UR 2023 : Discours d'ouverture de François Bayrou
Retrouvez ci-dessous le discours d’ouverture de François Bayrou à l'Université de rentrée 2023.
Seul le prononcé fait foi.
Si je n'ai pas besoin de le dire, je suis très heureux qu'on se retrouve si nombreux déjà ce soir, parce que tous ceux qui ont dû traverser la France pour venir à Guidel, c'est rare que la séance du vendredi soir s'ouvre devant autant de monde. J'ai plusieurs choses à vous dire.
La première, c'est que le Covid est de retour.
Il y a plusieurs des nôtres qui ont été en situation de le rencontrer. Et donc je vous encourage à être prudents, à limiter les effusions qui pourtant vous sont habituelles, diurnes et vespérales, je n'ai pas dit nocturne. Donc je suis très content qu'on soit là pour réfléchir comme nous le faisons, confronter nos regards sur une situation dont je vais dire un mot dans une minute.
C'est un moment particulièrement, comment on peut dire, décisif des temps que nous vivons et de ce que nous allons traverser et de ce que nous avons à traverser. Il y a longtemps que les continents dérivent à la surface de la planète et cette fois ci, il dérive aussi en politique à la surface de la planète. Les très grands mouvements géopolitiques qui sont lancés, géopolitiques, et si j'osais, je dirais, géo sociologiques. C'est ce qui se passe dans la profondeur des peuples qui paraissaient stabilisés depuis des décennies, depuis la guerre, et qui aujourd'hui est complètement bouleversé. Tout ce qui se passe là intéresse chacun d'entre nous. Et si l'on croit qu'on va pouvoir traverser les temps qui viennent sans que nous nous reposions les questions fondamentales, on se trompe.
Les questions fondamentales qui tiennent à notre, simplement, à notre place dans l'humanité et à la responsabilité que nous avons, nous humains, nous occidentaux, nous européens, nous français. Jamais nous n'avons été placés devant des responsabilités comme celles-là depuis très longtemps. Tout ce qui était stable connaît aujourd'hui des bouleversements profonds. Alors il y a les bouleversements qu'on voit. Évidemment qu'on ressent les changements climatiques, le changement climatique et les changements qui sont induits par le changement climatique, dans tous les aspects de la vie. On a le ministre de l'Agriculture et la ministre de la Biodiversité, donc c'est dire à quel point nous sommes frappés par cela. On a le ministre de l'Outre-mer et la question de l'outre-mer est absolument centrale. Nous n'allons pas pouvoir passer dans les années qui viennent sans que cette question-là trouve des réponses nouvelles.
Et puis on a le ministre du Numérique et Dieu sait que dans les changements que nous évoquons, la question du numérique est une question qui est une onde de choc pour la totalité de notre organisation de société. Et donc on a beaucoup de chance d'avoir ces responsabilités. On a beaucoup de chance d'être ensemble pour les vivre.
Et quand je dis être ensemble pour les vivre, ceux qui ne nous connaîtraient pas ou ceux qui nous suivent sur Internet, cette famille politique n'est pas tout à fait une famille politique comme les autres. Ce courant politique n'est pas tout à fait un courant politique comme les autres, pour deux raisons. La première, qui est très importante pour nous, c'est que, avec le temps, dans la traversée des déserts, et Dieu sait que nous avons connu des traversées du désert. Dans la traversée du désert, quelque chose s'est soudé en nous, s’est cimenté en nous qui fait que nous vivons et c'est pour un responsable politique expérimenté, c’est très original et très heureux. Nous vivons, nous, une solidarité sans aucune faille. C'est rare les mouvements politiques puissants qui ont un groupe puissant à l'Assemblée nationale, une influence sur la vie politique et qui vivent une solidarité sans faille. Pour ma part, je n’en connais pas beaucoup et même dans l'histoire, je n’en connais pas beaucoup et nous, nous avons cette chance-là.
Je disais ça à des journalistes tout à l'heure, c'est infiniment précieux. Et bien sûr, vous savez pourquoi ! C'est étroitement lié au caractère escarpé des chemins que nous avons parcouru. Comment dit La Fontaine ? Ce chemin est de tous les côtés au soleil, exposé de tous les côtés aux orages, exposés aussi. Ça nous a permis de créer quelque chose qui est infiniment précieux parce qu’infiniment rare.
Donc, c'est le premier point. C'est une famille politique dont l'organisation est fondée sur une solidarité sans faille.
Et deuxièmement, c'est une famille politique, c'est un courant politique qui porte un message qui n'a pas changé depuis des décennies et qui aujourd'hui se trouve exactement à l'épicentre de tous les problèmes qui se posent dans le monde. Pourquoi ? Parce que nous revendiquons d'avoir une philosophie politique et cette philosophie politique qui se résume en un mot, souvent galvaudé, mais qui mérite d'être rappelé. Nous sommes des humanistes dans la vie politique française, nous sommes des humanistes dans la vie politique européenne, c'est à dire que nous considérons que le but de l'action politique, c'est de créer une société dans laquelle l'humanité qu'il y a en chacun d'entre nous s'épanouira. Que chacun soit plus créatif, plus sensible et plus conscient. Je veux vous rappeler cette phrase que je répète tout le temps, donc vous ne serez pas surpris.
Cette phrase du grand philosophe politique Marc Sangnier, qui était à la qui était à la fondation il y a 100 ans, de cette famille politique. Il dit la démocratie et l'organisation sociale qui porte à son plus haut la conscience et la responsabilité de chacun. La conscience et la responsabilité de chacun. Et ça donne une vision complètement différente de ce qui se passe.
Comme vous le savez, j'ai prononcé le mot de démocratie dans tous les partis politiques que j'ai eu la chance de diriger. Dans la longue chaîne de fidélité et de succession, il y a eu des formes politiques différentes, toujours, il y a eu le mot de démocratie dans le titre, toujours. Et donc ce n'est pas pour rien. C'est parce que nous avons une idée de l'engagement politique qui, précisément, répond aux problèmes du temps.
Comme vous le savez, la démocratie est aujourd'hui contesté fondamentalement, alors qu'on croyait il y a encore 15 ans, 20 ans, qu'elle avait triomphé, que c'était fait, que c'était, comme disait le grand, le grand politiste, que c'était la fin de l'histoire avec la chute du mur de Berlin et nous, et nous voyons aujourd'hui à quel point la démocratie, et dans son existence même ou dans les épisodes qu'elle traverse, fragilisés à un point qui n'a jamais été le cas, au point qu'elle est aujourd'hui la démocratie minoritaire dans le monde.
Les pays, les continents, les organisations politiques démocratiques sont minoritaires dans le monde. Il suffit de voir ce qui se passe en Chine et ce qui va se passer en Chine. La Chine va perdre dans les 30 ans qui viennent l'équivalent de la totalité de la population européenne, 500 millions d'habitants ou 450 millions d'habitants de moins. Parce que la politique qui a été suivie, la politique de l'enfant unique, fait que, inéluctablement, il est question démographique.
Ce sont des questions sans suspense. Qui est né, est né et qui n'est pas né, ne naîtra pas. Il n'y a pas d'inconnu ou d'incertitude. Si ! on peut faire mourir beaucoup plus de gens encore. Mais enfin, ceux qui ne sont pas nés vous ne les retrouverez pas. Et ça touche tous les problèmes. La pyramide des âges touche tous les problèmes, singulièrement.
Alfred Sauvy disait ça très bien. Singulièrement la vitalité d'un peuple, sa créativité, sa capacité à entreprendre, sa volonté de regarder l'avenir avec optimisme ou pessimisme. Tout cela est intimement lié. La Chine va vivre ça. Au contraire, l'Inde va avoir une progression de sa population. L’Inde, qui elle-même prise dans des crispations incroyables entre religions, entre identité et religion.
L'Afrique va connaître une explosion de sa population et c'est à côté de chez nous, un. Et si vous ajoutez la crise climatique par-dessus tout ça, mais la crise économique, la crise politique, le fait que les assauts des intégrismes sont en train de travailler profondément ces peuples en difficulté. Tout cela, on va le vivre. Et ceux qui croiraient ou qui prétendraient qu'il y aura une cloison étanche entre les événements du monde et notre vie nationale. Ceux-là sont des enfants, ne comprennent pas ce qui va se passer. Et c'est pourquoi les questions d'immigration, on recevra ce soir Ayyam SUREAU, d'Immigration et d'asile, dont elle a fait l'engagement de sa vie. Ces questions sont évidemment centrales, aussi importantes que les questions qui touchent au climat, aussi importantes que les questions qui touchent à l'énergie.
Et tout cela, nous affrontons, nous Français, avec un modèle unique et plus fragile que les autres. Je veux insister sur ce point-là, l'organisation que notre pays a choisie, qui est une organisation fondée sur la solidarité, la solidarité maximale, la prise en charge par la communauté de tous les investissements dans l'éducation, de la maternelle au Collège de France, de tous les investissements de santé, la garantie des retraites universelle et tout ce qui est assurance chômage, tout ce qui est de l'ordre des équipements publics, tout cela en France et c'est le seul pays au monde qui a fait ça repose uniquement sur cette règle que j'ai simplifiée en l'appelant la règle du tous pour un. Encore faut-il qu'il y ait des tous, que le nombre de ceux qui vont contribuer à la solidarité soit en proportion avec le nombre de ceux qui vont bénéficier de la solidarité. Et si vous ne regardez rien qu'une seconde les rapports numériques entre les deux, alors vous avez une idée des problèmes que nous allons rencontrer. Et dans ce temps-là, crise climatique, crise géopolitique, crispations religieuses, intégrismes, déstabilisation des sociétés.
Regardez les sociétés américaines. Ne serait-ce que politiquement. Il y a un sondage hier qui donne Trump dix points devant Biden, dix points devant Biden. Et c'est comme une course poursuite, entre les poursuites d'un côté et la fanatisation d'une partie de l'opinion américaine. Plus la guerre chez nous. La guerre en Ukraine, le Haut-Karabakh aujourd'hui dont personne ne parle ou pas beaucoup, le surgissement de la vague de l'inflation.
Et comme vous le savez, j'ai souvent répété que ceux qui croient que les vagues d'inflation s'arrêtent du jour au lendemain n'ont pas beaucoup regardé l'histoire des grands mouvements monétaires. Sur ces sujets-là, on va l'affronter. Et il n'y a qu'une seule réponse possible. Comme tu le disais, pour moi, il y a peut-être des gens qui vont raconter que on peut s'en tirer tout seul.
C'est ce que disait madame Mélodie. Elle s'est fait élire en disant On va régler tout seul la question de l'immigration, que l'Europe reste chez elle. Et puis, moins d'un an après, on voit en voilà la situation. Et donc, pour nous, cette question est vitale. Et il se trouve que par chance, pour la première fois depuis très, très, très longtemps, on va avoir des élections européennes qui nous placeront en situation exceptionnelle.
Je parle de nous et de nos amis de la majorité. En situation exceptionnelle pourquoi ? Parce que nous serons les seuls dans le champ politique à défendre cette thèse. Autrefois, il y avait concurrence entre les différentes visions de l'Europe. Aujourd'hui, il me semble qu'il y a même plus de concurrence sur ce sujet-là. Chacun s'éloigne et part dans son coin sur des thèses qui sont des dérives, qui sont autant de dérives et dont on ne sortira pas.
Alors nous, nous allons vivre cette bataille avec l’espèce de joie de s'engager de ceux qui voient leurs idées désormais au centre de la préoccupation générale. Donc, c'est une très grande chance et on aura les responsables des partis de la majorité. Mais il m'a semblé que ça ne suffisait pas. Il m'a semblé que pour cette discussion européenne, fallait qu'on bouleverse un peu notre organisation pour qu'on puisse parler avec les responsables eux-mêmes.
Et c'est la raison pour laquelle je vous annonce que Thierry Breton, le commissaire européen, sera avec nous dimanche matin pour parler de cette question centrale de l'avenir de l'Europe. Je l'ai invité, il a accepté et ce sera un point de plus de notre enracinement dans la réflexion sur le sujet le plus important de notre avenir. Nous avons beaucoup de chance d'être là et comme tu le disais tout à l'heure, il y a 100 ans que nous avons, que nos prédécesseurs, dont un député des Pyrénées-Atlantiques, il y en avait même deux sur quatorze, ce qui n'est pas si mal.
Et il y avait là, il y avait un Balanant aussi, mais il y avait un député, un homme formidable puisque, à la Libération, lorsqu'on a cherché quelqu'un d’irréprochable pour tous les partis pour présider le premier Sénat, on disait le Conseil de la République à la Libération. On est allé chercher cet homme de chez nous qui s'appelait Auguste Champetier de Ribes et dont la salle du groupe centriste au Sénat porte le nom.
Depuis cette époque, il était quasiment mourant, et il a été avec honneur le premier président du Sénat, et a été capable de réunir toutes les sensibilités de cette époque.
Je ne veux pas laisser passer ce moment d'histoire pour les plus jeunes d'entre nous sans rappeler quelque chose qui doit faire notre fierté de tous les instants. Lorsqu’ont été concédées, pas négociées, concédées les accords de Munich, l'immense majorité des partis politiques français ont approuvé, applaudi ou se sont tus.
Il y a un seul parti politique qui a choisi de prendre le risque Incroyable, alors que toute l'opinion publique était ovationnée, ceux qui avaient signé les accords de Munich ; un seul parti politique, c'est le Parti démocrate populaire de l'époque. Petit parti, une dizaine de députés, une quinzaine de députés et un petit parti avec un petit journal quotidien qui s'appelait l'Aube, d'un beau nom de journal, et dont l'éditorial était signé par, il avait 26 ou 27 ans, un jeune agrégé d'histoire géographie qui aura un destin glorieux et puis controversé après. Glorieux, parce qu'il aura été le président du Conseil national de la Résistance lorsque Jean Moulin a été assassiné. Et après il sera entraîné dans d'autres visions et d'autres dérives à propos de l'Algérie française. Mais il a eu l'honneur de signer l'éditorial avec une des phrases les plus belles que j'ai rencontrées de ma vie et qui doit constamment nous servir d'inspiration lorsqu'il s'agit de dire « non ».
Sa dernière phrase de l'édito sur Munich. « Lorsqu'il s'agit de dire non, le meilleur moment c'est le premier. » Eh bien rien que pour cette phrase, et rien que pour cette histoire de cent années de l'engagement national et européen qui est le nôtre, démocratique au travers de la planète. Rien que pour cette certaine idée de l'homme que nous portons, je suis très heureux que nous nous retrouvions à Guidel.
Merci à tous !