François Bayrou : « Dans nombre de secteurs, la France a une économie de pays sous-développé »
Retrouvez ci-dessous l'entretien accordé par François Bayrou au journal Les Echos.
Propos recueillis par Nathalie Silbert
Dans votre nouvelle note, vous vous alarmez de l'évolution du déficit de la balance commerciale…
Le commerce extérieur de la France n'a cessé de s'effondrer depuis vingt ans. Chaque année, nous constatons des déficits abyssaux, de l'ordre de 76 milliards, quand l'Allemagne affiche ces dernières années un excédent de quelque 200 milliards d'euros.
La situation est d'autant plus inacceptable qu'elle est paradoxale. On comprend bien que des pays technologiquement dépassés ou sans capacités d'investissement se trouvent dans cette situation. Mais un grand pays comme la France, qui sait fabriquer des fusées, des satellites, des avions, des hélicoptères, des navires, des sous-marins, des systèmes d'armes, des voitures remarquables, qui est ou était en pointe en chimie ou en pharmacie, ne devrait pas accepter d'être ainsi marginalisé dans tant de secteurs de consommation courante.
Depuis trente ans, les plans se sont succédé. En vain. Que proposez-vous concrètement pour redresser la barre ?
Des plans, sans doute, mais qui n'ont pas marché, la preuve ! C'est qu'on n'a pas su faire partager cet objectif de reconquête à toutes les forces disponibles. Les acteurs publics, l'Etat, les collectivités locales et les acteurs privés, grandes et moyennes entreprises, doivent être réunis autour de la table pour définir une stratégie commune volontariste et suivie dans le temps. Il faut organiser une offensive et pour cela partir de l'analyse, poste par poste, du déficit commercial français.
Dans la note que publie le Commissariat au Plan, nous avons recensé plus de 900 postes dont le déficit commercial dépasse 50 millions d'euros. Sur certains, nous ne pourrons rien : nous n'avons plus d'hydrocarbures par exemple dans notre sous-sol, le temps de Lacq s'est achevé.
Mais sur tous les champs accessibles, nous devons mener la bataille. Dans les secteurs où nous avons les capacités technologiques et des acteurs disponibles, on doit les mobiliser et fixer, par appel d'offres, des objectifs et des échéances. Et dans ceux où la France n'a plus de base industrielle, on peut imaginer que la reconquête passe par des prises de participation et des joint-ventures avec des entreprises étrangères à fin de relocalisation.
Vous parlez aussi d'agriculture. Quels sont les secteurs sur lesquels la France doit se mobiliser prioritairement ?
La France, qui a la terre la plus fertile en Europe et une expertise agronomique considérable, a reculé dans le domaine agricole. Le commerce extérieur dans ce secteur n'est positif qu'en raison, heureusement, des vins et spiritueux. Dans nombre de ces secteurs, nous avons une économie de pays sous-développé. Nous exportons les matières premières et on nous revend les produits transformés. C'est le cas pour le bois, pour la pomme de terre. Ce sont des domaines où on peut associer le tissu productif et l'Etat, qui doit être un fédérateur et un stratège.
Le déficit commercial de la France avec les pays de la zone euro ne cesse de s'accroître. Comment l'expliquez-vous ?
Pendant longtemps, il y a eu l'idée que la France n'avait pas les mêmes chances que les autres : coût du travail plus élevé, moindre capacité d'investissement, impôt sur la fortune. Aujourd'hui, elle est à égalité avec les autres pays. C'est un grand acquis de ces dernières années ! Mais il faut mieux organiser les forces de combat.
Dans son livre « Un éternel soleil », Bruno Le Maire écrit qu'il se verrait bien récupérer la tutelle du commerce extérieur actuellement exercée par le Quai d'Orsay. Est-ce une bonne idée selon vous ?
Oui. Je suis persuadé que notre organisation peut être repensée de manière beaucoup plus efficace et beaucoup mieux coordonnée.
La France peut-elle encore se réindustrialiser ?
Oui, et c'est à la fois le bon moment et le dernier moment. Nous vivons un temps de basculement technologique. Avec la robotisation, on peut accéder à des modes de production qui nous mettent à égalité avec les pays lointains à plus bas coûts. La transition verte peut être une immense chance pour la France, grâce à sa production d'électricité décarbonée. Il en est de même pour la transition numérique.
Les plans France Relance et France 2030 sont-ils de nature à améliorer les positions françaises ?
France 2030 et France Relance vont dans le bon sens. Mais il faut aller plus loin à la fois du point de vue de l'engagement et de la méthode. L'argent public ne suffira pas. Il faut trouver des stratégies pour orienter l'argent privé vers l'investissement de production.