"Si l'on cherche les Français, on les trouve"
Retrouvez l'intervention et l'analyse de François Bayrou dans l'émission le Grand Jury RTL sur le rassemblement historique qu'a connu la France ce weekend.
Président du MoDem, maire de Pau, merci d’être avec nous en cette journée si particulière. Question là encore toute simple que l’on a posé aux personnes qui vous ont précédées dans ce studio : qu’avez-vous ressenti à la vue de ces images ?
D’abord je crois qu’il faut dire que c’est une journée qui sera marquante dans l’histoire des décennies que nous vivons. C’est à cette échelle-là, à l’échelle du demi-siècle, qu’il faut voir l’importance de cette incroyable – ou en tout cas spectaculaire – et émouvante mobilisation. Partout en France. Aujourd’hui, on dit 3 millions et demi, quelque chose comme cela, je crois que c’est à peu près l’ordre de grandeur. Il y avait 40 000 personnes à Pau.
La moitié de la ville.
Je ne dirais pas la moitié de la ville, parce que, heureusement, beaucoup étaient venus de l’extérieur. Mais l’équivalent de la moitié de la ville, 40 000 personnes, c’est sans aucun précédent dans le siècle.
Quelle lecture politique faut-il en faire ?
D’abord, je crois que la première lecture n’est pas politique. C’est une idée toute simple : la France est un pays et un peuple et si on les cherche on les trouve. Je veux dire qu’il y a une espèce de ressaisissement, de besoin de montrer et d’exprimer que - ces horreurs-là – nous allons faire front contre elles.
Cela vous rassure ?
Vous savez que je plaide depuis très longtemps sur ce thème, parce que je suis persuadé qu’aucun des problèmes qui sont les nôtres – aujourd’hui les plus graves – ne peuvent se résoudre sans cette mobilisation du pays.
Mais précisément comment revenir à la politique puisque celle-ci va recommencer dès demain, est-ce que l’on s’appuyer sur ce qui s’est passé aujourd’hui ?
Je voudrais rajouter une chose, c’est la première fois de ma vie que je vois une mobilisation, une manifestation, qui est sans hostilité à l’égard de quoi ou de qui que ce soit. C’est rarissime, d’habitude c’est avec des sentiments de détestation, de combat, de « je suis contre ». C’était très frappant dans les rangs de la manifestation, puisque j’ai choisi de défiler dans les rangs de la foule et pas dans le carré des officiels. Je ressentais ce besoin-là. Mais c’était extrêmement frappant.
En aurait-il été autant si le Front national avait choisi de manifester à Paris, comme il ne l’a pas fait finalement ?
Je suis persuadé et j’espère qu’il y avait beaucoup de gens qui étaient, avaient été ou auraient pu être électeurs du Front national qui étaient là. Une des raisons pour lesquelles j’ai manifesté dans la foule c’est que j’avais indiqué que, pour moi, l’essence de cette manifestation ce n’était pas les appareils de parti politique. C’était femmes et hommes, citoyens, dans un esprit nouveau.
Je vais vous raconter une histoire très drôle : au moment de la dispersion j’étais à la Bastille et il y avait beaucoup de jeunes, des grappes de jeunes sur les marches du génie de la Bastille, puis il y avait des milliers de jeunes sur la place et à ce moment-là est arrivé un convoi de voitures de police, des camionnettes blanches de police. Et les jeunes ont applaudi les policiers d’un bout à l’autre de la place. Dans les yeux des policiers, il y avait quelque chose d’une incrédulité – vous comprenez comme si c’était difficile à comprendre.
Je réponds donc à votre question : Oui je crois qu’il faut que cette esprit perdure. Alors, vous rencontrerez beaucoup de sceptiques qui vous diront « Mais vous savez bien, cela ne durera pas plus de quelques jours, quelques heures et puis après on va revenir aux disputes habituelles ». Ils ont peut-être raison en statistiques, en pentes de la nature humaine. Mais, moi, je veux être de l’autre côté, du côté de ceux qui pensent que cela ne va pas s’arrêter.
Précisément, c’est ma question. Comment transformer ce moment historique d’unité républicaine pour l’avenir de la nation ? Comment faut-il faire de cet événement historique une sorte, peut-être, d’acte fondateur du mieux vivre ensemble et des valeurs républicaines qui nous unissent ?
Et pour compléter la question, c’est de la responsabilité du Président de la République, est-ce que vous lui demandez de faire de cette journée quelque chose de particulier, quelles suites vous lui demandez, quelles initiatives ?
Excusez-moi, c’est de la responsabilité de tout le monde. Je suis souvent en désaccord avec le Président de la République, que je connais bien, par ailleurs. Je suis persuadé que si, lui, avait le choix pour toutes les raisons d’intérêt national et d’intérêt politique, il choisirait que cette unité perdure. Mais c’est de notre responsabilité à nous tous. Et je vous dire que je crois au cent : il est de notre responsabilité à nous tous que le climat de notre vie publique change, que les mots que nous utilisons, la manière de parler – y compris des uns des autres -, les arguments utilisés – qui sont très souvent des arguments d’hostilités ad hominem – changent, et de tirer vers le haut le débat national, qui, hélas, trop souvent, sombre.
Alors précisément, il y a une question qu’il est très difficile de poser depuis quelques jours, mais puisque vous évoquez le sujet. Charlie Hebdo représente l’impertinence et parfois la violence des mots de par ses dessins et pourtant c’est ce que l’on accepte dans notre démocratie – et il faut l’accepter – mais comment vous vous situez par rapport à cette impertinence ?
Vous savez, je suis allé, avec François Hollande, au procès des caricatures de Charlie Hebdo pour témoigner et dire ce que nous croyions essentiel. Je l’ai fait en tant que citoyen et en tant que croyant, c’est à dire que je sais exactement ce que peut ressentir un croyant et même quelqu’un qui est attaché au sentiment religieux, et même pratiquant comme on dit en France. Je sais ce qu’il peut ressentir comme blessure lorsqu’il voit des coups, et souvent des coups bas portés à ce qui, pour lui est quelque chose de précieux. J’ai essayé d’expliquer aux associations musulmanes qui étaient là que c’était notre pays qui avait fait, dans son histoire et pour sa nature politique et démocratique, le choix d’écrire dans la Déclaration des droits de l’Homme de 1789 cette phrase dont on mesure pas toujours la portée : « Nul ne peut être inquiété pour ses opinions, même religieuses ».
Vous soulevez une question intéressante, parce que l’on apprenait tout à l’heure, pendant cette émission, que le Maroc n’était pas représenté à la marche d’aujourd’hui en raison de la présence de caricatures « blasphématoires ». C’est la position du Maroc mais n’est-ce pas aussi la position d’une partie de la France issue de l’immigration qui peut être blessée par ce qui s’est passé ?
Mais c’est le cas de beaucoup de musulmans, de beaucoup de chrétiens, je suis sûr que c’est le cas de beaucoup de juifs, et si les francs-maçons sont ciblés par Charlie Hebdo ou le jour où ils le seront, ils le ressentiront de la même manière. Je ne mets pas tout le monde sur le même plan mais bien sûr que l’on ressent cette offense. Simplement nous avons choisi d’être le pays dans lequel nous ne faisions pas d’interdiction d’aborder les sujets religieux, c’est notre manière, c’est Voltaire. Nous sommes le pays qui a fait naitre le philosophe combattant le plus emblématique de son temps. J’ai dit cela à la barre : Voltaire, à la fin de chacune de ses lettres, écrivait ces quelques abréviations « Ecr.l’inf », écrasons l’infâme, et c’est le temps où l’Eglise était au pouvoir et n’était pas seulement la religion unanime des Français depuis la malheureuse abrogation de l’Edit de Nantes par Louis XIV.
Question précise, vous avez été Ministre de l’Education, concernant les terroristes en question, on parle beaucoup de dispositif sécuritaire en termes de renseignements, de police, de justice, mais ce sont à l’origine des enfants éduqués en France. Est-ce qu’il ne faut pas revoir le système éducatif français pour faire en sorte justement que le système éducatif ne produise pas de pareils échecs ?
Vous savez, j’ai été le ministre qui a proposé que l’on ait une réflexion sur la transmission de la culture religieuse à l’école, c’est à dire que l’on éclaire les uns sur leur culture et sur la culture de leurs camarades de classe.
Ce que l’on appelle l’enseignement du fait religieux.
Oui. C’est très simple, il n’y a pas que pour l’Islam. Il n’y a pas un enfant de France – et un parent, peut-être pas - qui sache comprendre ce que c’est le portail des cathédrales, ce qui est gravé dessus et même ce qui est à l’intérieur comme représentation. Donc il n’y a pas que l’Islam. J’ai toujours pensé qu’il manquait quelque chose à la transmission si l’on n’éclairait pas sur ces choses-là. Ceci est très important.
Pardon de vous posez la question un peu brutalement, mais n’y a-t-il pas un peu de naïveté dans tout cela ? Quand on voit les difficultés que certains enseignants ont eu à faire respecter la minute de silence cette semaine par exemple.
Bien sûr que c’est difficile et bien sûr que les enseignants c’est difficile. Excusez-moi j’ai traité de la question du voile à l’école, je sais précisément de quoi il s’agit. Mais ce sont des hommes, dans l’horreur de ce qu’ils ont fait qui sont nés et qui ont grandi chez nous. Tout à l’heure, j’entendais posé à Martin Schultz qui me précédait, la question des frontières. Est-ce qu’il ne faut pas renforcer Schengen, et je bouillais de l’autre côté de l’écran parce que j’avais envie de dire que ce n’est pas de Schengen qu’il s’agit, ce n’est pas là passage, passeport, contrôles, douane, ils sont nés dans le XXe arrondissement, ils ont grandi là et vous avez entendu, ils n’ont pas d’accent. Tout ceci est une affaire intérieure, parmi les énormes difficultés que nous rencontrons. Il y a évidemment celle-ci que l’on appelle au sens large l’intégration.
Mais cela fait 40 ans que l’on en parle.
Je ne vais pas poser la question sur Schengen puisque celle-ci vous l’avez rhabillée pour l’hiver. En revanche, Jean-Pierre Raffarin, tout à l’heure, vous ne l’avez peut-être pas entendu, s’interrogeait sur la question de savoir s’il ne faudrait pas s’interroger, précisément, sur la question de la déchéance de nationalité après ces événements. Est-ce que c’est un sujet, François Bayrou, que vous pourriez aborder ?
On peut avoir toutes les discussions en matière de répression, mais lorsque vient le moment de la répression sur des événements comme cela – pardon de vous le dire, il est trop tard – un certain nombre de ces gens-là ont été en prison dans la période politique précédente et non pas dans la période politique actuelle, et ils en sont sortis. Pire encore, c’est en prison qu’ils ont été contaminés par la contagion de ces extrémismes-là. J’ai souvent eu des débats sur ce sujet. Il y a 2 questions sur ce sujet, concrètes, pratiques qui se posent : l’une a été abordée, l’autre pas.
Laquelle a été abordée ?
Dans l’interview précédente de Martin Schultz, il y a une question précise qui se pose, c’est le contrôle des voyages aériens à l’intérieur de l’Europe, nous avons été incapables depuis des années de traiter cette question, pas seulement à cause de l’Europe mais aussi à cause – ou en raison – d’un certain nombre de blocages français. Cela c’est un impératif. Il y en a un 2e sur lequel la réponse est très délicate : ces hommes-là avaient des voisins, des parents, des cousins, des oncles, des tantes, ils les ont vus dériver. Quels moyens a une mère de famille ou un père de famille ou un ami qui voit en quelques semaines passer de la banlieue détendu et du rap à l’intégrisme et bientôt au fanatisme ? Qu’est-ce que nous avons offert comme possibilités pour que l’on puisse apporter concrètement une assistance ?
Cela commence à se mettre en place Monsieur Bayrou.
Oui, cela commence, mais je vous assure qu’on n’y est pas. Une assistance précise, concrète, un appel à des gens pour aider ceux qui voient la dérive mais qui n’en peuvent rien. Qu’est-ce que nous faisons pour qu’il y ait ce que j’appelle une vigilance de voisinage. Parce que, pour moi, la lutte contre le terrorisme passe par là.
François Bayrou, merci beaucoup d’avoir été l’invité de ce Grand Jury exceptionnel.