Marina Ferrari : « Le temps de l’impunité des plateformes est révolu »
Retrouvez ci-dessous l'entretien accordé par Marina Ferrari, secrétaire d'État chargée du Numérique, à l'hebdomadaire Le Journal du Dimanche.
Propos recueillis par Antonin ANDRÉ
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Le président de la République veut interdire l’accès aux réseaux sociaux aux mineurs de 15 ans. Concrètement, comment le mettre en œuvre ?
On ne peut plus laisser les parents sans solution et les enfants sans protection : il faut bâtir, comme le président de la République l’a clairement affirmé lors de son discours sur l’Europe, cette majorité numérique à 15 ans. Dans ce cadre, je veillerai à ce que les données sensibles, comme l’identité du parent responsable, ne soient pas accessibles aux plateformes. Il n’est pas question de mettre à leur disposition les livrets de famille des Français. Nous travaillons sur des pistes pour garantir l’immunité de ces données.
Comment lutter contre les messageries facilement accessibles où les mineurs sont exposés à d’éventuels pédophiles, comme le site coco.gg ?
Il faut différencier les espaces de discussion publics, que nous régulons, et les messageries qui relèvent du secret des correspondances. Seuls des moyens d’investigation judiciaire peuvent dans ce cas établir les responsabilités et décider d’une fermeture.
Mais les plaintes interviennent une fois que les faits ont été commis. Est-il impossible de fermer ces messageries en amont ?
Nous avons renforcé notre arsenal législatif. Grâce au texte que je viens de porter devant le Parlement, l’Arcom pourra procéder au blocage des sites qui diffusent des contenus inappropriés aux mineurs dans leur partie publique.
Ça ne résout pas le problème des messageries. Pourquoi ne peut-on pas les bloquer ?
La domiciliation du site Coco à Guernesey complexifie les investigations mais elles se poursuivent.
Sont-ils insaisissables ?
Ils ne sont pas insaisissables mais en démocratie, on ne bloque des espaces de communication libres que sur la base de preuves pénales. Établir une complicité entre les propriétaires du site et les agresseurs qui utilisent ces espaces conversationnels relève de la seule justice.
Le numérique est un enjeu stratégique et l’Europe semble souvent dépassée par les géants du secteur comme Google, Meta, TikTok…
La mise en application du DSA – règlement européen sur le numérique –, avec des engagements clairs et des sanctions très dissuasives, a prouvé le contraire. Prenons l’exemple de TikTok Lite, qui récompensait financièrement le temps passé sur l’application, aggravant les phénomènes d’addiction. J’ai immédiatement fait part de mes inquiétudes. La commission a menacé TikTok de sanctions et ils ont supprimé en 24 heures la fonctionnalité. Le temps de l’impunité des plateformes est révolu.
Les États-Unis envisagent de fermer TikTok s’ils ne coupent pas avec la Chine. L’Europe peut-elle suivre cet exemple ?
Ce n’est pas que nous ne sommes pas capables de le faire, mais nos objectifs sont différents. Derrière le choix des Américains, il y a le prolongement de tensions géopolitiques avec la Chine. Nous n’avons pas la même approche. Le gouvernement français comme l’Union européenne exigent des acteurs du numérique une régulation de leurs outils pour protéger ses citoyens de leurs dérives, quelle que soit la nationalité des plateformes. Mais soyons clairs : en cas de non-respect de nos règles, les amendes peuvent atteindre 6 % du chiffre d’affaires mondial et la commission peut en dernier recours interdire leurs activités sur notre marché.
Deux événements majeurs sont devant nous : les élections européennes et les JO. La France est-elle armée pour faire face à des cyberattaques ?
Nous avons anticipé. Avec l’agence nationale de la sécurité des services d’information (Anssi), nous nous sommes préparés à des attaques ciblées contre des infrastructures critiques et d’autres à but lucratif via des rançongiciels. La Coupe du monde de rugby a permis de tester nos dispositifs. Je veux rassurer les Français et nos visiteurs : les lieux des compétitions et les acteurs majeurs des Jeux ont été audités. Nous sommes prêts ! De la même manière, pour les élections européennes, notre vigilance est maximale à l’échelle nationale avec Viginum [Service de vigilance et protection contre les ingérences numériques étrangères, NDLR] comme à l’échelle européenne pour lutter contre la menace informationnelle.
Le MoDem, auquel vous appartenez, est-il en ligne avec la fermeté du gouvernement en matière de délinquance des jeunes ? Ou de durcissement des conditions de l’assurance-chômage ?
Fermeté ne veut pas dire « immodération ». Je suis très à l’aise avec cette ligne si restaurer l’autorité ne se réduit pas à un renforcement de sanctions. François Bayrou a toujours prôné le respect de l’autorité et il n’avait d’ailleurs pas hésité à se faire respecter lors de sa campagne présidentielle lorsqu’un jeune avait tenté « de lui faire les poches »… Aujourd’hui, nous sommes confrontés à des délinquants de plus en plus jeunes. Lutter contre ce phénomène passe par une meilleure régulation de l’espace numérique mais aussi par une plus grande responsabilisation des parents. Concernant l’assurance-chômage, il n’y a pas une semaine qui se passe sans que je ne rencontre des chefs d’entreprise qui me disent : « Je n’ai pas suffisamment d’employés pour faire tourner ma boîte. » Poser à nouveau la question de l’assurance-chômage n’est pas un tabou.
François Bayrou a-t-il un successeur ? Ou reste-t-il le seul capable d’incarner vos idées,en vue de 2027 ?
François Bayrou reste le chef de notre famille politique. Il a rassemblé autour de lui des talents et sa voix continue à peser sur les grands débats nationaux. Sa succession n’est pas à l’ordre du jour.
Le MoDem ne disparaîtra donc pas avec François Bayrou ?
Non. La famille centriste a un siècle et son projet humaniste a toujours survécu à ses artisans. Je sais que François Bayrou partage cette conviction.