François Bayrou au congrès de la CFTC
Retrouvez ci-dessous la prise de parole de François Bayrou, Président du Mouvement Démocrate, au congrès de la CFTC ce jeudi 16 novembre.
Seul le prononcé fait foi.
Tout ce que Cyril a dit est vrai. Il n'a pas donné les détails. Mais j'ai été quand j'avais 20 ans ou à peine plus de 20 ans, candidat sur la liste nationale de ce qu'on appelait à l'époque le SCENRAC, c'est à dire le syndicat de l'éducation nationale de la CFTC et des affaires culturelles, je crois me souvenir.
Bon, ce n'était pas un syndicat majoritaire. Si je me souviens bien à l'époque et si je regarde aujourd'hui, en effet, c'est probablement ceux qui se sentent de cet esprit ne sont pas majoritaires non plus. Mais j'ai toujours pensé que c'était à partir des minorités qu'on faisait les futures majorités. Alors, tous ceux parmi vous qui ne sont pas majoritaires comprendront.
Ce que je veux dire. C'est ça le combat. Donc c'est la première raison et pour moi, c'est une raison très, très importante. En amitié, en fraternité. Et puis, il y a d'autres raisons pour lesquelles je suis très heureux d'être là et dont je voudrais vous dire un mot. La première de ces raisons est que dans le monde dans lequel nous sommes dans le monde, à certains égards, nous subissons.
Dans ce monde là, le courant que vous représentez, qui est plus large que votre seule organisation, qui est plus large que les mouvements dont je suis responsable et pour lesquels je suis engagé. Mais c'est le même courant. C'est un courant qui a deux caractéristiques. La première, c'est qu'il est réformiste et la deuxième, qui est encore plus importante, c'est qu'il est humaniste.
Or, le monde dans lequel nous sommes, à mon sens, impose que nous prenions toute la dimension de cet idéal ou de cette pratique réformiste et de cet idéal humaniste. Parce que ce que nous vivons et ce que nous allons vivre, et je crois que ce que nous allons vivre est encore plus exigeant que ce que nous vivons aujourd'hui.
Je pense que les mouvements et les dérives du monde imposent que soient représentés, affirmés et promus cette méthode réformiste qui nous est chère. Je ne crois pas que jamais dans le monde, dans le monde tel que nous l'avons vécu depuis deux siècles, je ne crois pas que jamais les approches extrémistes qui se disent révolutionnaires, je ne crois pas que jamais ces méthodes et ces pratiques aient apporté à une société, quelque chose de bon.
L'idée selon laquelle il faut tout mettre par terre parce que derrière, on aura des idéaux de transparence, de reconnaissance de la place de chacun. Je ne vois pas ou sous quelle latitude et en quel temps ça a apporté quelque chose de bon. Ce qui apporte quelque chose de bon, c'est ceux qui prennent le monde comme il est et décide de le reconstruire quand il est délabré, de le consolider quand il est fragilisé et de le transformer quand c'est nécessaire.
Alors c'est une méthode moins flamboyante que bien d'autres, mais c'est la seule qui puisse tenir compte de la réalité d'une société, d'une communauté humaine qui puisse prendre en compte sa culture. C'est ses habitudes de vie et qui puisse, chaque fois que nécessaire, produire du bien, du bon et du nécessaire. Voilà pourquoi je crois qu'il faut que le grand courant réformiste français s'affirme comme tel. Je dis ça comme un citoyen militant de ce courant depuis mon mon plus jeune âge et mon plus jeune âge dans vos rangs.
Deuxièmement, c'est un courant humaniste. Permettez moi de m'arrêter une seconde à cela. Il y a dans l'univers dans lequel nous sommes plongés une dérive constante vers la déshumanisation, une dérive constante vers la prise de contrôle des sociétés humaines par des forces qui nous dépassent, qui ne rend de comptes à personne dont nous ne savons pas de qui elles sont constituées et qui s'imposent à nous par leur puissance financière ou la puissance des outils dont ils se servent.
Et nous, au contraire, nous pensons que la seule chose qui mérite d'être vécue, c'est le long chemin, si je puis me permettre cette expression vers l'humanisation des hommes, des hommes au féminin comme des hommes au masculin, qu'ils soient de plus en plus et de mieux en mieux, hommes et femmes, qu'ils acceptent et qu'ils prennent en compte toutes les dimensions de leur responsabilité comme membres de la grande famille humaine.
Je viens de prononcer un mot qui nous caractérise et qui vous caractérise, qui devrait caractériser tous les citoyens, mais dont, dans l'univers syndical, vous êtes parmi ceux qui le défendent le mieux. C'est le mot de responsabilité. Et moi, j'ai envie de dire de co-responsabilité. Je ne crois pas que c'est une. C'est un grand choix politique que je vais énoncer là.
Je ne crois pas que la société démocratique en particulier, soit coupée en deux entre ceux qui sont à la base et ceux qui sont au sommet. Ceux qui décident pour les autres. Je crois que l'immense entreprise de la démocratie, de l'idée que le peuple des citoyens prend sa part des décisions. Cette idée là est une idée fondatrice et qui n'a jamais été au bout de ces promesses.
Je ne pense pas que la démocratie existe encore, pas plus la démocratie politique que la démocratie sociale. Je pense qu'elle doit exister. Je pense que nous avons à la construire. Et vous savez bien, parce que c'est votre engagement et votre vocation, nous avons à la construire dans la cité humaine, dans l'entreprise et dans les communautés humaines qui l'incarnent, dans lesquelles elle se forme.
Et cette ces trois idées là réformistes, humanistes et partisans de la responsabilité. Et quand on peut de la coresponsabilité pour l'avenir de la société française. Et je peux élargir de la société européenne, de la société occidentale des sociétés qui ont un idéal de liberté dans le monde. Cette idée là, dont vous êtes un des visages depuis le plus longtemps.
Vous fêtez vos 100 ans et pardonnez moi de le dire comme citoyen, comme militant : notre famille politique, elle a été fondée il y a 100 ans, en 1924. Vous, ces 23, c'est ça, hein ? 19 ? Alors je vous dois le respect comme aîné. Mais enfin, on est assez fier de porter cet idéal. Ça, c'est le premier plan, comme citoyen, comme personne et comme animé d'amitié et de gratitude pour ceux parmi lesquels j'ai milité quand j'étais très jeune.
Il y a un deuxième point, c'est que j'ai la responsabilité du plan et ça tombe très bien avec les documents que j'ai lus, avec le discours de Cyril à l'ouverture du congrès. L'idée que notre devoir est de prendre en compte l'horizon du moyen terme et du long terme. Il se trouve que les sociétés d'aujourd'hui, à cause de la toute puissance des réseaux sociaux et des chaînes d'information 24 h sur 24, le goût du scandale qu'a notre société, le goût de l'événement dont on parle toutes les minutes et toutes les heures pendant 24 h et dont on ne parlera plus après.
Regardez l'absence désormais de la guerre d'Ukraine dans l'actualité avec la tragédie qui se joue mais dont on ne parle plus et tous les drames que nous vivons au Moyen Orient où, hélas, ils sont de plus en plus rapidement effacés. Ils sont pourtant constitutifs de notre avenir comme humanité, comme communauté humaine et comme communauté, comme on dit géopolitique.
Et donc, l'idée que nous devons prendre en compte, réfléchir ensemble et construire ensemble des horizons politiques et économiques et sociaux, non pas à quinze jours, mais à dix ans, à quinze ans, à 20 ans, à 30 ans. Cette idée là, qui est l'idée même de la constitution du plan après la guerre. Cette idéal, elle est plus d'actualité aujourd'hui que jamais.
Pourquoi ? Parce que pendant des années, notre vie de gouvernement s'est laissée aller à croire que le marché pouvait répondre à tout, qu'il suffisait de laisser faire les grands décideurs économiques et financiers que les choix qui seraient imposés seraient par nature les bons choix. Je vais le dire autrement : cette vision là, on va dire néolibérale pour simplifier, cette vision là, elle pensait que la somme des intérêts particuliers constituait l'intérêt général.
Et nous, nous savons que ce n'est pas vrai. Et je le dis dans une famille syndicale, dans une famille démocratique, puisque la démocratie, c'est démocratie sociale et démocratie politique en même temps. Cette idée là est une idée qui s'est révélée fausse et que vous avez depuis toujours sentie comme nécessairement dépassée. C'est vous qui avez parlé du bien commun et le bien commun, c'est précisément l'idée qu'on peut ensemble, conscience avec conscience, par la confrontation des idées, des convictions, des valeurs, comme on dit, on peut précisément définir le but qu'on veut atteindre et non pas laisser faire les très grands acteurs économiques et financiers qui vont définir ce but à votre place et que vous constaterez simplement les évolutions au lieu de les vouloir et de les produire.
Alors c'est très, très important, parce que ça a... Je n'ai vu que le projet de votre de votre texte d'orientation, bien sûr, puisque vous allez le voter ce soir, C'est ça ? Oui. Et donc. Mais je vois très bien que l'idée que nous avons à reconstruire dans l'intérêt de notre peuple et peut être dans un intérêt plus large encore, une capacité d'autonomie économique, une capacité de définir et fixer les les critères de la construction de notre avenir industriel par exemple. Et évidemment, tous les sujets que vous abordez, c'est à dire la question de du durable, de la durabilité que vous allez traiter cet après-midi, si j'ai bien vu tout à l'heure, l'annonce sur votre écran. Ces sujets là sont directement en relation avec ça.
Il y a d'autres sujets que nous abordons ensemble dans les discussions que nous avons et je veux simplement en aborder deux. Il y a le sujet du travail. Le plan vient d'éditer une étude sur le travail qui va dans le sens des réflexions que vous conduisez puisque travailler autrement, c'est un des sujets de votre de votre congrès confédéral.
Nous avons abordé la question au plan avec la petite équipe qui nous permet de livrer ces analyses et de définir ces objectifs. Nous avons pris la question du travail dans un angle différent de ceux qui lui est réservé ou dévolu dans la plupart des discussions politiques et aussi dans la plupart des discussions de la vie de tous les jours.
Aujourd'hui, la question du travail est abordée très souvent sur le mode de la déploration. Les gens veulent plus travailler, les jeunes veulent plus travailler et il y a différentes façons d'aborder ces constats négatifs. Nous avons essayé de comprendre quelle était la question fondamentale derrière ces choix sur le travail. Et la question fondamentale, comme vous le dites, et comme c'est la vérité profonde, c'est la question du sens du travail. La question de ce que le travail apporte à celui ou à celle qui en assume la charge.
J'ai été pour tout dire et ça n'est dirigé contre personne... Il y a une publicité qui est sur tous les réseaux sociaux aujourd'hui et depuis, peut être deux semaines, c'est une publicité d'Amazon qui, dit on, vous donne un mois de plus de congé parental pour que Jean-Paul, Mohamed puisse s'occuper de l'essentiel. Cette affirmation de publicité, elle signifie que pour les concepteurs, le travail n'est pas dans l'essentiel.
Et moi, je crois que cette vision là est une vision fausse. Dieu, c'est ce n'est pas ici qu'on va dire devant moi qu'on va dire que la famille n'est pas importante, cruciale, vitale. Mais il n'est pas vrai qu'on puisse découper ainsi l'activité professionnelle, pas l'essentiel, et la vie familiale l'essentiel. Je crois que tout ça constitue l'essentiel ensemble, parce que tout ça, c'est le métier d'hommes, le métier de femmes et d'hommes, la vocation de notre vie.
Et si l'on se laisse entraîner à considérer le travail comme superfétatoire, comme secondaire, comme... à ce moment là, on perd l'exigence qui consiste à dire il faut que nous trouvions dans le travail autant de valorisation, autant de réalisations personnelles pour ceux qui l'assument. Et donc on perd la nécessité de revaloriser le travail. Comprenez si c'est si le travail, c'est simplement ce qu'on fait, en plus, on vient gagner des sous et on s'en va. Alors on se trouve précisément devant la crise de sens que nous découvrons à l'instant. C'est pourquoi je suis très reconnaissant à une organisation comme la vôtre de poser cette question du sens.
Puis, il y a une deuxième type de question et je suis sûr que nous allons nous retrouver sur ce sujet. C'est que tous ensemble, nous devons ouvrir les yeux sur les crises de société que nous traversons. Je voudrais en évoquer une qu'on évoque souvent avec Cyril Quand on parle, c'est la démographie. La crise de natalité d'un pays comme le nôtre qui a perdu 100 000 enfants alors que nous sommes plus nombreux, qui a perdu 100 000 ou 120 000 enfants en quelques années par an...
C'est une traduction d'une crise plus profonde qui est que les jeunes femmes et les jeunes hommes en âge de faire naître des enfants ne voient plus le sens de la transmission, de génération en génération. Ils ne voient plus à quel point il est vital pour une société comme la nôtre. Je vais aller plus loin pour une civilisation comme la nôtre, ils ne voient plus le sens de transmettre, de faire naître de nouveaux citoyens, de nouveaux actifs, de nouveaux penseurs, de nouveaux enseignants.
Et ils ont le sentiment que le monde est fini. Nous, nous sommes ceux qui croyons que le monde n'est pas fini. Et voilà pourquoi votre existence, votre développement ou en tout cas votre affirmation, elle touche à quelque chose de très profond. Et voilà pourquoi nous sommes de ceux qui voulons préserver cet idéal démocratique que nous formons ensemble démocratie sociale, démocratie politique, démocratie qui veut prévoir l'avenir. Et voilà pourquoi il y a entre vos mains une responsabilité éminente que je suis heureux d'avoir pu rappeler devant vous pour vous en remercier. Merci beaucoup.