Frédéric Petit : "Le conseiller consulaire est un élu local comme un autre"
Les élections consulaires auront lieu les les 29 et 30 mai prochains pour renouveler le mandat de 422 conseillers et délégués consulaires. Entretien avec Frédéric Petit, député des Français établis à l’étranger (Allemagne, Europe centrale et Balkans).
Quels sont les principaux enjeux de ces élections ?
Frédéric Petit - Les enjeux de cette élection mondiale sont avant tout locaux, et souvent très différents d’un pays à l’autre, à l’image de la différence qui existe entre les communautés françaises à l’étranger. Un élu local des Français à l’étranger à Bruxelles sera forcément différent d’un autre en Colombie ou à Madagascar, du fait non seulement de son histoire propre, mais également des raisons qui l’ont poussé à s’engager, et ses concitoyens à l’élire.
La fonction générale d’un conseiller consulaire est de représenter les Français inscrits dans la "circonscription consulaire". Il participe à certaines décisions très concrètes : organisation de la sécurité de nos ressortissants, attribution des bourses scolaires, aide sociale et solidaire pour nos concitoyens en difficultés, aide à l’emploi, etc.
Un autre enjeu, indirect celui-là, a parfois tendance à brouiller l’intérêt local de cette élection, c’est le fait que ces élus constituent le corps électoral chargé de choisir les 90 membres de l’Assemblée des Français de l’Étranger (AFE) et surtout les 12 sénateurs (6 par élection) qui les représentent.
Enfin, l’élection de 2021 sera une élection-test. Elle permettra de vérifier que les Français à l’étranger se sont approprié cette élection qui jusque-là restait confidentielle. Néanmoins, depuis quelques années, la participation est plus active, même si cela reste insuffisant à mon sens. Ainsi, entre 2012 et 2017, dans la 7ème circonscription législative, il y a eu près de 6 000 votants de plus, alors même que la possibilité de vote par internet avait disparu.
Que faudrait-il pour susciter davantage d’intérêt ? Le vote électronique en 2021 permettra-t-il une hausse de la participation ?
Sans aucun doute, le vote électronique sûr est une facilité qui "change" une élection pour nos concitoyens installés à l’étranger. Pour certains électeurs, la distance entre le domicile et le bureau de vote ne se mesure pas en heures de voiture ou de train, mais … en avion ! Il faut être un citoyen extrêmement consciencieux et motivé pour aller voter dans ces conditions ! Le système de vote électronique est en cours de vérification, des tests grandeur nature sont réalisés, et les retours sont plutôt bons.
Plus important, à mon avis, est le travail engagé depuis quelques années, et que nous avons cherché à approfondir pendant cette mandature : le contact avec nos citoyens, leur intégration dans les débats nationaux, leur meilleure reconnaissance par les Français de France ; j’en veux pour preuve le nombre de "Grands Débats" qui se sont déroulés dans ma circonscription et leur fréquentation. Pour ma part j’organise depuis le début de mon mandat des ateliers citoyens sur ce modèle. Il y aussi la correspondance fournie, l’arrivée de nouveaux organes de presse, jusqu’à l’image que les députés des Français à l’étranger renvoient depuis le début de cette mandature.
Mais la participation n’est jamais suffisante et les chemins de la citoyenneté ne sont jamais des chemins faciles. C’est un travail de très longue haleine, qui n’est d’ailleurs pas propre aux Français établis à l’étranger, ni à la France.
Un élu consulaire est-il un élu comme un autre ?
C’est surtout un élu local comme les autres : indépendamment de ses fonctions ou de ses tâches précises, il est d’abord un créateur et un entreteneur de liens citoyens au quotidien. Aujourd’hui, ce lien local existe, même dans des circonscriptions étendues ou complexes (j’en connais une qui comprend 6 pays et deux fuseaux horaires). C’est aussi, comme les autres, un élu en face d’une administration : ceci est assez particulier en territoire étranger, puisque l’administration diplomatique ou consulaire ne couvre pas les mêmes compétences. Les rapports entre le poste consulaire et l’élu local des Français à l’étranger sont "en construction", car la fonction dans sa forme actuelle est assez récente : les postes diplomatiques n’ont pas la même attitude et n’appliquent pas les mêmes règles dans chaque pays, les élus n’ont pas les mêmes attentes ni le même engagement dans chaque circonscription.
Le gouvernement a indiqué qu’il n’y aurait pas de réforme du statut des conseillers consulaires avant l’élection de 2021. Faudrait-il revoir ce statut, de votre point de vue ? Dans quel sens ?
Oui, il y a un consensus pour reconnaître que la loi de 2013 doit être revue, ou du moins complétée. Effectivement, le statut de ces élus n’est pas défini de façon positive. Il les désigne simplement comme ‘participants’, parmi d’autres (non élus), aux réunions des conseils consulaires. C’est une incohérence non seulement en termes fonctionnels - comment solliciter un vote des citoyens si ma fonction n’est pas claire ? -, mais également en termes d’équité démocratique ; dans certains conseils consulaires où il n’est prévu qu’un seul élu, les représentants des associations, désignés simplement par leurs adhérents peuvent mettre en minorité le conseiller consulaire qui, lui, est élu au suffrage universel direct.
Le projet de loi « Engagement et Proximité » a été adopté le 26 novembre 2019 à l’Assemblée nationale. Avec mes collègues, députés des Français à l’étranger, nous avons réussi à amender le texte du gouvernement qui ne comportait, à l’origine, aucune mention des élus représentant les Français établis à l’étranger. Nous avons fait en sorte de leur assurer une forme de reconnaissance immédiate et un certain nombre de facilités : leur nom a été changé pour éviter les confusions avec le personnel administratif, ils s’appelleront désormais « élus locaux des Français de l’étranger ». Les conseils seront à présent présidés par l’élu et non plus par le consul, la charte de l’élu local sera également applicable aux élus consulaires désormais. Toutes ces évolutions vont dans le bon sens. Mais il était difficile de faire une réforme plus large à l’approche des élections, il faudra donc y revenir par la suite ; il me paraît important de revoir à terme le mode de désignation des grands électeurs des sénateurs des Français à l’étranger, et sans doute leur nombre. Nous sommes le seul territoire où le nombre de sénateurs est supérieur à celui des députés.
Les conseillers consulaires siègent par ailleurs à l’Assemblée des Français de l’étranger (AFE). Cette assemblée a un rôle consultatif auprès du gouvernement mais les membres de l’AFE reprochent souvent au gouvernement et au Parlement de ne pas les écouter. La critique est-elle justifiée ?
L’Assemblée des Français de l’étranger est une institution très ancienne. Elle vient de célébrer ses 70 ans. L’AFE se rassemble deux fois par an, il y a une session en mars, et une session en novembre ; chacune dure une semaine. Depuis la dernière réforme, cette assemblée ne rassemble que 90 élus sur plus de 400. C’est un peu sévère de considérer que cette assemblée n’est pas écoutée. Elle a été au cours de son histoire à l’origine de certaines décisions marquantes : la CFE, la création de circonscriptions législatives, par exemple. Je considère que ses membres développent souvent une expertise dans certains domaines, précieuse pour la démocratie en général.
Bien entendu, les débats entre les organismes consultatifs, les organes parlementaires, et l’exécutif restent des débats contradictoires qui peuvent mettre à jour des désaccords. C’est comme cela que notre démocratie fonctionne aujourd’hui. Personnellement, et cela dépasse le strict cadre de la représentation des Français à l’étranger, je pense que ces organes consultatifs gagneraient à être moins nombreux, moins isolés les uns des autres, pour constituer un corps intermédiaire plus visible et plus fort dans nos institutions. On ne peut pas avoir des « citoyens-experts » écoutés et promus, pouvant impulser des débats sains et éclairés, si l’on doit les chercher dans une collection d’instances diverses et non coordonnées, trop nombreuses pour être vraiment associées à la réflexion nationale.
Quelles relations un député des Français de l’étranger, comme vous, entretient-il avec les conseillers consulaires de sa circonscription ?
Depuis le premier jour de ma campagne, et aujourd’hui encore, je considère qu’ils sont les premiers élus de terrain, de proximité. Je les avertis systématiquement de mes passages dans leurs circonscriptions, j’essaie de les rencontrer, le plus souvent ensemble par-delà leurs étiquettes respectives. Nous discutons de tous les sujets des communautés dont ils sont les représentants, ils me questionnent dans le cadre de mes responsabilités, souvent sur les sujets de l’enseignement français à l’étranger, sur la fiscalité des non-résidents… Je suis parfois invité à la réunion de conseils consulaires, et à certaines commissions de l’AFE. Je les informe en priorité de certaines de mes démarches, de mes choix ou de mes votes, quand je considère que cela les concerne. J’essaie d’avoir avec eux le même genre de relation qu’un député en France avec les élus locaux. Même si nous ne partageons pas les mêmes options ni opinions politiques, je suis en contact avec chacun des 36 élus que compte ma circonscription (il y a onze circonscriptions consulaires dans ma circonscription législative). J’ai même développé des relations constructives avec plus de la moitié d’entre eux, à l’occasion du Grand Débat National, lors de visite locale, sur des collaborations locales, etc.
Comment appréhendez-vous la réforme qui se profile visant à réduire le nombre de députés et, pour les Français de l’étranger, à remplacer les circonscriptions actuelles par une circonscription monde unique ?
Je suis complètement favorable à la réforme du Parlement ; comme tous mes collègues du MoDem, je pense qu’un Parlement un peu moins nombreux, où tous les courants de pensée de la Nation seraient représentés (grâce à une dose de proportionnelle), renforcerait son efficacité et sa visibilité parmi les citoyens.
Je suis en revanche absolument opposé à la liste unique mondiale pour élire 8 députés (au lieu de onze aujourd’hui) sur une "petite" proportionnelle réservée aux Français à l’étranger. La taille des circonscriptions est une spécificité, elle n’empêche pas d’être à l’écoute et au contact de ses concitoyens. Avec la circonscription unique mondiale, nous allons perdre en proximité. De plus, le fait d’avoir huit représentants sans que l’on sache à qui s’adresser précisément ou le fait que les députés passent d’un sujet à un autre, d’une région du monde à une autre, un jour l’Australie, une autre fois l’Allemagne, puis le lendemain à des sujets de binationaux en Afrique, sans qu’aucun d’entre eux ne soit clairement responsable, ferait perdre du lien citoyen. Or celui-ci est précieux et menacé aujourd’hui que l’on soit à Varsovie, comme moi, ou ailleurs sur la planète.