Discours de François Bayrou
Retrouvez le discours de François Bayrou, Haut-commissaire au Plan, Président du Mouvement Démocrate et maire de Pau.
Retrouvez ci-dessous la retranscription du discours de François Bayrou :
Bonjour à tous. Mes premiers mots seront naturellement pour vous remercier d'être là.
D'habitude, notre réunion de rentrée et nos journées de rentrée avaient lieu à Guidel. Assez souvent, le temps était aussi beau qu'il l'est aujourd'hui dans les Pyrénées.
Cette année, évidemment, c'était impossible pour toutes les raisons que nous savons et sur lesquelles nous allons réfléchir, car c'est un sujet crucial.
Pour ceux qui se sont exprimés, j'ai un mot particulier, naturellement, pour Michel Barnier avec qui me lie une très longue complicité.
Tous nous avons naturellement conscience qu'il a entre les mains un enjeu absolument crucial, non pas seulement pour le Royaume Uni et ses liens avec l'Union européenne, mais un enjeu crucial pour la nature de l'Union européenne.
Si celle-ci acceptait de laisser se créer une sorte de Singapour qui serait une plate-forme pour que le commerce l'emporte sur toute autre considération et que l'on rejette ou l'on annihile les normes ou toutes précautions que nous voulons prendre, tout le soutien apporté à des pratiques en matière technologique, de santé ou de protection sociale des travailleurs qui soient des nôtres, alors cela voudrait dire que nous devons être extrêmement rigoureux dans la manière dont nous aurons à nouer des relations avec ce nouveau pays tiers qu'est le Royaume Uni.
Je veux remercier Jean-Noël Barrot de son expression, de son travail et vous me permettrez de dire qu'à travers lui, je souhaite remercier toutes les équipes -extrêmement réduites dans notre mouvement, je tiens à le souligner chaque fois que nécessaire‑ qui permettent non seulement d'avoir une vie de parti politique très nourrie, mais également d'innover.
C'est ce que nous avons fait là, cette innovation avec Cité démocrate, ces journées où les débats, les tables rondes, les liens avec les membres du Gouvernement que je salue : Jacqueline Gourault, Marc Fesneau, Geneviève Darrieussecq, Nathalie (Griesbeck), tous ces débats ont pu avoir lieu de la manière la plus efficace possible, étant donné la difficulté.
Ce qui me permet de rappeler avec un clin d'œil, qu'il y a un militant dans notre parti qui demande depuis très longtemps que l'on réfléchisse à l'organisation d'une fédération Internet.
Ce militant, bien qu'il soit Président du parti, a parfois du mal à se faire entendre sur ce sujet. Comme cela fait à peu près 10 ans ‑ et encore, je suis probablement modeste ‑ que j'essaie de convaincre les responsables autour de moi de faire cela, je voudrais rappeler que je suis persuadé qu'il y a dans cette organisation nouvelle quelque chose de très précieux à construire.
Naturellement, je veux vous dire qu'au moment de ces journées, je pense beaucoup et vous aussi, à Marielle de Sarnez, dont je sais qu'elle est très engagée, en dépit de l'épreuve de santé très lourde qu'elle traverse, et qu'elle décroche son téléphone pour appeler les uns et les autres et les rappeler à ce devoir de créativité et d'indépendance qui est le nôtre.
C'est une personnalité respectée de la vie politique française et, comme tout le monde le sait, nous avons eu très peur, mais j'ai espoir qu'aujourd'hui, elle réussisse à surmonter les passages si difficiles qu'elle traverse.
Je ne voulais pas que l'on ait ce moment sans évoquer le message direct qu'elle m'a demandé de vous transmettre.
Merci à Stanislas Guerini de son message, de sa présence et merci aussi de sa simplicité, de son amitié et de son authenticité.
Comme Jean-Noël, comme Sarah, c'est un jeune responsable politique, mais il a, je crois, de la profondeur et de l'enracinement. Je suis content de pouvoir le saluer devant vous.
On est dans une situation singulière, car, d'habitude, quand il y a une alliance de partis politiques, ce sont des courants doctrinaux ou idéologiques différents. Ici, ce n'est pas le cas. Nous avons notre propre histoire, notre propre philosophie, notre propre expérience.
Nous avons traversé beaucoup d'orages et rencontré beaucoup de grêles et beaucoup de tempêtes. Cela a forgé entre nous une solidarité très importante et vous savez bien à quel point cette solidarité avec Marc, avec Patrick, Jacqueline, Marielle, est forte et vivante.
En Marche, c'est un mouvement différent, qui s'est constitué au moment de la Présidentielle, autour du Président de la République. Cela a fait une identité différente, mais pas antagoniste.
Au fond, tout est prêt, disposé pour qu'il y ait la meilleure entente possible entre nous et c'est cette entente que nous voulons faire vivre.
Je salue le Premier ministre. Je ne sais pas s'il nous écoute, mais, tout à l'heure, nous l'entendrons.
Je le salue, car il est une voix, pardon de dire cela, nouvelle pour beaucoup de Français dans la vie politique nationale. Il a beaucoup d'atouts dans son jeu, et dans un jeu très difficile, car il a une expérience de l'État, car il a occupé beaucoup de fonctions de responsabilité de terrain, car il est élu local, car il est Pyrénéen, c'est-à-dire que sa manière d'être et de faire, sont une identité, pour moi, très précieuse.
Je pense que la France a beaucoup trop souffert d'uniformité et qu'elle en souffre encore. J'y reviendrai peut-être.
Je remercie le Premier ministre d'être là et de partager son expérience et sa détermination.
Voilà les remerciements que je voulais exprimer.
Je le ferai à la fin pour les équipes techniques qui ont permis cette novation.
Nous vivons une période qui sera dans les livres d'Histoire. Ce moment, cette épidémie inattendue -je ne dis pas imprévisible car je pense qu'elle était prévisible ou, en tout cas, que l'on pouvait prendre les précautions nécessaires pour adopter les bons réflexes et les bons équipements au moment où elle pourrait se déclencher- cette épidémie change tout. Nous le voyons à notre manière de militer et d'être ensemble. Elle modifie tout dans la vie quotidienne.
Nous sommes, pour la première fois de notre vie, tous, dans une société où l'on ne s'embrasse plus, où l'on ne serre plus la main, où l’on ne voyage plus guère. La crise du transport aérien, des compagnies et même des constructeurs aéronautiques, est évidemment extrêmement lourde. Elle change notre manière d'être et de vivre.
Cela modifiera le commerce international et cela nous fera prendre conscience d'un très grand nombre de difficultés et de manques que nous avons découverts.
Cette crise nous impose de réfléchir à notre vie démocratique d'une manière différente.
Nous savons bien tous qu'il n'y a pas que l'économie qui soit en crise. Il n'y a pas que la vie sociale, mais également notre manière de débattre, d'initier la transition.
Cette manière-là doit, en particulier, nous obliger à sortir de la dictature de l'urgence, des réseaux sociaux en perpétuels explosions, ébullitions, tsunamis. Lesquels ne durent pas longtemps, mais n'importe quel événement microscopique donne lieu à une explosion, un panache de fumée, comme si c'était l'éruption du Vésuve.
Il faut que nous apprenions à vivre avec cela. Il faut que l'on apprenne à vivre avec les chaînes de télévision d'information continue. Il faut que l'on apprenne à vivre avec les mouvements de l'opinion et il faut que l'on apprenne à vivre, à mon sens et c'est ce que le Président de la République a voulu faire en me confiant cette responsabilité, en réintroduisant le temps long, l'avenir d'horizon.
Ces mouvements que l'on ne voit pas toujours, mais dont notre vie dépend, les très grands mouvements de la planète et de l'univers, les sujets qui commanderont notre futur, y compris notre futur lointain, doivent être réintroduits dans le débat et dans la décision quotidienne.
C'est ce que nous appelons "le Plan". C'est choisir des horizons et un chemin. Évidemment, c'est d'abord la responsabilité du Président de la République, d'où notre soutien actif, présent et amical, car je ne crois pas qu'il y ait un Président qui, dans les années récentes, ait connu des crises aussi multiples et aussi dangereuses que celles que le quinquennat d'Emmanuel Macron a connues.
Cependant, dans ce quinquennat-là, il est dans sa responsabilité et il est, selon moi, pleinement à la hauteur de cette fonction. Cela mérite évidemment du soutien.
Autour du Président de la République, en réintroduisant l'avenir lointain dans la réflexion, on pourra répondre à plusieurs questions. Je vais reprendre celles que le Président de la République a fixées à la mission que j'ai acceptée.
On a une série de questions qui se regroupent autour du grand sujet de l'indépendance. Cela ne sert à rien de faire de la politique, cela ne sert à rien d'avoir des débats, d'organiser des partis, et d'avoir un Parlement et un Gouvernement, si nous ne sommes pas maîtres de notre destin.
Or, il se trouve, comme beaucoup d'entre nous le savent, que, sur bien des sujets, la maîtrise de notre destin nous a échappé.
L'épidémie nous a permis de découvrir que nous n'étions plus capables d'obtenir les médicaments indispensables à notre système de santé. Nous avons manqué dans cette épidémie peut-être ‑je n'insiste pas, manquons-nous encore…- de médicaments essentiels que sont ceux contre le cancer, qu'ont été ceux qui, pendant l'épidémie, permettaient de sécuriser des anesthésies, les antibiotiques ou encore des molécules aussi élémentaires que le Doliprane ou paracétamol. Et cela car nous en avons délocalisé la production, la plupart de ces molécules ne rapportant plus assez dans leur fabrication, on préférait se tourner vers celles absolument nouvelles rapportant davantage.
Il y a cette question de l'indépendance des productions, mais il ne faut pas aller très loin, dans l'électronique, par exemple, nous sommes de la même manière, dépendants. C'est pour moi physiquement insupportable. Nous sommes dépendants des décisions sur notre propre souveraineté, d'autres puissances sur la planète.
J'ai cité souvent et je veux le refaire devant vous, que lorsque les États-Unis ont décidé de sanction contre l'Iran, il a fallu que les entreprises françaises et européennes, installées en Iran, qui ne dépendaient pas des États-Unis, qui n'étaient pas à capitaux américains, quittent cependant le sol iranien dans les quinze jours ! Les États-Unis avaient imposé des dispositions internationales entraînant que nous n'avions plus notre indépendance.
Indépendance, ce n'est pas seulement l'indépendance française. Il s'agit tout autant d'indépendance européenne.
Je n'aurais eu aucune crainte sur notre système de santé si les médicaments dont j'ai parlé avaient été produits en Allemagne. Nous les aurions obtenus sans aucune difficulté. Probablement que les Allemands ont les mêmes soucis, pour les mêmes industries.
Je fais un seul ensemble, un seul bloc de l'indépendance de la France et de celle de l'Europe qui, comme nous l'avons répété tout au long de la matinée, sont un seul et même problème.
Une deuxième grande question est la vitalité de notre société, la capacité de notre pays à faire naître des entreprises, à produire de la recherche, à innover en matière scientifique et technique, à protéger nos inventions, à avoir, au fond, une vie locale, régionale, nationale, qui soit la plus dynamique possible.
De ce point de vue, les singularités tiennent assez souvent à la manière dont on est organisé et que l'on peut libérer cette vitalité. En tout cas, c'est le deuxième sujet à traiter.
Il en existe un troisième, le plus important de tous, et j'aurais peut-être dû commencer par-là, c'est le sujet de justice, car nous portons un modèle et une responsabilité vis-à-vis de nos enfants et du monde.
Dans ce grand sujet de justice, il y a, au premier degré, la question du climat, de la planète, de l'environnement, de la biodiversité, avec la responsabilité qui est la nôtre, pas seulement en tant que citoyens français, européens, pères de famille, de notre continent ou d'autres régions du monde, mais en tant que citoyens de la planète. Ce grand sujet de justice, naturellement, il faut le traiter.
La justice, c'est aussi des choses que nous touchions du doigt. Je vais essayer d'en dire trois.
La première, ce sont les fractures territoriales. Je pense à Jacqueline en le disant, car elle en a la responsabilité ministérielle. Toutefois, je compte beaucoup traiter ces questions avec la responsabilité du Plan. Il y a si longtemps que l'on ne s'est pas occupé de l'aménagement du territoire. J'ai très souvent discuté de cela avec le Président de la République, car, comme vous le savez, c'est un provincial d'enracinement et les Pyrénées, en particulier, pas seulement, mais les Hauts-de-France aussi, sont, pour lui, une terre d'attachement.
Il y a si longtemps que l'on ne s'est pas occupé de cela. Il y a si longtemps que l'on croit que tout se joue à Paris et quand on dit à Paris, il ne s'agit pas naturellement de tous ses quartiers, mais de la toute petite surface rive gauche, rive droite, sur laquelle se nouent et se dénouent les débats médiatiques et politiques.
Il est temps d'irriguer à nouveau la France de responsabilités.
J'ai dit que je voulais le faire pour la responsabilité qui est la mienne, à mon échelle, de manière à créer une exemplarité.
Les régions, les villes et pas seulement les métropoles de province, les régions, les villes, les bourgs, ont besoin de retrouver de la sève et de montrer que, de chez eux, de leur terre, de leur terrain, la sève peut remonter.
C'est pour cela que j'étais si content que ce soit un élu local de notre province lointaine, pyrénéenne, qui se voit confier la responsabilité d'être chef du Gouvernement.
Il y a une deuxième fracture sur laquelle je compte que nous nous attaquions, ce sont les fractures de destin.
Il y a eu tout un temps où l'on savait, quand on était ouvrier, paysan, minot, garde-barrière ou que l'on travaillait dans une filature, ce qu'il fallait faire pour que les enfants réussissent : seulement qu'ils travaillent bien à l'école. C'est pourquoi les instituteurs, les professeurs étaient, à ce point, valorisés par la société française.
Ce n'est plus le cas aujourd'hui et on ne connaît plus le chemin ou, plus exactement, ne connaissent le parcours que les familles favorisées par le destin, ayant de bonnes situations et une bonne connaissance des chemins.
Ne serait-ce que pour trouver un stage, quand on est en 3ème ou que l'on suit une formation par alternance, les fractures de destin sont au cœur de la responsabilité qui est la nôtre et dans les réponses à apporter.
Au fond, tout cela se résume à une question extrêmement grave et douloureuse qui est celle de la rupture dans la société française entre « la base » la plus large, « les citoyens » quelle que soit leur situation économique et, de l'autre côté, le prétendu « sommet » de la société, prétendue « élite ». Je mets tous les guillemets et italiques que vous imaginez devant cette expression.
Il y a très longtemps que la base ne se reconnaît plus dans son sommet et même quand le sommet est de valeur, le seul fait qu'il soit situé en situation de responsabilité entraîne le doute sur les privilèges, sur l'argent, sur les bénéfices supposés des fonctions, même si ce n'est pas vérifiable ou vrai.
C'est la raison pour laquelle j'ai voulu exercer la fonction que le Président de la République et le Conseil des Ministres m'ont confiée, de manière bénévole, pour que cette question soit totalement écartée et que l'on comprenne que l'on peut avoir uniquement, comme préoccupation, l'intérêt général.
Voilà les sujets devant nous, que nous devrons affronter différemment, avec les yeux ouverts et, j'espère, la considération qu'il existe un chemin pour l'avenir.
Tout cela, nous allons le faire ensemble.
Nous avons cette chance et cette responsabilité d'incarner un grand courant, certains diront réformiste ; moi, j'ai toujours privilégié le mot de "démocratie", des démocrates d'inspiration, des démocrates avec un idéal, des démocrates qui savent que ce n'est pas seulement de gestion dont il s'agit, mais d'apporter des solutions.
Le responsable politique, quel que soit son grade, doit avoir l'idée qu'il tient entre les mains quelque chose de précieux : c'est la raison de vivre des personnes dont il a la charge. Il faut que celles-ci pensent, d'une certaine manière, qu'au fond, ce n'est pas pour rien qu'elles travaillent. Ce n'est pas pour rien qu'elles élèvent des enfants. Ce n'est pas pour rien qu'elles affrontent les difficultés des temps, car nous construisons quelque chose dont nous pensons qu'il doit être meilleur pour l'avenir.
Voilà la responsabilité que nous visons précisément dans ce courant politique, dans le Mouvement Démocrate qui, je crois que l'on peut le dire, est aujourd'hui de mieux en mieux reconnu et estimé dans la vie politique française.
Je vous remercie d'avoir organisé cette rencontre. Je dis merci aux équipes techniques qui l'ont permis.
Je remercie tous ceux qui ont participé, qu'ils soient intervenants, simplement connectés, à la réflexion que nous menons.
Je suis très heureux maintenant de passer la parole au Premier ministre, Jean Castex, que je remercie de sa présence et de sa participation.