François Bayrou : "On aurait dû changer la loi électorale pour instaurer la proportionnelle avant la dissolution"

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Retrouvez ci-dessous l'entretien accordé par François Bayrou au Monde sur le sujet de la proportionnelle. 

Propos recueillis par Robin D’Angelo et Rachel Garrat-Valcarcel

Cet entretien est aussi disponible sur le site internet du Monde.

Plus de sept semaines après les législatives anticipées, la France n’a toujours pas de nouveau premier ministre. Selon vous, le blocage actuel est-il induit par notre mode de scrutin ? 

En grande partie, oui. Cette loi électorale oblige des gens qui n’ont rien en commun, dont les orientations politiques et philosophiques sont opposées, à se mettre ensemble artificiellement pour additionner les voix. D’autre part, le scrutin majoritaire oblige au conflit. Il est plus rentable électoralement de désigner un ennemi et d’en faire l’adversaire à abattre. L’affrontement et l’antagonisme simplistes sont plus payants qu’une démarche constructive. Les « salauds » d’un côté et les « purs » de l’autre et tout accord est interdit. Blocage programmé. 

En quoi le scrutin proportionnel offrirait-il une solution alors que le morcellement politique actuel engendre le blocage ? 

La loi électorale proportionnelle est juste, et de surcroît elle crée un paysage politique nouveau. Chacun se présente sous ses propres couleurs, c’est une démarche plus authentique et qui oblige à creuser ses propres idées. Dès l’instant qu’on franchit la barre mettons de 5 %, on est assuré d’un groupe parlementaire représentatif. Mais chacun sait bien qu’il n’obtiendra pas la majorité à lui tout seul. On est donc obligé de regarder ses concurrents pas seulement comme des adversaires, mais comme de potentiels partenaires. Onsait avant même le résultat qu’il faudra composer. Ça change tout. J’ajoute que la situation d’aujourd’hui est assez drôle. Pendant des décennies, les tenants du scrutin majoritaire ont expliqué doctement que c’était le seul moyen d’obtenir des majorités. Et le résultat, nous l’avons sous les yeux : une Assemblée plus explosée qu’elle ne l’a jamais été. Leur thèse est devenue insoutenable. 

Le sujet est absent des différents pactes qui ont été proposés, notamment par vos alliés de la majorité sortante. Comment l’expliquez-vous alors que le sujet pourrait être rassembleur, si on en croit ce que vous dites ? 

Le mode de scrutin façonne les esprits, non pas pour une seule élection, mais pour longtemps. Même dans une Assemblée devenue aussi diverse et donc obligée au compromis, subsistent les réflexes majoritaires, clanisme, caricature et détestation de ses concurrents. Mais je constate tous les jours que cette idée de proportionnelle est aujourd’hui dans tous les esprits. Elle est la seule perspective crédible pour normaliser le pluralisme. Elle oblige toutes les forces politiques à reconnaître la légitimité, y compris de leurs adversaires. Il est désormais inéluctable, et heureusement, que cette idée fasse son chemin. 

Voyez-vous un chemin à l’adoption de la proportionnelle dans cette Assemblée morcelée ? 

Le plus clair et le plus marquant serait de proposer cette décision au référendum. Cette démarche aurait l’avantage d’être indiscutable et donc d’ancrer le résultat solidement. Car on ne peut pas bâtir sous la menace permanente d’un retour en arrière au gré des alternances. Il faut un consensus solennel et large pour qu’il soit durable. 

Le plus clair et le plus marquant serait de proposer cette décision au référendum.

Emmanuel Macron a-t-il laissé passer une occasion, avec la dissolution, d’introduire la proportionnelle ? 

Mon idée était qu’on aurait dû changer la loi électorale avant une éventuelle dissolution. Le climat en aurait été profondément assaini, pour le mieux. Les responsables politiques qui ont écarté cette démarche, c’est-à-dire tous les présidents de la République successifs, n’ont pas vu qu’il ne s’agissait pas d’une manœuvre politique. Il s’agit seulement du constat de la revendication de diversité et de pluralisme qui, dans tous les domaines, s’est enracinée dans la société française. Je l’avais dit en 2002 en réponse au parti unique de Jacques Chirac [l’UMP] : « Vous dites qu’il faut un parti unique parce que nous pensons tous la même chose. Si nous pensons tous la même chose, c’est que nous ne pensons plus rien. » Il a fallu plus de vingt ans pour que cette réalité finisse par s’imposer. 

C’était l’une de vos conditions quand vous avez soutenu Emmanuel Macron en 2017… 

C’était notre accord. C’était aussi l’engagement de François Hollande en 2012. Souvenez-vous : « Moi président, je mettrai en place la proportionnelle pour les élections législatives. » 

Peut-on imaginer que, d’ici à la fin du mandat d’Emmanuel Macron, il y ait une autre dissolution avec un mode de scrutin majoritaire à deux tours ? 

Ce n’est pas possible. Je ne vois pas quel gouvernement pourrait dire : on ne change pas le mode de scrutin. Dans des temps aussi difficiles que les nôtres, c’est une condition pour un exercice différent de la vie parlementaire. 

Vous avez, dans plusieurs prises de parole publiques, critiqué le rôle et la responsabilité des partis politiques. N’est-ce pas contradictoire avec un système proportionnel qui leur donnerait plus de poids ? 

Mais il est bon que les partis politiques existent et soient forts ! Ce n’est pas moi qui vais vous dire le contraire. Je préside un de ces partis, je l’ai fondé et je porte sa vision depuis deux décennies dans les débats nationaux et européens. Mais les combinaisons de partis ne doivent pas mettre l’exécutif sous tutelle. C’est l’apport inestimable de la Ve République. À Bayeux en 1946, de Gaulle définit l’esprit des institutions qu’il juge nécessaires et il dit à peu près : nous allons arracher l’exécutif aux manœuvres parlementaires. C’est le président de la République qui nommera le gouvernement en tenant compte des nuances de l’Assemblée nationale. Entre le législatif et l’exécutif, le principe, c’est la séparation des pouvoirs. A mes yeux, pour que ça marche, il faut un président fort, un gouvernement fort et un Parlement fort. 

A mes yeux, pour que ça marche, il faut un président fort, un gouvernement fort et un Parlement fort. 

Emmanuel Macron vous semble-t-il dans cette position de « président fort », après deux défaites électorales cuisantes ? 

Je suis en désaccord complet avec votre lecture. La défaite électorale cuisante, elle a été pour tout le monde. Le groupe le plus important de l’Assemblée nationale, c’est le Rassemblement national et lui aussi a connu après un succès impressionnant, à huit jours d’intervalle, une défaite cuisante. Les Français ont massivement refusé de lui donner la majorité absolue. Quant à l’alliance des parlementaires Nouveau Front populaire (NFP), elle représente à peine un tiers des sièges. Jamais dans l’histoire, on n’a pu imposer une cohabitation avec un parti qui n’a obtenu qu’un tiers des sièges face à deux autres tiers hostiles. Le nom de Mme Castets n’est jamais apparu, bien sûr, au moment des élections. Quand un parti postule à gouverner, il dit qui va gouverner. Le programme du NFP n’a jamais été discuté dans cette élection, et notamment pas au second tour. En réalité, s’est créé un front républicain, pour écarter l’extrême droite puisque c’était la seule question du second tour. Ce front républicain allait de la gauche à la droite de gouvernement en passant par le centre, avec une rigoureuse discipline de report des voix. La seule réponse possible est donc un gouvernement d’union républicaine. On y viendra, bon gré mal gré, ou on ira d’échec en échec.

Cet entretien est aussi disponible sur le site internet du Monde.

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