Passation de pouvoir entre Michel Barnier et François Bayrou, Premier ministre

Ce vendredi 13 décembre a eu lieu la passation de pouvoir entre François Bayrou, Premier ministre, et Michel Barnier, son prédécesseur.

Seul le prononcé fait foi.

Monsieur le Premier ministre, cher Michel,

Vous avez dit que nous nous connaissions depuis longtemps, c'est absolument vrai. Notre premier engagement ensemble, c'était dans un mouvement qu'on appelait Les Rénovateurs. Et en effet, c'est une tâche qui est encore devant nous aujourd'hui.

Je veux commencer en vous exprimant un sentiment de gratitude. Gratitude de citoyen pour le risque que vous avez pris de vous engager dans cette fonction, pour avoir affronté la difficulté des temps, et Dieu sait que cette difficulté des temps est importante, pour le désintéressement que vous avez manifesté qui donne de l'engagement politique, une image que vous et moi et beaucoup de millions de Français nous aimons. Et donc je voulais vous dire merci pour cet engagement et pour ce risque.

Alors je ne serai pas très long pour ne pas m'exposer à des incidents que je redouterai, étant donné votre verbe. Je veux dire des choses très simples. La première de ces choses, c'est que nul plus que moi ne connaît la difficulté de la situation. J'ai pris des risques inconsidérés dans ma vie politique pour poser dans les élections les plus importantes, dans les échéances électorales essentielles, la question de la dette et des déficits. J'ai même conduit des campagnes présidentielles sur ce thème, et tout le monde, nous en disions un mot avec le sourire tout à l'heure, tout le monde disait : « mais il est complètement fou, on ne fait pas une campagne sur la dette ». Eh bien, je crois que cette question-là, déficit et dette, c'est une question qui pose un problème moral, pas un problème financier seulement. Un problème moral. Parce que se débarrasser de ses charges sur ses enfants, dans les pays comme les nôtres, dans les pays de montagne, d'enracinement, c'est très mal vu. À juste titre. Et donc, votre message sur la gravité de la situation, je le reçois et je le partage. C'est le premier point.

Et c'est pourquoi, devant une situation d'une telle gravité, ma ligne de conduite sera de ne rien cacher, de ne rien négliger et de ne rien laisser de côté. Je sais que la tentation est dure. Écoutez, prenez un ou deux sujets, concentrez-vous là-dessus et laissez faire le reste dans la médiocrité. Je ne choisirai pas cette ligne. Je pense que nous avons le devoir, dans un moment aussi grave pour le pays, pour l'Europe, et devant tous les risques de la planète, nous avons le devoir d'affronter les yeux ouverts, sans timidité, la situation qui est héritée de décennies entières dans lesquelles on n'a pas regardé comme nécessaire et urgent la recherche des équilibres sans lesquels on a du mal à vivre. Disons simplement que les dernières années, l'accumulation de crises a été telle que les explications sont parfaitement compréhensibles.

Je veux dire simplement que j'ai deux obsessions. La première obsession, qui est pour moi un des risques les plus graves, c'est le mur de verre qui s'est construit entre les citoyens et les pouvoirs. Entre la base, les femmes et les hommes, les familles, ceux qui travaillent, ceux qui cherchent du travail, ceux qui sont à la retraite, ceux qui mènent la vie des Français dans le voisinage, ceux qui affrontent des difficultés dont ils ne voient pas le relais dans la vie publique. Ce mur de verre, cette séparation, cette rupture, pour moi c'est un ennemi à combattre. Et notamment la compréhension de ce que nous disons. Les mots qu'on utilise pour décrire la situation. Les éléments de langage comme on dit. Si je peux, j'ai une absolue conscience de la difficulté de la tâche, si je peux, j'essaierai de débarrasser notre vie publique et nos débats des paroles artificielles, des mots dont on a le sentiment qu'ils étaient écrits bien avant qu'on les prononce, et d'ailleurs qu'on aurait pu deviner à l'avance ce que ceux qui les prononcent allaient dire. Ça, c'est le premier point.

Le deuxième point, qui était l'essentiel de la promesse du président de la République élu en 2017. Ce que le président de la République élu avait porté devant les Français, c'était l'idée qu'on ne pouvait pas se trouver devant un destin dont on n'était plus maître et dans lequel on n'avait aucune chance de progression. Et c'est pourquoi, naturellement, je pense à l'école, dont je me suis occupé pendant des années et qui n'a pas cessé d'être, dans ma vie, un point fixe. L'idée que, parce qu'on est né dans un quartier ou dans un village, on aurait tort d'oublier les villages, parce qu'on porte un nom, parce qu'on pratique une religion ou qu'on est attaché à cette religion… L'idée que, en réalité, les portes ne sont pas ouvertes pour vous. L'idée que c'est ceux qui ont les codes qui savent comment se diriger. Ceux-là connaissent la carte et ont la boussole pour se diriger dans la vie. Et si vous ne les avez pas, cette carte et cette boussole, ces connaissances, ces réseaux, ces moyens, alors vous vous trouvez aujourd'hui, je le crains, dans une situation qui est moins ouverte qu'elle ne l'était il y a quelques décennies. Et pour moi, ceci est insupportable. Je viens de là. Je viens au pied des Pyrénées bleues. Je viens de milieux sociaux et de villages. Et j'ai fait toute ma vie sans les quitter. Je viens de milieux sociaux et de villages qui n'ont pas la chance d'être protégés, favorisés. Je trouve que notre devoir de citoyen, de père de famille, notre devoir de républicain, c'est que nous soyons obsédés pour rendre des chances à ceux qui n'en ont pas. C'est pour moi un devoir sacré et je n'ai pas l'intention de le négliger. C'était la promesse du président de la République et c'est à cette promesse que je compte être fidèle dans les fonctions si difficiles que vous me transmettez.

Je sais que les chances de difficultés sont beaucoup plus importantes que les chances de succès. Je n'ignore rien de l'Himalaya qui se dresse devant nous, de difficultés de toute nature, la première est budgétaire, naturellement, puis politique, et puis de l'éclatement de la société où nous sommes. Je sais tout ça. Je pense qu'il faut essayer. Et je pense que si on essaie, peut-être pourra-t-on trouver un chemin inédit. Et ce chemin, en tout cas, je sais de quoi il est marqué. Il est marqué de la volonté de réconciliation.

Il se trouve que, comme tout le monde l'a noté, c'est aujourd'hui l'anniversaire de la naissance d'Henri IV. Comme vous savez, c'est un ami pour moi. C'est un des seuls amis que j'ai eu toute ma vie et un des seuls qui m'ait vraiment donné un coup de main. Je lui ai consacré beaucoup de livres et c'est une figure très importante. Il a fondé sa rencontre avec la France dans des temps aussi difficiles et plus difficiles que ceux que nous vivons aujourd'hui. Il a fondé cette rencontre sur la nécessité de sortir des guerres stupides ou des guerres secondaires pour se retrouver sur l'essentiel qui est l'avenir du pays. Si je peux, à mon tour, j'essaierai de servir cette réconciliation nécessaire. Et je pense que c'est là le seul chemin possible vers le succès.

Merci de votre présence et de votre amitié.

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