Retour sur le premier "Démocrate Hebdo" sur l'agriculture avec Michèle Crouzet et Nicolas Turquois
Mercredi 24 novembre, l'amphithéâtre Jean Lecanuet accueillait le premier "Démocrate Hebdo", série de rendez-vous entre nos députés, en binômes paritaires, et nos adhérents : nos parlementaires viennent présenter le bilan de leur action, sur ces 5 années, et la discussion s'ouvre sur les objectifs pour 2022. Pour cette première soirée, animée par Olivia Leboyer (responsable des études au MoDem) nous avons parlé d'agriculture, avec Michèle Crouzet (députée de l'Yonne, commission des affaires économiques) et Nicolas Turquois (député de la Vienne, commission des affaires sociales).
1 017 000 agriculteurs en 1988, 664 000 en 2000, 429 000 en 2017. Aucune autre profession, en France, n'a été frappée par une chute de ses effectifs aussi brutale. Au point que, dans leur dernier livre, La France sous nos yeux, Jérôme Fourquet et Jean-Laurent Cassely, n'hésitent pas à parler de "la fin des agriculteurs" (référence à La fin des paysans, d'Henri Mendras, 1967), allant jusqu'à dire qu'ils sont aujourd'hui "comme rayés de la carte".
Michèle Crouzet et Nicolas Turquois ont un lien intime avec le monde paysan : elle est fille et sœur d'éleveur de race bovine, dans la Nièvre ; il est agriculteur dans la Vienne, comme ses deux grand-pères, et pratique la polyculture. Pendant leur mandature, ils se sont battus pour l'amélioration des conditions de vie et de travail des agriculteurs. Pour la protection de leur rémunération, en particulier.
Dans la relation entre les producteurs, les distributeurs et les agriculteurs, ces derniers ne doivent pas subir en acceptant de vendre à prix cassés. Leur rémunération juste garantit l'équilibre de tous les maillons de la chaîne, qui va de la fourchette à la fourche. Michèle Crouzet le rappelle : la prise de conscience doit venir également du consommateur, qui peut devenir un consommacteur éclairé, en se souciant de la traçabilité des produits. Le rémunérascore indique en effet quelle somme revient au paysan.
Nicolas Turquois souligne que l'agriculture est, par excellence, l'activité du temps long et du rythme des saisons. Avec les changements provoqués, de plus en plus, par les détraquements du climat : né fin juillet, au moment de la récolte, il remarque avec un sourire attristé que la récolte tombe à présent souvent un mois plus tôt, fin juin. Nicolas Turquois se bat, en particulier, pour la replantation des haies, qui forment des digues maintenant l'eau et renforcent la biodiversité, en attirant les abeilles sauvages. De plus, les haies, cela se voit, et c'est un bon moyen de communiquer davantage avec ses voisins.
Dans le monde paysan, il faut en effet éviter l'isolement, propice à la montée des angoisses. On sait que le taux de suicide est très élevé. Nicolas Turquois le souligne avec émotion : l'échec d'une exploitation est souvent vécu comme l'échec de toute une lignée. L'agriculteur se sent responsable de l'extinction du travail de plusieurs générations. C'est ce que montrait le beau film Au nom de la terre, avec Guillaume Canet.
Parler de ses problèmes et apprendre à s'entraider. Dans l'Yonne, les agriculteurs, environ 1000, sont assez soudés, et portent ensemble des projets locaux, comme le "grand repas" du 21 octobre, où tous les restaurants, cantines, Ehpads, jouent le jeu du même menu. Le circuit court, la vente directe à la ferme constituent une alternative salutaire à la grande distribution. Durant la crise du Covid, nombreux sont les citoyens qui ont changé leurs habitudes alimentaires et font désormais plus attention. Acteur que l'on ne peut ignorer, reconnaît Michèle Crouzet, mais dont il faut faire évoluer les pratiques. La guerre des prix ne doit pas être, systématiquement, perdue par les agriculteurs.
Dans la récente note du Haut-Commissariat au Plan, "l'agriculture : un enjeu de reconquête", notre dépendance pour certains produits, fruits et légumes par exemple, interroge. Comment espérer atteindre une autonomie agricole ? La France est bien positionnée sur des produits comme les céréales, le lait, le vin, moins bien sur les fruits et légumes, les fruits de mer, la filière biologique.
Dans la préface de cette note, François Bayrou, qui vient du monde paysan, souligne avec des mots très forts que le procès en trahison de la nature qui est souvent fait aux agriculteurs est pour eux une blessure insupportable. Nicolas Turquois pense que les agriculteurs ont tout intérêt à montrer leur métier, leur savoir-faire, en invitant en particulier des jeunes dans leurs fermes. Cela permettrait de mieux faire connaître ce monde et, peut-être, de susciter des vocations. Évidemment, on ne s'improvise pas agriculteur, il y a tout une formation à effectuer, sanctionnée par un diplôme d'État.
Une piste intéressante : relocaliser la filière de production des protéines végétales.
Pour 2022, deux enjeux essentiels : Premièrement, la gestion de l'eau, qui va devenir un enjeu majeur. L'eau est ce qu'il y a de plus précieux, pour l'agriculture. Deuxièmement, la maîtrise du foncier. Les agriculteurs doivent pouvoir devenir propriétaires de leur parcelle, pour pratiquer une agriculture à taille humaine. Il faut éviter l'accaparement des terres par les investisseurs étrangers.
Le 22 novembre 2021, la nouvelle PAC 2023-2027 a été votée, avec plusieurs motifs de satisfaction. Déjà, le budget a été maintenu. Et les mesures vont dans le sens de la transition écologique, d'une meilleure protection des revenus des agriculteurs européens, ainsi que d'une adaptation plus souple aux territoires.
Notre agriculture doit compter dans la reconquête productive du pays. Il y a là un enjeu pour notre alimentation, pour nos solidarités et pour notre santé.