🗞 « Nous devons nous ouvrir à de nouvelles majorités de projets » : Interview de Patrick Mignola dans L'Opinion
Par Caroline Vigoureux et Ludovic Vigogne
Le président du groupe MoDem appelle la majorité à « abandonner l’arrogance » et tendre la main à tous ceux qui veulent travailler avec le Président sans « leur demander de devenir des LREM, des MoDem, des Agir »
Député de Savoie, Patrick Mignola est président du groupe MoDem à l’Assemblée nationale.
Les élections européennes ont montré que la recomposition politique était toujours en cours. Quelles leçons doit en tirer la majorité ?
Cela nous doit nous donner une grande leçon d’humilité. Même si le résultat est meilleur qu’annoncé, la crise demeure et notre responsabilité est probablement plus grande encore d’y répondre. La bipolarisation droite-gauche est désormais dépassée. Une gauche demeure. Une droite demeure. Mais un vaste espace central s’est inscrit durablement dans le paysage politique. Des forces politiques très profondes travaillent le pays et nourrissent les extrêmes. Le Savoyard que je suis ne peut pas s’empêcher de rapprocher le cas de la France de celui l’Italie. Ce qui pourrait menacer le pays, c’est un scénario à l’italienne, où des forces extrémistes se retrouvent pour bousculer ce à quoi nous tenons.
Faut-il un tournant social comme certains dans la majorité le demandent ?
J’ai un grand plaisir à présider le groupe MoDem, perçu à la fois comme le centre droit mais aussi comme l’aile sociale de la majorité, ce qui montre bien que tout cela est assez dépassé. En matière sociale, il faut surtout que nous mettions en avant ce qu’on vient de faire et que nous disions où nous voulons aller. Le projet social que nous devons porter tient en un mot : égalité. Avec un principe: mêmes chances pour tous, mêmes efforts pour tous.
Comment rassembler plus largement ?
Il faut retrouver l’inspiration de la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron, celle du dépassement. Dans cette majorité, vous avez des sociaux-démocrates, des sociaux libéraux, des démocrates-chrétiens, des libéraux au sens propre du terme, des gaullistes, des gaullistes sociaux. Chacun a apporté son ADN idéologique. Il faut maintenant passer à une autre étape. Le Premier ministre a raison : ça ne se fait pas par une politique de camp ou de clan. Ça ne se fait pas avec une vision qui serait complètement recroquevillée sur elle-même. Ne faisons pas la même erreur que le RPR et le PS. Pour conquérir le pouvoir, ils avaient ouvert, puis pour le conserver, ils avaient refermé.
Par quoi cela doit-il passer concrètement ?
Nous devons nous ouvrir à de nouvelles majorités de projets. Cela doit se faire au niveau local comme au niveau parlementaire. Depuis deux ans, LREM et MoDem ont trouvé un mode de fonctionnement équilibré. Il faut maintenant le dépasser et construire des majorités sur chaque projet de loi. Sur chaque texte, nous devons nous obliger à faire un pas vers des élus qui pourraient travailler avec nous. Pour cela, nous avons un impératif : abandonner l’arrogance.
Vous appelez donc à passer à des logiques de coalition ?
Exactement. C’est d’ailleurs la logique de la dose de proportionnelle que nous voulons introduire aux élections législatives. Cela ne rendra pas le pays ingouvernable contrairement à ce que disent certains mais nous obligera à travailler les uns avec les autres. Commençons dès maintenant ! Reprenons cette belle idée du président Giscard d’Estaing qui était celle de « deux Français sur trois ».
Et pour les élus locaux ?
Depuis dimanche soir, un certain nombre de gens ont envie de travailler avec le Président et la majorité. Il ne s’agit pas de leur demander de devenir des LREM, des MoDem, des Agir, des radicaux… En revanche, il faut qu’on aille vers eux et qu’on fasse des équipes communes. Ces élus locaux peuvent être des compagnons de route comme on l’aurait dit au temps du gaullisme. Parce que nous avons été en partie confirmés par les urnes, c’est à nous d’être plus ouverts.
Quel rôle peut jouer le MoDem dans cette recomposition ?
A l’Assemblée nationale, de nombreux centristes sont répartis dans de nombreux groupes. Je les appelle à nous rejoindre. Je ne doute pas également qu’en leur for intérieur, un certain nombre de députés LR soient mal à l’aise avec la ligne Trocadéro et le référendum sur ADP. Peut-être que ces élus LR peuvent se sentir plus à l’aise à Agir, un flotteur droit de la majorité qui sera souvent avec nous sans automaticité non plus. L’enjeu, c’est d’avoir une majorité plus large pour qu’elle soit plus convaincante.
Le président du Sénat Gérard Larcher a lui aussi lancé un appel aux centristes de l’UDI…
Avec l’immense considération que j’ai pour lui, je crois qu’il confond son mode d’élection à la présidence du Sénat avec le vote des Français. Pour être élu, il s’est appuyé sur une majorité de la droite et du centre. Cette terminologie n’a plus beaucoup de sens, ça fait longtemps que les Français ont compris qu’il n’y avait plus d’union de la droite et du centre. Les électeurs centristes ont choisi la majorité présidentielle. Il revient donc aux centristes de cette majorité de tendre la main à toutes les autres familles centristes pour qu’elles se rassemblent. C’est notre responsabilité au MoDem. Certains nous rejoindront, d’autres resteront dans leur groupe parlementaire actuel mais à chaque fois, on devra faire l’effort de travailler ensemble.
Que pensez-vous de l’idée de créer un Agir de gauche ?
Je ne suis pas certain que ce soit en travaillant ses origines qu’on rende service. Comme le disait Renan, la France est le fruit de sédimentations successives. Cette majorité est le fruit de sédimentations successives, de courants de pensée qui se sont additionnés. Il ne faut pas oublier ce qu’on est. Mais le clivage n’est plus droite contre gauche. C’est le peuple contre les élites, les métropoles contre les périphéries.
Après les municipales de 2014 ou aux régionales de 2015, le MoDem a intégré des exécutifs conduits par LR. Est-il temps de clarifier les choses ?
Je crois à la parole donnée devant les électeurs. Il faut donc aller au bout des mandatures. Mais quand le code change, que le propos change ou dérive, on en tire les conséquences. C’est ce que j’ai fait en Auvergne-Rhône-Alpes. Avec Laurent Wauquiez, nous étions très différents.
Vous êtes rapporteur de la révision constitutionnelle. Pensez-vous le président du Sénat prêt à un compromis ?
Quand je vois les quelques jours qui viennent de s’écouler à l’Assemblée nationale, où nous avions trouvé un consensus entre tous les groupes pour réformer notre règlement intérieur et qu’en 48 heures, tout cela a été balayé au lendemain des élections, je me dis que la révision constitutionnelle pourrait ressembler au mythe de Sisyphe.
Vous êtes pessimiste ?
A la modeste place qui est la mienne, je mettrai toute l’énergie possible pour trouver un consensus entre l’Assemblée et le Sénat. On parle de choses très importantes : comment mieux associer nos concitoyens à la décision avec la démocratie participative et interactive, comment mieux réactiver les territoires avec la différenciation territoriale. A cela s’ajoutent la réduction du nombre de parlementaires et une meilleure représentation à travers l’élection proportionnelle, qui permettront de répondre à la défiance des Français vis-à-vis du monde politique. J’aurais beaucoup de mal à comprendre qu’on n’arrive pas à trouver un chemin avec la droite sénatoriale. J’espère que le calcul ne prendra pas le pas sur l’intérêt des Français.