est pas cela que nous devons atteindre et ce n’est pas cela que la France, à mes yeux en tout cas, exige. Nous voulons rendre à la France le dynamisme qu’elle n’a plus. On parle de migrations, mais moi il y a une chose qui me fait terriblement souffrir, c’est que la France est redevenue un pays d’émigrations pour ces jeunes, les jeunes Français, les jeunes diplômés, les jeunes qui ont envie d’aventures, qui ont envie de s’en sortir, qui ne veulent pas rester enfermés… Ils partent ! De chez nous ! L’autre jour un père de famille me disait : « c’est formidable, j’ai mes deux enfants en Australie, l’Australie est un pays où l’on peut entreprendre, où l’on peut risquer, où l’on peut construire… ». Je me disais « mais pourquoi est-ce que la France n’est pas le pays où l’on peut entreprendre, où l’on peut risquer, où l’on peut construire, où l’on peut être conscient des enjeux du monde à venir ! ».
Forger une volonté nationale est notre but, pour que la France redevienne ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être, c’est-à-dire un pôle attractif pour ses enfants et pour le monde. Pour cela, il faut que nous ayons un programme qui accepte de proposer des solutions concrètes. Une des réalités les plus désespérantes – et j’espère que nous ne tomberons pas dans cette critique – c’est que quand les responsables politiques s’expriment, ils annoncent des décisions, les administrations les prennent en charge, et nul n’y comprend rien.
Michel Sapin m’avait dit un jour : « c’est formidable, on vient de créer le CICE, et on créera 300 000 emplois la première année ». Je lui ai répondu : « je te préviens, on en créera zéro ». Et on en a créé zéro ! Pourquoi ? Parce que c’est très difficile de comprendre les usines à gaz ! Je sais bien que dans les grandes entreprises, ça fait du cash, ça rééquilibre, ça permet de dégager des marges ; mais si vous êtes un jeune créateur d’entreprise, un artisan, une petite et même moyenne entreprise, pour vous c’est du chinois et les obligations administratives qu’il faut remplir auprès de ceux qui instruisent les dossiers sont lourdes ! C’est là que les énergies se perdent. En revanche, il y avait quelque chose de très simple à faire qui était la baisse des charges. La baisse des charges, tout le monde comprend, le CICE, personne ne comprend, même si au bout du compte, cela revient à peu près au même ! Je suis pour que l’on ait un certain nombre d’orientations et de décisions simples. Je voudrais en citer quelques-unes qui soient des propositions concrètes, je suis prêt à les défendre toutes, à les argumenter toutes, à les illustrer toutes, mais je veux simplement les énoncer ici.
La première touche l’école, parce que je pense que c’est la première question. Je suis pour que l’école se fixe à elle-même une obligation de résultat pour l’acquisition de la lecture et de l’écriture, pour 100 % des gamins qui entrent à l’école maternelle et à l’école primaire. Alors j’ai entendu que la ministre de l’éducation nationale - pour essayer de rattraper la réforme du collège qui avait été très mal vue dans un grand secteur de l’opinion - a décrété que désormais, il faudrait une dictée tous les jours qui permettrait de faire des progrès considérables. C’est mieux orienté que la précédente annonce ! Je pense que la maîtrise de l’expression écrite et de l’orthographe est très importante. On retrouve d’ailleurs des orientations de ministres précédents qui, à l’époque, avaient été violemment critiqués pour avoir proposé des choses aussi réactionnaires.
Mais, puis-je rappeler à la ministre de l’éducation nationale qu’avant de faire une dictée, il faut savoir écrire, donc il faut savoir lire. Or, elle vient de prendre elle-même une décision qu’elle a annoncée à grand son de trompe : dans la grande section de maternelle, à partir de cette rentrée, désormais on n’apprendra plus à lire ; et tout le cheminement pédagogique qui avait été bâti pour qu’il n’y ait pas de rupture entre la maternelle et l’enseignement primaire est remis en cause… On avait même institué des cycles ! La grande section de maternelle et le CP étaient le même cycle, pour que l’acquisition de la lecture se fasse tôt !
C’est très frappant, parce que trois études viennent de sortir en même temps, et pour une fois, ce ne sont pas des études par des esprits considérés comme réactionnaires, ce sont des études réalisées par des esprits réputés bien orientés, appartenant à la filiation de mon compatriote Pierre Bourdieu. C’est un Béarnais de Pau naturellement… Cela conduit à tout comme vous le voyez ! Des sociologues bien orientés ont conclu deux choses qui doivent désormais porter la reconstruction nécessaire de l’école pour les enfants qui y entrent. La première, c’est que la méthode de transmission de la lecture qui est la plus efficace singulièrement pour les enfants ayant des difficultés sociales, culturelles ou dyslexiques, est la méthode syllabique qui a été abandonnée depuis des années. Alors comprenez-moi bien : je ne suis pas pour qu’on l’impose parce que si un ministre impose une méthode, le ministre suivant sera fondé à imposer la méthode contraire ! Le travail pédagogique ne devrait pas être un travail idéologique, on en a trop souffert !
Je suis pour une option toute simple : que l’on aille voir comment travaillent les enseignants dont les classes progressent le plus et que l’on demande à ces enseignants de transmettre à d’autres ce qu’ils ont acquis comme expérience, comme savoir-faire.
Au lieu de faire de la pédagogie une science abstraite et extérieure, il faut qu’on en fasse la pratique quotidienne et que les échanges d’expériences soient la base de la profession de l’école. Plus tôt on apprend, surtout quand on est en difficulté, plus loin on va. Ces études sont pour moi extrêmement précieuses.
Autre idée forte et simple : je propose qu’au collège, quand l’alternance, la renaissance ou la reconstruction commencera après les prochaines élections, on supprime la réforme néfaste qui a été proposée pour le collège en France et qu’on rende aux élèves leur droit à aller plus loin dans les langues vivantes ou dans les langues anciennes !
Nous avons un immense et désespérant problème de chômage et ce chômage est à mon sens lié à la question du droit du travail et du contrat de travail. Je ne rentre pas ici dans le contrat de travail illisible : vous vous souvenez j’avais montré dans une émission de télévision le pavé de plusieurs kilos que représente le Code du travail français par rapport au Code du travail suisse. Or le chômage français, on sait ce qu’il en est alors que le chômage suisse est de moins de 4%. Je ne sais pas s’il y a un lien de cause à effets, je subodore et au moins, on voit que l’un ne nuit pas à l’autre. Évidemment la gauche m’était tombée dessus, philosophes y compris, avec une ardeur juvénile. Je suis heureux de voir, aujourd’hui, que l’idée progresse et s’impose, et que Robert Badinter a joué un rôle tout-à-fait précieux dans la prise de conscience de l’illisibilité de notre droit du travail. Ce n’est pas la première fois de sa vie, mais je voulais le saluer à cette tribune.
C’est très simple : je suis pour que nous travaillions sur l’idée d’un contrat de travail à durée indéterminée et à droits progressifs. Ce serait un contrat de longue durée mais que l’on pourrait interrompre si les choses ne vont pas, sans drame et sans procès – sauf s’il y a harcèlement… - et avec des indemnités fixées à l’avance. Après tout, tous les contrats en France aujourd'hui peuvent être établis en sachant que l’on peut aussi les interrompre. Et c’est le cas du mariage par exemple : on peut y entrer et depuis longtemps on peut en sortir, alors que c’est le contrat considéré comme le plus sacré. Je pense que le contrat de travail, non pas pour se substituer aux contrats existants mais pour offrir une nouvelle voie qui permettrait d’embaucher à ceux qui ont peur de ne pas pouvoir débaucher. J’appelle les choses par leur nom, pardon, mais un très grand nombre de responsables d’entreprises, surtout petites ou artisanales, ont peur quand ils embauchent de ne pas pouvoir interrompre le contrat de travail, même quand cela se passe mal parce que les démarches sont très compliquées. Je suis pour qu’on les simplifie et que tout le monde sache qu’il pourra exister un contrat de travail qui offrira du travail sans être une menace pour l’avenir de l’entreprise en question.
On a une grande question autour des 35 heures. J’ai toujours considéré que la décision qu’ont prise les gouvernements Jospin, avec Martine Aubry au ministère du Travail, de faire de la limitation du temps du travail la ressource suprême pour lutter contre le chômage était une erreur fondamentale. Une erreur de pensée, une erreur de conviction qui enferme le travail dans une image négative.
Étymologiquement le mot « travail » vient du latin « tripálĭum », en béarnais « tribalh ». Le travail était le pire des supplices. Moi je pense que le travail c’est l’émancipation. Que le travail est, pour beaucoup de gens, le moyen d’accéder à la reconnaissance, le moyen d’être regardé dans la société comme un acteur de plein exercice, et c’est le moyen à ses propres yeux de trouver une reconnaissance. L’orientation qu’ont imposée les 35 heures à la société française est profondément dommageable. Regardez par exemple à l’hôpital quels sont les dégâts qui ont été faits, et l’on pourrait trouver d’autres administrations. Les 35 heures représentent, pour l’essentiel, le seuil de déclenchement des heures supplémentaires.
Je veux reprendre devant vous une idée que j’avais déjà défendue : il est normal que les heures supplémentaires rapportent au salarié une majoration de rémunération de 25 à 50%, selon que le nombre d’heures s’accroit ; mais il faut, pour que cela soit efficace, que l’heure supplémentaire ne coûte pas plus cher aux entreprises qu’une heure normale en compensant la majoration salariale par une diminution des charges du même montant. Ainsi on aurait revenu pour le salarié et pas de charge supplémentaire pour l’entreprise. C’est une idée simple qui permet de résoudre une question qui est un labyrinthe et dont personne ne se sort et qui permet là aussi de réconcilier avec le travail et la vie de l’entreprise un certain nombre d’acteurs.
Les aides sociales de toute nature représentent elles aussi un labyrinthe majeur, dans lequel personne ne se retrouve. Ce système est extrêmement difficile à analyser et pousse à l’exclusion de l’emploi. Un certain nombre de gens ont le sentiment qu’ils perdraient, s’ils trouvaient un emploi, parce que de nombreux avantages liés à la situation de non-emploi disparaitraient : transports, avantages divers… Et bien, j’ai proposé depuis longtemps, et je veux le répéter devant vous, la mise en place d’une allocation sociale unique, par points. Une seule allocation où la composition de la famille, la situation de chômage, la situation d’isolement… apporteraient des points. Cette allocation unique, calculée par points serait compatible, cumulable, avec les revenus du travail lorsqu’on y revient. Il s’agirait d’une allocation qui pousse à trouver du travail au lieu de dissuader et décourager ces démarches.
Enfin, un mot sur les collectivités locales. Je suis allé saluer le président des maires et les maires de mon département qui manifestaient devant la préfecture samedi dernier. J’y suis allé par solidarité, parce que je les aime beaucoup tout d’abord, mais aussi parce qu’ils portent quelque chose d’essentiel dans la vie des collectivités qui sont les nôtres. Toutefois je leur ai dit que je ne venais pas pour demander d’argent supplémentaire. En revanche, j’affirme qu’il faut arrêter d’accumuler les charges, les normes et les obligations supplémentaires sur le dos des collectivités locales, qui ne peuvent pas y faire face. Une chose est de demander de l’argent mais il n’y en aura plus : l’argent public, facile, à carnet de chèques accessible, c’est une réalité qui appartient au passé et ce, pour de très longues années. Tous les élus qui sont là le savent au fond d’eux-mêmes.
Mais au moins doit-on exiger du gouvernement qu’il cesse d’accumuler les charges sur ceux qu’il ne peut pas aider et qu’il fasse confiance aux collectivités locales pour organiser la vie locale à la mesure des moyens qui sont les leurs. Et ceci change complètement le rapport nécessaire entre l’Etat et les collectivités locales, ceci change au fond la nature de la décentralisation.
Dernier sujet, un mot sur les institutions. Je veux dire devant vous que c’est essentiel pour tous les sujets que nous avons à traiter, et c’est essentiel pour le long terme, pour que nous puissions prendre en charge les défis que j’ai énumérés. Ainsi que quelques autres auxquels je ne me suis pas arrêté et qui ont donné lieu à des tables rondes, je pense au développement durable en particulier et à la lutte contre le réchauffement climatique. Je dis ça devant Laurence Vichnievsky qui est au premier rang alors que Yann Wehrling, lui, s’acquitte de ses obligations régionales, de son devoir régional.
Pour faire face à ces obligations, il faut changer la pratique institutionnelle de notre pays. Il faut la changer en tout cas sur un point : il faut que nous exigions l’instauration d’une loi juste pour la représentation des Français. C’est-à-dire une loi qui garantisse que, comme dans tous les autres pays européens, dès l’instant où l’on représente un nombre suffisant de voix, fixé dans la plupart des autres pays à 5% des suffrages – en Grèce vous avez vu c’est 3%. 5% des suffrages en France c’est à peu près un million d’électeurs. Dès l’instant où vous représentez ce nombre, vous êtes assurés d’être représentés par un nombre d’élus conséquent au sein des assemblées et du Parlement de la République. Après, il y a une autre question : est-ce que cette représentation se fait dans la minorité, et on garantit qu’il existe une majorité, ou est-ce que l’on fait une représentation à la proportionnelle intégrale ? Les deux ont des avantages. Il est très facile d’obtenir l’un ou l’autre, il faut qu’on en discute. Il est très facile de garantir que l’on aura une majorité, c’est le cas de pays qui nous entourent. Vous avez vu la Grèce, dimanche, Tsipras a obtenu 30% des voix et presque 50% des sièges, parce qu’il y a une prime, un nombre de sièges donnés au vainqueur qui lui garantit qu’il a une majorité.
Je dis quelque chose à voix basse. L’instauration d’une prime qui favorise le vainqueur oblige à se poser une question qui est : si vous décidez de favoriser le vainqueur, est-ce que vous êtes assurés de qui sera le vainqueur ? Vous voyez ce que je veux dire ? Parce qu’il peut arriver que vous vous trouviez dans une situation où le pourcentage le plus élevé est obtenu par des gens qui ne sont pas en harmonie avec des sensibilités du reste de la représentation. Il n’y a en vérité qu’une garantie contre l’extrémisme, appelons les choses par leur nom, c’est qu’on ne lui donne que le nombre de sièges qu’il représente par son suffrage. Charge aux autres, s’ils considèrent qu’il y a un risque, de s’entendre pour conjurer ce risque.
Je suis prêt à examiner les deux hypothèses : scrutin qui garantisse la représentation de tous mais qui garantisse aussi une majorité à celui qui l’emporte, ou scrutin qui garantisse la représentation de tous mais qui oblige à former une majorité après – c’est le scrutin allemand que je décris là. Donc c’est une question que nous avons à nous poser.
Mais je sais – je vous demande de me croire parce que je suis affirmatif dans cette expression – qu’on ne peut pas continuer à exclure la majorité des Français des assemblées qui sont censées les représenter, parce que vous donnez à ceux qui sont à l’extérieur et en particulier aux extrémistes un avantage considérable : vous les instituez en opposants universels.
Et c’est un avantage formidable parce que ce sont les seuls qui ne soient pas mis à l’épreuve du pouvoir, à l’épreuve des débats, à l’épreuve des positions différentes. D’une certaine manière vous leur garantissez une virginité qu’ils ne méritent pas. Donc, je pense que nous devons affirmer cela. J’ai mis ce point en dernier parce que je sais très bien que les débats institutionnels paraissent pour la plupart de nos concitoyens éloignés, mais de Gaulle pour sa part, et Jean Monnet pour la sienne, disaient quelque chose de tout à fait évident : la vie politique est commandée entièrement par les institutions. Si vous avez de mauvaises institutions, vous aurez une mauvaise vie politique ; c’est le cas de la France aujourd’hui.
C’est dans cet esprit que nous allons nous avancer, d’abord vers les élections régionales puis après vers la grande échéance nationale qui se profile à l’horizon. Vous aurez compris – vous avez lu les journaux ces temps-ci, ils en ont parlé – quelle est la démarche qui est la nôtre. C’est de privilégier l’idée de rassemblement avec d’autres qui seraient suffisamment proches pour que nous puissions bâtir avec eux une action cohérente. Que l’on puisse changer les choses en se rassemblant avec eux. Alors, c’est soumis à un certain nombre d’aléas, et l’organisation de primaires dans le camp de la droite et d’une partie du centre-droit est un aléa pour moi. Un risque, un hasard. J’ai dit suffisamment ce que j’en pensais. Pour moi, ça n’a rien à voir avec les institutions de la Vème République. De Gaulle avait proposé une démarche fondée sur une idée simple : on va enlever aux partis la désignation du président de la République. C’était une idée simple et forte. Et ce n’est pas fidèle aux institutions ni à l’héritage du fondateur de la Vème République – je parle à ses héritiers – que de proposer de la rendre aux partis politiques, de la rendre aux camps. Parce que, s’il y a quelqu’un qui s’est battu toute sa vie contre l’idée que la France était découpée en camps, c’est évidemment le général de Gaulle.
Vous vous souvenez de sa phrase : elle n’est pas de droite, la France, elle n’est pas de gauche, elle est la France.
La France, unitaire. Et cette unité du pays c’est aussi la garantie de la capacité de gouverner. Parce que, si vous accédez au pouvoir avec une base partisane, alors il vous est impossible de vous adresser à l’ensemble du pays. C’est bien la situation dans laquelle nous nous trouvons depuis plusieurs alternances. Et donc nous privilégions les rassemblements. Et les rassemblements ont une autre vertu, ils montrent de l’image du politique, de la responsabilité politique, une autre idée. Ca montre ouvertement, aux yeux de tous les citoyens, qu’il y a des responsables politiques qui ne pensent pas en termes d’intérêt personnel ou partisan mais qui pensent en termes d’intérêt général.
Qui acceptent, pour construire l’avenir, une forme d’abnégation. Qui acceptent de dire, en tout cas, « nous n’allons pas devant vous défendre notre intérêt, nous allons devant vous défendre une certaine idée de l’avenir avec d’autres ». Voilà la démarche que nous avons choisie. J’ajoute que – même si je n’ai pas besoin de le faire, c’est présent dans l’esprit de tous – si cette chance-là n’était pas saisie, alors nous prendrions nos responsabilités parce que nous l’avons toujours fait et nous continuerons à le faire.
Voilà le sujet de cette université, de cet échange, de ces débats nombreux dans une ambiance de chaleur humaine exceptionnelle, de cette rentrée. Le sujet c’est que, alors que tant d’autres préparent des alternances, nous préparons une renaissance. Une renaissance pour le pays, pour sa volonté, pour son unité, au fond pour la foi qu’il peut avoir dans son avenir, en changeant profondément la manière de gouvernement qu’on lui a imposée depuis longtemps. Et on a beaucoup de chance, en tout cas pour ceux qui aiment la langue française, parce que « renaissance », ça rime avec France.
Je vous remercie."