Jean-Noël Barrot : « Les combats du pape François sur la scène internationale méritent d’être poursuivis »

Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des Affaires étrangères et vice-président du MoDem, a répondu aux questions de La Croix après la mort du souverain pontife lundi.
La Croix : Que retenez-vous de l’action du pape François sur la scène internationale ?
Jean-Noël Barrot : Je garde en mémoire son engagement pour la préservation de l’environnement, la « maison commune », comme il l’a désignée, son message de fraternité universelle et sa volonté d’ouvrir l’Église sur le monde.
Il a marqué par son plaidoyer vibrant en défense de la planète.
En publiant en 2015 son encyclique (Laudato si’, NDLR), quelques mois avant la signature de l’Accord de Paris, il a contribué à faciliter la conclusion du premier grand traité international contraignant visant à réduire l’impact des activités humaines sur la planète.
Quel diplomate a-t-il été ?
J.-N. B. : Il a été fidèle à la vocation de l’Église et de la diplomatie vaticane, en appelant à la résolution pacifique des conflits. Il a également œuvré comme médiateur, à Cuba, en Colombie.
Et plus récemment au service des enfants ukrainiens arrachés à leur famille, déportés, rééduqués en Russie et en Biélorussie par milliers. La médiation du Vatican a contribué au retour en Ukraine d’un certain nombre d’entre eux.
Son emphase sur les défis tout autour de la Méditerranée reste-t-elle une source d’inspiration ?
J.-N. B. : Son attention à la Méditerranée résonne tout particulièrement avec la politique internationale de la France. Le président de la République a toujours considéré qu’une part de l’avenir de l’humanité se jouait dans la région.
En confiant au cardinal Jean-Marc Aveline le soin d’animer le dialogue interreligieux en Méditerranée, en allant rencontrer Ahmed Al Tayeb, le grand imam de la mosquée Al-Azhar du Caire, et le chef spirituel du chiisme en Irak, Ali Al Sistani, le pape François a contribué à attirer l’attention sur les tensions qui déchirent cette région et appelé à la mobilisation collective pour leur trouver des solutions. L’une des responsabilités de la France est aussi le soutien et la défense des chrétiens d’Orient, parce qu’ils incarnent la possibilité même de sociétés plurielles, d’un pluralisme dont nous avons toujours été les promoteurs au Moyen-Orient.
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Dans sa dernière déclaration urbi et orbi, François a appelé non seulement à ce que cessent les conflits, mais aussi à un désarmement. Cela va-t-il à l’encontre de la position de la France et de l’Europe ?
J.-N. B. : Le « désarmement du cœur », auquel nous a invités le pape, n’est pas contradictoire avec un réarmement des esprits pour refuser la prééminence de la force sur le droit, et pour défendre la justice partout et tout le temps.
Le pape mentionnait également dans ce dernier message le besoin de chacun à assurer sa propre défense.
J’aimerais mettre en parallèle son appel à désarmer les cœurs avec celui du pasteur Trocmé, du Chambon-sur-Lignon en juin 1940, qui appelait ses paroissiens à opposer à la violence exercée sur leur conscience les « armes de l’Esprit ». Son appel reste toujours pour moi une source d’inspiration.
Le pape a qualifié d’« immorale » la détention d’armes nucléaires, dont la France est dotée…
J.-N. B. : Le traité sur la non-prolifération (TNP, 1968) correspond précisément, en matière de sécurité collective, au multilatéralisme auquel nous invitait le pape François. Ce traité actait la détention de l’arme nucléaire par cinq États, leur défendait de l’utiliser autrement qu’à des fins défensives, et leur confiait des responsabilités vis-à-vis des pays non dotés. Cet accord a permis au monde de traverser presque huit décennies sans déclenchement d’un conflit généralisé.
Un pape français serait-il une bonne nouvelle pour la France ?
J.-N. B. : Je ne vais pas vous dire le contraire ! Cependant, je ne vais pas m’immiscer dans une décision qui appartient au conclave.
À tout le moins, serait-ce dans l’intérêt de la France ?
J.-N. B. :
Si votre question est de savoir si les messages du pape François, les valeurs qu’il a professées et ses combats pour la planète, la fraternité, l’ouverture de l’Église sur le monde méritent d’être poursuivis, la réponse est oui.
Les Palestiniens perdent avec François un ami fidèle. Emmanuel Macron présidera en juin une conférence en vue de la reconnaissance d’un État palestinien. Est-ce utile si la France et les Européens n’accroissent pas davantage la pression sur Israël pour mettre un terme à la guerre ?
J.-N. B. : L’un des objectifs de ma présence au Proche-Orient cette semaine est d’échanger avec nos partenaires, en particulier l’Arabie saoudite, qui coprésidera cette conférence avec nous, pour créer les conditions de reconnaissances collectives et croisées. Collectives, c’est-à-dire amenant d’autres pays à suivre la France dans une décision qui pourrait être la sienne, de reconnaître l’État de Palestine. Croisées, pour entraîner des pays arabes ou musulmans à établir des relations normalisées avec Israël pour créer une architecture de sécurité permettant le retour de la stabilité dans la région.
Mais l’urgence, c’est le cessez-le-feu, la libération des otages du Hamas, l’entrée massive de l’aide humanitaire à Gaza, des soins, des travailleurs humanitaires qui sont privés d’accès depuis des semaines.
Il n’y a aucune solution militaire au conflit israélo-palestinien. La seule solution susceptible d’apporter la paix et la stabilité dans la région est celle de deux États vivant côte à côte, en paix et en sécurité.
Le vice-président américain J. D. Vance a affirmé mercredi 23 avril que « Ukrainiens et Russes devront céder une partie du territoire qu’ils possèdent actuellement ». La discussion semble glisser de la négociation d’un cessez-le-feu à un règlement politique du conflit. Est-ce le signe d’un emballement côté américain ?
J.-N. B. : Pour la première fois, Américains, Ukrainiens et Européens étaient la semaine dernière réunis à Paris autour d’une même table. À cette occasion, nous avons rappelé que le préalable à des discussions menant à une paix durable, qui prévienne toute nouvelle agression par la Russie, est un cessez-le-feu. C’est à la fois une urgence humanitaire et un gage de confiance qui permettra d’attester de la bonne volonté des Ukrainiens comme des Russes.
La responsabilité des Européens et des alliés de l’Ukraine sera, le moment venu, d’apporter toutes les garanties nécessaires pour que la paix, une fois conclue, soit durable, dans l’intérêt des Ukrainiens mais aussi des Français et des Européens.
Quant au devenir des territoires ukrainiens aujourd’hui, c’est aux Ukrainiens, et à eux seuls, qu’il appartient d’en décider.
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