François Bayrou dans La République des Pyrénées : "Nous allons présenter des faits qui prouvent que les accusations sont infondées"

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Retrouvez ci-dessous l'entretien accordé par François Bayrou à La République des Pyrénées ce mardi 10 octobre. 

PROPOS RECUEILLIS PAR ERIC BÉLY

A quelques jours de votre procès, vous teniez particulièrement à parler aux Palois et aux Béarnais. Pourquoi ?

J'ai même décidé de ne m'exprimer que dans vos journaux avant ce procès. Et je ne ferai aucune intervention publique pendant les six semaines qui viennent. Je voulais m'adresser à ceux qui sont les miens, mes électeurs, mes proches, mes amis. C'est un dossier dans lequel des juges d'instruction écrivent qu'il n'y a jamais eu le moindre emploi fictif et qu'il n'y a pas eu un seul euro d'enrichissement personnel. Nous allons présenter des faits qui prouvent que les accusations sont infondées. Alors pourquoi n'a-t-on pas tenu compte de ces faits jusqu'à maintenant ? Mystère et boule de gomme... Mais le regard qui m'intéresse le plus est celui de ceux qui m'ont choisi depuis des années pour les représenter. Et c'est à eux que je voulais m'adresser.

Vous comparaissez donc à partir du 16 octobre pour complicité de détournement de fonds public européens. Dans quel état d'esprit abordez-vous ce moment délicat et crucial pour votre avenir politique ?

Je me sens blessé. Profondément. D'abord parce que j'ai placé toute ma vie politique sous l'angle de la moralisation de la vie publique. C'est moi qui ai inspiré la loi de moralisation, c'est même moi qui en ai écrit la première mouture durant les semaines où j'ai été ministre de la Justice. Deuxièmement, le combat pour l'Europe, c'est le mien et c'est le nôtre, celui de notre courant, depuis le premier jour. Troisièmement, les dégâts humains, en 6 ans et demi où l'on poursuit contre vous une enquête infondée, sont considérables. Mais la blessure principale pour moi qui crois à la justice est que ces accusations puissent être maintenues pendant tant d'années, alors que l'on sait qu'elles sont fausses. La plupart des accusations ont été levées. Et je tiens à le répéter : je n'ai jamais, pas une seule fois, et nous n'avons jamais comme responsables, comme parti, participé au moindre détournement. Si d'autres partis l'ont fait (1) - et personne à l'époque ne considérait cela comme répréhensible-, j'en ignore tout. Mais nous précisément n'avons pas utilisé ces méthodes.

Mais le MoDem, aux finances limitées à l'époque, n'a-t-il pas pour le moins été tenté de bricoler façon système D en naviguant dans les zones de flou ?

Jamais, et cela sera prouvé.

S'il n'y a rien dans le dossier. Comment expliquez-vous votre renvoi devant le tribunal correctionnel, vous et 10 autres coaccusés, dont Stéphane Thérou (qui est aujourd'hui directeur de cabinet de la Communauté d'agglomération Pau-Béarn Pyrénées) ?

Au départ, il y a eu des dénonciations politiques qui ont d'ailleurs fait l'objet de jugements et ont été qualifiées de non-crédibles. La plupart des parlementaires mis en cause ont été innocentés, dont Marielle de Sarnez. L'accusation s'est dégonflée année après année. Après, c'est le déroulement de la justice qui veut ça. C'est une machine qui avance implacablement. J'espère simplement que nous allons enfin pouvoir faire entendre les faits.

Ne craignez-vous pas que votre image en sorte égratignée quoi qu'il arrive ?

Pas du tout. Au fond d'eux, les gens savent qui sont leurs élus. Surtout quand, comme ici, ils ont eu l'occasion de les éprouver au cours des décennies.

Vivez-vous avec, dans un coin de votre esprit, la possibilité d'une condamnation et d'une peine d'inéligibilité ?

Non, je ne vis pas avec ça. Je suis assez combatif et assez optimiste par nature. Et puis, j'ai été ministre de la Justice et n'aurais pas accepté de l'être si je ne considérais pas que la justice est indispensable à la démocratie. Jusqu'à preuve du contraire, je veux croire à l'institution, croire que l'on peut avancer vers la vérité durant un tel procès. Nous avons été accusés d'une masse incroyable de détournements. La justice a déjà montré que, pour l'essentiel, ce n'était pas vrai. Et je crois qu'au cours du procès nous pourrons faire triompher toute la vérité.

Envisagez-vous, ne serait-ce qu'une seconde, de devoir quitter la mairie de Pau en cas de peine d'inéligibilité avec exécution provisoire ?

Si j'envisageais cela, je serais très malheureux. Or, je suis choqué, blessé, mais pas du tout malheureux. Je suis complètement déterminé à faire triompher la vérité des faits.

Au contraire, une relaxe pourrait-elle vous ouvrir de nouvelles perspectives pour les échéances électorales à venir ?

On dit généralement « Ne parlez pas de malheur ». J'ai envie de vous répondre : « Ne parlez pas de bonheur ». Vivons les étapes les unes après les autres. Mais il est sûr que cela changerait beaucoup de choses...

Impossible de ne pas évoquer la situation internationale toujours plus inquiétante après l'attaque du Hamas sur Israël. Craignez-vous un conflit armé de longue durée ?

On a l'impression que c'est une malédiction qui ne finira jamais. À la fois ce destin qui, depuis des millénaires, poursuit le peuple juif même lorsqu'il a trouvé son foyer national en Israël. Mais aussi la malédiction qui poursuit les Palestiniens. Cela devrait obliger au moins à manifester de la solidarité pour la population civile frappée par le terrorisme du Hamas sans aucune possibilité de se mettre à l'abri. Vous rendez-vous compte que des jeunes gens qui participaient à une fête ont été frappés sans préavis et que 260 ont été tués ? Et je suis choqué qu'il y ait en France des formations politiques qui refusent d'exprimer leur solidarité notamment LFI.

Plus de 700 morts pour un pays de 10 millions d'habitants comme Israël, c'est comme s'il y avait eu 24 000 morts au World Trade Center le 11 septembre 2001 aux Etats-Unis. Pour le peuple israélien, c'est un traumatisme encore supérieur à celui que le peuple américain a vécu. Et c'est un traumatisme qui va avoir des répliques considérables. D'abord parce qu'Israël va vouloir punir durement ceux qui ont attaqué, mais aussi parce qu'il va y avoir des répliques plus lointaines. Israël était en train de conclure un accord avec l'Arabie Saoudite et le Maroc, et il va y avoir des impacts sur toute la Région. Il y a aussi un risque réel d'une guerre ouverte avec l'Iran. On a fait un pas de plus dans la tempête d'une guerre qui est partout.

Aviez-vous vu venir ce nouveau conflit dramatique sur la planète ?

Depuis le premier jour de la guerre en Ukraine, j'ai pensé qu'on était entrés dans les temps les plus dangereux que le monde ait connus depuis la guerre 39-45. L'attaque de Poutine contre l'Ukraine, c'est un coup de poignard dans les principes sacrés de l'organisation de la paix dans le monde depuis 1945 qui reposait sur le principe absolu de l'intangibilité des frontières. Jamais un grand pays du monde, membre du conseil de sécurité de l'ONU et doté de l'arsenal nucléaire le plus puissant, ne s'était jeté sur un voisin plus petit pour l'annexer. J'ai eu instantanément l'intuition que ça allait libérer dans le monde des forces nocives et que cela allait engendrer d'abord une crise des énergies et ensuite une grave crise inflationniste. 

« Nos raisons d'espérer », c'est le thème des prochaines idées mènent le monde à Pau. Quelles sont vos raisons d'espérer dans ce monde où les foyers de tensions sont partout ?

C'est que cela devienne tellement dramatique que les peuples décident de faire ce que nous avons fait après la guerre entre la France et l'Allemagne. Que des gens de générosité et de raison disent que ça ne peut pas continuer comme cela. Nous avons besoin de créer ne serait-ce qu'en Europe un espace fondé sur une volonté de défense de nos valeurs et de paix.

L'Europe justement, on en a beaucoup parlé à Bordeaux ce week-end. Le camp présidentiel était réuni pour parler des européennes de juin 2024. Le patron de Renaissance, Stéphane Séjourné ferait-il une bonne tête de liste ?

Je ne suis pas sûr qu'il le souhaite. Nous avons décidé de traiter cette question au début de l'année prochaine. Mais il était important d'être réunis tous les quatre avec Stéphane Séjourné, Élisabeth Borne et Edouard Philippe. Durant les 50 dernières années, il n'y a pas eu souvent des majorités aussi solidaires que celle-là. Et il va y avoir pour ces européennes une circonstance unique : il n'y aura qu'une seule liste simplement et de manière déterminée proeuropéenne. Les autres listes sont dans le camp de la contestation de l'Europe. Nous aurons cette responsabilité de défendre l'Union européenne au moment où son utilité devient aveuglante. Où en serions-nous par exemple si nous n'avions pas l'euro dans la vague d'inflation que l'on connaît ? Défendre l'Union européenne sera notre responsabilité et notre honneur. C'est pour notre pays une question de vie ou de mort.

La députée européenne Laurence Farreng doit-elle jouer un rôle important dans cette campagne ?

Ce n'est pas seulement que c'est quelqu'un de chez nous et quelqu'un de mon équipe, mais c'est une très bonne députée européenne, tout le monde le reconnaît. Elle porte notre vision, et toute l'aide que je pourrai lui apporter, je lui apporterai.

L'inflation a été le gros sujet de cette rentrée en France. le gouvernement a-t-il été à la hauteur au niveau des réponses ? Un nouveau chèque carburant peut-il suffire ?

Si vous connaissez un seul gouvernement dans le monde qui soit à la hauteur de l'inflation, présentez le moi ! Ce sont des phénomènes qui échappent au contrôle. Mais c'est parce que nous avons l'euro que l'inflation est contenue. Elle est aujourd'hui en dessous de 5 % alors qu'elle était de 15 % au milieu des années 1970. Et c'est dans les zones hors euro que vous constatez une explosion.

Même question concernant le dérèglement climatique. L'écologie « à la française », « non punitive », « accessible et juste » voulue par Emmanuel Macron et Élisabeth Borne est-elle à la hauteur de l'urgence ?

J'insiste beaucoup dans ma fonction de haut-commissaire au Plan sur l'importance d'une politique concrète et déterminée sur le sujet. La science et notre discipline de vie doivent nous permettre de résoudre en 25 ans, d'ici 2050, le problème des émissions de gaz à effet de serre pour que nous devenions neutres en émission. La France est, avec un ou deux pays scandinaves, le pays qui fait le plus d'efforts dans le monde. Les efforts que nous devons encore faire vont nous coûter cher, mais si nous sommes les seuls à les faire cela ne tiendra pas. La France hexagonale ne représente qu'un millième de l'atmosphère terrestre et un centième des émissions de gaz à effet de serre.

En tant que haut-commissaire au Plan et secrétaire général du Conseil national de la refondation (CNR), on a du mal, parfois, à percevoir votre utilité. Sur quels choix avez-vous réussi à peser ?

Nous avons produit une analyse sur le nucléaire qui a changé la vision sur cette question, y compris celle de l'exécutif, en démontrant que, sans le nucléaire, l'engagement à baisser les émissions de CO2 était intenable. Nous avons produit une analyse sur comment aider à la lutte contre le réchauffement climatique en faisant appel à la géothermie, réservoir inépuisable sous nos pieds. Nous avons produit des analyses sur la dette, sur le déficit du commerce extérieur, sur les produits pharmaceutiques que l'on ne produit pas en France. Mais il est vrai que je ne suis pas au gouvernement. Du moins pour l'instant (rires). Nous ne sommes pas en mesure de prendre les décisions mais nous pesons sur le débat et la préparation des décisions. Quant au CNR, c'est une idée du Président de la République qui consiste à chercher tous les chemins pour changer les relations entre le pouvoir et les citoyens et que les idées puissent venir du terrain.

Vous avez toujours le conflit sur les retraites en travers de la gorge ?

Pour moi, ce débat sur les retraites est le plus emblématique de la façon traditionnelle dont on gouverne en France et qui pour moi n'est plus de saison. Je suis allé devant le Conseil d'orientation des retraites montrer les vrais chiffres, prouver que notre système n'était pas excédentaire mais déficitaire d'au moins 40 milliards par an. 40 milliards, 40 000 millions d'euros tous les ans dont nous n'avons pas le premier centime et que nous devons donc emprunter ! Les pensions des retraités d'aujourd'hui seront payées par leurs enfants. Ces chiffres, je les ai mis sur la table, mais personne n'a voulu s'en saisir. S'ils avaient été mis entre les mains des Français, je pense même qu'on aurait pu obtenir cette réforme par référendum. Mais ils n'ont pas voulu, pas osé, ou bien ils ne savaient pas. On a considéré depuis des siècles et des décennies que la décision était prise par le haut et que le bas n'avait qu'à obéir. Moi je pense que la démocratie ne peut marcher que si l'on partage l'information et les décisions avec les gens.

La loi de finances est un exercice annuel pendant lequel le MoDem tente d'influer sur certaines décisions. Quelles sont vos priorités ?

Il n'y a rien de plus compliqué qu'une loi de finances en temps d'inflation. Mais ce qui me fait plaisir est que le groupe MoDem que Jean-Paul Matteï préside avec autorité et discernement essaie de faire entendre l'idée que la gestion doit être de long terme, plutôt à 30 ans qu'à 3 mois, et rechercher le principe de justice.

Vous approuvez donc sa proposition de taxer davantage les opérations de rachat d'actions de grandes entreprises...

Jean-Paul Matteï pose un problème absolument réel mais qui doit être replacé dans le cadre d'un retour à l'équilibre des finances publiques sur 10 ans. Si la France crée autant d'emplois en ce moment, si elle est le pays qui a la meilleure compétitivité, c'est que l'investissement a envie de venir en France. c'est un élément déterminant. Il ne faut pas le perdre. Mais je suis d'accord sur le fait qu'il y a des déséquilibres, comme entre l'imposition sur le capital et celle sur le travail. Ce débat fait l'objet de beaucoup de discussions animées entre lui et moi.

Retrouvez également cet entretien sur le site de la République des Pyrénées.

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