Bruno Fuchs : « C'est la dérive vers une gouvernance autoritaire [de l’administration Trump] qui doit nous interpeller et nous faire réagir »
Ce mardi 1er avril, notre député du Haut-Rhin et président de la commission des affaires étrangères, Bruno Fuchs, a interrogé le gouvernement sur la situation aux États-Unis et les relations avec la France.
Question de Bruno Fuchs, député du Haut-Rhin et président de la commission des affaires étrangères
Les États-Unis sont certainement en train de basculer dans une autre gouvernance. En affirmant « ce qui me répugne le plus en Amérique, ce n'est pas la liberté extrême qui y règne, mais le peu de garantie qu'on y trouve contre la tyrannie », Alexis Tocqueville avait déjà identifié une faiblesse dans les contre-pouvoirs de cette démocratie.
Avec mes collègues Franck Riester et Nathalie Oziol, nous avons mené une mission à Washington au nom de la commission des affaires Étrangères. Avec une grande franchise, nos interlocuteurs proches de l'administration Trump nous ont dit nous considérer au mieux comme des concurrents, mais bien souvent comme de vrais adversaires. Tout y est fait à présent pour nous déstabiliser et nous affaiblir. Par des droits de douane, dont une nouvelle salve devrait être annoncée demain, par la volonté expansionniste sur le Groenland, le Canada ou encore le canal de Panama, par le soutien, par trop manifeste, à la Russie de Poutine dans les négociations de cesser le feu avec l'Ukraine.
Mais plus que l'usage systématique du rapport de force, c'est la dérive vers une gouvernance autoritaire qui doit nous interpeller et nous faire réagir. Washington, tel qu'on a pu le constater, est en état de sidération. Des méthodes brutales ont provoqué un vrai climat de peur. Peur de perdre son emploi, peur de perdre un contrat, peur de perdre une subvention. Et puis, il y a la dévitalisation de l'État de droit avec les attaques frontales contre les juges, aux prises avec aujourd'hui 135 procédures judiciaires engagées contre l'administration Trump.
Enfin, ce sont nos valeurs et notre identité qui sont à présent menacées, notamment par le courrier reçu par plusieurs entreprises françaises leur demandant de renoncer à leur politique de diversité et d'inclusion. Il s'agit là d'une ingérence inacceptable dans notre souveraineté et une attaque directe à notre modèle républicain, à notre modèle de lutte pour les libertés publiques, à la lutte contre le racisme et le sexisme, ou encore à l'égalité des chances.
Monsieur le ministre, quelle est la réponse que la France entend apporter face aux attaques directes sur notre modèle républicain ?
Réponse de Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères
Monsieur le Président Bruno Fuchs, d'abord je veux vous remercier de vous être déplacé aux Etats-Unis avec Franck Riester et Nathalie Oziol pour porter la voix de la France. J'étais pour ma part en Chine avec des parlementaires où nous avons franchi une étape importante vers le règlement du différend qui nous oppose sur les cognacs et les armagnacs, sujet sur lequel nous sommes mobilisés avec la ministre de l'Agriculture et la ministre de l'Économie sous l'autorité du Premier ministre.
Je vous réponds sur les aspects commerciaux parce que, comme vous, je souhaite vivement que les Etats-Unis puissent reconsidérer, réexaminer leur décision d'appliquer demain des droits de douane sur l'ensemble de leurs partenaires.
D'abord parce que ces droits de douane sont un impôt sur les classes moyennes. Et que les classes moyennes américaines, si ces droits de douane étaient appliqués, verraient se renchérir le prix de leur plein d'essence, le prix de leur plein de courses. En deux mots, elles s'appauvriraient.
Ensuite parce que l'économie américaine a un besoin vital de l'économie européenne. Les GAFAM réalisent 25% de leurs revenus en Europe. Ce sont plusieurs centaines de milliards d'euros chaque année. Et l'Europe finance l'économie américaine ainsi que son déficit public. Les pays de la zone euro financent à hauteur de 3000 milliards d'euros l'économie américaine nette des investissements américains en Europe. Pour donner un ordre de grandeur, c'est l'équivalent de la taille du PIB français.
Et puis enfin, parce que si les États-Unis appliquaient de tels droits de douane, la Commission européenne n'aurait d'autre choix que de répliquer et de mobiliser pour cela tous ses instruments de dissuasion et en particulier l'instrument très puissant anti-coercition qui lui permet non seulement de taxer les importations et les exportations mais aussi de restreindre l'accès à nos marchés publics, de restreindre l'accès aux services numériques, aux services financiers. Bref, des mesures extrêmement puissantes auxquelles nous n'avons pas intérêt.
Et c'est pourquoi, dans nos échanges avec l'administration américaine, nous privilégierons toujours la coopération sur la confrontation.