François Bayrou : « Notre conviction est que seule une prise de conscience de nos concitoyens, seule la confrontation les yeux ouverts avec la vérité de notre situation peut soutenir une action déterminée. »
Retrouvez ci-dessous le discours de François Bayrou prononcé ce mardi 15 avril, lors de la conférence de presse sur les finances publiques.
Seul le prononcé fait foi
Madame et Messieurs les ministres d’État,
Mesdames et Messieurs les ministres,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs les représentants des partenaires sociaux,
Mesdames et Messieurs les représentants des associations d’élus locaux,
Mesdames, Messieurs,
Il est des rendez-vous cruciaux dans l’agenda politique du Gouvernement, il est des heures de vérité décisives. Celle-ci en est une. Je le disais dès le discours de politique générale.
Les circonstances dans lesquelles ce gouvernement a été formé sont exceptionnelles. Je veux dire exceptionnellement exigeantes, exceptionnellement difficiles.
C’est une raison de plus pour ressaisir les énergies et affronter les obstacles : c’est de cette confrontation, de cette seule confrontation entre le réel, aussi incommode qu’il soit, et notre volonté, notre ambition pour la nation, que pourront naître les orientations d’avenir pour le pays.
Je ne m’étendrai pas sur le labyrinthe des difficultés politiques. Le jour de la formation du gouvernement, le 23 décembre, il y a à peine trois mois et demi, nous n’avions pas de majorité, le gouvernement de Michel Barnier avait été renversé, nous n’avions pas de budget pour l’action publique, nous avions encore moins de budget pour l’action sociale, et 84 % des Français jugeaient que le gouvernement ne passerait pas le mois. Nous avions devant nous un parcours d’obstacles sans précédent, chacune des forces politiques présentant ses « lignes rouges », comme autant de menaces braquées contre toute avancée. Nous avons dû en cinq semaines surmonter six motions de censure pour parvenir à faire adopter les deux budgets vitaux pour notre action, pour la capacité de la France, pour notre crédibilité comme nation et comme État.
Nous avons ensuite fait adopter des textes importants comme la loi d’orientation agricole, la loi d’urgence pour Mayotte, la loi sur le narcotrafic : en tout, 21 textes différents.
Mais pendant ces quelques semaines, l’ouragan en marche sur la planète depuis le 24 février 2022, date de l’agression contre l’Ukraine indépendante et souveraine par la Russie de Vladimir Poutine, l’une des armées les plus puissantes de la planète, s’est dramatiquement aggravé. La guerre ne s’est pas calmée, les exactions ont continué, la mort a frappé des milliers de civils et de militaires supplémentaires.
À ses confins orientaux, l’Europe se sent menacée dans son intégrité. Mais surtout comme si la guerre ne suffisait pas, un tsunami de déstabilisation est venu chambouler la planète.
Ce tsunami est d’abord stratégique. Le monde ébahi a vécu en direct un renversement des alliances que nul ne pouvait imaginer. Comme dans une série télévisée, en direct du bureau ovale de la maison blanche, le Président des États-Unis a intimé l’ordre à son allié agressé, le Président ukrainien Volodymyr Zelensky d’avoir à se rendre sans délai aux exigences de son agresseur, c’est-à-dire de renoncer à la liberté et à la souveraineté de son pays, sous la menace de se voir privé de toute aide militaire. Abandon et intimidation, entre alliés !
Les États-Unis étaient jusqu’à ce jour le pays pivot de l’alliance des nations libres. Il était le pays qui accueille sur son sol le siège des Nations-Unies, la première économie du monde, membre essentiel du Conseil de Sécurité, garant du Droit entre les nations. Que cette nation et cette puissance, un des socles de l’ordre mondial, puisse en un instant passer du côté des agresseurs, pour le monde qu’on disait « libre », c’est un coup de théâtre, un coup de semonce, qui ruine notre vision fondamentale du monde.
Jusque-là, l’Occident, le continent européen et le continent américain, du Canada à de grands pans de l’Amérique Latine, et leurs alliés en Asie, le Japon, la Corée du Sud, tous aussi différents qu’ils puissent être, étaient réunis autour de l’idée fondatrice des libertés et du Droit. Et à leur tête, croyaient-ils, marchaient les États- Unis d’Amérique. C’est cette vision du monde qui s’est trouvée ruinée en un instant, dans l’espace de quelques semaines.
Et comme si cela ne suffisait pas, ce tremblement de terre suivi de tant de dégâts géopolitiques et moraux, s’est doublé d’une réplique de terrible puissance, celle-là dans le domaine de l’économie, des échanges et du commerce. Le président des États-Unis a déclenché un cyclone dont les conséquences ne cesseront pas de sitôt.
En donnant le signal de départ d’une guerre commerciale planétaire, sans avertissement, du jour au lendemain, frappant d’inimaginables droits de douane les échanges entre les Etats-Unis et leurs concurrents chinois et très vite leurs plus proches alliés, les obligeant à des mesures de rétorsion en elles-mêmes dangereuses, avant des volte-face imprévisibles, des allers et des retours, ce cyclone, en quelques jours a jeté à bas le cadre même, les fondations et la charpente de notre vie économique mondiale.
Les conséquences de cet épisode seront nécessairement de long terme. Car l’économie fonctionne sur deux principes, tous les deux atteints par la décision de Donald Trump : la confiance dans un certain nombre de règles intangibles connues de tous et l’idée que le progrès économique traverse les frontières pour le mieux-être de tous, consommateurs et producteurs.
Si ces deux principes sont respectés, l’avenir est relativement lisible, on peut anticiper, investir, prendre des risques. C’est cela qui s’est effondré et la confiance, qui considère que l’avenir est relativement garanti, cette confiance une fois jetée à terre par le cyclone ne se reconstruit pas d’un claquement de doigts.
Voilà le paysage désormais. Voilà le paysage tourmenté dans lequel se dresse la montagne de difficultés que notre pays doit affronter, et à laquelle se heurtent les responsables politiques, majorité après majorité, alternance après alternance, gouvernement après gouvernement, sans jamais trouver de réponse. Notre conviction est que seule une prise de conscience de nos concitoyens, seule la confrontation les yeux ouverts avec la vérité de notre situation peut soutenir une action déterminée. Rien ne serait possible sans leur soutien. Et leur soutien ne viendra que de leur pleine information.
Lénine et Trotski, que je ne cite pas tous les jours, le disaient déjà avec la même formule : « seule la vérité est révolutionnaire ! ». Je suis plus près de Pierre Mendès France, qui s’adressant aux parlementaires en 1953 leur disait : « parler le langage de la vérité, c’est le propre des véritables optimistes, et je suis optimiste, moi qui pense que ce pays accepte la vérité, qu’il est prêt à prendre la résolution inflexible de guérir, et qu’alors il guérira ».
Nous devons prendre conscience de la gravité de la situation, en écartant comme nos pires ennemis la peur et la tentation du découragement. Ce temps du constat, loin d’être un frein à l’action, est donc dans mon esprit le temps de la mobilisation.
Si l’on veut prendre la mesure de la situation de notre pays telle que la ressentent les Français eux-mêmes, la première considération est celle du manque de moyens financiers auquel nous sommes exposés tant pour l’action publique que pour la vie personnelle.
Pas assez de moyens pour les services publics, pas assez de ressources pour la vie personnelle ou la vie du foyer.
Y a-t-il une explication certaine et que nous pourrions partager ? La réponse est oui.
La première explication est simple, et pourtant trop souvent ignorée. Nous n’avons pas assez de ressources parce que notre pays ne produit pas assez. Nous manquons de ressources parce que nous ne produisons pas assez pour les créer.
Si l’on veut mesurer ce déséquilibre, il est facile de regarder la différence de production par habitant entre notre pays et ses principaux voisins de même niveau de développement. Le produit intérieur par habitant est inférieur en France à celui de l’Allemagne de 10 à 15 % selon les années. Il est inférieur à celui des Pays-Bas de presque 25 %. Il est inférieur à celui des États-Unis de 30 %.
Si notre production par habitant était dans la même gamme que celle de nos voisins européens, nous n'aurions plus de déficit budgétaire, et nos concitoyens qui gagnent quelque 2000 € par mois, approcheraient les 2500 €, et cela changerait notre vie et la leur.
Nous ne produisons pas assez et il n'y a aucune raison acceptable pour un tel retard. Il suffit d'examiner les résultats de notre commerce extérieur. Nous sommes le seul pays de notre niveau dans l'Union européenne qui accumule un tel déficit commercial.
Alors qu'en l'an 2000 la France avait un solde commercial équilibré, nous avons aujourd'hui un déficit commercial qui s'élève à 100 milliards par an. Sur ces 100 milliards, 40 nous sont imposés, c'est notre déficit sur le poste hydrocarbures.
Mais bien d'autres postes sont améliorables : il est impératif de réduire nos dépendances, agricoles, industrielles, intellectuelles, soit en produisant davantage ce que nous achetons, soit en modifiant nos modes de consommation. Le grand domaine de la décarbonation de nos usages et l'électrification doivent par exemple nous aider à réduire notre dépendance aux hydrocarbures importés.
Le commerce extérieur offre de la crise de notre appareil productif une photographie cruelle. Cette situation est d'autant plus paradoxale que nous avons les capacités de produire les réussites les plus exigeantes, des fusées, des satellites, les meilleurs avions du monde, idem pour les hélicoptères, des navires, des sous-marins, des centrales nucléaires, des voitures de qualité, des trains remarquables, que nous avons des chercheurs et des entreprises de pointe dans le secteur de l'intelligence artificielle, des logiciels, de l'algorithmique, de la robotique, mais aussi dans le domaine chimique ou pharmaceutique. Nous sommes leaders dans des productions agricoles que le monde nous envie, les grands vins, les champagnes, les cognacs et les armagnacs, les spiritueux en général. Dans tous ces domaines, nous maîtrisons le haut de la pyramide, ce qui est le plus difficile, ce qui est inatteignable, mais nous sommes presque totalement absents de la base des produits industriels et agricoles que consomment les Français.
La politique de retour de la production et de réindustrialisation, si l'on veut s'y engager avec l'énergie nécessaire, doit devenir une obsession pour notre nation tout entière et un principe d'organisation de notre économie.
Et nous avons besoin, ai-je besoin de le rappeler, d'une Europe unie et puissante, pour garantir que les conditions de production et de commerce seront équitables. Pour écarter le dumping qui constitue une menace létale. Seuls dans le monde de puissances sans scrupule, nous serions réduits à la dernière impuissance. Nous sommes avec nos productions une puissance exportatrice, et l'on voit comme les dernières crispations sont pour nous menaçantes !
Parmi les domaines qui commandent la production, il y a le travail. Le travail n'est pas pour nous seulement un facteur de production. Il est aussi, et autant, facteur d'équilibre et d'épanouissement personnel. Mais du point de vue de la société, l'exclusion du travail est un malheur. Et cette exclusion se concentre sur les juniors et les seniors. C'est l'explication brute du taux d'emploi trop faible chez les travailleurs français.
La deuxième grande série d'explications de nos difficultés est que nous n'avons pas assez de ressources parce que nous dépensons trop par rapport à nos recettes. Nous sommes le pays du monde qui dépense le plus d'argent public (57 % du PIB contre 50 % de recettes). Et pourtant la France est loin d'être en haut du classement des pays de l'OCDE pour le niveau de vie (16ème position pour le PIB par tête en 2022), le taux de chômage (30ème position), les inégalités (12ème position).
Une politique de rééquilibrage des dépenses publiques est possible comme le montrent les comparaisons internationales. Beaucoup de pays, plus développés que nous du point de vue de l'épanouissement de leurs citoyens, de l'éducation, de la santé, ont fortement réduit leurs dépenses publiques lorsqu'elles ont été menacées de déséquilibre. Le Canada, la Suède, les Pays-Bas, ont réussi à les maîtriser, alors qu'elles ne cessaient d'augmenter chez nous. Et ce qui est frappant, c'est que les habitants de ces pays où les efforts de rééquilibrage ont été conduits, sont précisément ceux qui se déclarent les plus heureux dans les comparaisons internationales, alors que 64 % des Français dans un sondage récent s'affirment pessimistes quant à l'avenir de leur pays.
Ce constat a une signification précise : l'excès de dépense publique ne fait pas le bonheur des peuples ! Nos dépenses sont les plus lourdes de tous les pays du monde, mais elles n'ont pas l'efficacité à laquelle nos concitoyens devraient avoir droit ! Ils n'en ont pas pour leur argent !
Alors, comment rééquilibrer ? Deux solutions de facilité ne peuvent plus être choisies, car elles sont intenables. La première solution serait de penser que si l'État n'a plus assez d'argent dans ses caisses, il lui suffit d'augmenter les prélèvements. Raisonnement qui paraît simple, mais qui est intenable. Car la France est déjà le pays qui détient le taux de prélèvements obligatoires, d'impôts et de taxes de toutes natures, le plus élevé dans le monde. En 2024, le taux de prélèvements obligatoires s'établit à près de 43 % du produit intérieur. Les prélèvements en Allemagne sont autour de six points de moins. Si nous choisissions de continuer de les augmenter, c'est notre pays qui au bout du compte en souffrirait. C'est devenu presque une loi universelle, plus l'impôt est lourd, plus les contribuables se dérobent et moins les investisseurs s'engagent.
La deuxième solution de facilité serait d'emprunter. C'est ce que nous faisons depuis des décennies. Nous nous trouvons aujourd'hui au bord d'une situation de surendettement intenable. La comparaison avec notre voisin allemand est à cet égard très frappante : quand la zone euro a été créée, à la fin des années 90, l'Allemagne et la France avaient une dette similaire, autour de 60 % du produit intérieur. Et puis les trajectoires ont gravement divergé : aujourd'hui, la dette de l'Allemagne se trouve toujours aux environs de 60 % du PIB, alors qu'en France elle a dépassé les 110 %, 3300 milliards d'euros exactement. Notre dette, c'est plus d'une année de la totalité de ce que notre pays a produit, dans toutes ses activités agricoles, industrielles, intellectuelles, dans la santé ou dans le soin. La situation d'endettement de la France est telle que c'est comme si chaque Français, quel que soit son âge, devait à sa banque près de 50 000 €. 200 000 € pour une famille de quatre personnes.
Or plus notre dette s'accroît, dans un contexte où les taux d'intérêt progressent, plus le remboursement de cette dette pèse dans notre budget annuel. Ce qu'on appelle la charge de la dette, l'ensemble des dépenses des administrations publiques consacrées au paiement des intérêts de cette dette, cette année de 62 milliards, est d'ores et déjà similaire au montant des crédits consacrés à notre défense (62 milliards), ou à l'éducation (62,9 hors pensions de retraite des enseignants). Et ce budget est parti presqu'inexorablement pour atteindre 100 milliards d'euros en 2029. Cette fatalité du surendettement est inacceptable, non pas qu'elle ne serait pas agréable, mais au sens plein que nous ne pouvons pas en supporter durablement la charge !
À l'heure où le contexte géopolitique devrait nous obliger à investir dans notre défense et dans notre recherche, nous ne pouvons pas nous saigner aux quatre veines chaque année pour rembourser nos dettes passées plutôt que de préparer l'avenir. Une telle situation menace gravement notre indépendance.
Tout abaissement de la notation de la dette de la France par les agences de notation, dont vous connaissez le nom, Standard & Poors, Moody's, Fitch, entraînerait une augmentation des taux d'intérêt et donc une augmentation plus forte encore de la charge de remboursement que cette dette impose au pays. C'est un cercle vicieux, un piège dangereux, potentiellement irréversible qu'il convient d'identifier et dont nous devons partager la pleine connaissance avec les Français. Ce risque est politiquement insoutenable. Mais plus profondément encore, il est moralement inacceptable.
Quand on parle de morale en politique, on juge souvent les conséquences présentes des actions menées par les responsables politiques. Mais on devrait aussi juger les conséquences futures de leurs actions, car la responsabilité de toute femme ou tout homme politique s'étend aux générations à venir. Voulons-nous leur transmettre un héritage grevé de dettes ? Quand vous héritez à titre personnel d'un patrimoine trop endetté, vous avez toujours la possibilité d'y renoncer. C'est la loi qui régit les héritages familiaux. Mais l'héritage national n'est pas récusable. Les salariés d'aujourd'hui, pas plus que nos enfants et nos petits-enfants, n'auront aucune possibilité de refuser la charge de la nation qu'on leur aura laissée. Il est moralement insoutenable de faire supporter aux générations de travailleurs actuelles et futures nos dépenses de tous les jours.
Il y a pourtant une bonne dette, à côté d'une mauvaise. La dette légitime et utile, c'est celle qui permet de financer des investissements porteurs d'avenir, les écoles, les universités, les voies de chemin de fer - , mais ce n'est pas cette dette que nous avons privilégiée. Nous aurions dû investir dans la recherche, dans l'innovation. Nous avons préféré la dette de facilité qui finance le train de vie quotidien, nos feuilles de maladie d'aujourd'hui, les déficits de fonctionnement et les dépenses courantes.
Si nous avons les yeux ouverts, nous devons constater qu'en fait nous n'avons pas le choix, nous devons agir. Nous devons agir avec résolution mais aussi dans le respect de ce que nous sommes, de notre modèle social et de notre République décentralisée. Nous devons agir pour garantir la survie de notre modèle social, ce modèle unique de solidarité qui se décline dans le domaine de l'éducation, de la santé ou de l'emploi.
Notre modèle social fait partie de notre identité française : chaque Français sait qu'il peut compter sur les autres, sur ses concitoyens, sur ses voisins au sens large, pour faire face aux accidents de la vie. Enfants, adolescents, actifs, retraités : à tout âge de la vie la solidarité nationale s'exerce. Et elle s'exprime dans tous les champs de la vie, dans la sphère familiale aussi bien que dans la sphère professionnelle. C'est notre modèle de société, inséparable de notre modèle national depuis le Conseil national de la résistance.
Mais nous savons aussi que notre système doit connaître des évolutions, et même des révolutions, afin d'affronter le plus grave des défis à venir, le défi démographique. L'effondrement de la natalité, le vieillissement de notre population nous obligeront à ajuster et même à réinventer notre système de protection collective, qui repose en fait sur une pyramide des âges équilibrée, afin de garantir la pérennité et la générosité de notre contrat social.
Nous devons également agir en restant fidèles à notre organisation décentralisée, en préservant l'autonomie des collectivités locales. Ce sont elles qui portent une grande part de l'investissement de notre pays, beaucoup plus que l'État. 70 % de l'investissement de notre pays est porté par les collectivités locales. Le bâtiment, les travaux publics, l'équipement de nos villes, l'implantation d'entreprises, le soutien aux associations : sans la présence active des collectivités, tous ces secteurs d'activité, tous ces acteurs essentiels de notre tissu économique et social ne pourraient tenir. Et elles se révèlent d'autant plus indispensables aujourd'hui que de très nombreux enjeux sont territoriaux. Je pense à la santé notamment, et à la question urgente des déserts médicaux sur laquelle le Gouvernement travaille pour apporter, avant la fin avril, des réponses efficaces, immédiates et concrètes. Je pourrais aussi citer le logement ou les transports. Il en va de la défense du premier terme de notre devise, « l'égalité », mais aussi du troisième « la fraternité », car c'est la cohésion nationale qui est ici en jeu.
C'est dans ce cadre, en prenant appui sur la prise de conscience des citoyens de la réalité de la situation du pays, que le gouvernement choisit les quatre orientations de son action, qui seront, pour reprendre l'image de notre Himalaya, quatre voies d'ascension :
Premièrement, notre indépendance en matière de sécurité et de défense. Nous ne pouvons pas être pris en défaut du point de vue de notre sécurité. Devant le gigantesque effort d'armement de la Russie, le gigantesque effort d'armement de la Chine, le pas de côté des États-Unis, certes dotés de la première armée au monde mais ne considérant plus que l'Europe soit pour l'avenir leur priorité de défense, l'Union européenne a le devoir impérieux de construire une défense autonome ! Cette défense autonome doit être le résultat d'un immense effort commun, nécessaire de la part des autres pays européens, et d'abord de nos partenaires allemands, et aussi d'un effort français renforcé. Le gouvernement affirme donc ses choix pour répondre à l'effort nécessaire : respecter les engagements pris dans le cadre de la loi de programmation (50,4 milliards cette année), prendre notre part de la remise à niveau en tenant compte des efforts que la France a déjà consentis (par exemple pour notre force de dissuasion) ce qui signifie un effort de quelque 3 milliards supplémentaires l'année prochaine, être présents au rendez-vous de la garantie de sécurité de nos alliés ukrainiens, si un accord équilibré était signé, ce qui est loin d'être garanti. Cette question de la sécurité collective est un défi. Notre continent tout entier, à la seule exception de la France, s'en était remis pour sa sécurité aux États-Unis, les yeux fermés. Nous savons aujourd'hui ce qu'il en est, et combien les avertissements du Général de Gaulle sur le « tout peut arriver » étaient fondés. Il est de notre responsabilité de faire face comme la France n'a hélas pas su le faire à temps dans les années 30 et comme au contraire cela fut fait dans les années 60. À chaque génération son rendez-vous d'indépendance et de sécurité pour notre pays, mais cette fois l'échelle est celle de l'Union européenne tout entière.
Deuxième choix, le refus du surendettement : la trajectoire budgétaire définie pour 2025 et 2026 doit être maintenue, en gardant l'objectif d'un retour aux 3% de déficit en 2029. Contrairement à ce que l'on a beaucoup entendu dire, ce chiffre des 3% n'est pas un chiffre au doigt mouillé. 3 % c'est le seuil en-deçà duquel la dette n'augmente plus. Baisser les déficits, nous-mêmes avons su le faire à partir de 2017 : avant le Covid, nous avions réussi à réduire notre déficit dans les dépenses sociales. Nous étions alors remontés des profondeurs en repassant la barre des 3% de déficit. Mais la succession des crises – la crise sociale des gilets jaunes, la crise sanitaire du Covid, la crise géopolitique liée à la guerre en Ukraine et qui a entraîné une flambée des prix de l'énergie, un épisode d'inflation, et aujourd'hui la crise de confiance stratégique, industrielle et commerciale avec les États-Unis- nous a fait perdre pied. Nous devons nous rétablir.
Troisième choix, la refondation de l'action publique : nous ne pouvons pas accepter que la France soit le pays où l'on dépense le plus d'argent public, où l'on prélève le plus d'impôts, de taxes diverses et de cotisations, et que pourtant les Français s'accordent unanimement à constater que l'action publique ne marche pas. Pour beaucoup d'entre eux, la frontière entre action et inaction publique est devenue trouble. Le gouvernement a engagé une véritable remise à plat des missions et des budgets de nos administrations. Le 21 février dernier, j'ai réuni tous les ministres, tous les directeurs d'administration centrale, des représentants des préfets de région et de département, et nous avons lancé la première étape de cette refondation : demander à chaque administration une formulation claire des missions dont elle a la charge, afin que puissent être vérifiée la pertinence de ces missions et identifiés les doublons et les redondances. L'étape suivante sera celle de l'évaluation de l'exécution de ces missions, et c'est pourquoi j'ai pris l'initiative de transmettre ce document pour appréciation aux commissions parlementaires.
Enfin, ces trois choix ne seront pas suivis d'effet si nous ne garantissons pas la vitalité économique de notre pays. La bonne santé de notre société passe par des choix politiques qui encouragent et aident l'activité économique, pour que la France soit une terre attractive d'investissement, d'emploi, tournée vers l'innovation et la production. Depuis 2017, notre pays a réussi à retrouver un élan : alors que nous avions perdu 900 000 emplois industriels en 20 ans, 130 000 emplois ont été créés. Notre industrie a su se renouveler et s'emparer de sujets d'avenir, en prenant en compte les défis écologiques. Cela passe par l'innovation : nous avons vérifié la semaine dernière que dans le cadre du programme d'investissement France 2030, 15 milliards allaient pouvoir financer des projets innovants. Cela passe par la simplification : ni l'administration ni la bureaucratie ni les normes ne devraient constituer des obstacles à l'activité économique. Ce travail de levée d'obstacles nous allons le conduire avec les intéressés eux-mêmes, entreprises, artisans, familles elles-mêmes. Cela passe par la formation aux métiers d'avenir et l'acquisition et le renforcement des compétences. Je sais que le contexte actuel est difficile pour de nombreuses entreprises, de nombreux sites, de nombreux emplois. Le protectionnisme américain nous fait perdre des débouchés, il les fait aussi perdre à la Chine, qui dès lors se réoriente vers le marché européen. Sans parler des prix de l'énergie, qui sont nettement plus élevés en Europe qu'aux États-Unis. La question première de la reconstitution de notre base productive, du redressement de nos productions (industrie, énergie, agriculture), filière par filière, est un défi de plus en plus difficile à relever, mais de plus en plus nécessaire aussi.
J'ai la conviction que la démocratie sociale doit prendre sa part dans la résolution de ces problèmes. L'exigence de redressement du pays doit se faire avec un sentiment de justice, qui garantisse l'adhésion de tous. C'est toute notre société qui doit participer au mouvement nécessaire pour regagner notre indépendance et notre souveraineté.
L'exercice de vérité que nous faisons ce matin est essentiel, ou devrais-je plutôt dire l'épreuve de vérité tant les constats dressés nous font prendre conscience des déséquilibres que notre pays traîne depuis des décennies. Ces constats et ces déséquilibres, ils sont objectifs. Aucun des éléments que nous avons partagés, aucun des chiffres avancés n'est une opinion ou une interprétation. Ils sont des faits. Tous sont officiels. Ils sont le constat de notre situation même. C'est pourquoi nous abordons ce constat et nous exprimons cette détermination avec humilité. Nous avons une conscience aiguë de la difficulté de la situation. Mais il serait lâche et irresponsable de fermer les yeux, de pousser la poussière sous le tapis, de faire semblant. Ce n'est pas notre choix.
J'ajoute une chose : aucun gouvernement, ni le nôtre, ni ceux qui viendront après nous, ne pourra éluder cette question ! C'est de la survie de notre pays qu'il s'agit, de son indépendance, de sa liberté, de son équilibre et de sa paix civile. Et c'est à quoi, Mesdames et Messieurs, nous avons décidé de ne pas manquer ! Et enfin une dernière conviction : tous ces défis, sans exception, nous pouvons les relever. Les capacités de notre nation, elles sont plus puissantes qu'aucune de celles des pays qui sont nos partenaires. Il y a des continents d'énergie qui ne demandent qu'à s'exprimer. Il suffit que nous nous libérions des pesanteurs et des entraves qui nous emprisonnent. C'est ce mouvement de libération que nous avons entrepris ce matin.
Je vous remercie.