« Emmanuel Macron, c'est le choix de l’optimisme, d’une foi en l’avenir du pays, qui passe par le respect de chacun et des libertés »
Retrouvez ci-dessous l'entretien accordé par François Bayrou au journal La République des Pyrénées.
Propos recueillis par PIERRE-OLIVIER JULIEN.
Mercredi soir se tient le débat de l’entre-deux-tours entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Sera-t-il décisif selon vous, plus que celui de 2017 ?
C’est un débat crucial, dont l’enjeu, pour moi, est qu’apparaissent clairement les conséquences des deux choix possibles. L’élection d’Emmanuel Macron, c’est vouloir que se poursuive le redressement du pays. Souvenez-vous, dans le débat il y a cinq ans, on ne parlait que du chômage. Et aujourd’hui, de manière révélatrice, plus personne n’en dit mot.
Les engagements pris, auxquels personne ne croyait à l’époque, ont été respectés. La France a créé plus d’emplois, à un rythme plus soutenu, ces cinq dernières années qu’elle ne l’avait fait depuis plusieurs décennies. De même, les engagements sur les minima sociaux, sur l’allocation adulte handicapé, sur la volonté de rendre aux Français la taxe d’habitation.
Le choix d’Emmanuel Macron, ce serait aussi la poursuite de l’idée d’un pays qui tient son rang dans le monde, qui est à la tête des nations libres face à l’inimaginable agression dont Poutine s’est rendu coupable contre l’Ukraine souveraine, avec tant de morts et tant de souffrances. Au fond, ce serait aussi le choix, d’une certaine manière, de l’optimisme, d’une foi en l’avenir du pays, qui passe par le respect de chacun et des libertés.
En face, Marine Le Pen a décidé d’aller sur une ligne politique inacceptable pour notre pays, elle le proclame elle-même, celle de Trump, celle de Poutine. Le choix de Le Pen, ce serait le choix d’un pays qui multiplierait des affrontements internes, ce serait le retour d’un certain nombre d’obsessions, on le voit avec ce qu’elle dit sur les femmes qui portent le foulard dans la rue par exemple. Ce serait aussi une économie qui se fermerait.
Mais surtout, cet alignement sur Poutine. Il y a 10 jours, elle disait encore qu’on devait sortir du commandement de l’OTAN et que Poutine devait être notre allié. Comment entendre au 2nd tour de la présidentielle des projets de cet ordre ? Jamais dans l’Histoire un second tour n’aura proposé deux visions si radicalement opposées.
Marine Le Pen peut-elle gagner selon vous, et croyez-vous au front républicain ?
À ce stade, les deux candidats peuvent gagner. Tout peut se produire, par définition. On a déjà vu des peuples faire des choix qu’avec le regard de l’historien on trouve insensés. Mais ça peut arriver. Quant au front républicain, je ne crois pas au front, mais je crois aux républicains. Je crois à ces consciences citoyennes, civiques qui affirment qu’on peut être d’un avis différent à un moment, mais qu’il ne faut pas jouer avec l’essentiel, avec le risque suprême.
Imaginez ce que serait l’image de la France dans le monde si un tel choix était fait. Cela aurait des conséquences très pratiques. Alors que nous entrons dans une période où l’inflation menace, les taux d’intérêt augmenteraient immédiatement, parce que le risque serait analysé comme plus grave. Les investissements cesseraient parce qu’on ne saurait plus où va la France. Donc les emplois ne seraient pas créés.
Il y aurait aussi des conséquences d’isolement national alors que la menace d’une attaque en Europe est brûlante. Et la France quitterait ce camp-là ? Quitterait le camp qui aide les Ukrainiens pour se ranger dans celui des complices de Poutine ? Non, il ne faut pas.
Si Marine Le Pen remporte cette élection, n’allez-vous pas regretter de lui avoir donné votre parrainage et de lui avoir fait profiter de cette banque de parrainages que vous avez initiée ?
Non. Je suis le défenseur de la démocratie. Imaginez ce que serait un pays dans lequel une candidate en situation d’être qualifiée pour le 2e tour serait interdite de se présenter. Je suis cohérent. Je défends la démocratie car c’est le seul moyen de réduire la violence dans la société. C’est la phase qu’on prête à Voltaire : « je déteste vos idées mais je me ferais tuer pour que vous puissiez les défendre ».
Emmanuel Macron a-t-il fait des erreurs dans sa campagne de 1er tour, a-t-il manqué des sujets, et sur quoi devrait-il insister pour ce 2nd tour ?
Je ne suis pas un commentateur politique, donc je ne commente pas, je me bats. Quant à ce qu’il devrait faire, en réalité il est en train de le faire : montrer, au contraire de toutes les accusations, qu’il ne se met pas du tout sous cloche, à l’abri, qu’il ne profite pas de la situation internationale. Il va directement au contact des Français, comme on l’a vu à Pau avec le face aux lecteurs que vos journaux ont organisé. Jamais il n’a esquivé, et même il s’expose beaucoup, aux critiques les plus acerbes, les plus virulentes qu’une campagne peut générer.
Il avance, sans oublier son rôle, sa vocation en tant que président, qui est de réconcilier son pays, en s’attachant, en premier lieu, à ceux qui se sentent rejetés, étrangers ou extérieurs aux institutions. Il est courageux : on peut au moins s’accorder sur ce point.
Si Emmanuel Macron est réélu, quelle réforme devra-t-il tout de suite mettre en œuvre selon vous ?
La mère de toutes les réformes, pour moi, c’est l’Éducation nationale. Notre pays, comme d’autres, a un problème de transmission, de sécurisation des fondamentaux. J’ai lu récemment que les professeurs de mathématiques étaient stupéfaits par le niveau des jeunes Ukrainiens qui arrivent. Ils disent qu’ils ont un an d’avance sur nos élèves. Ça ne m’étonne pas.
Une étude du ministère montre que le niveau des élèves aujourd’hui est un an inférieur à celui de la fin des années 90, quand j’ai quitté le ministère de l’Éducation. On a une œuvre de reconstruction à mener. Elle a été entreprise, avec le dédoublement des classes par exemple, mais il y a encore un immense chantier à conduire.
Au soir du 1er tour, le président a annoncé sa volonté de voir émerger « un grand mouvement politique d’unité et d’action pour notre pays ». La Maison commune ne suffirait-elle pas et est-ce que cela pourrait signifier la fin du MoDem dont vous êtes le président ?
L’idée de parti unique ne m’a jamais convaincu. Aujourd’hui, il y a deux impératifs. Le premier : l’unité. Les gens qui sont engagés, dans ce moment où les nuages noirs s’amoncellent à l’horizon, doivent travailler pour le bien commun au lieu de s’occuper de leur intérêt personnel. Personnellement, j’ai toujours œuvré en ce sens. Second impératif : il faut respecter le pluralisme. Faire croire que tout le monde pense la même chose serait voué à l’accident, à l’échec.
Il est légitime qu’il y ait une droite, et même plusieurs, il est légitime qu’il y ait un centre, et je le veux le plus uni possible, et il est légitime et souhaitable qu’il y ait des gens de gauche, républicains, qui se reconnaissent en tant que tels. Si la majorité est large, tant mieux, mais elle ne doit pas effacer les sensibilités du pays. C’est dans cet alliage entre unité et pluralisme que réside l’équilibre que nous devons trouver.
Et un François Bayrou qui serait dans le même parti ou la même coalition que Nicolas Sarkozy, c’est possible ?
Je ne sais pas ce que veut faire Nicolas Sarkozy (sourire). Pour l’instant, il ne l’a pas dit. Seulement qu’il trouverait bien que ses amis participent à l’œuvre commune. Je ne vis pas avec l’obsession des rancunes passées. Nicolas Sarkozy et moi avons eu des affrontements mais j’en ai eu avec d’autres. Et je n’ai aucune difficulté à parler, à réfléchir et à agir avec des gens qui ne sont pas de mon opinion. L’intérêt général impose qu’on dépasse tout cela.
Si Emmanuel Macron est réélu, quel rôle François Bayrou pourrait jouer dans le second quinquennat ? Toujours haut-commissaire au Plan ?
C’est une question que je ne me pose jamais. Je suis très heureux dans la situation qui est la mienne, maire d’une ville extraordinaire, dans une agglomération où on s’entend bien, et avec des responsabilités nationales qui m’intéressent. Je ne cherche rien d’autre que d’apporter mon expérience et mon enthousiasme au combat commun.
Cet entretien est également disponible sur le site internet de La République des Pyrénées.