François Bayrou : « La France a besoin d’un budget. Nous devons l’adopter au plus vite, objectif mi-février »

François Bayrou, Premier ministre, était l'invité de l'émission L'Événement de France 2 ce jeudi 19 décembre pour répondre aux questions de Caroline Roux, Nathalie Saint-Cricq et Dominique Seux.

Seul le prononcé fait foi.

Caroline Roux : Bonsoir François Bayrou, merci d'avoir accepté de répondre à nos questions. Votre parole est attendue. Vous êtes un Premier ministre sans gouvernement, sans budget. Les Français qui vous regardent ce soir sont inquiets face à cette nouvelle instabilité politique. Votre prédécesseur a été censuré au bout de trois mois. Vos débuts ont été critiqués. Nous allons, pendant une trentaine de minutes ce soir, tenter de comprendre quelle est votre méthode, quel est votre calendrier et quels sont vos objectifs. À mes côtés pour vous interroger ce soir, Nathalie Saint-Cricq et Dominique Seux. Bonsoir, merci d'être à mes côtés.

Tout d'abord, une première question sur Mayotte. Le président a annoncé une journée de deuil national. Avez-vous des informations sur le bilan humain ?

François Bayrou : Le bilan humain... Alors, c'est à mes yeux, la plus grande catastrophe que notre pays ait connue depuis très longtemps.

La seule à laquelle on puisse remonter qui soit plus grave, c'est l'éruption de la Montagne Pelée en Martinique en 1902, donc il y a 122 ans et qui a fait 30 000 morts. Mais les dégâts étaient circonscrits, c'était sur une toute petite base. Là, l’île est entièrement dévastée.

Les maisons, au moins trois sur quatre ont vu leur toit soufflé. Les menuiseries, les fenêtres, les portes, tout ça a été emporté.

Ce sont des villages, donc ils vivent beaucoup en mangeant les produits du jardin. Les jardins sont entièrement dévastés, les congélateurs comme ils n'ont pas eu d'électricité, toute la nourriture qui est à l'intérieur est avariée.

Caroline Roux : Les dégâts matériels sont considérables. Sur les dégâts humains, sur le bilan humain, est-ce que vous avez des informations ?

François Bayrou : Sur les dégâts, sur le bilan humain, aujourd'hui ont été recensées 31 victimes. Mais la crainte de beaucoup, c'est qu'il y a sous les décombres des femmes et des hommes qui ont été pris. Ce sont les bidonvilles dans lesquels étaient des sans domicile fixe, souvent en situation irrégulière et dans une tension très, très grande. Et tout cela, évidemment, fait craindre à un bilan beaucoup plus grave.

Et tout le monde tremble à l'idée du nombre réel de victimes. En espérant que ce qu'on a trouvé, ce soit déjà une partie importante.

Caroline Roux : Le président a déclaré : « on a été capable de rebâtir Notre-Dame en cinq ans. Ce serait quand même un drame qu'on n'arrive pas à rebâtir Mayotte. »

Quels engagements vous pouvez prendre ce soir en termes de calendrier, de moyens pour rebâtir Mayotte ?

François Bayrou : Moi, je pense qu’il faut se fixer un délai beaucoup plus bref que les cinq années. Je dis peut-être deux ans. J'espère qu'on y arrivera. C'est une tâche surhumaine, immense. Il se trouve que j'ai demandé des précisions à des entreprises que je connais, des Pyrénées, qui ont une antenne à Mayotte et tout le monde dit que c'est très lourd et très lourd en coût, en devis.

Parce que pour remplacer un toit, vous pouvez difficilement le remplacer à moins de 60 000 ou 80 000 €. Et comme il y a, au moins, 80 000 maisons atteintes, vous voyez la somme en milliards d'euros que cela représente.

Caroline Roux : Et vous débloquerez les fonds nécessaires, c'est ça qu'on entend, qu’on comprend.

François Bayrou : L’État est présent et sera présent.

Caroline Roux : Parlons de votre méthode.

François Bayrou : Et, vous, vous disiez engagement, il y aura une loi spéciale qui sera présentée au Parlement. Comme il y a eu une loi spéciale pour Notre Dame, pour pouvoir accélérer les délais, simplifier. Grave difficulté : le nombre de maisons assurées est extrêmement faible.

Caroline Roux : En tout cas, sur ce sujet-là, cet après-midi, vous avez eu un consensus avec les forces politiques. On va parler de votre méthode. Vous avez effectivement rencontré cet après-midi les chefs de parti, vous n'avez pas de gouvernement pour l'instant.

François Bayrou : Cela va venir, j’espère.

Caroline Roux : Quand ? Pouvez-vous nous le dire ?

François Bayrou : Moi, je pense que dans le week-end, il faut que le gouvernement soit présenté. En tout cas, avant Noël. Noël, c'est mardi soir.

Caroline Roux : Ça veut dire que vous avez déjà avancé ?

François Bayrou : Oui.  

Caroline Roux : Donc toujours pas la garantie, à moins que vous nous disiez le contraire ce soir, que vous ne pourrez pas éviter la censure ? 

Vous proposez aux partis, hors LFI et hors RN, une offre publique de participation au gouvernement. Alors là, on a besoin d'explications.

François Bayrou : C'est très simple. Nous n'avons pas de budget. C'est la première fois depuis 65 ans. Nous n'avons pour l'instant pas d'organisation de la majorité. Il y a eu une censure votée par des forces politiques totalement différentes, et même antagonistes, qui se combattent, mais qui ont voté ensemble pour abattre le gouvernement de Michel Barnier sans faire attention aux dégâts que ça pourrait faire, que ça fait pour les familles et que ça fait pour les entreprises.

Dans le budget, il y avait des mesures, par exemple l'extension du prêt à taux zéro ; par exemple, la question de l'impôt sur le revenu c'est-à-dire que chaque année, les seuils d'impôt sur le revenu sont remontés en fonction de l'inflation. Et là, ils vont peut-être remonter, c'est-à-dire que des dizaines de milliers ou centaines de milliers...

Caroline Roux : Je crois que les gens qui vous regardent ont mesuré les conséquences de la censure, ce qu'ils veulent savoir aujourd'hui, c'est comment vous allez vous y prendre ? Donc, une offre publique de participation au gouvernement, qu'est-ce que c'est ?

Alors je vais citer Marine Tondelier qui a le sens de la formule, qui a dit : « La méthode est aussi claire qu'une notice Ikea ! »

Qu'est-ce que cela veut dire concrètement ?

François Bayrou : C'est extrêmement simple, j'ai réuni les forces politiques hors Rassemblement National et LFI qui eux avaient déclaré à l'avance que, non seulement ils ne participeraient pas, mais qu'ils seraient de toute manière hostiles. Et donc je ne voulais pas alourdir le débat. Non pas que je les exclue du champ politique national. Je trouverais les moyens au moins de les informer, de partager des informations avec eux.

Mais les autres forces politiques, depuis le Parti communiste jusqu'à la droite de gouvernement républicaine, je leur dis : « nous ne pouvons pas nous en sortir si nous ne sommes pas ensemble. » On voit la situation, on voit les conséquences de la division, l'obstacle est immense. J'ai dit « un Himalaya » et c'est exactement ce que je pense. Tous les prévisionnistes, tout le monde dit « mais vous n'y arriverez pas mais franchement, vous vous rendez compte ? ». Et ils choisissent, ou plutôt tout le monde spécule, sur le chaos.

Caroline Roux : C’est qui tout le monde ?

François Bayrou : Tout le monde : les observateurs, les partis associés, ceux qui sont des savants sur la politique, tout le monde dit : « vous n’y arriverez pas ».

Caroline Roux : Et vous, vous dites « je vais y arriver » ?

François Bayrou : Moi je dis « on doit essayer ». Et je crois qu'on peut y arriver. Et je crois que le chemin existe. Alors, c'est peut-être un optimisme délirant, c'est peut-être quelqu'un qui ne voit pas la réalité. Mais je vous dis avec certitude si on ne réussit pas dans cet essai, alors c'est la dernière station avant la falaise.

Caroline Roux : Alors c'est moi ou le chaos ?

François Bayrou : Non, ce n’est pas moi ou le chaos, heureusement. C'est nous tous ensemble. J'espère qu'il y a des millions de ceux qui nous écoutent et qui nous écouterons, qui disent : « on ne va pas quand même laisser faire ça. »

Caroline Roux : La question, c'est comment ?

Nathalie Saint-Cricq : Le Parti socialiste est sorti en disant : « on n’a pas trouvé de raison de ne pas censurer. »

Vous qui êtes un spécialiste de l'ultimatum, puisque vous en avez déjà fait avec le président de la République, vous en avez fait un avec les autres partis en disant : « réponse demain, c'est à prendre ou à laisser. » Qu'est-ce qui pourrait se passer cette nuit pour que par la magie de l'esprit de Noël, ils soient d'accord avec vous et acceptent de ne pas vous censurer, à minima ?

François Bayrou : J'ai proposé une géographie de cette nouvelle organisation. J'ai dit, en fait, il y a trois cercles. Il y a le cercle de ceux qui vont dire « nous souhaitons participer » et je souhaite qu'ils participent avec leur leader, parce que je pense qu'il faut que tout le monde prenne ses responsabilités et que tous ceux qui participent ne restent pas en situation d'observateur.

Je pense que ce que nous avons devant nous est tellement difficile qu'il faut qu'on s'associe.

Il y a un deuxième cercle, et c'est peut-être cela qui est un peu nouveau, de gens qui disent : « nous, nous sommes dans l'opposition, mais nous acceptons de dialoguer. Et accepter de dialoguer, cela veut dire nous ne renverseront pas le gouvernement. » On ne peut pas dialoguer en situation de renverser le gouvernement.

Nathalie Saint-Cricq : Alors, ils sont où les socialistes dans vos cercles ?

François Bayrou : Et pour cela, j'ai dit : « moi, je n'utiliserai pas le 49.3, sauf s'il y a blocage absolu sur le budget. » Alors, on peut expliquer cela à ceux qui nous écoutent. Quand il y a blocage absolu sur le budget, il n'y a que deux solutions pour que la France puisse vivre : ou bien on fait un 49.3, ou bien on va plus loin, on fait des ordonnances, c'est-à-dire que c'est le gouvernement qui dit : « vous n'êtes pas capables d'adopter un budget, c'est moi qui vais l'imposer ».

Je souhaite qu'on ait le plus de dialogue possible. Et sur les autres textes, je n'utiliserai pas le 49.3, sauf catastrophe.

Nathalie Saint-Cricq : Ça suffit, ce que vous leur avez prévu ? Puisque là ils disent : « on censure, on n'a rien fait pour ne pas censurer. » Donc en gros, où sont les socialistes et quel est le miracle cette nuit pour qu'ils changent d'avis ? Puisque c'est demain l’ultimatum.

François Bayrou : Je crois qu'ils ont une réflexion entre eux. Ils n'ont pas envie d'être assimilés, ils n'ont pas envie qu'on dise « ils ont changé de camp. » Parce que vous voyez bien les débats internes aux partis politiques et dans le rapport avec ceux qui les soutiennent. Mais je crois qu'ils ont envie de ne pas aller à la catastrophe.

Et pour ne pas aller à la catastrophe, c'est exactement ça, pendant un temps donné, accepter que le gouvernement vive et dialogue.

Caroline Roux : Et vous avez le sentiment d'avancer cet après-midi ? Vous avez eu le sentiment d'avancer ?

François Bayrou : Oui. Exactement.

Nathalie Saint-Cricq : Donc c’est de la posture en fait ?

François Bayrou : Non. Comprenez, la politique, c'est suffisamment difficile pour ne pas faire porter les accusations sur tous les gens, y compris ceux avec qui vous pourriez nouer des rapports, je ne dis pas de partenariat, mais de de quelque chose qui ressemble au partage des responsabilités.

Caroline Roux : Vous avez ouvert une porte, notamment sur la question des retraites. Vous avez proposé de reprendre les discussions sans suspendre la réforme, et sur ce point-là, Dominique Seux a des questions à vous poser.

Dominique Seux : Oui, parce que Michel Barnier avait évoqué aussi l'idée de corriger la réforme, on sait que c'est un point central, notamment pour les socialistes. Jusqu'où vous allez vous dans la remise en cause de cette réforme des retraites ?

François Bayrou : Alors, comme vous l'avez très bien vu et très bien compris, et vous le dites-vous-même, dans ce chaos-là, avec des forces politiques qui disent : « on abat le gouvernement », alors vous abattez un gouvernement, deux gouvernements et après, qu'est-ce que vous faites ?

On abat le gouvernement. Dans ce chaos-là, il y a une question qui a été lourdement combattue en inflammable et enflammée, c'est la question des retraites.

Il se trouve que j'avais moi-même, que j'étais moi-même...

Dominique Seux : Vous avez émis un certain nombre de réserve.

François Bayrou : ...Oui, que j'étais moi-même intervenu parce que j'avais trouvé que pour la réforme des retraites, le débat aurait pu être porté au milieu des Français. Le débat aurait pu être porté dans les familles. Et, vous vous souvenez vous-même très bien parce que vous l'avez commenté très bien, j'avais fait une analyse, la première qui n’ait jamais été faite du financement du système de retraites.

Dans laquelle je montrais que ce financement était pour le moins bancal, discutable.

Dominique Seux : Votre proposition en fait, c'est de proposer une conférence globale qui durera jusqu'à l'automne. Au fond, d'abord, combien de temps vous proposez la discussion aux partenaires sociaux, peut-être aux partenaires politiques ? Est-ce qu'au fond, vous dites : « on peut aboutir à la fin à l'abrogation de la réforme » ?

François Bayrou : Non, non, je ne crois pas. Alors, quand on ouvre un débat, il faut l'ouvrir de bonne foi. Il faut dire : « écoutez, on va se mettre autour de la table » ce qui avait été, selon les Français, insuffisamment fait dans la période précédente.

On va se mettre autour de la table, qui ? Le gouvernement, les forces qui sont au Parlement et les partenaires sociaux, les syndicats, les représentants des entreprises de toutes les sortes d'entreprises, mais le mouvement des entreprises, on va se mettre autour de la table.

Caroline Roux : Mais pour discuter de quoi ?

Dominique Seux : La grande question c’est de savoir, est-ce que cela veut dire améliorer la réforme ou vraiment la changer ? Ce sont des choses différentes.

Caroline Roux : On va laisser répondre François Bayrou.

François Bayrou : Je ne sais pas exactement la différence que vous voyez. Moi, j'ai parlé avec beaucoup de ceux qui participaient à la discussion sur les retraites et ils disaient tous : « mais on a des possibilités d'avancer, mais on n'a pas voulu les regarder. » Moi, j'accepte de les regarder. J'accepte que chacun des syndicats mette sur la table ce qu'il considère comme souhaitable, comme acceptable, des faits concrets.

Par exemple, il est normal que ceux qui sont au marteau-piqueur, il y en a moins aujourd'hui qu'il n'y en avait autrefois, ils partent plus tôt...

Caroline Roux : C'est déjà le cas.

François Bayrou : ...chacun des intervenants met en valeur une ou deux ou trois difficultés sur la réforme des retraites. J’accepte qu'on rouvre tous les sujets.

Dominique Ceux : Est-ce que quand vous dites : « j'accepte qu'on rouvre tous les sujets », il peut y avoir à la fin de cette conférence une autre solution que les 64 ans ?

François Bayrou : Oui, je crois. Vous connaissez la réponse en posant la question.

J'ai été un militant de la retraite à points. J'ai pensé, c'est d'ailleurs le cas pour les retraites de base du secteur privé Agirc-Arrco, c'est-à-dire des retraites gérées par les partenaires sociaux et qui arrivent à équilibrer.

Et donc je pense que oui, on peut trouver une organisation différente. Mais il va aussi falloir se poser la question du financement. Croire qu'on peut en rester à la situation actuelle... La situation actuelle, c'est assez simple, 30 %, 25 %, ça dépend comment on calcule des retraites versées aujourd'hui en France, seront payées par les enfants parce qu'on emprunte et c'est eux qui rembourseront.

Arrêtons-nous quatre secondes à ce sujet. Moi, ça me fait honte.

Caroline Roux : Qu'est-ce qui vous fait honte ?

François Bayrou : Le fait qu'on ait accepté, qu’on accepte de bon cœur, que ce soient les générations qui viennent, qui vont avoir à travailler beaucoup dans les années qui viennent, les plus jeunes, ceux qui ne travaillent pas encore, ceux qui sont des enfants aujourd'hui, c'est à eux qu'on va donner la charge. Excusez-moi...

Caroline Roux : On leur lègue aussi ce qu'est aujourd'hui la France, avec un patrimoine, avec des infrastructures.

François Bayrou : Oui, mais ce n'est pas du patrimoine, des infrastructures. Ce qui est patrimoine et infrastructures, c'est normal qu'on emprunte : écoles, universités et hôpitaux. Mais là, ce n’est pas ça, ce sont les retraites.

Dominique Seux : François Bayrou, les socialistes vous demandent un gel de la réforme, vous dites : « non, on ne gêne pas. »

François Bayrou : Je dis « on reprend, mais on ne suspend pas » parce que quand on suspend, évidemment, on ne reprend jamais. Mais je vais plus loin dans la réforme, il y a des avantages, notamment pour les petites retraites qui vont là toucher pour une retraite autour de 1 000 €, ce n’est pas beaucoup, ils vont toucher 60 € de plus, vous suspendez aussi les avantages ? Qui peut dire je suspens les avantages ?

Et donc je dis, je reprends le chantier, c'est beaucoup, parce que pour l'instant ce n'était pas proposé c'était même refusé et c'étaient des accusations réciproques.

Caroline Roux : Vous considérez que c'est de nature à, au fond, faire revenir dans ce pacte que vous proposez désormais les socialistes ? C'est une porte ouverte, une main tendue, chacun choisira son expression. Vous le faites sincèrement ? C'est ce que voulez nous dire ce soir ?

François Bayrou : Vous voyez, vous avez tout compris. C’est un acte de bonne foi, c'est une porte ouverte de bonne foi où chacun qui s'intéresse au destin du pays peut retrouver une part de ce qu'il croit si ce qu'il affirme est vrai. Parce que tout au long de cette période, on a entendu des gens très importants éminents dire : « mais il existe une autre organisation, il existe une autre solution. » Et je dis : « examinons-là. »

Caroline Roux : On va parler du budget.

François Bayrou : Mais à terme, si on trouve une solution en commun, c'est celle-là qui s'appliquera ; si on ne trouve pas de solution on restera avec la loi d'aujourd'hui, ce qui veut dire que chacun est placé devant ses responsabilités.

Caroline Roux : Chacun a ses lignes rouges. Il faut discuter aussi avec les LR, est-ce qu'il y a une main tendue, une porte ouverte aussi aux LR ? D'ailleurs, pour commencer, est-ce que Bruno Retailleau restera dans ce gouvernement ? Est-ce que vous le souhaitez ?

François Bayrou : Oui.

Nathalie Saint-Cricq : C'est bouclé. Non ?

Caroline Roux : Vous le souhaitez ?

François Bayrou : Dans la formation du gouvernement, je pense que Monsieur Retailleau a montré ces dernières semaines et derniers mois, qu'il avait pris des décisions et trouvé des orientations qui répondaient à une partie de ce que nous vivons.

Nathalie Saint-Cricq : Moi qui ne suis pas aussi rapide que Caroline Roux, on a cru comprendre que Michel Barnier avait fait un gouvernement centre, centre droit et que vous, vous feriez plutôt avec la gauche. Et là, finalement, on voit Laurent Wauquiez qui exige pour participer qu'il reparle des dérives de l'assistanat, qui dit qu'il faut qu'il ait des gages sur l'immigration. Bruno Retailleau reste. Si vous n’avez pas de poids lourds de gauche en face, en fait, ça va être la même chose que Michel Barnier.

François Bayrou : Vous voyez la présentation que vous venez de faire ?

Nathalie Saint-Cricq : C’est un peu rapide, oui.

François Bayrou : Nathalie Saint-Cricq, ce n'est pas qu'elle est rapide, c'est qu'elle est fausse.

Nathalie Saint-Cricq : D'accord, très bien.

François Bayrou : Elle est fausse sur un point. Je suis un homme et peut-être même un responsable du grand courant du centre français.

Nathalie Saint-Cricq : Ça, je sais.

François Bayrou : Et vous, vous dites « on va faire avec la droite et avec la gauche », si c'est ça, je ne suis pas le centre. Mon souhait à moi, c'est que nous ayons un soutien puissant de la droite républicaine.

Nathalie Saint-Cricq : Et une participation donc ?

François Bayrou : Oui.

Nathalie Saint-Cricq : Laurent Wauquiez va rentrer au gouvernement ?

François Bayrou : La réponse sera donnée, comme je l'ai dit, demain à la mi-journée par chacun.

Qu’il y ait un courant qui vient de la gauche démocratique et de gouvernement, des gens par eux-mêmes une signification dans la sensibilité de la gauche démocratique française, de la social-démocratie comme on dit, je souhaite qu'ils soient là.

Alors évidemment, peut-être certains d'entre eux ont-ils envie et hésitent-ils, c'est possible. Mais j'ouvre la porte, et je serai heureux, moi, si on peut montrer que se conjuguent ces sensibilités différentes. Avec une condition, c'est qu'on traite des vrais sujets en se mettant d'accord sur les termes des vrais sujets.

Caroline Roux : Le vrai sujet, et vous, vous le savez bien, c'est le budget. Vous êtes d'accord avec ça. La loi spéciale a été votée, la France n'a toujours pas de budget. Vous l'avez rappelé, l'agence Moody's a encore dégradé notre note. Et les Français qui vous regardent ce soir, ne savent toujours pas en réalité, ce qui les attend en 2025. Est-ce que le budget Bayrou sera dans la continuité, dans les grands axes du budget Barnier ? Par exemple, sur la répartition de l'effort, c'est-à-dire deux tiers d'économies, un tiers d'augmentation des impôts et des recettes.

François Bayrou : Je discuterai de ça avec les groupes dès l'instant que le Gouvernement sera nommé.

Caroline Roux : Tout est ouvert ?

François Bayrou : C'est ouvert, à condition qu'on aille vers un plan de rééquilibrage de nos finances publiques.

Caroline Roux : À quelle vitesse ?

François Bayrou : Moi, j'avais dit dix ans dans des travaux précédents, au Plan. J'avais dit : « il faut viser de revenir à l'équilibre en dix ans. » Aujourd'hui, on est très, très loin de l'équilibre, comme vous le savez. 

Dominique Seux : 5 % du produit intérieur brut du déficit en 2025, c'est ce qui avait été prévu par Michel Barnier. Vous, vous êtes sur le 5 % en 2025 ou pas ?

François Bayrou : Je pense qu'on peut trouver un équilibre qui respecte le plan et qui en même temps, soit acceptable ou supportable ou soutenable.

Dominique Seux : Ça peut monter à 6 % ?

François Bayrou : Non.

Dominique Seux : C'est entre les deux ?

François Bayrou : Je ne souhaiterais pas ça.

Caroline Roux : Ça crée beaucoup d'inquiétudes cette instabilité budgétaire. Vous êtes interpellé ce soir par Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT. Elle a une question à vous poser. Écoutez-la.

Sophie Binet : Monsieur le Premier ministre, allez-vous enfin répondre aux urgences sociales ? La CGT a recensé 300 000 plans de licenciements. Allez-vous mettre en place un moratoire sur les licenciements ? Nos services publics craquent de toute part, nos universités, nos hôpitaux, nos écoles, nos collectivités territoriales ont besoin d'urgence, de moyens pour pouvoir fonctionner. Quels sont les choix que vous allez faire dans le budget 2025 ?

Caroline Roux : Elle est importante sa question, quels sont les choix que vous allez faire dans le budget 2025 ? Sans entrer dans le détail, la philosophie générale.

François Bayrou : Est-ce que je peux commenter la question ?

Caroline Roux : Allez-y.

François Bayrou : La France est le pays le plus imposé d'Europe et du monde, pas loin, Dominique Seux le confirmera. Le pays où les impôts et les prélèvements sont les plus lourds. Et Sophie Binet nous dit : « Mais enfin, ça ne va pas du tout ! Regardez les hôpitaux, les écoles, les services sociaux, les retraites. »

Caroline Roux : Elle a tort ?

François Bayrou : Alors ça veut dire une chose précise, c'est que ce n'est pas par l'impôt qu'on fait la bonne marche d'une société. Il faut des impôts, des contributions, il faut que chacun aide à la solidarité.

Nathalie Saint-Cricq : Même les plus riches.

François Bayrou : Bien sûr, et nous avons un modèle social peut être, il faut le rappeler, qui est unique au monde, il n'y a aucun autre pays qui a le même modèle. Les autres pays, c'est le modèle du « chacun pour soi », on paie pour l'éducation des enfants, on paie pour s'assurer pour la santé. Vous savez bien, aux Etats-Unis, on vous demande la carte bleue quand vous arrivez à l'hôpital, on paie pour sa retraite, une retraite par capitalisation, c'est le chacun pour soi.

Nous, nous avons un modèle unique au monde...

Caroline Roux : C'est ce qu'elle défend dans sa question.

François Bayrou : …qui est le tous pour un. La solidarité nationale comme pour la retraite, c'est la même chose, c'est ceux qui travaillent, qui paient pour ceux qui sont assurés. Et donc je dis que le système est malade. Je suis pour notre modèle social.

Caroline Roux : La question c'est comment on le finance ?

François Bayrou : Je me considère comme un des héritiers de ceux qui ont, avec le Conseil national de la résistance supplémentaire…

Dominique Seux : Donc pas d’impôt supplémentaire ?

François Bayrou : Ceci une autre question. Moi je dis il faut préserver les entreprises.

Caroline Roux : Donc ?

François Bayrou : Tout le monde veut faire payer l'entreprise et faire payer l'entreprise... C'est le seul lieu où on crée de l'emploi et de la richesse. Alors je sais bien que c'est tellement facile : vous allez mettre un impôt sur les entreprises. On dit généralement les grosses entreprises, excusez-moi, les grosses entreprises, c'est le tissu économique de la France.

Caroline Roux : Alors qui va payer ?

François Bayrou : Mais qui va payer ? Je vais vous apporter exactement la réponse. Si nous avions le même taux d'emploi que l'Allemagne et la même productivité que nos voisins - progression de la productivité, c'est-à-dire si on produisait aussi bien que les autres, et il n'est pas possible que la France soit considérée comme incapable de faire ça... Mais si on avait le même taux d'emploi et de productivité, on n'aurait pas de problème de financement de la retraite.

Dominique Seux : Est-ce que ça veut dire que vous abandonnez ce qui avait été prévu par votre prédécesseur de surtaxer les grandes entreprises ?

François Bayrou : J'ai décidé enfin, j'ai décidé… Nous allons reprendre avec chacun des groupes parlementaires pour poser la question des financements de notre action publique. On va prendre cette question au sérieux et j'espère - vous demandiez quand allez-vous avoir un budget ?

Caroline Roux : Oui ?

François Bayrou : Moi, j'espère qu'on peut l'avoir à la mi-février.

Nathalie Saint-Cricq : La justice fiscale c’est très important pour vous…

Dominique Seux : Donc mi-février totalement bouclé ?

François Bayrou : Il faudra bien que ça soit totalement bouclé.

Dominique Seux : Ça veut dire, si je comprends bien, pardon, que vous allez reprendre la copie de votre prédécesseur et l'adapter. Vous n'avez pas le temps d'ici mi-février de refaire la totalité ?

François Bayrou : Pas la copie de mon prédécesseur, la copie qui a été votée…

Dominique Seux : Au Parlement. Non mais c'est une information importante. J’ai trois petites questions…

Caroline Roux : Pardonnez-moi Dominique Seux. Il y a juste un élément que je n'ai pas compris, c'est, est-ce que vous allez aussi vers la répartition de l'effort ? Les Français qui vous regardent ce soir ont sans doute besoin d'avoir la réponse. Est-ce que ça va être des économies ? On parlait des services publics. Est-ce qu'il faut dégager des économies ?

François Bayrou : Oui je pense qu’il faut des économies.

Caroline Roux : Où dégageriez-vous des économies ? Vous avez réfléchi à ça depuis très longtemps.

François Bayrou : Oui. Vous êtes gentille de rappeler que, en effet, j'ai posé la question des déficits et de la dette dans la vie politique française...

Caroline Roux : En 2007.

François Bayrou : Depuis longtemps, depuis 2007, parce que je voyais venir le mur.

Dominique Seux : La falaise comme vous dites.

François Bayrou : Personne ne la voyait ! Vous êtes des journalistes politiques très avertis… À l'époque, on me disait : mais enfin Monsieur Bayrou, vous n'allez pas faire une campagne présidentielle en posant la question de la dette. La dette me disait-on ça emmerde tout le monde, pardon d'utiliser l'expression que les gens utilisaient, et ça fait fuir les gens. Nous y sommes, nous sommes devant le mur.

Caroline Roux : Donc des économies ?

François Bayrou : Je pense qu'il faut faire des économies.

Caroline Roux : Où ça ?

Nathalie Saint-Cricq : Mais vous avez une idée ? Vous n’attendez pas de négocier avec les autres ? 

François Bayrou : Mais si j’attends de négocier. Vous voyez cette phrase-là, on peut s’arrêter une seconde…

Caroline Roux : Rapidement.

François Bayrou : La phrase de Nathalie Saint-Cricq : « mais vous avez des idées, vous n’attendez pas de négocier avec les autres ». Cette phrase-là…

Nathalie Saint-Cricq : Mais ils disent qu’ils ne savent où vous allez.

François Bayrou : … c’est exactement la raison pour laquelle un certain nombre de gens ne croient plus au dialogue et à la négociation. Je suis prêt à examiner. Nous avons, j'en ai la certitude, à trouver une meilleure organisation de l'État central, des multiples organisations, milliers d'organisations qui ont été installées à chaque instant et qui coûtent très cher, les yeux de la tête. Mais il y a des gens qui y travaillent, donc il faut faire attention. C'est pourquoi je dis qu'il faut un plan pluriannuel.

Caroline Roux : C'est parfaitement clair. Deux questions, trois questions, allez, pour terminer cette interview. On a lu, ici ou là, dans la presse, que vous vous étiez imposé au président de la République. François Bayrou, est-ce que c'est comme ça que ça s'est passé ? Est-ce que vous êtes le premier Premier ministre de la Ve République qui s'est imposé au chef de l'État ?

François Bayrou : Il y a des gens qui adorent inventer, créer, faire se battre les montagnes.

Nathalie Saint-Cricq : On a été abreuvé de récits. Ce n’est pas nous qui avons inventé tout ça…

François Bayrou : Non, je n’ai pas dit que c'était vous.

Nathalie Saint-Cricq : Pas moi personnellement.

François Bayrou : J'ai trop de respect pour vous.

Caroline Roux : Donc ?

François Bayrou : Écoutez, vous êtes président de la République, vous êtes devant une crise terrible qui est venue de l'extérieur. Une de l'intérieur très importante, c'est les gilets jaunes. Je considère que c'est la crise la plus révélatrice qu'on ait eue ces dernières décennies. Parce que la crise des gilets jaunes, ça veut dire qu’il y a des gens dans la société, des gens en bas, comme ils disent, qui ont le sentiment, la certitude qu'on ne tient pas compte, qu'on ne les regarde pas. Et pour moi, s'il y a un but à atteindre, c'est le but de la réconciliation entre la base et le prétendu sommet.

Nathalie Saint-Cricq : Et si ça ne marche pas ?

François Bayrou : Attendez, attendez.

Nathalie Saint-Cricq : Parce qu'on n'a pas beaucoup de temps. C'est aussi pour savoir… Vous pouvez répondre en même temps : si ça ne marche pas, est-ce que vous n'auriez pas vendu à Emmanuel Macron…

François Bayrou : Je n’ai rien vendu à Emmanuel Macron.

Nathalie Saint-Cricq : … quelque chose de présomptueux, genre « je vais réussir », même si l’Himalaya…

François Bayrou : J’avais commencé une réponse...

Nathalie Saint-Cricq : D'accord.

François Bayrou : ...qui disait : vous êtes président de la République, vous êtes devant cette multiplicité de crises – le covid, la guerre en Ukraine, l'augmentation du prix de l'énergie… Nous allons payer l'énergie 20 fois plus cher que les Etats-Unis. Vous vous rendez compte de ce que ça veut dire ?

Caroline Roux : Je ne sais pas comment on arrive de ma question, à cette réponse.

François Bayrou : Vous allez voir. Vous êtes président de la République, vous êtes devant une crise comme ça, vous n'avez pas le droit de réfléchir à qui vous allez mettre à Matignon et d'hésiter entre plusieurs hypothèses ?

Caroline Roux : Donc il a hésité. C'est ça que vous êtes en train de dire ?

François Bayrou : Il a hésité. Et après tout, pourquoi aurait-il fait autrement ? Et nous avons eu une discussion dans laquelle j'ai essayé de lui montrer que je pensais qu'il fallait faire différemment. Et c'est le choix qu'il a fait au terme de cette discussion.

Nathalie Saint-Cricq : Donc ce soir n'est pas à la case départ. Vous considérez qu'il y a eu des avancées et que vous ne lui avez pas vendu quelque chose ?

François Bayrou : Je suis certain.

Nathalie Saint-Cricq : Vous êtes optimiste ?

François Bayrou : Contrairement à ce que vous pensez…

Nathalie Saint-Cricq : Je ne crois rien.

François Bayrou :  … « assez avancé » intellectuellement ou par l'analyse. Il participe.

Caroline Roux : Une question sur Nicolas Sarkozy.

Nathalie Saint-Cricq : Oui, Nicolas Sarkozy a considéré qu'il avait été victime d'un système en étant inéligible pour un an, en étant condamné à un an de bracelet électronique. C'est quelque chose de difficile qui n'a jamais été vu pour un président de la République. Est-ce que vous considérez que la justice a fait son travail ou qu'elle est politisée ? En gros que les magistrats sont de gauche et qu'ils sont vengés...

François Bayrou : Je vais vous dire exactement ce que je pense. Dans la fonction de Premier ministre, je n'ai pas le droit de commenter les décisions de justice, comme vous le savez. Mais si vous me demandez ce que j'ai ressenti… J'ai affronté Nicolas Sarkozy durement dans la vie. Et quand j'ai appris ce verdict, ça m'a fait peine.

Caroline Roux : C’est-à-dire ?

François Bayrou : Ça m’a fait peine pour lui, ça m'a fait peine pour les siens. Et je sais ce que c'est que de se trouver devant l'appareil de la justice et ce sentiment-là, je ne l’efface pas.

Dominique Seux : Et donc, vous comprenez ce recours devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme ?

François Bayrou : Tous les recours sont légitimes et celui-là n'est pas suspensif.

Caroline Roux : Je voudrais vous montrer une image pour terminer cette interview. Une image de Gisèle Pelicot. Le verdict a été rendu. C'est la fin d'un procès qui marquera l'histoire dans les violences faites aux femmes. Elle s'est battue pour que la honte change de camp. Les peines vont de 3 à 20 ans. Qu'avez-vous envie de dire ce soir à Gisèle Pelicot ?

François Bayrou : J'ai envie de lui dire qu'elle est très courageuse. Tout le monde le lui dit et c'est vrai. Elle a osé affronter le pire du pire, c'est-à-dire l'horreur absolue, dégueulasse, par l'homme dont elle partageait la vie, qui était l'homme de sa vie. On peut difficilement imaginer pire que ça, pire comme évocation de salissure et pire comme trahison. Je ne sais pas quel mot on pourrait trouver. C'est quelque chose qui n'est envisageable par personne.

Caroline Roux : Et vous lui dites merci, comme certains le lui ont dit. Olaf Scholz lui a dit merci pour ce qu'elle a fait et le courage qu'elle a eu.

François Bayrou : Je lui dis merci et je lui dis que j'ai été éperdu d'admiration devant cette incroyable audace d'accepter exposer le pire du pire pour les autres.

Caroline Roux : Merci beaucoup Monsieur le Premier ministre d'être venu sur le plateau de L'Événement pour cette toute première interview. Merci à tous les deux de m'avoir accompagnée.

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