Europe : sur la voie de l'indépendance
Nathalie Griesbeck, ancienne députée européenne et vice-présidente du Mouvement Démocrate, animait - samedi 19 septembre 2020 - la plénière « Europe : sur la voie de l’indépendance » avec les députés Jean-Louis Bourlanges (Hauts-de-Seine, commission des affaires étrangères), Philippe Michel-Kleisbauer (Var, commission de la défense et des forces armées) la députée européenne Marie-Pierre Vedrenne (commission du commerce international), l’ancien député européen Jean-Marie Beaupuy.
« Durant mes 3 mandats, lance Nathalie Griesbeck en ouverture, je demandais toujours, pour lancer la réflexion : « l’Europe ? Quo vadis ? », Où vas-tu, Eurooe, quel est ton objectif ? ». Nous arrivons à un moment de bascule, où l’Europe fait toujours face à des défis intérieurs, mais où il est crucial pour elle de trouver un équilibre dans notre rapport au monde, tant les challenges sont aujourd’hui extérieurs. Conquérir l’indépendance dans des domaines clefs importe, mais toujours dans l’interdépendance. Nathalie Griesbeck débute cette plénière en saluant le travail de Marielle de Sarnez.
Jean-Louis Bourlanges, ancien député européen et analyste clairvoyant, observe que le projet européen a profondément changé de nature depuis une trentaine d’années, depuis la chute du Mur et l’éclatement du Bloc de l’Est. Or, nous n’en avons pas encore tiré toutes les conséquences. Globalement, à l’intérieur de l’Europe, les rapports sont pacifiés. Mais nous sommes aujourd’hui confrontés à une révolution copernicienne : nous devons nous situer dans un monde où nous subissons des attaques très fortes, qui ne relèvent pas de l’ordre de la distinction ami/ennemi de Carl Schmitt, mais de la distinction associés/ rivaux. Il nous faut penser la construction européenne en termes de rapports de forces. Jean Monnet pensait que ce qui nous réunissait, c’était la raison. Mais il n’avait sans doute pas suffisamment perçu la notion d’intérêt, de valeur – au sens kantien – de choix. L’expression de choix fondamentaux, c’est cela la politique, différente du droit.
Nous observons une méfiance absolue à l’idée de mobilisation militaire, policière des moyens. Si les Français ont toujours été favorables à cette révolution copernicienne, les Allemands ont au départ traîné des pieds. De plus en plus, ils évoluent plutôt dans le sens de nos préoccupations.
Philippe Michel-Kleisbauer, spécialiste des questions de défense, remarque que la France et le Royaume-Uni sont les deux seules puissances européennes capables de projeter des unités dans une situation d’urgence. Si les relations sont tendues à cause du Brexit, il faudra que l’Angleterre nous rejoigne de nouveau. D’autant qu’un autre allié est en train de nous faire défaut : l’Amérique de Trump. Même si Joe Biden est élu, la pression commerciale américaine sur l’Union européenne ne va pas changer. Philippe Michel-Kleisbauer nous conseille le récent ouvrage de François Heisbourg, Le temps des prédateurs (Odile Jacob, 2020), où les relations de l’Union européenne avec les Etats-Unis, la Russie, la Chine sont examinées sous un angle stratégique. Aujourd’hui, souligne, Philippe Michel-Kleisbauer, nous devons construire des alliances et c’est forcément au sein de l’OTAN que nous devons, pour l’instant, développer cette vision.
La députée européenne Marie-Pierre Vedrenne défend un commerce mondial régulé, juste, équitable. L’Union européenne doit porter la vision du multilatéralisme, une réforme de l’OMC qui tienne compte des règles et du contexte. De la Chine, Ursula von der Leyen a dit qu’elle était un « rival stratégique ». Certains ont peur de représailles commerciales. Mais il est important que l’Union européenne muscle son arsenal juridique en matière commerciale. Nathalie Griesbeck interroge Marie-Pierre Vedrenne sur le poids du groupe Renew, qui possède une force bien supérieure à celle qu’elle a elle-même connue.
Le député européen Christophe Grudler voit dans l’indépendance l’idée de prendre son destin en main, pas un quelconque protectionnisme. Le mot juste serait : autonomie stratégique. De graves lacunes sont apparues, avec cette crise de la Covid, dans le tissu industriel européen. Des outils très concrets vont être mis en place, dans le cadre du plan de relance. Marielle de Sarnez a notamment beaucoup travaillé sur les questions de réciprocité et de respect des normes.
Jean-Marie Beaupuy remarque que l’indépendance intégrale, cela n’existe pas, non plus que l’autonomie intégrale. Il s’agit d’être fort soi-même. Aussi formule-t-il le souhait que les 750 milliards à l’échelle européenne permettent d’être plus forts dans les domaines clefs de la recherche, de l’industrie, de l’écologie.
Comment redonner envie d’Europe aux citoyens ? s’interroge Nathalie Griesbeck. En informant mieux, en transmettant des explications et des valeurs. Mais la transitivité n’est pas garantie magiquement, il y a tout un travail à mettre en œuvre.
Les nombreuses questions des internautes portent sur la dépendance par rapport à la Chine en matière de médicaments. Comment retrouver l’indépendance ? Est-on en train de la retrouver ou le veut-on, simplement ? demande Nathalie Griesbeck. Christophe Grudler fait remarquer un paradoxe : si l’on relocalise l’industrie du médicament, ce sera stratégique, mais pas forcément écologique.
Sur la possibilité d’une armée européenne, Philippe Michel-Kleisbauer explique que ce n’est pas envisageable à court ou à moyen terme, car une armée se fonde sur une culture commune. Il faudrait que de jeunes Européens soient prêts à mourir pour l’Union européenne.
Les internautes posent la question des relations de l’Europe avec la Turquie. Philippe Michel-Kleisbauer répond que nous devons avoir une attitude à la fois ferme – pour empêcher une frontière qui irait de la Turquie à la Libye – et qui rattrape l’erreur que nous avons commise en claquant la porte au nez de la Turquie en lui disant non. Il était possible de lui dire non autrement, en y mettant les formes, en disant « Nous ne pouvons pas vous intégrer dans l’Europe, mais nous savons que vous êtes les meilleurs d’entre tous les autres ». Sinon, nous pousserons la Turquie vers l’Iran. Jean-Louis Bourlanges acquiesce : Erdogan a joué un jeu d’une extrême duplicité. Et, en 1998, il est frappant de voir l’incroyable légèreté avec laquelle les Européens ont ouvert la porte à l’adhésion sans une minute de réflexion. Or, cela posait un problème de redéfinition du projet européen dans son ensemble.
Invités
Ancien député européen, trésorier du Parti Démocrate européen
Député européen de 2004 à 2009, Jean-Marie Beaupuy est pleinement engagé sur les questions européennes. En 2012, il est élu trésorier du Parti Démocrate Européen (PDE). Jean-Marie Beaupuy donne des conférences sur les sujets européens. L’idée de transmission est essentielle à ses yeux. Ses récentes publications portent sur la notion d’éthique.
Député des Hauts-de-Seine, membre de la commission des affaires étrangères et de la commission des affaires européennes
Agrégé des lettres, ancien élève de l’ENA, ancien membre du Parlement européen, conseiller maître à la Cour des comptes, Jean-Louis Bourlanges est député des Hauts-de-Seine. Membre du comité de rédaction de la revue Commentaire, il écrit régulièrement des articles d’analyse politique. Homme de lettres, il a publié plusieurs ouvrages et articles, en particulier sur l’évolution de l’Union européenne. La liberté, le pluralisme et l’engagement européen sont ses chevaux de bataille.
Député européen, membre de la commission de l’industrie, de la recherche et de l’énergie
Né à Belfort, Christophe Grudler y est journaliste, puis éditeur. Passionné d’histoire, il écrit plusieurs ouvrages sur sa ville et sa région. Ancien conseiller départemental du Territoire de Belfort, il est élu député européen en mai 2019. Christophe Grudler met notamment l’accent sur la nécessité d’une stratégie industrielle européenne pour conquérir notre autonomie.
Député du Var, membre de la commission de la défense nationale et des forces armées
Philippe Michel-Kleisbauer a d’abord été clerc de notaire, puis conseiller municipal à Fréjus, assistant parlementaire de François Léotard, directeur de cabinet de la ville de Fréjus. Élu député du Var depuis 2017, il est spécialiste de la gestion de crise.
Députée européenne, vice-présidente de la commission du commerce international
Jusqu’à son élection au Parlement européen, en 3e position sur la liste Renaissance, à 36 ans, Marie-Pierre Vedrenne a dirigé la Maison de l’Europe à Rennes. Juriste de formation, elle a été vice-présidente nationale des Jeunes européens. En 2016, elle prend la direction de la Maison de l’Europe de Rennes. Elle y supervise une centaine d’adhérents et de bénévoles engagés pour la défense de l’Union européenne.
Marie-Pierre Vedrenne est très attachée à promouvoir l’utilité de l’Europe dans le quotidien des citoyens. Elle est Vice-présidente de la commission du Commerce International et membre de la Commission de l'emploi et des affaires sociales. Elle est également membre suppléante de la Commission des pétitions. À l’échelle de l’Union européenne, il s’agit de définir la question de l’autonomie stratégique.
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