Cyrille Isaac-Sibille : « Il est essentiel de transformer nos environnements par la taxation du sucre ajouté »

Cyrille Isaac-Sibille

Alors que le PLFSS est actuellement débattu à l'Assemblée nationale, notre député du Rhône et médecin de formation, Cyrille Isaac-Sibille, nous explique sa mesure proposant d'étendre la « taxe soda » aux produits ultra-transformés pour lutter contre l'obésité.

Pouvez-vous faire un état des lieux de l’obésité en France ? Et en Europe ?

La surcharge pondérale est une épidémie silencieuse qui sévit et progresse rapidement. La France, comme le reste de l’Europe, n’est pas épargnée.

Près d’un Français sur deux est en situation de surpoids ou d'obésité et depuis 1997, la prévalence de l’obésité a été multipliée par quatre chez les 18-24 ans. Les chiffres sont sensiblement les mêmes à l’échelle européenne.

L’obésité est une maladie complexe, aux causes multiples, qui entraîne de graves risques pour la santé. Elle est associée à une vingtaine de pathologies chroniques (cardiovasculaires, métaboliques, articulaires, respiratoires, cancers), à des troubles en santé mentale et favorise la stéatose hépatique non alcoolique, aussi appelée maladie du « foie gras ».

Cet excès de graisse corporelle, contribue à la hausse des maladies chroniques, fragilise la santé de la population, engorge les hôpitaux, et pèse lourdement sur les finances publiques.

Ce phénomène dépasse nos frontières. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) avait prédit que le nombre de personnes obèses atteindrait le milliard d’ici 2030 dans le monde. C’est désormais une réalité depuis le 1er mars 2024.

Cette épidémie nécessite une réponse immédiate des pouvoirs publics.

Comment en est-on arrivé à ce stade ? Quelles en sont les conséquences ?

Plusieurs facteurs peuvent expliquer la hausse de la surcharge pondérale et de l’obésité, à commencer par l’évolution de nos modes de vie.

L’une des principales causes de la surcharge pondérale est, avec le manque d’activité physique et la sédentarité, le déséquilibre alimentaire, auquel participe l’alimentation ultra-transformée.

Le sucre est omniprésent dans nos assiettes. Les industriels n’hésitent pas à l’intégrer dans la majorité des aliments ultra-transformés, aliments qui prennent une place de plus en plus importante dans notre alimentation. Une récente étude de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) alerte sur les dangers de cette alimentation ultra-transformée, souvent de moins bonne qualité nutritionnelle que les aliments bruts et qui représente 30 à 35% des calories consommées par les adultes.

Les plus jeunes sont particulièrement vulnérables, comme en témoigne la présence de sucre dans les petits pots pour bébé et l’exemple des « bébés Coca », ces enfants de moins de six ans aux dents de lait noires, rongées par le sucre. Les inégalités sociales jouent également un rôle prépondérant.

Selon vous, comment les politiques publiques peuvent-elles agir contre la malbouffe de manière générale ?

Nous devons attaquer le problème à la source.

La prévention et la promotion des bons comportements de santé dès le plus jeune âge sont essentielles, en permettant à nos concitoyens d’acquérir une culture de la santé.

Pour cela, nous devons aussi renforcer l'information sur la qualité nutritionnelle. Rendre le Nutri-Score obligatoire, tant sur les produits alimentaires que dans leur publicité, constitue une première mesure à envisager pour guider nos choix de manière éclairée.

De plus, un investissement dans la recherche autour des facteurs favorisant l’obésité est nécessaire. Nous disposons de nombreuses données de santé. Pourtant, l’obésité est transparente des systèmes d’information. Inspirons-nous du modèle danois afin d’identifier, quartier par quartier, les personnes souffrant de surpoids et d’obésité pour leur permettre un réel suivi de la maladie, dès l'apparition des premiers signes de surpoids.

Enfin, les pouvoirs publics doivent inciter les industriels à délivrer des produits alimentaires de meilleure qualité.

Vous proposez de renforcer la taxation sur les sucres ajoutés dans les boissons et les produits ultra-transformés. Pouvez-vous expliquer votre démarche ?

Changer des comportements enracinés depuis l’enfance s’avère être une tâche ardue. C’est pourquoi, il est essentiel de transformer nos environnements par la taxation du sucre ajouté dans les boissons et produits ultra-transformés. Cela incitera les industriels à reformuler leurs produits et réduire le taux de sucre.

En France, la « taxe soda » a été instaurée en 2012, avec pour objectif d’encourager la réduction de la consommation de ces boissons non alcoolisées contenant des sucres ajoutés. Toutefois, son impact demeure limité : trop de paliers, des hausses de prix insignifiantes, et des industriels peu incités à réduire le sucre dans leurs produits. Cette même taxe appliquée au Royaume-Uni, qui affiche des taux d'accises plus élevés et seulement trois paliers, a eu un impact quatre fois supérieur à celui de la taxe française.

Outre les boissons sucrées, aucune autre incitation fiscale n’existe actuellement pour les produits ultra-transformés, bien que leur teneur en sucre puisse être préoccupante. C’est pourquoi je propose d’étendre la taxe soda aux produits ultra-transformés.

Quels sont, selon vous, les prochaines mesures à mettre en place pour endiguer ce phénomène ?

En complément, nous devons accroître le virage préventif.

Construire une politique de santé publique, c’est prendre en charge la santé des Français dans leur ensemble et de chacun, quelle que soit son origine ou son appartenance sociale, garantir un environnement favorable à la santé, favoriser les bons comportements pour prévenir les maladies.

Je défends une approche populationnelle de la santé, en fonction des déterminants de santé, qu’ils soient socio-économiques, environnementaux, comportementaux, une politique ciblée pour « aller-vers » ceux qui en ont le plus besoin, ceux qui sont les plus éloignés de leur santé (souvent les ménages les plus modestes). Et ce, dès le plus jeune âge et tout au long de la vie, sur nos lieux de vie (école, travail, domicile) par l’éducation à la santé pour encourager l’activité physique, par exemple le recours au vélo ; une alimentation saine, promouvoir la santé environnementale, le bien-être physique et mental… La prévention en santé est un enjeu social, c’est un combat pour l’égalité des chances.

Malheureusement ces mesures n’entrent pas dans le cadre budgétaire du PLFSS, ce qui explique leur absence dans ce texte.

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