François Bayrou : "Nous sommes un pays qui a choisi que la totalité du modèle social repose sur les actifs. Si leur nombre diminue, le contrat social, le soutien, les aides, et la solidarité baisseront."
François Bayrou, Président du Mouvement Démocrate, était l'invité de Jean-Jacques Bourdin sur BFM TV et RMC ce mardi 18 mai à 8h30, dans l'émission "Bourdin direct".
François Bayrou, bonjour.
Bonjour.
Merci d'être avec nous.
Haut-commissaire au plan, Maire de Pau, patron du MoDem, je vais vous parler évidemment de la Covid, mais aussi de votre réflexion, je dirais que c'est une réflexion sur la démographie en France. C'est très intéressant et j'y consacrerai la deuxième partie de cet entretien.
Je voudrais commencer sur l'autorité de l'État. Pourquoi ? Violence contre les forces de l'ordre, les pompiers, les enseignants, les élus, rapports dégradés de l'exécutif avec une partie de l'Armée, trafic de stupéfiants au grand jour, montée du communautarisme, etc.
Est-ce que l'État n'a plus d'autorité ?
Nous sommes dans une société qui est profondément déstabilisée et l'État n'a pas changé, renouvelé ses pratiques. L'État n'a pas trouvé les voies, les moyens, l'organisation nécessaire pour faire face.
L'État faillit ?
Je ne veux pas employer ce genre de mot, car il est excessif. Il laisserait croire que c'est « de la faute de ». Ce n’est pas mon point de vue.
Emmanuel Macron ?
Non, cela fait 30 ans que cette dégradation est en cours, 30 ans que toutes vos émissions (ou à peu près) commencent sur des sujets de cet ordre.
La réflexion que nous devons avoir est la suivante « pouvons-nous trouver une organisation qui fasse que l'État soit présent et respecté ? ».
Vous dites l'éducation, vous avez raison de la citer. Ce n'est pas l'État qui est mis en cause dans l'éducation, c'est le lien entre la famille et l'école, c'est le lien entre les enfants et le quartier dans lequel ils vivent.
La réflexion que nous devons avoir, doit prendre en compte cette réalité qui me frappe depuis longtemps, celle que nous sommes au bout d'une situation qui est une situation qui dure et qui s'est aggravée depuis des années. Nous devons maintenant faire preuve de cette volonté et imagination nécessaires pour en sortir.
L'autorité de l'État sera le fil rouge de toute cette rencontre que nous avons ce matin. Pourquoi ? Je vais prendre un autre exemple. On parle beaucoup de la Police actuellement. Demain, il y a une grande manifestation, un rassemblement devant l'Assemblée Nationale. Pour la première fois, toutes les forces politiques, à l'exception de la France insoumise, seront devant l'Assemblée nationale.
Y serez-vous ?
Il est possible que j'y passe en effet.
Est-ce la place de Gérald Darmanin avec les policiers dans un grand rassemblement ? Franchement ?
Vous voyez bien que cela a quelque chose d'inédit. C'est probablement qu'il veut exprimer quelque chose et on voit bien ce qu'il veut exprimer, ce que nous avons tous besoin d'exprimer, tous les parlementaires qui seront présents, au contact avec les policiers.
Les policiers nous protègent et on a le sentiment que personne ne les protège, eux. Le nombre d'interpellations, le nombre de réflexions qui sont faites, le nombre de mises en cause, le ciblage, le fait qu'ils ont l'impression qu'entre justice et police, les choses ne vont pas dans le même sens et que celui que vous arrêtez la veille, vous le retrouvez le lendemain.
Cette rupture de la société, nous en sommes tous responsables et en sommes aussi tous comptables. Il faut donc que nous ayons le courage, en effet, de l'assumer. Je ne sais pas si c'est par une manifestation, par un rassemblement, par la présence d'un ministre que cela se joue.
Cela se joue aussi, Jean-Jacques Bourdin, sur vos plateaux. La manière dont, assez souvent - ce n'est pas une mise en cause - les images publiées à longueur de semaines et de mois donnent le sentiment que la police est dans un rapport de brutalité avec les citoyens, ce qui n'est pas vrai. Ils essaient de maintenir l'ordre que ceux qu'ils ont en face d'eux veulent de détruire, car c'est cela le but de ces opérations.
Je vous parle de l'autorité de l'État. Encore une fois, avec la décision par exemple de Jean Castex, la suppression du corps préfectoral, tout en conservant évidemment la fonction de Préfet : c'est une révolution aussi. Est-ce une erreur ou pas ?
Non, c'est poser la question. Essayez de vous mettre à la place de ceux qui vous écoutent. Vous dites « suppression du corps préfectoral ».
C'est une forme de suppression.
Ceux qui vous écoutent pensent que les Préfets vont disparaître.
J'ai dit « Tout en conservant la fonction de Préfet ».
Ce n'est pas de votre faute. C'est le débat public. Y a-t-il un Français qui peut venir en face de moi et de vous maintenant, pour dire : « Monsieur, l'État fonctionne bien, l'État en France fait son travail ».
Cela veut-il dire que l'État ne fonctionne pas en France ?
L'État ne fonctionne pas depuis des décennies. Il y a eu une lente dégradation. L'État devrait normalement être en soutien de la société et on l'a organisé. C'est une tragédie, car les personnes qui occupent ces fonctions sont des personnes de qualité. Il y a cette espèce d'étrange chose ou d'étrange réalité qui fait que des femmes et des hommes de qualité, avec le souci du bien public, sont dans une organisation qui les empêche de faire leur travail.
De quoi vient cette organisation ? On le sait très bien et depuis longtemps, quant à moi, je l'ai dit depuis longtemps : elle vient de ce que nos systèmes de recrutement ne sont pas les bons.
Je voudrais que l'on prenne exemple et que l'on réfléchisse à ce que fait l'armée. L'armée a réfléchi, a mis longtemps à mettre au point un système de recrutement qui fait que les recrutements pour les postes à responsabilité ne se font pas à 20 ans mais à 35 ans. Lorsque l’on a vu ce que la femme ou l’homme à qui on va confier ces responsabilités savaient faire avec des hommes, de la réalité humaine, s'il était capable de les entraîner et ce n'est pas seulement le diplôme à l'entrée.
C'est pourquoi cette rupture dont vous parlez entre l'État et la société est désespérante, car, aujourd'hui, des femmes et des hommes qui n'ont pas des situations mirobolantes, qui travaillent, sont salariés et sont parfois chômeurs, quelles chances ont-ils d'entrer ou de rejoindre les responsabilités les plus importantes ? Vous voulez la vérité ? Presque aucune, car nous avons un système de recrutement qui, en réalité, fait que ce sont les mêmes à 20 ans ou à 22 ans qui se trouvent repérés, reçus et qui, pour toute leur vie, auront ces responsabilités.
Ce que vous appelez le corps préfectoral, les corps, dans la société française, qu'est-ce que c'est comme organisation - et encore une fois, ce sont des personnes bien - ? C'est cela : que vous réussissiez ou pas dans votre fonction, vous êtes protégés jusqu'à votre dernier jour de travail.
À vie.
Savez-vous combien il y a de hauts et de très hauts fonctionnaires qui sont, comme on dit, au « placard » ?
Non.
C'est-à-dire qu'ils ont été enlevés de l'exercice de la responsabilité et qui ont été mis dans une « gâche », comme on dirait aujourd'hui, pour les protéger, même s'ils ne rendent plus le service que l'on attend d'eux.
Il y en a plusieurs centaines, peut-être arrive-t-on au millier, alors que ce sont des personnes, des femmes et des hommes ayant des capacités, des aptitudes. Pourquoi ne les utilisons-nous pas plutôt pour soutenir la société française ?
Tous les problèmes qui se posent sur le terrain, pourquoi ne les y envoyons-nous pas pour les traiter ? C'est donc cette logique corporatiste « défense d'un corps » et pas des fonctions qui est visée aujourd'hui par le Gouvernement, qu'il faut rebâtir, reconstruire.
Grand désordre politique, vous le constatez. Grand désordre à gauche, grand désordre, pardon, au LR, à la République en marche. Le MoDem, cela fonctionne plutôt bien.
Oui, il n’y a qu’au MoDem que cela fonctionne bien !
Le RN, même chose finalement. Il n’y a que deux partis qui fonctionnent.
Les régionales, Éric Dupond-Moretti et Gérald Darmanin n'ont-ils pas autre chose à faire que d'aller en campagne électorale pour combattre Marine Le Pen et Xavier Bertrand ?
Je fais une réflexion rapide sur ce point : il leur a assez été reproché d'être coupés du terrain, de n'avoir jamais été élus.
Pas à Gérald Darmanin
On le reproche à Éric Dupond-Moretti et à d'autres, comme au Président de la République. Ils vont s'enraciner au contact des citoyens et des électeurs. C'est une ligne qui a été choisie et dont je comprends l'inspiration.
Ma réflexion n'est pas celle-ci. Nous sommes devant un contresens absolu, contre lequel je me suis battu, rebattu et encore battu. Le contresens est celui-ci : on confond les élections locales et les élections nationales.
Une élection locale est faite pour bâtir une majorité diverse, pour soutenir un projet, pour une région ou une commune, pour une ville. La loi de cette élection, c'est le rassemblement.
Que vient-on raconter ? Des personnes qui étaient ensemble et dont on prétendrait qu'ils n'ont plus jamais à se parler ? Le sectarisme introduit dans des élections qui sont des élections qui normalement…
Où le trouve-t-on ce sectarisme ?
Partout !
Est-ce que les Républicains, par exemple, incapables de choisir entre LREM et le RN sont en voie de disparition, à cause de ce sectarisme ?
Vous verrez cela et les historiens le verront.
Ce que je sais, c'est que prétendre que l’on n’a rien à voir ensemble, alors que l'on est concomitant - soit avec LR, soit avec d'anciens responsables sociaux-démocrates du parti socialiste - que l'on n'aurait rien à construire, alors que vous auriez bien du mal, si vous preniez un microscope, à trouver la différence entre la gestion d'un président de région de droite, du centre, de gauche ou même d'autres inspirations.
Quand vous êtes confronté à la réalité locale, vous prenez des décisions qui sont des décisions de bon sens, plus ou moins ambitieuses, plus ou moins généreuses. En tout état de cause, ces politiques conduites au niveau local sont des politiques qui n'ont rien à voir avec la carte de parti que vous avez dans la poche ou si peu, qu'il est ridicule de prétendre que l'on va décalquer toute la politique nationale avec les affrontements que l'on connaît qui sont là encore stupides.
Pardon, mais confusion : LREM qui, d'un côté, soutient en région PACA un candidat LR, dans les Hauts-de-France qui ne soutient pas un candidat qui n'est plus LR, mais qui est un rival au Président de la République.
Vous essayez de décrire des choses…
J'essaie de décrire la confusion politicienne.
Vous la soulignez, alors que l'on peut essayer de clarifier et d'éclairer les choses. Nous allons le faire.
Il y a 6 ans, dans les Hauts-de-France, comme en PACA, toutes les forces politiques extérieures à l'extrême-droite ont fait ce qu'il faut, y compris des sacrifices avec abnégation, pour faire élire un candidat de rassemblement : Christian Estrosi d’un côté, Xavier Bertrand de l'autre.
Il se trouve qu'aujourd'hui, dans un cas comme dans l'autre, le parti politique qui les soutenait dit : « Nous interdisons toute alliance avec ceux qui nous ont fait élire, même s'ils font partie de la majorité ». Pour moi, je trouve cela stupide.
Si j'avais été président de région - je suis maire, c'est à peu près la même chose -, j'aurais dit : « Mesdames et Messieurs des appareils politiques, vous êtes très sympathiques, je vous aime beaucoup, mais je vais construire pour ma région et ma ville la majorité la plus large. Je veux que, dans ma majorité, puisque j'appartiens à vos rangs, il y ait des personnes de l'opposition, mais également de la majorité, car on a besoin, pour être défendu dans les décisions gouvernementales, de personnes qui aient cette sensibilité ».
Une région ou une ville mérite que l'on se rassemble et que l'on essaie de trouver ce qu'il y a de plus fédérateur pour l'avenir des citoyens qui vont vous être confiés. C'est ce qui devrait être la ligne. Nous l'avons raté aux municipales et vous vous souvenez d’ailleurs que je me suis beaucoup battu sur ce sujet.
À Pau, nous avons su le faire.
Vous vous êtes beaucoup battu sur de nombreux sujets et vous n'avez pas été entendu. Vous vous êtes battu sur la proportionnelle, sur le report des régionales, sur le vote par correspondance, sur le doublement du plan de relance et, pour l'instant, vous n'avez pas été entendu.
Vous vous trompez sur au moins deux de ces sujets !
Sur le plan de relance, excusez-moi de dire cela, le Président de la République - peut-être n'avez-vous pas fait attention - est allé à Bruxelles et a dit au nom de la France qu'il fallait un nouveau plan de relance. Excusez-moi de le dire, mais ce n'est pas une défaite, c'est une victoire.
Bon d’accord.
Quant à la proportionnelle, vous dites : « Vous vous êtes battu, vous n'y êtes pas arrivé ». Qu'en savez-vous ?
Vous allez y arriver ?
Je crois que les mois qui viennent vont obliger le Président de la République, s'il se représente, à présenter un nouveau visage du pouvoir dans son rapport avec les citoyens.
De plus, lorsque l’on s'interroge pour savoir comment changer le rapport avec les citoyens, alors on verra naître…
Cela sera-t-il une condition de votre soutien ? D'ailleurs, allez-vous le soutenir à la présidentielle ?
S'il se représente, je ferai tout ce que je peux pour l'aider.
Vous le soutiendrez donc ?
Vous le savez bien.
Ce que vous présentez comme combat perdu, c'est que peut-être vous n'avez pas le calendrier en tête. Je crois - je me trompe peut-être, nous verrons - que c'est une nécessité pour changer le climat politique dans ce pays.
Qu’est que le climat politique ? C'est un contre tous, tous unis contre un. Je crois que, pour gouverner la France dans les années qui viennent, il faudra dépasser ce « un contre tous » et être capables de faire vivre et travailler ensemble des personnes différentes.
Concernant la mise en examen de Marine Le Pen dans l'enquête sur le détournement de fonds européens au profit du RN, vous aviez dit, ici même, je me souviens « tout le monde est mis en examen ou à peu près dans la vie politique française ».
Pourrait-elle être privée d'être candidate ?
Je ne le crois pas. Voir resurgir ces affaires perpétuellement, lorsque les échéances électorales arrivent…
Avec une violation du secret de l'instruction.
Sans doute. Il n'y a que cela en France…
… Cela laisse interrogatif sur la manière dont ces coups de théâtre ou mises en scène médiatico-policières et judiciaires sont organisés.
Pour vous, ces révélations sont organisées ? Guidées ?
Non, peut-être, pas guidées, il n'y a pas une « main noire », mais je vois bien qu'à chaque élection, ces affaires reviennent.
Je voudrais terminer avec l'avenir démographique de la France qui n'est plus assuré. Il manquerait 40 000 à 50 000 naissances par an pour assurer le nouvellement des générations.
Vous faites des propositions : il faut une natalité plus forte. N'oublions pas que tout repose en France sur la solidarité.
C'est absolument l'argument de la réflexion que vous évoquez.
Nous sommes un pays, le seul dans le monde, qui a choisi un modèle de société, un contrat social qui fait que la totalité des soutiens et des aides - les retraites, bien entendu, mais aussi l'éducation, la santé - reposent sur les actifs.
Ainsi, si le nombre d'actifs se réduit, je vous le dis, il n'y a alors aucune possibilité de faire autrement : les aides, le contrat social, le soutien, la solidarité, baisseront.
Deux solutions : encourager les naissances. Faut-il augmenter les allocations familiales ?
On a touché aux allocations familiales et on s'est trompés.
Vous parlez des conditions de ressources ?
Oui, je parle de ce qui a été fait par le Gouvernement de François Hollande. On s'est trompés.
Faut-il revenir là-dessus ?
Il faut, en tout cas, repenser le système de soutien.
Le soutien, ce ne sont pas seulement des allocations, c'est l'accueil et la petite enfance, les crèches, les assistantes maternelles.
Le logement, l'emploi, notamment celui des jeunes.
La garantie pour les mères de famille que ce n'est pas parce qu’elles ont des enfants que leurs carrières vont être ralenties.
Pensons aux carrières des femmes.
Si la France a eu plus d'enfants que les autres pays en Europe, c'est parce que la situation des femmes au travail y était plus acceptée ou soutenue. C'est cela la vérité.
Vous voyez que ce que nous évoquons là, c'est en réalité la même chose que les interviews que nous avons eues ensemble sur l'effondrement de l'appareil productif de la France, industriel et agricole. C'est pareil.
Nous sommes un pays fondé sur la solidarité et, s'il n'y a plus assez de personnes pour porter la solidarité ou assez de ressources pour la financer, alors elle va s'effondrer.
Concernant l'immigration, la France doit-elle accueillir des personnes d'autres pays, mais vous dites dans « des proportions raisonnables ».
Ceux qui imaginent… Nous l'avons connu pas seulement en France. L'Allemagne a accepté, par exemple, un million d'immigrés d'un seul coup, venant pour l'essentiel de Syrie, lors d’une des périodes de crispation. Le patronat allemand avait demandé cela et lors d’une grande déclaration au début de l'année, il a dit : « On a besoin d'un million de personnes de plus ».
Je crois que ce n'est pas une solution. Cela peut évidemment aider dans des moments critiques, mais, lorsque vous introduisez des communautés importantes, nombreuses, dans une société déjà fragile, alors cela fait des chocs culturels qu'il est très difficile de gérer.
Il faut donc mieux contrôler l'immigration ?
Il faut en tout cas faire ce qu'il faut pour que l'immigration ne soit pas un perpétuel irritant de la société française, avec toujours les mêmes maux, les mêmes chiffres, sans que l'on sache aujourd'hui comment reconduire, car c'est cela la question.
Il y a des milliers, des dizaines de milliers de personnes identifiées comme étant en situation illégale et que l'on ne sait pas reconduire, car les pays d'où elles viennent ne les veulent pas, ne les acceptent pas, y compris en Europe.
Merci, François Bayrou, d'être venu nous voir ce matin sur RMC et BFM TV.
Merci à vous.