Carnet d'Ukraine : témoignages
Nataliia Pylypenko, réfugiée ukrainienne, a trouvé l'asile à Paris avec ses deux petits enfants grâce à une très généreuse famille française. Depuis leur arrivée en France, le 15 mars 2022, Nataliia, professeur de langues étrangères, écrit tous les jours sur les évènements tragiques qui se déroulent dans son pays où son mari est resté.
Nataliia nous livre aujourd'hui la traduction d'un livre relatant des témoignages d'Ukrainiens vivant la guerre : "Plakhta", d'Iryna Govorukha.
L'auteure présente son livre ainsi : c'est un livre confessionnel. Les histoires sur ce qui a été vu et vécu par les habitants de Tchernihiv, Boutcha, Gostomel, Irpin`, Borodyanka, les villages des régions de Kyïv et Tchernihiv. Plus de 250 entretiens sur l'occupation et la mise à l'abri dans des caves sans chaleur ni lumière. Un livre sur la foi, le courage. De grands gains et des pertes irréparables. L`amour et le désespoir. L`amour inébranlable pour la terre natale. La guerre n'a aucun concept de conscience et d'honneur qui ne connaît pas l'amour et la miséricorde. La guerre est une tante folle maléfique et vengeresse. Et si nous ne l'arrêtons pas, bientôt elle nous arrêtera tous. »
J'ai commencé à écrire ce livre le dixième jour de la guerre. Il se compose de fragments, des fragments et des fragments de phrases. De la peur animale, de la douleur désespérée et du désespoir. De la Foi et l'incrédulité.
Sur ses pages, il n'y aura aucune reproduction des actions de combat, des détails des attaques ennemies et des opérations de reconnaissance. Seulement les histoires d'Ukrainiens ordinaires, loin de la guerre. Les femmes avec beaucoup d'enfants et sans enfants. Les retraités et très jeunes filles. Les histoires de comptables, d'instituteurs, de cuisiniers, de femmes de manucures et d'ingénieurs. Les bénévoles, les médecins, les avocates et les mères en congé de maternité. Ceux et celles qui n'ont jamais tenu une arme dans leurs mains. Celles qui n'ont même pas pensé à la possibilité d'une guerre. Elles parlent simplement de ce qu'elles ont vécu. Sans chercher à adoucir, embellir ou simplifier quoi que ce soit. Chaque destin décrit est une vérité indéniable. Chaque raid aérien est marqué d'une date, d'une prière et d'un cri du sol..."
Quelques commentaires de lecteurs :
- "Plakhta" est un tourbillon d'émotions que j'ai aussi vécu. C'est à propos de moi. Il s'agit des gens dont je suis fière maintenant. "Plakhta" c'est toi et moi. Une Ukraine aux multiples voix, mais intégrale, terrifiée, mais pas conquise, qui renaît d'événements tristes et heureux de la vie.
- Le livre est plein d'une douleur indescriptible et en même temps d'un espoir brûlant
- L'auteur a vécu deux fois ce chagrin humain, écoutant les récits de témoins oculaires puis les décrivant, c'est la vie. La vie dont chaque instant doit être apprécié. Le livre l'enseigne
Extrait du livre :
J'ai récemment parlé avec une femme qui s'est miraculeusement évacuée d'Irpin`, il y a un an et demi. La conversation s'est avérée émotionnellement intense et difficile. Ils s'arrêtèrent plusieurs fois pour se recueillir, boire de l'eau en claquant des dents sur le bord du verre, reprendre leur souffle. Elle vivait sur la cinquième ligne, sa maison a survécu, mais les neuvième et onzième lignes ont été gravement endommagées. Ils se sont réfugiés dans une autre région et se sont installés dans la pièce la plus chaude de la maison. Ils se sont immédiatement précipités pour aider au ménage, retravailler (gagner son pain et le toit) leur coin. Couper (tailler) les arbres, semez des radis précoces dans la serre. Le lendemain, je me suis assise avec mon mari pour boire du thé, mais je n'ai pas pu prendre une seule gorgée (la plupart des survivants du bombardement ne peuvent ni manger ni boire pendant longtemps). L'homme s'est réchauffé les mains pendant un certain temps avec la chaleur de la tasse, puis a crié: "Je veux rentrer chez moi."
A l`époque j'avais l'habitude de penser que je n'avais aucun attachement particulier à ma maison. Je peux vivre dans la vieille ville de Varsovie, et dans la banlieue parisienne, et dans une petite hutte dans les gorges de Mask à Tenerife. Mon mari et moi avons beaucoup voyagé à travers le monde et avons pensé que nous pouvions nous installer n'importe où - même dans un grenier au centre de Copenhague, qui ressemble plus à un nid d'oiseau ! Aujourd'hui, alors que chaque jour l'air est rempli d'anxiété et que la terre est imbibée de sang, comme un biscuit au cognac, quand ce qui a été construit pendant des décennies est détruit en un instant, je me rends compte à quel point j'aime mon Ukraine. Ses sols noirs de Mars attendant le grain riche, les cigognes nichant sur les châteaux d'eau, les monologues matinaux des coqs, l'amertume des fleurs d'œillets orange, la poussière d'Août, les raisins d'automne parfumés et les fêtes religieuses de Décembre. L'odeur des champignons Suillacées, le cri victorieux des canneberges et le goût des pastèques de Kherson. Les toiles des champs, les lignes des forêts, les hauts-fonds de la mer d'Azov et la voix matinale des trembites (instrument musical particulier des Carpates- la plus longue tube qui donne le son). La chaleur du four, le bruit de la steppe, les vins de Shaba (la région d`Odessa). Les poissons Sprattus d'Odessa et les pâtisseries de Lviv à la base du fromage frais (platsky de Lviv). Les ondulations des sables d'Oleshkiv. La platitude des lacs.
Chaque Ukrainien qui a été forcé de fuir l'enfer n'a qu'une pensée dans son cœur : revenir le plus tôt possible. Par le premier bus qui a quitté le dépôt, ou par le train rapide, en courant, à pied, en crawlant. Un vélo rouillé et cliquetant est conservé dans le camp de concentration de Mauthausen. Sur celui-ci, le Polonais, épuisé par la captivité, incapable d'attendre d'être renvoyé chez lui, est venu à Wroclaw, après avoir parcouru mille et demi-kilomètres. Ma copine, qui a laissé une maison et une centaine de rosiers dans la région de Kharkiv, s'en occupe mentalement. Elle coupe avec un sécateur pointu, préalablement imbibé de permanganate de potassium, et elle les parle comme aux enfants. Elle compte les jours jusqu'à son retour.
Les souris vivent dans des terriers. Les loups et les ours sont dans la tanière. Les oiseaux ont des nids. Les gens ont des maisons. Un endroit où vous pouvez survivre au gel et à la chaleur. Se reposer et rétablir les forces. Dormir bien. Pleurer. Réunir tous les proches à une table ronde ou longue. Donner naissance à des enfants. Célébrer un anniversaire, le début et la fin d'école et la retraite. La maison a les nattes habituelles, les cuillères, les icônes. Les fenêtres, les rideaux, les appuis de fenêtre. Les odeurs, les bruissements, les cris. Les photos anciennes de la famille qui sont partout. Les poignées de la porte et les portes. Les murs vous traitent à la maison.(c`est à dire si on est malade il faut être à la maison et même les murs de la maison vous aident à vous rétablir vite).
Même si les murs ont disparu... L'endroit demeure encore...
Ma propre histoire est aussi écrite par Iryna dans la première partie de "Plakhta". Ce livre doit être traduit dans toutes langues pour montrer au monde tout ce que les Ukrainiens vivent en ce moment avec la guerre ! Le talent et la force de l'esprit et la patience d'Iryna pour écouter ou lire les messages des témoins, revivre leurs histoires, les comprendre, et trouver la force et les mots pour écrire et pour nous transmettre la douleur, l'esprit indomptable de la nation Ukrainienne, la cruauté des massacres inhumains russes.
Iryna a cumulé les histoires réelles des témoins de l'agression russe contre mon pays qui ont survécu les jours et les nuits affreuses pendant l'occupation, en caves, dans des conditions de vie très difficiles…
On ne peut pas lire sans verser des larmes mais il le faut ! Nous devons garder ces histoires pour les générations futures comme preuves des crimes russes.