Estelle Folest : "Il devient urgent de mieux réguler l'enseignement privé"

Par Claire Lefebvre pour Le Point
Estelle Folest

Coautrice d'un rapport sur l’enseignement supérieur privé, notre députée du Val-d’Oise Estelle Folest pointe les dérives nombreuses de ce secteur pour Le Point

Le Point : Vous dressez un tableau assez sombre du secteur. Qu'est-ce qui vous a le plus choquée ? 

Estelle Folest : Ce qui m'a le plus choquée, c'est que ce sont les foyers les plus modestes qui en pâtissent le plus. Il nous manque, certes, des données sociologiques objectives pour le détailler, mais on peut le supposer parce que la plupart de ces « officines » ont fondé leur modèle sur l'apprentissage. Or, celui-ci permet à l'étudiant d'être exonéré des droits d'inscription et même d'être rémunéré. Pour ces familles, qui connaissent mal ce milieu et qui ont plutôt dans l'idée que « si c'est payant, c'est que c'est bien » - une idée largement entretenue par ces écoles sur les salons étudiants -, c'est du gagnant-gagnant. Beaucoup se sont engagées les yeux fermés.

Le problème, c'est que le diplôme proposé n'est pas toujours celui escompté... 

En effet. Beaucoup d'écoles jouent sur les mots. Elles parlent de « bachelors » pour leurs programmes bac + 3. Un terme qui ne renvoie qu'à la 3e année d'IUT dans le système universitaire français (le BUT), mais qui correspond plus ou moins à une licence dans le monde anglo-saxon. Ce qui inspire confiance à tort. Pour les programmes en bac + 5, elles parlent de « mastères », « master of science », « master of business administration » ou « MBA » , en lieu et place de « master », seul diplôme national à être reconnu par le ministère de l'Enseignement supérieur. Même chose pour les « doctorate in business administration » qui commencent à fleurir dans l'offre de formation. Ils n'équivalent pas à des diplômes nationaux et un certain nombre d'entre eux ne valent rien ! Il s'agit de diplômes d'écoles, sans équivalence dans le système LMD (licence-master-doctorat) européen.

Concrètement, cela veut dire que si l'étudiant veut poursuivre ses études après un « bachelor » ou un « mastère » ailleurs en France ou en Europe, il ne le pourra pas. Sauf à tout recommencer depuis le début.

La plupart de ces écoles mettent pourtant en avant leur reconnaissance par l'État...

Là encore, c'est une imprécision. Elles se fondent sur leur inscription au Répertoire national des certifications professionnelles (RNCP), certifications qui sont délivrées par le ministère du Travail en fonction, essentiellement, du taux d'employabilité déclaré par les écoles. Ces dernières les présentent comme une garantie de qualité, mais elles ne présentent en réalité aucune garantie pédagogique et scientifique. Beaucoup moins, en tout cas, qu'un diplôme délivré par le ministère de l'Enseignement supérieur qui, lui, atteste de la qualité pédagogique et scientifique des formations, avec un corps enseignant professionnel, un adossement à la recherche, un volume d'heures de cours à respecter, y compris en présentiel, etc. 

(...)

Vous évoquez aussi un nombre important de dérives. Quels exemples peut-on donner ?

Cela a été pointé dès 2022 par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Outre le flou entretenu sur la valeur des diplômes délivrés, on peut citer des pratiques commerciales trompeuses destinées à influer sur la décision de l'étudiant ; des informations tronquées sur l'insertion professionnelle, les entreprises partenaires ou les modalités de cours, etc. ; la publication de faux avis positifs sur les réseaux sociaux ; des clauses contractuelles abusives permettant par exemple une modification unilatérale des frais de scolarité, voire de la certification délivrée. On nous a enfin rapporté des pratiques mettant en péril la qualité pédagogique : intervenants sous-payés, réduction brutale du volume d'heures de cours, envoi de cours sur PDF, etc. 

Tous les établissements d'enseignement supérieur privé sont-ils concernés par ces dérives ?

Non, heureusement ! Il en existe de très bons, que l'on peut qualifier de « sous contrat », parce que contrôlés et évalués par le ministère de l'Enseignement supérieur. On y trouve notamment les établissements d'enseignement supérieur privé d'intérêt général (EESPIG), créés selon un modèle à but non lucratif, avec une grande exigence de qualité.

(...)

Comment en est-on arrivé là ? 

D'abord il y a eu le boom démographique des années 2000, la hausse du taux de réussite au baccalauréat et l'accroissement du nombre d'élèves souhaitant poursuivre leurs études dans le supérieur pour obtenir un emploi. L'enseignement supérieur public a été dans l'incapacité d'absorber cette nouvelle population étudiante. Il faut aussi mentionner une certaine désaffection des jeunes pour l'université, due à la crainte de ne pas y trouver sa place et de ne pas y réussir, en raison d'un taux d'encadrement jugé trop faible. Enfin, c'est une conséquence de la loi de 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel qui a libéralisé l'apprentissage et la formation professionnelle.

Couplé aux aides exceptionnelles de l'État, cela a provoqué un boom de l'apprentissage dans l'enseignement supérieur. Et il se trouve que l'enseignement supérieur privé lucratif a su tirer parti rapidement des aides de l'État pour démultiplier ses formations.

(...)

Que risque-t-on à ne pas mieux réguler le secteur ?

Le danger, à terme, c'est de voir émerger une jeunesse mal formée, qui parvient certes à s'insérer sur le marché du travail mais pas forcément à y rester ni à y évoluer.

Tout cela pourrait peser sur les capacités du pays à répondre aux défis économiques et sociétaux.

📰 Retrouvez l'entretien complet dans Le Point

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