François Bayrou : "C’est une grande liberté de pouvoir dire non"

Laurence Ferrari pour Paris Match
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François Bayrou a refusé d’entrer au gouvernement en tant que ministre des Armées. Serein mais déterminé, il a choisi de provoquer une rupture avec un président dont il a été le plus proche soutien. Rencontre pour Paris Match avec celui qui défend ses idées avec toujours autant de conviction.

Paris Match : Vous n’avez pas de regret de ne pas être entré au gouvernement ?

François Bayrou : Non. Mon idée était de n’accepter un ministère que dans un secteur difficile et en crise profonde. J’en avais identifié deux : l’éducation, avec la crise de confiance si lourde dont l’école souffre aujourd’hui ; et la question démocratique, les rapports entre citoyens et pouvoir, entre ceux qui se battent en bas et ceux qui décident en haut. Nous n’avons pas pu nous mettre d’accord sur ces sujets. Et donc cela n’aurait pas eu de sens. Je ne cherche pas de galons, je ne fais pas ­carrière, je veux m’occuper de ­l’essentiel. Mon engagement, c’est la crise de la France depuis plus de vingt ans. Et, aujourd’hui, même de l’Europe et de l’Occident.

Pour vous, c’est aussi large que ça ?

On croit toujours que ce qui nous arrive ne concerne que nous, que ce sont des phénomènes franco-­français. Mais regardez les États-Unis, par exemple, ils vivent une forme de sécession d’une partie du peuple contre ceux qui exercent les fonctions du pouvoir, qu’il soit politique, économique ou médiatique. Et c’est vrai aussi dans de nombreux pays européens, on vient de le voir en Italie, aux Pays-Bas, en Europe centrale et orientale. C’est sur cette rupture que je veux agir.

Et vous avez l’impression d’être le seul à y penser ?

Pour tout vous dire, cela m’arrive parfois. On se laisse distraire de cet enjeu essentiel par les jeux de pouvoir et les éruptions médiatiques. Le pouvoir devient un enjeu en soi. Et on ne fait pas attention au fait que le pouvoir a de moins en moins de pouvoir. Et que les gens y croient de moins en moins.

Mais vous l’avez déjà dit mille fois au président Macron. Il n’en est plus conscient ?

Dans les années récentes, il a été l’un des seuls à sentir cette crise si profonde. D’abord au moment de sa campagne de 2017, ensuite les gilets jaunes, par les crispations successives, les ­agriculteurs en dernier lieu. Il a voulu le grand débat, puis la ­refondation. Mais son monde de tous les jours, ce sont les guerres, c’est l’Ukraine, Israël et le Hamas, les menaces sur la mer Rouge. Et la guerre économique mondiale ! Et la Chine. Et l’affaiblissement américain. Pendant qu’il est plongé dans ces drames, les ­habitudes des pouvoirs se poursuivent comme avant. Parce que je vois de plus près la vie d’en bas, les quartiers de Pau, ou le village où je suis né, je ressens davantage cet immense danger : les gens ont l’impression d’être abusés par tous les puissants, de la politique, des médias, et même de la science !

Vous avez créé une forme de rupture avec le président Macron, une rupture avec une gouvernance qui est au fond une vieille ­gouvernance, qui n’est pas saine.

J’ai aidé à ce changement incroyable de paysage politique lors de son élection en 2017, et mon soutien et ma solidarité n’ont jamais cessé. Mais ce que je vois du pays, je ne peux pas ­l’effacer de mon regard. C’est une grande liberté de pouvoir dire non, et j’ai exercé cette liberté, même si ce n’est pas très ­confortable. Je suis construit comme ça, je ne peux pas faire semblant.

Quel ministère vous a-t-on proposé réellement ?

Les Armées. Mais je considère que, dans la nation, c’est ­l’armée aujourd’hui qui assure le mieux. Et le président en a donné les moyens. Ce n’est donc pas là qu’on avait besoin de moi.

Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné avec Gabriel Attal ?

Rien de personnel, au contraire. Mais nous avons fait le constat d’une différence d’approche sur l’école. L’idée que la solution serait dans une séparation dès le collège entre les “faibles” et les “forts”, je ne crois pas que cela marchera. Tous les professeurs le savent : bien sûr, il y a des élèves qui n’ont pas le même niveau dans les classes, pourtant la vocation d’un enseignant, c’est de les faire avancer ensemble, chacun à son rythme !

Vous y voyez un risque ?

Nicole Belloubet est quelqu’un de bien, j’espère qu’elle y ­arrivera. Les professeurs auront à mon avis beaucoup de mal à adhérer à cette idée.

La réalité c’est qu’aujourd’hui dans les classes certains professeurs ont peur des élèves, peur des parents ­parfois qui viennent les menacer.

Cela est une tout autre question. Cette non-­assistance à professeur est inacceptable. Un élève qui perturbe son établissement, il faut qu’il en sorte, lui proposer ou lui imposer un autre type de ­scolarité, avec les mêmes objectifs et les mêmes buts, mais ­complètement différente, avec une scolarité de rattrapage du niveau parce que, très souvent, ceux qui sont dans la violence se sentent ­largués à l’école. J’ai appelé cette scolarité “collège hors les murs”.

Vous dites votre profonde inquiétude. Notre pays va-t-il si mal que cela ?

Je vois tous les jours la dégradation du sentiment d’appartenance à la nation, à son organisation, à sa démocratie. Tant de gens se disent qu’“au fond il n’y a rien à faire”. C’est la même question qui traverse les récentes crises, celle des paysans, des enseignants, des gilets jaunes, des banlieues et tant d’autres, l’idée que “personne ne nous écoute”. Qu’on ne comprend rien à ce qu’“ils” font et que ce qu’“ils” font ne nous concerne plus.

Votre analyse vaut pour les paysans, les professeurs et les gilets jaunes, mais pour les émeutes de juillet dernier ?

Les banlieues vivent avec un sentiment de relégation, même si ce ne sont pas les seules. Emmanuel Macron l’a très bien senti dès le début de son ­mandat : “Mon premier chantier, ce sera de m’attaquer à ­l’assignation à résidence pour éviter que votre ­destin soit inscrit dans votre lieu de naissance.” Tout se mêle, problèmes d’identité, problèmes sociaux, questions culturelles, problèmes économiques. Et donc problèmes de ­sécurité parce que le trafic de drogue génère beaucoup d’argent facile promis à des jeunes pour qui la violence, en ­partie à cause des écrans, n’est même plus un problème.

Ces questions d’identité, ces questions culturelles ne sont-elles pas liées à l’immigration ?

Bien sûr, l’immigration aggrave les difficultés. Ce n’est pas d’aujourd’hui, et pas seulement chez nous. Aux États-Unis, dans les années 1930, les mafias étaient ­italiennes. Et il est vrai que plus les différences culturelles et sociales s’accentuent, plus les dangers sont grands. Et ça marche dans les deux sens : les uns ont le sentiment d’être envahis, de ne plus être chez eux, même s’ils sont des Français issus eux-mêmes de ­l’immigration ; les autres d’être détestés, écartés à cause de leur religion, par exemple, et ciblés. Qui peut freiner ce mouvement ? L’école, qui a la lourde responsabilité d’être le dernier rempart. Et, j’ajoute, l’entreprise aussi : intégration par l’école et par le travail ! Deux enjeux culturels, en fait !

Précisément, c’est tout l’objectif de la nouvelle ministre de la Culture, Rachida Dati, de ramener la culture vers les classes populaires.

Je partage cet objectif et j’espère qu’elle va y arriver. Je la connais depuis longtemps, elle a travaillé avec moi au ministère de ­l’Éducation lorsque j’ai pris la décision [en 1994] d’écarter le voile islamique des établissements scolaires. Je ­cherchais des ­médiatrices et Simone Veil me l’a ­présentée. Je ne l’ai jamais oubliée et elle non plus je crois.

Elle représente pourtant une orientation politique qui n’est pas la vôtre ?

Pourquoi donc ? Les étiquettes sont peu de chose. Pour moi, sa personnalité, c’est d’abord un parcours. Venir d’où elle vient, c’est venir d’encore plus loin que moi. Une famille de onze enfants, des parents qui travaillent et qui sont culturellement éloignés de tout. Et elle a fait ce chemin avec de l’audace, du culot, de la truculence.

Autant de qualités qui ne peuvent pas vous déplaire.

Oui, j’aime les parcours hors du commun.

Qu’avez-vous de commun avec Gabriel Attal ? Est-ce qu’il y a des ponts qui vous relient ou pas du tout ?

C’est un jeune homme très talentueux. ­Beaucoup de qualités d’expression et de charme, de capacité de conviction. Je suis sûr que nous ­partageons des idéaux, même si nous n’avons pas un parcours de vie semblable. Il veut réussir et il a ­raison, dans cette ­circonstance incroyable d’être le plus jeune ­Premier ministre que la France ait connu ! Le dialogue que j’ai avec lui est facile et je crois sincère. Je vois sa ­motivation et j’essaie de lui faire partager à la fois mes inquiétudes et mon engagement.

Sur un plan plus personnel, comment avez-vous vécu votre relaxe dans le procès des emplois fictifs des ­assistants du Parlement européen, même si le parquet de Paris a décidé de faire appel ?

Ces sept années ont été un cauchemar et la relaxe un vrai soulagement parce que la preuve a été apportée que ce que nous disons depuis sept ans était vérifié. Rendez-vous compte : sept ans d’enquête et d’instruction, des dizaines de policiers, des dizaines de magistrats, procureurs, juges d’instruction. Et au bout du compte, le constat que oui, en effet, ils n’ont rien trouvé. Et s’ils n’ont rien trouvé, alors de deux choses l’une, ou bien ­professionnellement ils ne sont pas à la ­hauteur, ou bien, comme je le dis depuis le premier jour, et comme je vous l’assure, il n’y avait rien à trouver !

Cela a coûté à votre entourage, je pense notamment à Marielle de Sarnez, disparue en 2021 ?

Elle qui était incroyablement courageuse, fière, a vécu dans cette affaire un chemin de croix. Nous étions frères de combat. Et tous ceux qui l’ont connue savent combien ces accusations l’ont usée. Nous avons été relaxés, c’était justice. Le parquet a fait appel, on aimerait comprendre pourquoi.

S’agit-il de faire un exemple avant le procès de Marine Le Pen pour la même affaire d’emplois fictifs d’assistants parlementaires européens ?

Je pense que cela a compté, oui.

Les juges veulent l’empêcher de se présenter ?

Les idées de Marine Le Pen, je les ai toujours ­combattues. Mais cette accusation-là, contre elle, contre nous, contre d’autres, qui repose sur l’idée qu’il serait ­anormal et illégal qu’un parlementaire, avec son équipe, fasse de la politique avec son parti, cette idée-là est absurde et antinomique avec le ­fonctionnement même de la démocratie. Il n’y a pas de ­parlementaires sans partis politiques. Et la ­démocratie, c’est ça !

Ça veut dire, soyons précis, que si Marine Le Pen était empêchée de se présenter par ce biais-là, ce serait ­antidémocratique ?

Il y aurait là un risque majeur.

Vous avez dit prendre date pour 2027 avec le pays. C’est un devoir de porter vos idées en tant que candidat ?

Personne ne sait ce que sera la situation dans trois ans. Mais les deux ou trois années qui viennent sont cruciales, les choix à faire d’une gravité quasiment sans précédent pour notre pays. Si vous êtes habité par une conviction, alors vous ne devez pas mesurer votre engagement.

Parmi ceux qui pourraient être candidats il y a Bruno Le Maire, Gérald Darmanin, Édouard Philippe…

Que chacun fasse valoir ses idées et sa personnalité. C’est cela qui est intéressant ! Que chacun déploie ses antennes et s’avance devant le pays !

Emmanuel Macron n’a-t-il pas désigné Gabriel Attal comme son dauphin ?

Beaucoup font de la politique par référence à un homme, moi je me réfère à une nation, à une histoire et à des idées. Et le président de la République le sait très bien, on a souvent parlé de ça. Je crois aux grands courants politiques qui viennent de décennies et parfois de siècles ­passés. Les temps exigent le respect du pluralisme, des différentes opinions, même celles que vous n’aimez pas. Le plus important, c’est la réconciliation. C’est pourquoi je suis l’ennemi acharné du sectarisme et l’ami indécourageable d’un pays où toutes les opinions se respectent. Après tout, nous l’avons fait pour les religions et les philosophies, cela s’appelle la laïcité. Et le pluralisme, c’est la laïcité en politique.

Cela veut dire que François Bayrou président de la ­République pourrait travailler avec la droite, avec Jean-Luc Mélenchon, avec Marine Le Pen ?

Respecter le pluralisme, ce n’est pas cesser de combattre. C’est même le contraire. Je suis opposé aux extrêmes, sans la moindre complaisance. Je ne connais aucun exemple dans le monde, aucun moment dans l’histoire où les extrêmes aient fait du bien à un pays.

Donc cette volonté de pluralisme aurait des limites ?

Je sais qui sont mes adversaires, mais je défends leur droit à exister. Du moins tant qu’ils sont dans la loi. Et j’essaie de ne pas les caricaturer. Regardez les États-Unis, à force de simplisme et de caricature, ils sont au bord de la guerre civile.

Et nous, Français, sommes-nous au bord de la guerre civile ?

Non, je ne le ressens pas du tout comme ça. Je pense que nous sommes dans une crise profonde, mais peut-être sommes-nous mieux armés que d’autres pour en sortir, si l’on trouve le message et l’élan.

Comment vous définissez-vous ?

Je ne lâche jamais.

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