"Sur les bas salaires, il y a 80 branches dont les minima sont inférieurs au smic. Voilà un sujet à traiter d’urgence."
Retrouvez ci-dessous l'entretien accordé par François Bayrou au Parisien, publié ce dimanche 10 septembre 2023.
Propos recueillis par Olivier Beaumont et Pauline Théveniaud
Quelle a été votre réaction en découvrant samedi matin les ravages du séisme qui a frappé le Maroc ?
FRANÇOIS BAYROU. À Pau, la communauté marocaine est très importante, nombreuse et très appréciée. Et le souvenir du grand séisme d’Agadir avec ses 12 000 morts n’est pas effacé. Toute l’aide et tout le soutien que nous allons mobiliser, nous l’organiserons avec les associations.
Vendredi soir, au stade de France, Emmanuel Macron a été copieusement hué. Le lien avec les Français est-il rompu ?
Les Gaulois sont comme ça. Lorsqu’ils en ont l’occasion, ils aiment montrer leur mauvaise humeur à leur chef. Giscard, Mitterrand, Chirac, Sarkozy, Hollande, en ont vu et entendu des vertes et des pas mûres. Et puis les choses se calment. Un vrai chef d’État sait qu’il faut avancer.
Les participants des « Rencontres de Saint-Denis » ont jusqu’à ce dimanche soir pour amender la « synthèse » écrite d’Emmanuel Macron. Il y est question d’élargir le champ du référendum à l’immigration. Y êtes-vous favorable ?
Il faudrait changer la Constitution, ce qui suppose l’accord conjoint de l’Assemblée nationale et du Sénat. L’obstacle est de taille ! Et ensuite, il faut un texte de loi à soumettre au peuple. Voilà ce qu’on fait semblant d’ignorer quand on parle de cette question. Sur le fond, je ne suis pas pour qu’on fasse de l’immigration un sujet qui allume le feu, sur lequel on verse tous les jours de l’essence. Mais je suis pour affirmer, dans la Constitution, qu’un peuple a le droit de défendre son identité et ses valeurs même quand il accueille et qu’il donne asile.
« Je ne crois pas que la question de l’immigration soit aujourd’hui adaptée au 49.3 »
François Bayrou
Le MoDem votera-t-il le projet de loi immigration, si celui-ci ne comprend pas la régularisation des travailleurs exerçant dans des métiers en tension ?
Ce serait une disposition utile et juste. Des personnes qui travaillent, qui apprennent le français, qui veulent s’intégrer, ce serait une faute de les laisser en situation irrégulière.
Sauf que là, il y a un problème politique : la droite s’y oppose, et vous n’avez donc pas de majorité !
Je distingue les textes « essentiels », pour lesquels le 49.3 s’impose en cas de blocage, et les textes « utiles » mais qui ne sont pas vitaux. Si après discussion, le Parlement ne trouvait pas d’accord sur ce texte utile, ce serait regrettable, et les Français verraient qui empêche cette amélioration ! Mais on le surmonterait.
Donc pour vous, il vaut mieux qu’il n’y ait pas de loi immigration, plutôt qu’un 49.3 ?
Je ne crois pas que la question de l’immigration soit aujourd’hui adaptée au 49.3.
Le président a annoncé l’organisation d’une conférence sociale sur les bas salaires mi-octobre. Que proposerez-vous dans cette période où les prix flambent ?
Il y a la flambée des prix, et il y a les bas salaires. Sur les bas salaires, il y a 80 branches dont les minima sont inférieurs au smic. Voilà un sujet à traiter d’urgence. Et pour les salaires en général, le principe doit être que les bénéfices de l’entreprise doivent être aussi le bénéfice du salarié. Dans les grandes entreprises, une augmentation de l’actionnariat salarié, et dans les petites une pression en direction de l’intéressement.
Il faudrait un nouveau coup de pouce pour le carburant ?
Le carburant, et notamment le diesel, c’est la charge la plus pénalisante pour ceux qui bossent et habitent loin. Les actions volontaristes comme le plafonnement à 2 euros le litre de Total sont à saluer. Mais si la situation dure et s’aggrave, le gouvernement devra se poser la question d’un amortisseur par adaptation des taxes.
Qu’avez-vous pensé de la polémique autour des abayas après l’offensive de Gabriel Attal ?
La décision de Gabriel Attal a été confirmée par le Conseil d’État. C’est un signe positif. Mais sur toute la France, on a recensé 4 450 abayas et la grande majorité de celles qui en portaient a accepté de changer de vêtement. C’est un autre signe positif. Nous savons tous qu’au-delà du rappel bienvenu des principes de laïcité, les questions vitales de l’Éducation nationale portent sur la transmission des connaissances, la maîtrise des fondamentaux, le climat de l’école, une confiance retrouvée des enseignants…
Emmanuel Macron avait promis qu’il n’y aurait pas de classe sans profs à la rentrée. À ce stade, ce n’est pas le cas…
Ces promesses sont plus faciles à exprimer qu’à réaliser… Mais cet engagement a permis des progrès notables.
Où en est la planification écologique promise par Emmanuel Macron ? Elle devait être présentée dans les prochains jours. Le président tâtonne à nouveau ?
Un mois de plus ou de moins, pour une politique aussi importante, engageante, où est le problème ? Prendre du temps en politique, ce n’est pas une faiblesse, souvent c’est une force.
Emmanuel Macron multiplie les instances, le CNR, les « Rencontres de Saint-Denis », mais on ne voit pas ce qu’il en ressort de concret.
Le président de la République tourne inlassablement en fait autour de la même idée : il cherche constamment à réduire la fracture entre les Français et les pouvoirs. Alors du Grand Débat au CNR, il avance par essais multiples. Et quelque chose bouge : les forces politiques ont accepté de parler ensemble alors que jusqu’à présent, elles se faisaient la guerre systématiquement.
On attend, tout de même, une série de 49.3 pour l’automne budgétaire…
Le 49.3 n’a rien de négatif, c’est même la clé de voûte de nos institutions pour qu’un gouvernement ne soit pas constamment soumis au chantage.
« Il y a plusieurs façons de faire la proportionnelle, mais je suis persuadé que l’on peut arriver à trouver un accord. Et ça, c’est un très beau sujet de référendum ! » François Bayrou
La proportionnelle peut-elle s’imposer d’ici aux prochaines élections législatives ?
Je crois que oui. J’ai été frappé, lors de la rencontre entre le président et les chefs de partis, que tout le monde ait défendu ou accepté cette évolution. Il y a plusieurs façons de faire la proportionnelle, mais je suis persuadé que l’on peut arriver à trouver un accord. Et ça, c’est un très beau sujet de référendum !
À Saint-Denis, Emmanuel Macron aurait qualifié de « funeste connerie » le fait de ne pas pouvoir se représenter…
Il a précisé qu’il ne parlait pas pour lui mais pour tous les mandats !
En privé, il ne cache pas qu’il aurait bien voulu rempiler en 2027 si la Constitution le lui avait permis…
Pour moi, c’est une respiration nécessaire. Les chefs d’État qui ont duré plus de dix ans ont mal fini. Il faut pouvoir reprendre le contact avec la vie normale. Quitte à occuper d’autres responsabilités.
Vous avez été surpris par cette rentrée politique de Darmanin, très critique à l’endroit de sa majorité et qui n’exclut rien pour 2027 ?
Dans ces périodes, l’expérience aide à ne pas s’émouvoir des surgissements, des crispations, des impatiences… 2027, c’est dans quatre ans ! Et l’élection présidentielle se joue dans les derniers mois. Il faut donc prendre avec philosophie les vocations, les rêves et même les illusions, avec une règle : que ce ne soit pas la division qui l’emporte.
Et Édouard Philippe ? Notre sondage paru la semaine dernière le place comme le grand favori des électeurs de droite. Il peut gagner en 2027 ?
L’élection présidentielle ne s’adresse pas aux électeurs de droite, elle s’adresse à tous les Français. Et le socle de la majorité, c’est le centre. En 2027, c’est ce courant politique qui gagnera. Je le crois et je ferai tout pour cela.
Retrouvez également cet entretien sur le site internet du Parisien.