François Bayrou, invité de Jean-Jacques Bourdin sur BFM TV et RMC

François Bayrou, Président du Mouvement Démocrate, était l'invité de Jean-Jacques Bourdin sur BFM TV et RMC ce mercredi 1er décembre à 8h30, dans l'émission “Bourdin Direct”.

François Bayrou, bonjour.

Bonjour.

Merci d’être avec nous.

Nous allons parler de politique évidemment, mais je voudrais commencer avec le Covid, 47 000 nouveaux cas en 24 heures en France.

Plusieurs questions sont posées.

J’ai vu que l’Allemagne réfléchissait à rendre la vaccination obligatoire pour l’ensemble de la population. Doit‑on ouvrir cette réflexion en France ?

Oui, comme vous le savez, c’est ma position depuis début 2021, depuis qu’on a su que le vaccin a été efficace, et quasiment sans effet secondaire.

Je pense que, comme pour toutes les grandes épidémies, comme pour la polio, comme pour la rougeole qui faisaient beaucoup de morts, il y a un moment où les autorités médicales disent qu’il faut à tout prix contrarier la circulation du virus, pas seulement parce que cela fait de nouveaux malades mais parce que plus le virus est transmis, plus il y a des chances qu’il mute, et il peut muter en devenant quelque chose de terrible.

J’ai déjà dit, je crois, chez vous, mais je vais le répéter : ma hantise, comme homme, c’est qu’une mutation du virus lui permette de s’attaquer aux bébés et aux petits enfants.

Si cela se produisait, et ce qu’à Dieu ne plaise, conjuguons toutes nos forces pour empêcher cela. Si cela se produisait, notre société n’y résisterait pas parce que vous ne pouvez pas accepter que des petits enfants soient touchés par une maladie qu’on aurait pu éviter ou que l’on pourrait éviter.

Est‑ce qu’il est temps de rendre la vaccination obligatoire ? 

Ma conviction, c’est que ce débat doit être ouvert. Il faut le faire dans le calme, mais nous avons déjà 11 vaccinations obligatoires en France pour chacun des enfants qui naissent.

Quel problème y aurait‑il ?

Ma conviction, c’est celle‑là : dans un moment où toutes nos sociétés sur la planète sont attaquées par un agent pathogène, comme on dit, par un virus qu’on sait combattre, dont on sait freiner la transmission et surtout dont on sait freiner la gravité, il y a dans les chiffres que vous avez dits un aspect effrayant, 47 000, on en revient au sommet des courbes.

Mais il y a un aspect un peu rassurant. Pour l’instant, il n’y a pas la multiplication des cas gravissimes à l’hôpital, c’est d’une manière freinée grâce au vaccin qui empêche que la maladie ne dérape dans quelque chose de très grave.

Donc vaccination, oui, il est temps d’ouvrir plus que la réflexion, il est temps de prendre des décisions, François Bayrou.

Il faut le faire.

L’Allemagne, encore une fois, va prendre cette décision.

Comme vous le savez, cela a été fait dans plusieurs pays, dont des pays européens, donc oui, je pense que c’est une décision qui doit être à l’esprit des autorités qui ont la responsabilité.

Deux autres questions sur le Covid. Est‑ce qu’il faut rendre les tests PCR gratuits pour détecter, isoler et tracer ?

Je n’arrive pas à comprendre que l’on croie qu’un test est une manière efficace de lutter parce qu’entre le moment où l’on fait le test et le moment où l’on devient contagieux, il y a toute une période. Vous avez reçu beaucoup d’épidémiologistes ici.

Demain, le Président du Conseil scientifique, Jean‑François Delfraissy sera à votre place.

Ils vous ont tous dit cela ou à peu près, c’est cette période de délai, on dit « période de latence » entre le test, la maladie qui se déclare et le fait que l’on devienne contagieux qui est extrêmement dangereuse.

Je crois davantage à la vaccination qu'au test.

 Dernière question, est‑ce qu’il faut libérer les brevets ? Je regardais un chiffre : 75 % des vaccinés habitent dans dix pays.

Il peut y avoir des démarches internationales, mais cette question qui paraît se résoudre de manière simpliste mérite qu’une seconde on rappelle quelque chose. Si nous avons des vaccins, c’est parce qu’il y a eu de la recherche privée. C’est parce que des laboratoires ont investi des milliards, et est‑ce qu’ils investiraient des milliards s’ils étaient appelés à être privés du fruit de leur travail ? 

Le retour sur investissement est plus que bon, François Bayrou.

Oui, mais vous voyez bien qu’il y a d’autres recherches. En tout cas, je demande que l’on soit prudent avant d’enlever à la recherche des laboratoires privés, des chercheurs privés ― vous savez bien combien de chercheurs vont s’embaucher dans les laboratoires et combien de chercheurs ne trouvent pas dans leur démarche. Parce que recherche et découverte, ce n’est pas automatique.

En Inde, au Brésil ou en Afrique, ce serait quand même une bonne solution.

C’est pour cela que je vous dis « démarche internationale ».

François Bayrou, parlons de politique.

Parce que vous aimez cela.

J’aime cela, vous aussi, et nous sommes dans une période politique pré‑présidentielle.

Finalement, à la fin de la semaine, nous connaîtrons le candidat des Républicains. Il ne manquera plus qu’un seul candidat, c’est le vôtre et ce sera Emmanuel Macron, j’imagine.

François Bayrou, vous n’avez plus de doute ? 

Si j'en ai jamais eu.

Un candidat s’est déclaré hier, Éric Zemmour. Que pensez‑vous de sa déclaration de candidature ?

Il y a la déclaration de candidature au journal de 20 heures, et la journée d’hier montre que c’est plus facile de critiquer les politiques que de s’avancer sur le ring et de devenir soi‑même un acteur du jeu.

Cela montre quoi ?

Vous l’avez vu, et puis je n’aime pas taper sur les gens qui sont déjà à terre.

Il est déjà à terre pour vous ?

Il y a un moment très difficile pour lui, oui. Mais il a choisi des thèmes excessifs et la fébrilité qu’il a montrée hier montre qu’il sent lui‑même que ces thèmes ne correspondent pas à l’opinion, il va avoir du mal pour les signatures.

« Il faut sauver la France », dit‑il, « je suis là pour cela ». Est‑ce qu’il peut la sauver ?

Non. Je suis très frappé par une ou deux choses. J’ai regardé, non, parce que c’était un pensum très difficile à supporter pendant quatre fois trois heures de temps, les « débats » des Républicains.

Il y a deux réflexions. La première, c’est qu’aucune personnalité ne se détache des autres et c’est mauvais signe pour une élection présidentielle, quand aucune personnalité ne se détache des autres. C’est le premier point.

Il y a un deuxième point, j’ai été frappé qu’un sujet soit à peu près totalement absent de tout. Il y avait des heures et des dizaines d’heures sur l’immigration, sur...

La sécurité, l’immigration. Je reviendrai sur l’immigration.

Mais il y a une chose qui était absente. Ils annoncent tous qu’ils vont donner de l’argent à tout le monde, les uns en supprimant des postes de fonctionnaires, les autres en multipliant les intentions de l’État.

Il y a une chose qui était complètement absente : comment fait‑on pour reconquérir les parts de marché, la production industrielle et agricole, tout ce qui a été perdu par notre pays sous leur règne, j’allais dire, sous leur prééminence, alors qu’ils étaient au pouvoir pendant des décennies ? 

Et cette question que j’appelle celle de la reconquête industrielle, agricole et de service, cette question‑là, la dynamique du pays pour saisir à bras le corps les défis de notre temps, était à peu près totalement absente.

Et c’est la même chose chez Zemmour, évidemment...

Donc cet aveuglement sur les difficultés que nous rencontrons, parce que le contrat social français, n’est‑ce pas, nous sommes un pays dans lequel l’éducation est totalement gratuite. Regardez autour de nous les autres pays, la santé est totalement gratuite, l’assurance chômage est présente, la retraite, avec toutes les difficultés, est là pour tout le monde.

Ce contrat social là, cette immense chaîne de solidarité, il faut la financer. Et pour la financer, il faut des citoyens nombreux, du travail et de la production.

Je vais revenir sur la dette, je vais revenir sur le commerce extérieur de la France qui inquiète, François Bayrou.

À juste titre.

À juste titre, mais deux choses encore. Marine Le Pen profite des errements d’Éric Zemmour et elle le distance aujourd’hui largement dans toutes les enquêtes d’opinion. Est‑ce qu’elle est la seule selon vous à pouvoir battre Emmanuel Macron ?

Non. L’hypothèse selon laquelle on se trouverait devant un risque extrémiste en France, je la récuse.

Vous n’y croyez pas ?

Ce n’est pas que je n’y crois pas, je veux me battre contre. Et vous voyez, quand on dit à un micro dans une émission aussi importante que la vôtre, que tant de gens écoutent, quand on dit : « oui, il y a un risque », vous accréditez la démarche. Et donc moi, je suis dans une situation de combat.

Ces thèses‑là, Jean‑Jacques Bourdin, jamais dans le monde et dans aucun pays elles n’ont fait du bien. Jamais.

Vous pouvez chercher dans toute l’histoire récente et plus ancienne. Chaque fois que vous organisez un pays autour de l’affrontement de communautés entre elles, autour de toutes les questions qui passent leur temps à crisper, à exciter, à allumer le feu entre les gens, chaque fois, vous affaiblissez le pays. Et ceci n’est pas une conviction d’aujourd’hui, je me suis toujours battu sur cette ligne.

Hier, vous avez été frappé, je suis sûr comme moi, par l’hommage à Joséphine Baker.

Oui, c’était magnifique.

D’abord, c’était absolument superbe.

Vous y étiez.

Le discours du président de la République était superbe. C’était beau parce que c’était profond. Et je me disais : une femme noire, étrangère.

Étrangère jusqu’en 1937.

Oui, parce qu’elle a épousé un Français, après, c’est le rapprochement familial, si j’ose dire.

Donc Française par mariage, aux mœurs scandaleuses pour son temps, qui s’engage au service de la France au point de risquer sa vie et dans laquelle la communauté nationale peut se reconnaître.

Il y avait deux choses hier pour moi, je suis sûr que vous avez senti la même chose. La première, il y avait une gaieté, comme si 50 ans après sa mort, la gaieté de Joséphine Baker, la joie de vivre, l’envie de vivre de cette femme qui a poussé l’instinct maternel jusqu’à adopter jusqu’à 12 enfants abandonnés avec toutes les difficultés que l’on sait qu’elle a rencontrées, cela a résonné. Il y avait encore des ondes de joie de vivre.

Et la deuxième chose, je me disais, c’est assez éclairant parce que je préfère de loin une France qui a Joséphine Baker dans ses rangs, qu’une France qui exclut Joséphine Baker parce que la couleur de sa peau, son origine ou sa manière d’être auraient scandalisé.

Et je trouve que ce que le président de la République a réussi à dire très bien ― ce n’est pas seulement moi qui le dis, ce n’est pas par esprit partisan, ceux qui étaient autour de moi et qui ne sont pas de mon bord politique disent la même chose ― , c’est que c’est la France. Là, il y avait une part essentielle de la France.

François Bayrou, la maison commune puisqu’on parle de France, avec une direction très masculine, Jean Castex Richard Ferrand, Édouard Philippe et vous‑même.

Non, il y aura dans la direction autant de femmes que d’hommes. C’est un engagement et j’en donne la garantie.

J’ai donné le nom des quatre grands patrons.

Il y en a deux qui sont ou étaient Premier ministre et deux qui sont des chefs de parti.

Pas de chef de parti femme, pas de Premier ministre femme, Marine Le Pen ne l’est plus.

Vous en aurez. Écoutez-moi, parce que je pourrais aussi dire qu’à votre micro c’est un homme, qu’il y en a marre d’une certaine manière de ce monopole masculin que vous incarnez, Jean‑Jacques Bourdin.

Non, nous ne pouvons plus jouer ni ruser avec cette nécessité que l’équilibre entre femme et homme soit garanti et je m’en porte garant autant que je puisse.

J’ai montré toute ma vie que les femmes étaient dans la direction de notre mouvement au premier rang.

François Bayrou, c’est une copropriété, ce mouvement ?

C’est une coopérative.

Copropriété parce que chacun reste chez soi quand même, non ? 

Non. Chacun apporte à l’ensemble tout ce qu’il a et tout ce qu’il est. Vous venez avec votre histoire, votre patrimoine si vous en avez, avec votre crédit auprès des Français et tout cela s’associe dans une dynamique.

J’insiste un tout petit peu sur ce point. Ce n’est pas quelque chose d’arrêté, c’est quelque chose qui bouge puisque ce que nous avons accepté tous, c’est qu’on ne ferait rien les uns contre les autres, pas de guerre.

D’ici la présidentielle au moins, pendant 4 mois.

Non… 

Jusqu’aux législatives.

J’ai travaillé à l’union de ce courant politique, vous me l’accordez, toute ma vie. Je suis venu dix fois à votre micro pour dire qu’il fallait que ce grand espace central s’unifie.

Vous vouliez qu’il y ait une commission d’investiture commune. Pour l’instant, il n’y a rien de tout cela.

Non, vous vous trompez.

Il y aura, mais il n’y a rien.

Attendez, nous l’avons constitué hier, lundi. Nous avons pris l’engagement que nous soutiendrions les mêmes candidats à l’élection législative. Si nous soutenons les mêmes candidats à l’élection législative, il faudra bien les désigner. Chacun proposera les siens et on choisira les meilleurs.

Nous avons accepté quelque chose d’extrêmement important qui est le principe même d’organisation de l’Union européenne. Nous avons accepté que ceux qui veulent avancer ensemble, aller plus loin ensemble puissent le faire sans avoir des freins de la part des autres. C’est ce qu’on appelle en Europe les coopérations renforcées. Toutes les politiques ne sont pas suivies par tous les pays européens, mais ceux qui veulent aller de l’avant sur plusieurs sujets, l’euro par exemple, peuvent aller de l’avant et les autres, d’une certaine manière, seront entraînés par ce mouvement.

Vous pouvez dire que je suis optimiste, idéaliste, il y a pire reproche que cela. Je pense que quand on veut faire bouger les choses, il faut être optimiste et idéaliste.

François Bayrou, vous n’aimez pas la dette.

Je n’aime pas la dette mauvaise.

Alors, comment est‑ce qu’on rembourse 3 000 milliards d’euros de dette ? 

En développant le pays, en faisant de la croissance. Les Allemands ont montré qu’on pouvait augmenter la dépense publique et faire baisser la part de la dette dans les comptes de la Nation. Pourquoi ? Si vous avez une dette qui augmente de 5 % et que la croissance du pays en deux ou trois ans arrive à 10 %, la part de la dette baisse, vous comprenez ?

Oui, évidemment.

C’est pourquoi je vous dis que la reconquête de la production, de l’industrie, de l’agriculture, des services nouveaux, tout cela, c’est la condition du développement, du rééquilibrage des comptes, et aussi du contrat social.

Et le déficit de la balance commerciale de la France qui se creuse de moins en moins.

Je ne comprends pas que chaque interview ― vous ne le faites pas, c’est un « vous » générique ― n’aborde pas cette question.

La France est en déficit de son commerce extérieur, de quelque chose comme 70 milliards.

Plus encore, plus de 90 milliards aujourd’hui.

Cela dépend, vous savez. Mettons 70 milliards. L’Allemagne a un excédent de 250. Les Allemands ne sont pas plus intelligents que les Français. Les Allemands ne travaillent pas davantage. Grosso modo, le niveau du pays est à peu près le même. Ils ont la même monnaie. On nous a dit longtemps que c’était la monnaie.

Au fond, on paie le travail à peu près au même niveau. Comment se fait‑il que nous acceptions une telle situation d’échec national ? Pour moi, un des thèmes principaux devrait être celui‑là.

Vous savez que j’ai la responsabilité du Commissariat au Plan. Nous allons sortir une étude qui montre produit par produit où nous sommes déficitaires.

Il y a quelque chose comme 900 produits et ce qui m’exaspère, ce qui est pour moi un motif de mobilisation intérieure, je veux bien que l’on soit déficitaire sur des produits que nous n’avons pas sur notre sol. Les hydrocarbures, on ne les a pas. On peut les remplacer, c’est pour cela qu’il faut produire de l’électricité.

Mais comment un pays qui fabrique des satellites, des fusées, des avions, des voitures parmi les meilleures du monde, est‑il incapable de faire des produits, je dis toujours des machines à laver, aucun des produits du quotidien ? 

Les Allemands en sont capables. Vous avez en tête des marques qui sont dans les foyers, des produits achetés et choisis.

Nous avons à reconquérir pied à pied, c’est‑à‑dire produit par produit, et cela se fait en association entre l’État et les grandes entreprises. Il faut être capable de les asseoir autour de la table pour avoir une stratégie de reconquête.

Merci, François Bayrou, d’être venu nous voir ce matin sur RMC et BFM TV.

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