Université de rentrée 2019 - "Transitions, réformes, et dialogue social"
Nous vous invitons à découvrir la table ronde « Transitions, réformes, et dialogue social » avec Marylise Léon, secrétaire générale adjointe de la CFDT, Patrick Martin, président délégué du MEDEF, Jean-Noël Barrot, secrétaire général du Mouvement Démocrate et député des Yvelines, et Sylvie Brunet, députée européenne. Cette table ronde est précédée du discours de Richard Ferrand, président de l'Assemblée nationale.
François BAYROU. - Pour nous, il est très important de préciser exactement notre idée de la démocratie sociale. Nous ne croyons pas au face à face du pouvoir avec une société désorganisée, nous croyons, nous qu'il faut des corps intermédiaires et ce que ces derniers ont à dire est essentiel pour la prise de décision et pour l'unité de la société.
Jean-Noël BARROT. - Depuis deux ans, on a fait un certain nombre de choses et de changements qui ont été mis en œuvre et auxquels on a été associés, en tout cas via le travail des Députés, des Sénateurs, Modem notamment. C'est évidemment la question de la formation professionnelle, celle de l'assurance-chômage plus récemment, mais aussi la question des changements d'organisation du marché du travail.
Ce que nous voulions vous demander, avant de parler d'avenir, c'était le jugement que vous portez sur ce train de réformes, à la fois dans sa mise en œuvre et le rôle qu'a joué le dialogue social, mais aussi dans ses résultats, c'est-à-dire son adoption pour les entreprises et les salariés et un bilan sur ce sujet.
Marylise LEON. - Vaste programme !
Merci infiniment de cette invitation à venir débattre. Concernant le Mouvement Démocrate et la CFDT, on a un point commun, c'est que l'on porte le mot de démocratie dans notre nom pour avoir, ce n'est pas un hasard et, à un moment où l'on est dans une période où l'on parle souvent avec excès des acteurs sociaux quels qu'ils soient, de façon très caricaturale, je trouve extrêmement intéressant de prendre le temps - lorsqu'un intervenant commence comme cela, en général, il se prend énormément de temps et il n'y a plus le temps pour des questions dans la salle -, car il est essentiel dans la période qu'il y ait ces temps d'échange.
Je pourrais commenter non pas les 1 001 réformes qui ont été menées, mais il est vrai qu'il y a eu une intensité des réformes extrêmement fortes depuis deux ans. Les sujets sur lesquels vous m'interrogez sont considérés comme cœur de métier pour le syndicalisme, mais la marque de la CFDT est aussi de se mêler de ce qui se passe en dehors de l'entreprise et je pourrais peut-être dire un petit mot sur un des sujets qui me tient particulièrement à cœur, puisque l'on aborde la question de la lutte contre les inégalités, c'est la lutte contre la pauvreté.
Le Gouvernement a mené une réforme extrêmement importante de lutte contre la pauvreté. Une stratégie a été présentée il y a un an. Cela fait partie des sujets qui ont été menés avec les acteurs, d'abord ceux de la société civile, plutôt associatifs, stratégie qui a voulu marquer un certain nombre d'engagements extrêmement forts de lutte contre les inégalités, sur lesquels, nous étions, pour mon organisation, partie prenante, stratégie qui a véritablement mis l'accent sur des sujets et des axes de travail importants.
Je pourrais aussi vous parler de l'insertion par l'activité économique, présentée récemment, mais si nous sommes là par débattre, je vais peut-être parler des choses qui fâchent un peu plus, puisque nous sommes là pour débattre.
Je voudrais, pas tant vous parler de la méthode, puisque le bilan a été fait par les uns et les autres, les différentes organisations. On nous dit aujourd'hui que c'est un acte 2, dans lequel nous voulons croire, car nous sommes également convaincus que la place des corps intermédiaires est extrêmement importante pour faire respirer la démocratie, pour lui apporter des nuances dont on a besoin et que, face à l'ampleur des sujets et des problématiques auxquels on est aujourd'hui confronté, si je prends d'un point de vue du travail la question de la transition numérique, la transition écologique, l'allongement de la durée de la vie, ce sont des défis auxquels on ne pourra pas répondre socialement, ni sociétalement sans pouvoir y associer les personnes concernées.
Les deux thèmes sur lesquels je pourrais peut-être dresser un bilan d'étape, c'est notamment le bilan des ordonnances, prises en septembre 2017 sur le travail. Les ordonnances couvrent un nombre de thèmes extrêmement larges. Si je m'attache à ce qui concerne le quotidien des militants de la CFDT, c'est la mise en place des instances représentatives du personnel et l'ouverture d'un nombre de champs de négociation extrêmement importants.
Aujourd'hui, nous avons un regard plutôt critique sur les ordonnances, mais nous avions plutôt un regard d'alerte et ces alertes se confirment, sur des difficultés que l'on peut rencontrer dans les entreprises à faire vivre ce dialogue social et à avoir des interlocuteurs matures.
L'idée n'est pas de sortir les "gants de boxe" face à mon collègue de droite. Lorsque je parle de la maturité des acteurs, c'est celle de tous les acteurs, y compris des organisations syndicales, CFDT ou autres. Il doit y avoir des militants dans la salle d'autres organisations syndicales. On en croise beaucoup dans les universités d'été ou de rentrée des partis politiques.
La question de la maturité signifie que les réformes doivent effectivement trouver des effets concrets, mais aussi prendre le temps de se mettre en place. Or, sur les ordonnances travail, j'ai deux sujets d'alerte, c'est qu'aujourd'hui se décide et en 2019, s'est construite la qualité du dialogue social pour les 4 ans à venir. On a rencontré un certain nombre de difficultés pour pouvoir construire ce dialogue de qualité et on a eu plutôt une approche, côté entreprises, comptable en saisissant l'opportunité d'une réforme pouvant permettre de gagner de l'argent et du temps pour passer moins de temps au dialogue.
Ce sont des sujets qui peuvent se débattre, mais ils n'ont pas forcément été débattus dans les entreprises, puisque de nombreux employeurs ont décidé de mettre en place ces CSE de façon unilatérale.
On nous avait dit : "Vous allez voir, on fait le pari de la maturité des acteurs". C'est un peu plus compliqué.
Le deuxième sujet sur lequel j'alerte, qui n'est pas complètement déconnecté de la période "gilets jaunes" que l'on a pu connaître, qui n'est pas encore terminée, c'est que, dans beaucoup d'entreprises, les représentants de proximité disparaissent et que les fameux DP, que vous avez peut-être connus, seront beaucoup moins nombreux et nous sommes particulièrement inquiets de voir tous ces capteurs du quotidien disparaître, avec probablement un éloignement entre les décisions dans les entreprises et ce qui se vit au quotidien en matière de travail, de réalité de travail ou de conditions de travail.
Cela, ce sont les deux sujets.
Puis, un bilan, qui n'en est pas un, puisque je voudrais juste dire deux mots de la réforme de l'assurance-chômage, sur laquelle nous sommes également extrêmement inquiets. Cette réforme a été décidée par le Gouvernement, ce qui n'est pas illégitime, puisque les organisations syndicales et patronales ont eu la main et nous n'avons pas réussi à nous mettre d'accord, mais cette réforme va être d'une ampleur extrêmement importante, va toucher près de 1,3 million de demandeurs d'emplois indemnisés.
Nous pensons que l'ampleur de cette réforme va avoir des effets extrêmement concrets et d'ampleur sur le quotidien des demandeurs d'emploi. Dans les territoires, les bassins d'emploi et, si j'ai bien compris, il y a beaucoup d'élus dans la salle, je pense important que vous soyez alertés qu'il y aura, je pense, à partir du moment où la réforme va se mettre en place, donc à partir de novembre, puis d'avril 2020 des effets extrêmement concrets sur la vie au quotidien de ces personnes.
Sylvie BRUNET. - Je vais poser la même question à Patrick Martin et lui permettre de rebondir sur ce premier bilan que vous faites sur la démocratie sociale de proximité, votre avis sur la mise en place de ces CES, mais également, au fond, sur l'échec du paritarisme concernant l'assurance-chômage.
Quel est votre bilan ? Pourquoi cela n'a-t-il pas fonctionné ?
Patrick MARTIN. - Je confirme que je n'emploierai pas de "gants de boxe" avec ma voisine de gauche !
C'est l'occasion de saluer, et je pense que cela n'a cela n'a échappé à personne, la bonne qualité du dialogue que nous entretenons avec la CFDT, même si nous avons de nombreux points de désaccord.
Toutefois, et c'est peut-être prétentieux, s'agissant du MEDEF, il y a un certain niveau de jeu, un certain niveau de réflexion et un respect mutuel, ce qui est essentiel, quelles que soient les divergences pouvant apparaître à un moment donné ou un autre.
La vraie difficulté, c'est que ce pays a fondamentalement besoin d'être réformé, que le rythme qu'a imprimé le Président de la République, qu'ont imprimé le Gouvernement et la majorité parlementaire est le rythme qui convient.
En revanche, ces réformes, et en particulier les réformes sociales dont on parle, touchent évidemment le plus grand nombre et méritent, à tout le moins, une pédagogie qui ne doit pas être l'occasion d'enterrer ces débats, de les différer éternellement, car ils l'ont déjà été bien assez, mais qui sont tout de même la condition de la compréhension et, autant que faire se peut, de l'appropriation de ces réformes par les intéressés. C'est peut-être un peu la difficulté à laquelle nous nous heurtons aujourd'hui et je reviendrai sur l'assurance-chômage.
Typiquement, même si j'ai compris que cela ne faisait pas directement l'objet de la question, c'est, me semble-t-il, le sujet auquel on se heurte sur la réforme des retraites.
Ne pas commencer la discussion et les pédagogies de la réforme en disant que la France paye, en quelque sorte, 14 % de son PIB pour financer des régimes de retraite qui sont, pour un certain nombre d'entre eux, structurellement déséquilibrés et ne parler finalement que d'un objectif de régime universel, je n'ai pas encore vu beaucoup de nos concitoyens vibrer à l'idée qu'il fallait absolument un régime universel. C'est un peu la théorie du jardin à la française…
En revanche, dire que, chaque année, par comparaison avec ses concurrents directs, la France paye 100 Md€ de plus pour ses retraites et qu'il y a un mur qui se rapproche, dans lequel on est déjà peut-être déjà rentrés, c'est de nature à faire mieux comprendre les choses, de telle sorte que l'on ne s'emballe, pas que l'on ne s'étripe pas séance tenante autour d'intérêts particuliers, par ailleurs parfaitement légitimes pour la plupart d'entre eux.
Il y a sans doute un défaut de méthode, un défaut de pédagogie et je dirai, au-delà, presque un défaut de considération, notamment à l'égard des partenaires sociaux, avec cette conviction qui est peut-être le fait d'être une inexpérience de la part de certains de nos décideurs actuels, la conviction de tout savoir sur tout.
Nos organisations ont une certaine antériorité. On peut ringardiser l'antériorité, mais j'ai tendance à penser que l'on a tous besoin de racines, qu'il faut les connaître et les assumer.
Nos organisations, singulièrement les deux nôtres, si je peux me permettre, de par leurs effectifs, de par leur antériorité, leur capillarité territoriale, de par leurs valeurs, sont à la fois des capteurs - je reviens au MEDEF - et des diffuseurs.
C'est important de la part des pouvoirs publics, c'est probablement aussi vrai à l'égard des élus locaux, en amont des prises de décision et en aval de ces décisions pour les porter auprès des intéressés, de mieux entendre, de mieux considérer, de mieux associer ce qu'il est dorénavant convenu, de manière un peu péjorative dans l'imaginaire collectif, d'appeler les "corps intermédiaires".
Typiquement sur l'assurance chômage, je ne sais pas si c'est le lieu de parler du fond des décisions prises, qui, du point de vue patronal, sont, à certains égards, courageuses et, il faut dire les choses, vont même au-delà des positions d'ouvertures que nous avions dans la négociation.
Je vais évidemment parler des mesures d'économie et d'incitation dans la douleur, j'en conviens, au retour à l'emploi, mais, sur le bonus-malus, qui est devenu un totem politique, on aboutit à quelque chose qui sera inefficace et d'une complexité inouïe, mais ce n'est pas le sujet.
Le sujet, c'est que les partenaires sociaux ont été dépossédés de cette négociation et je crois pouvoir affirmer, sous le contrôle exigeant ma voisine de gauche, que, quoi que l'on ait pu en dire, en tout cas les organisations syndicales et patronales avaient tout de même bien avancé sur un certain nombre de sujets et que la probabilité d'aboutir n'était nullement nulle - je reste prudent -, puis on a eu cette intervention intempestive, inattendue de qui nous savons qui a complètement piper les dés.
C'est ce que nous déplorons un peu.
Je terminerai là-dessus en disant que, ce n'est pas un plaidoyer pro domo, je suis très engagé au MEDEF d'autres également, Geoffroy Roux de Bézieux au premier chef, mais ce n'est pas notre métier et on est vraiment là vraiment par conviction.
Je vais le dire franchement, au risque de vous choquer, mon sujet n° 1, c'est mon entreprise et cela tombe bien, car nos intérêts convergent d'une certaine manière.
On souffre un peu, les uns et les autres, de cette stigmatisation des partenaires sociaux, d'autant plus que sont pointées des situations où nous aurions été défaillants, mais quels sont finalement les dossiers, et parmi eux l'assurance-chômage, sur lesquels nous avons été supposément défaillants ? Ce sont spécifiquement des dossiers sur lesquels il y a eu des interférences permanentes des pouvoirs publics.
A contrario, je veux citer ici, avec beaucoup de forces, deux exemples, j'allais dire deux contre-exemples, qui démontrent que les partenaires sociaux, quand ils sont en autonomie et en responsabilité réelle, sont efficaces. Je veux parler bien évidemment des retraites complémentaires. L'AGIRC ARRCO est bien gérée. Cela fait l'objet de discussions parfois âpres entre les partenaires sociaux, mais, au final, nous obtenons des résultats et je veux parler de ce qui devient, ces jours-ci, plus que jamais le tiroir-caisse du Gouvernement, je veux parler d'Action logement.
Action Logement est le premier bailleur local de France personne n'a cela en tête, c'est paritaire, c'est bien géré, selon le gouvernement c'est même trop bien géré puisqu'il va faire les poches d'action logement.
Il faut se garder des caricatures, les partenaires sociaux sont responsables, les partenaires sociaux ont une compréhension en temps réel du pays, comme les élus locaux.
Je crois que c'est la limite de cette ardeur réformatrice de l'actuel gouvernement, mais, Acte 2, j'ai bien entendu donc on va revenir à plus de collaboratif.
Jean-Noël BARROT. - On a parlé du bilan de certaines des réformes mises en œuvre ces deux dernières années, avant d'ouvrir le débat avec la salle, je voudrais vous interroger sur les grands chantiers à venir du paritarisme. Patrick Martin rappelait le paritarisme et les partenaires sociaux avaient encore un rôle important de capteurs de diffuseurs, sur quel sujet en particulier pensez-vous que le dialogue social peut jouer un rôle ? On n'a pas uniquement les retraites en tête. Vous avez tout à l'heure évoqué les inégalités, on peut aussi imaginer que sur la question de la transition économique, le dialogue puisse jouer un rôle.
Marylise LEON. - Quand on évoque le paritarisme, on a souvent en tête le paritarisme de gestion, celui qui me semble le plus important et qui justifie de gérer, c'est de décider de règle et d'avoir des espaces de négociation qui décident d'un certain nombre d'éléments.
Si je parle du micro, de l'entreprise ou de l'administration, le dialogue social, à quoi cela peut servir et sur quoi il peut porter ? Parce que ce n'est pas vraiment une fin en soi, même si c'est intéressant de se voir et de débattre. C'est quand même un moyen. Ce qui est devant nous aujourd'hui mais ce qui est déjà le quotidien de beaucoup d'entreprises et de salariés ou d'administrations et d'agents, ce sont les transformations du travail.
Le travail est complètement métamorphosé de façon plus ou moins brutale et le rôle du dialogue social, c'est de pouvoir anticiper dans la mesure du possible. Bien souvent, s'il y a des militants syndicaux dans la salle ils savent ce que régulièrement le dialogue à chaud, et on a souvent ce rôle, on prend souvent le casque de pompier pour répondre à des difficultés immédiates dans l'entreprise. Le rôle du dialogue social c'est de pouvoir anticiper et de pouvoir créer du compromis, construire du compromis.
Pour moi, ce n'est absolument pas un gros mot.
Le compromis, c'est permettre de faire avancer les deux parties pour construire une position d'équilibre, de la nuance et qui permet de véritablement se projeter vers l'avenir. Sans cela, on est bloc contre bloc. L'un gagne à un moment, mais l'autre aura toujours tendance et la volonté de revenir sur le sujet.
Cela me semble fondamental.
Les transitions à l'œuvre, elles sont énormes, je parlais de la transition numérique. Il y a de multiples études, je suis incapable de vous dire si quelqu'un est capable dans la salle de me dire combien d'emplois vont être modifiés, transformés, disparaître ou réapparaître.
L'idée, c'est de se dire : résister à cette situation n'a pas de sens, mais comment on accompagne au maximum les salariés, les agents des fonctions publiques parce qu'ils sont aussi concernés, et comment on les accompagne, comment on donne du sens aussi à ce qui peut être mené. Dans le cadre de la transition numérique, on peut se bagarrer et débattre indéfiniment sur les algorithmes, ces derniers sont bien construits par des hommes.
Donc le sens que l'on y met, les objectifs politiques qui peuvent y être assignés, tout cela doit pouvoir être discuté.
Ce matin, il y avait une table ronde extrêmement intéressante sur la transition écologique. Je pense qu'aujourd'hui, on ne peut plus aborder de façon dissociée - cela peut paraître un peu tarte à la crème quand on évoque les questions de développement durable - le dialogue social. Je pense que le dialogue social, c'est le moyen de pouvoir intégrer l'ensemble de ces piliers des questions économiques, des questions sociales et des questions environnementales.
C'est le moyen qui me paraît aujourd'hui incontournable, il porte l'enjeu même démocratique, c'est comment on associe les acteurs à ces transformations.
Cela ne veut pas dire que ce sera simple, je ne vis pas au pays des bisounours, mais vu les tensions dans lesquelles on vit aujourd'hui dans la société et que connaissent aussi les entreprises, c'est véritablement l'un des enjeux.
On peut aussi parler de paritarisme, de dialogue social ; il y a aussi le dialogue social dans les branches professionnelles. Quand on parle de l'entreprise, cela ne veut rien dire. Il y a des entreprises, il y a des secteurs d'activité, il y a des réalités extrêmement différentes, il y a du coup et je pense que mon voisin approuvera, des employeurs parce que les réalités au quotidien sont multiples comme il y a des réalités de travail extrêmement différentes selon où l'on travaille.
Les branches professionnelles, je viens du secteur de la chimie où contrairement à ce que l'on peut imaginer c'est 80 % de PME, c'est d'abord un tissu de petites entreprises et, s'il n'y a pas les branches professionnelles, je ne dis pas qu'elles sont parfaites, il a été évoqué tout à l'heure la réforme forme de l'apprentissage c'est un enjeu extrêmement fort, je pense qu'il nous faut absolument réinventer, dynamiser le dialogue social dans les branches professionnelles.
On va être un peu perturbé par le regroupement des branches. Il y a quelques années, il y avait à peu près 700 conventions collectives, aujourd'hui on est à autour des 400. L'objectif est d'arriver à une centaine.
Cela va faire bouger les acteurs, mais je pense que l'on a besoin aussi de travailler sur cette qualité de dialogue dans les branches professionnelles parce qu'il y a aussi besoin d'avoir à l'échelle d'une branche, entre entreprises d'un même secteur, des éléments de repère et de régulation qui permettent à chacun de pouvoir mener son affaire.
Au niveau interprofessionnel, j'ai envie de dire que l'on est un peu à la croisée des chemins.
Patrick Martin évoquait le fait que l'assurance-chômage, cela a quand même été compliqué, mais il faut savoir que l'on n'était pas forcément très loin, mais il y avait quand même des points durs qui restaient.
Le cadre de cette négociation a été complètement changé par la loi qui réforme la formation professionnelle de 2018. La loi nous dit quasiment ce sur quoi on doit aboutir dans la négociation. Corseter ainsi les acteurs sociaux dans la négociation, c'est compliqué.
Je le dis, je suis responsable du dossier, on est censé avoir de nouveau une négociation en 2020 et au regard du cadre de la loi je me demande si les conditions pourraient être réunies.
Après, au-delà, dans le cadre de la négociation interprofessionnelle, c'est d'abord est-ce que les acteurs en ont envie et est-ce qu'ils pensent que cela peut être un lieu d'autonomie - la démocratie sociale - de construire du droit sur un sujet qui les intéresse ? Cela, je pense que c'est une question aussi de volonté.
Les ordonnances Travail donnent une position un peu particulière aux négociations interprofessionnelles, mais je pense que l'on a les espaces, on peut prendre aussi les espaces de liberté. Encore faut-il que l'on en ait envie et que l'on puisse le faire et quand je dis que l'on puisse le faire, je le dis de façon très libre.
Je ne considère pas, je vais parler pour la partie syndicale des salariés, que les syndicats soient en très grande forme. Cela a le mérite d'être clair. Je vois que cela bruisse. Si l'on ne bouge pas, je pense que l'on vivra les mêmes phénomènes que les partis politiques ont vécus et, si l'on ne bouge pas, on nous fera bouger de toute façon. Je pense que certains ne l'ont pas encore compris, malheureusement mais je pense que l'on y reviendra peut-être avec ceux qui ont réagi dans la salle tout à l'heure.
Sylvie BRUNET.- Je voulais embrayer sur ce qui a été dit sur l'impact de ces grandes transitions écologique, digitale et même démographique puisqu'on a tout un sujet sur les métiers des services à la personne, on n'arrive pas à recruter. Je voulais faire un commentaire car cette semaine, à la commission emploi au parlement européen, nous avons eu toute une journée d'audition d'experts OCDE, organisation internationale du travail, sur ce sujet de la transformation du travail, des métiers, des compétences, des chiffres très divers.
Il y a certaines études mondiales qui parlent de 50 % de destruction d'emplois, mais aussi avec des créations, d'autres de 15 %. La plupart des experts aboutissent à un chiffre entre 8 et 10 % d'emplois qui vont disparaître, mais en revanche avec aussi beaucoup de créations d'emplois.
De toutes les expertises que j'ai entendues, j'arrive toujours à peu près à ces chiffres-là 8 à 10 %.
Je voulais faire un commentaire sur le fait que cette notion de comment on implique les partenaires sociaux pour anticiper sur ces évolutions de compétences, au passage partout en Europe on a une vraie question autour de la pénurie de compétences, ce que l'on oublie de dire. Tout au long de la campagne pour les Européennes, j'ai croisé des chefs d'entreprise, des branches professionnelles qui nous disent : on n'arrive pas à recruter. Je ferme la parenthèse parce qu'on a un vrai sujet autour de cela.
Comment on va anticiper et préparer ? On a des cultures différentes car nos amis allemands ont une vraie culture où ils impliquent complètement les syndicats dans leur processus, qu'ils soient, qu'il s'agisse d'un rachat d'entreprise, d'une fermeture de site, peut-être plus culturellement si je puis me permettre que chez nous parfois.
Je voulais faire ce commentaire et du coup avoir aussi votre réaction par rapport à ces grands enjeux du point de vue des entreprises, de la compétitivité économique que nous devons avoir et de cette transformation des compétences, comment on va recruter, comment on va former par le biais du dialogue social.
Patrick MARTIN. - Je crois qu'il y a encore beaucoup de non-dits et que les non-dits alimentent les interrogations puis les angoisses.
Derrière les mouvements sociaux, les mouvements d'opinion que l'on observe en France mais à travers la planète d'une manière générale, finalement, il y a des interrogations lourdes qui sont : est-ce que la planète existera encore ? Est-ce que j'aurais toujours un travail ? Est-ce que les grands flux migratoires vont totalement chambouler les cultures les frontières, les modes de vie ? Ce sont des questions légitimes.
Je pense qu'il faut d'autant plus les traiter ces questions que, à ne pas le faire, on alimente les choses, on alimente les populismes et l'exploitation politique.
Je me permets, ce n'est pas question de circonstance et encore pour moi de moins de flagornerie, de dire que votre formation dans ce débat a certainement un rôle moteur à jouer de par sa profondeur de réflexion et sa pondération.
Mais c'est aussi le rôle des partenaires sociaux. Autant tout à l'heure je me suis exprimé effectivement sans préciser que j'évoquais le paritarisme de gestion, en disant que moins les pouvoirs publics interféraient mieux on se portait, autant sur ces sujets je crois qu'il faut véritablement que nous travaillions ensemble et à vrai dire également dorénavant avec les ONG.
Ce qu'a fait la CFDT de ce point de vue est extrêmement intéressant, pas par volonté systématique de copier la CFDT, mais parce qu'il faut prendre les bonnes idées quand elles existent, le MEDEF, sous l'impulsion de Geoffroy Roux de Bézieux, a engagé un vaste mouvement pour aller au contact de ces ONG qu'à mon sens il ne faut pas toujours surpondérer. On ne sait pas toujours qui elles sont et d'où elles viennent.
Non pas dans l'urgence mais de manière très résolue, il nous appartient à tous les partis politiques puisque la légitimité républicaine prédomine, les partenaires sociaux, les ONG, de traiter ce sujet sérieusement et de manière extrêmement ouverte.
Le CESE a sa part de responsabilité également dans cette affaire.
Il y a de gros progrès qui sont menés de ce point de vue, mais il reste beaucoup à faire.
Pardon de redescendre de plusieurs étages, je voudrais prendre un exemple qui nous perturbe, qui est le projet de loi, il est passé au sénat : recyclage et économies circulaires.
Forcément un certain nombre d'entre vous s'y sont livrés en prenant connaissance de l'étude d'impact que comporte ce projet de loi parce qu'il doit comporter cette étude d'impact ; c'est assez édifiant.
C'est bien le moins, les impacts environnementaux sont pris en compte, encore que de manière assez superficielle de mon point de vue, mais les impacts économiques sociaux et territoriaux sont totalement ignorés, inexistants.
Je crois que c'est donc l'illustration du chemin que l'on a encore à parcourir en l'occurrence le législateur, la haute administration, mais c'est un effort collectif qui vaut bien évidemment pour le MEDEF. C'est un effort collectif que l'on doit mener pour avoir des approches à la fois plus profondes dans le temps et plus globales dans l'espace pour croiser nos points de vue, nos compétences et nos analyses sinon soit on fera avaler n'importe quoi à une partie de l'opinion publique et c'est démocratiquement dangereux soit on créera et malheureusement cela existe aussi, on l'observe significativement, on alimentera une perte de confiance à l'égard de ce que nous sommes.
Je ne dis pas cela parce que je veux absolument perdurer je me suis exprimé sur le MEDEF tout à l'heure.
Notre objectif a chacun, c'est évidemment louable, ce n'est pas de préserver absolument nos postes, nos organisations, certainement pas, et la CFDT, comme le MEDEF, se sont exprimées là-dessus. C'est vraiment de notre responsabilité.
On arrive à le faire, en tout cas, entre partenaires sociaux. On a été un peu déçus en un sens que l'accord partagé auquel on a abouti, en tout cas, avec certaines organisations syndicales sur le partage de la valeur ajoutée ait eu aussi peu de retentissement, alors que l'on a publié cela en plein mouvement des gilets jaunes.
On était un peu maso ! Oui, mais on ne s'est même pas fait mal. On a donc raté sur toute la ligne !
J'avais la conviction, et manifestement je me suis lourdement trompé, que ce ne serait peut-être pas de nature à apaiser la situation, mais au moins à l'éclairer.
Eh bien, rien du tout, ce qui veut bien dire que l'on a une opinion suffisamment fébrile, suffisamment inquiète pour, si on n'est pas très solidaires, non pas dans nos conclusions, mais dans nos approches, dans notre rigueur intellectuelle et dans la sincérité de nos propos, si, tous ensemble, on n'avance pas comme cela, on se mette en risque nous-mêmes, à nouveau ce n'est pas l'essentiel, mais on mette peut-être en risque la collectivité.