François Bayrou, invité de BFM TV ce dimanche à 18h30
François Bayrou, Président du Mouvement Démocrate, sera l'invité de Benjamin Duhamel ce 15 septembre à 18h30 dans l'émission "C'est pas tous les jours dimanche".
Seul le prononcé fait foi.
Benjamin Duhamel : Merci beaucoup d'être avec nous ce soir dans « C'est pas tous les jours dimanche », patron du MoDem, maire de Pau, Haut-commissaire au Plan. Je le disais tout à l'heure, c'est souvent dans les moments où les gouvernements sont sur le point d'être composés qu'il faut tendre l'oreille à vos suggestions, vos exigences, parfois vos coups de semonce et, nous y sommes peut-être : le Premier ministre Michel Barnier a prévenu que son gouvernement serait formé cette semaine. Plusieurs membres des Républicains sont pressentis pour l'intégrer. Et dans la presse du jour, vos lieutenants préviennent déjà : « LR ne peut pas imposer sa politique », dit votre proche, Marc Fesneau, ministre démissionnaire. Est-ce que c'est ce que vous craignez qu'au fond, le gouvernement soit composé majoritairement de ministres issus des républicains, que ce soit un gouvernement de droite ?
François Bayrou : Ce n’est pas comme ça, que je crains. Vous l'avez rappelé, on entend beaucoup de rumeurs, beaucoup de bruit qui décrivent un gouvernement hypothétique dans lequel on aurait perdu de vue l'équilibre qu'on cherche pour aller vers une composition qui serait simplement la mainmise d'un parti, et d'un parti minoritaire, sur le gouvernement. Je connais Michel Barnier. Je ne crois pas à ces rumeurs. Pour plein de raisons, ça ne serait ni juste, pardon de ce grand mot, historiquement, ni juste politiquement, ni avec le minimum de bon sens qu'il faut avoir et que Michel Barnier est réputé pour avoir. Pourquoi ? Tout le monde voit bien. Qu'est-ce qu'on cherche aujourd'hui ? Qu'est-ce qui est vital à trouver ? C'est une union nationale. On est devant un paysage politique complètement éclaté avec un résultat d'élection qui a donné pire que la proportionnelle. Pendant longtemps, on nous a dit que la proportionnelle, ça ne faisait pas de majorité. Là on est encore pire. Et dans un moment où on a devant nous des défis incroyables à relever, difficiles pour toute la nation et pas seulement pour nous, mais pour toute l'Europe, comme on le voit dans toutes les élections. Et donc, cette perspective qui voudrait que, au profit d'une élection très compliquée à déchiffrer, devant un paysage de l'Assemblée nationale extrêmement morcelé, ce soit un parti minoritaire qui impose ses vues, c'est impossible, ça ne marcherait pas. On aurait un accident majeur. Et c'est pourquoi, je n'y crois pas. Parce que le bon sens élémentaire…
Benjamin Duhamel : Vous n'y croyez pas ? On a vu des scènes de membres des Républicains notamment à Annecy, à l'occasion de leur rentrée parlementaire, qui se félicitaient de la nomination de Michel Barnier. Laurent Wauquiez disait « Il faut qu'il y ait une politique de droite qui soit menée ». Vous dites que c'est une rumeur, mais si c'était le cas ? Si, effectivement, un certain nombre de membres des Républicains occupaient les principaux postes, la justice, l'intérieur, l'éducation nationale ? Là vous dites, « Ce serait un accident majeur. Ce serait impossible. » ?
François Bayrou : Je suis persuadé que ça condamnerait le gouvernement. S'il y avait un basculement bord sur bord, ça condamnerait le gouvernement. Et comme vous le savez, je plaide depuis très longtemps pour que Les Républicains fassent partie du gouvernement, soient actifs dans l'union nationale dont nous avons besoin. Mais vous avez dit quelque chose. Laurent Wauquiez dit, « Il faut une politique de droite ». En effet, c'est une bonne question.
Benjamin Duhamel : Merci.
François Bayrou : La question c'est « Quel contenu a la politique ? Quelle composition du gouvernement ? ». La composition, c'est très important. Vous savez qu’il y a d’habitude en politique, les responsables politiques qui disent vertueusement, « Non, la question ce n’est pas qui, mais c'est ce qu'on va faire ». Ça n'est pas vrai. C'est très important d'être dans le « qui », dans la composition des équipes. Mais c'est vrai que ça mériterait une discussion approfondie avec les responsables des différentes sensibilités sur ce que va être la politique que Michel Barnier a l'intention de proposer.
Benjamin Duhamel : Pour être très concret, François Bayrou, vous dites, « S’il y avait des ministres Les Républicains aux principaux postes, cela condamnerait le gouvernement.
François Bayrou : J'essaie de dire les choses avec prudence.
Benjamin Duhamel : Et j'essaie de les résumer de la façon la plus précise qui soit. Si c'était le cas, si effectivement il y avait une forme de mainmise de membres des Républicains sur le gouvernement, est-ce que cela remettrait en cause la participation de membres du MoDem au gouvernement ?
François Bayrou : Heureusement, on n'en est pas là parce que je vous ai dit que je n'y croyais pas. Mais s'il y avait une espèce de coloration qui serait interprétée par tout le monde, comme vous avez employé le mot de « mainmise », ça ne pourrait pas marcher. Ce gouvernement-là n'aurait aucune espérance de vie. Vous voyez bien que, ces élections, leur sujet n'était pas de donner le pouvoir à l'un ou à l'autre. Leur sujet était au premier tour d'exprimer une insatisfaction et ça s'est porté sur le Rassemblement National, qui a fait un très haut score, comme vous le savez et, qui a le groupe le plus important à l'Assemblée nationale, ce pourquoi j'ai regretté, j'ai trouvé scandaleux qu’il ne soit pas associé aux postes de responsabilité à l'intérieur de l'Assemblée. Ça, c'était le premier tour. Et au 2e tour, c'était un rassemblement extrêmement large de gens qui n'ont pas les mêmes opinions politiques pour dire « On ne veut pas que le Rassemblement National ait la majorité absolue ». C'est ça le résultat de cette élection. Je ne parle pas d'opportunité. Mais il est du devoir de ceux qui vont avoir à former le gouvernement de veiller à ce que cette diversité, ce pluralisme qui a traduit, en réalité…
Benjamin Duhamel : Vous lui avez dit à Michel Barnier ?
François Bayrou : Je le lui ai dit quasiment dans ces termes.
Benjamin Duhamel : Et qu'est-ce qu’il vous a répondu ?
François Bayrou : Il m'a dit « Bien entendu », et donc, c'est pourquoi je ne crois pas à ces rumeurs.
Benjamin Duhamel : Il n’allait pas vous dire l'inverse.
François Bayrou : Oui, mais quand on me dit quelque chose, je le crois.
Benjamin Duhamel : Oui mais en politique…
François Bayrou : Quand j'ai des interlocuteurs qui sont en situation de responsabilité, je les crois. Mais vous voyez bien : le but de cette élection n'était pas de désigner un vainqueur. C'était d'écarter des gens dont on ne voulait pas et les extrêmes.
Et le message politique, le message historique, le message national de cette élection, c'est, « on a besoin de rassembler nos forces pour affronter les défis qui sont devant nous ».
Benjamin Duhamel : Et on va dérouler précisément ce que pourrait être la feuille de route de ce gouvernement, mais juste, François Bayrou, encore une fois, pour que les choses soient parfaitement claires, vous dites « si mainmise, le gouvernement, ça ne pourrait pas marcher ». Si c'était l'option retenue par Michel Barnier, puisque visiblement, il y a une forte pression de l'appareil politique Les Républicains, ça veut donc dire, si vous considérez qu'un gouvernement ne peut pas marcher, que vous, vos troupes, le MoDem ne pourraient pas y trouver la place. Pardon de reposer la question, mais pour que les choses soient bien claires pour ceux qui nous regardent et qu'il n'y ait pas d'ambiguïté possible.
François Bayrou : Je vois bien que, tout à fait intelligemment, vous essayez d'obtenir une déclaration qui soit une déclaration qui mette le feu.
Benjamin Duhamel : Non je ne crois pas, mais c'est de préciser les choses.
François Bayrou : Oui. Alors précisons les choses. Le groupe des Républicains, c'est 8% des sièges à l'Assemblée nationale.
Benjamin Duhamel : 47 sièges.
François Bayrou : 47 sièges de 577, c’est 8%. Et ce groupe ne s'est pas présenté ou n'a pas été présenté aux Français comme étant une option de gouvernement. Un très grand nombre de leurs membres, et c'est vrai d'ailleurs aussi pour la gauche, n'ont pas eu de candidat contre eux. Nous n'avons pas présenté de candidat contre eux simplement parce qu'il nous semblait que ce Front Républicain devait être cultivé dès le premier tour ou présenté dès le premier tour, ou qu'il y ait des signes. Par exemple, François Hollande n'a pas eu de candidat contre lui, donc quand il dit « C'est un camp qui a gagné », ce qui lui arrive quelquefois, évidemment ça n'a pas de sens. Et donc les Républicains n'ont pas été investis par le suffrage. Et vous savez bien, c'est un angle d'attaque aujourd'hui très important de la gauche et de l'extrême droite de dire « Mais voilà un Premier ministre qui n’est pas du tout d'un pacte et qui a été choisi par on ne sait qui… ». Et je vais répondre à votre question. Il n'est pas possible que ce gouvernement soit présenté par Michel Barnier. Je n'en crois pas un mot. Je le connais assez pour savoir que le bon sens fait partie de sa nature et de ses options. Et s'il était présenté, il n'y aurait aucune chance de succès. Aucune. Je peux me tromper, mais je suis absolument sûr que tous les responsables politiques qui m'écoutent partagent ce sentiment.
Benjamin Duhamel : Si c'était le cas, vous ne le soutiendriez pas ?
François Bayrou : Soutenir, c'est autre chose, mais en tout cas, pour moi, ça n'est pas une hypothèse qui permettrait notre participation.
Benjamin Duhamel : C'est donc très clair. Si c'était un gouvernement majoritairement LR, vous ne pourriez pas y participer.
François Bayrou : Et je n'y crois pas. Vous savez…
Benjamin Duhamel : Et vous n'y croyez pas. Mais c'est important pour l'intelligibilité, Monsieur Bayrou.
François Bayrou : Je répète devant vous, Michel Barnier, sa désignation a été bien accueillie par les Français. Pourquoi ? Parce que tout le monde voyait qu’on avait besoin d'apaisement. D'un côté, on avait besoin d'expérience et il avait des atouts. Il a des atouts qui sont considérables, qui comptent dans le moment. Par exemple, un atout européen au moment où nous avons avec Bruxelles des discussions un peu ardues à avoir. Est-ce que vous croyez qu'il va aller s’enfermer dans une option partisane hyper minoritaire ? Il ne fera pas ça et je crois pouvoir l'affirmer avec certitude. Et en tout cas, nous, nous avons la responsabilité, peut-être plus que d'autres, parce que nous avons très souvent plaidé pour ce pluralisme, pour ce respect des différentes opinions…
Benjamin Duhamel : Non mais François Bayrou, le problème… Vous dites le mot « pluralisme ». La semaine dernière je crois, sur ce même plateau, Jean-Pierre Raffarin, assez proche de Michel Barnier, disait « Vous verrez, il y aura des gens de gauche ». Vous voyez, en l'état, des gens de gauche participer à un gouvernement de Michel Barnier ? Tous disent non.
François Bayrou : J'ai dit à Michel Barnier que c'était une nécessité.
Benjamin Duhamel : Qu'il y ait des gens de gauche dans ce gouvernement ?
François Bayrou : Relisons la situation, relisons l’IRM de la situation dans laquelle nous sommes. Il y a des gens qui croient que la question c'est de savoir quel bord va gouverner. Et moi je dis « La question, la seule question, c'est « est-ce qu'on peut avoir une unité nationale, une entente nationale ?», 2 partis différents, mais qui disent « cette fois-ci, l'heure était tellement grave qu'on ne peut pas se mettre sur le bord de la route pour ne rien faire » ou plus exactement, pour parler franchement, « pour espérer l'échec de ceux qui vont gouverner ». On ne peut pas faire ça et de toutes mes forces, je l'empêcherai.
Benjamin Duhamel : Très bien. Mais c'est une nécessité qu'il y ait des gens de gauche. François Bayrou qui aujourd'hui à gauche accepterait de participer à un gouvernement avec Bruno Retailleau, Laurent Wauquiez ? Pardon, mais si vous avez entendu quelqu'un de gauche cette semaine dire « pourquoi pas », je veux bien que vous me le présentiez parce que je ne l'ai pas trouvé.
François Bayrou : Je ne veux pas participer à ce jeu des noms et des personnalités. C'est la responsabilité du Premier ministre.
Benjamin Duhamel : Mais vous pensez qu'il y aura des gens de gauche dans ce gouvernement ?
François Bayrou : Je pense qu'il en faut. J'ai dit à Michel Barnier qu'il avait absolument besoin d'élargir l'espace de ceux qui vont le soutenir, c'est-à-dire l'espace des Français qui eux, à juste titre, se posent des questions sur leur avenir et qui ne veulent pas qu'on tombe dans des considérations partisanes. Les considérations partisanes, ce sont des fatalités de division. Le jeu des partis, hélas, depuis des décennies, contre tous mes avis et tous mes engagements, c'est de s'affronter entre eux au lieu d'essayer d'affronter la situation pour faire avancer le pays. Les partis s'affrontent entre eux. On a construit, il y a 80 ans la Ve République contre cette fatalité-là. Je pense que, plus que jamais, l'heure est à cette unité nationale.
Benjamin Duhamel : Vous dites « je ne veux pas rentrer dans le jeu des noms des uns et des autres ». Malgré tout, il y a ce que l'on voit, ce que l'on peut lire. Le fait que visiblement le patron des députés de droite à l'Assemblée nationale, Laurent Wauquiez, briguerait le ministère de l'Intérieur… Je vous rappelle ce que disait Laurent Wauquiez au moment de la décision du Conseil constitutionnel sur la loi immigration, c'était en début d'année, il parlait d'un « coup d'État de droit ». Est-ce que cette ligne politique que porte Laurent Wauquiez, il est comptable des déclarations qui ont été les siennes ces dernières années, est-ce que ça, ça peut faire de lui un ministre de l'Intérieur précisément d'un gouvernement qui dépasserait les clivages tel que vous l'appelez de vos vœux ?
François Bayrou : Je n’ai aucune envie d'entrer dans les approches comme on dit ad hominem, contre quelqu'un. Aucune envie, je ne veux pas faire ça. Mais vous voyez bien qu’une approche qui consisterait à mettre en cause le Conseil constitutionnel, ce qui j'espère, n'est dans l'esprit de personne, sauf de Mélenchon et même du Rassemblement National…
Benjamin Duhamel : Et de Laurent Wauquiez à l'époque.
François Bayrou : Si on se met à mettre en cause les institutions, le pays va en souffrir jusqu'au drame. Heureusement qu'on a des règles et qu'on a des lois. C'est impensable parce que Laurent Wauquiez appartient, dit-on ou dit-il, au parti de ceux qui ont construit la Constitution. Et je relisais tout à l'heure, le discours que le Premier ministre qui a porté la Constitution, Michel Debré, faisait…
Benjamin Duhamel : Vous avez des lectures intéressantes.
François Bayrou : Ce qu'il faisait devant le Conseil d'État pour le projet de Constitution en septembre 1958. Et qu'est-ce qui dit précisément sur ce point ?
Je ne savais pas que vous alliez m'interroger, mais le sujet des institutions m'intéresse. Il dit, « On met en place un Conseil constitutionnel pour que le Parlement ne puisse pas faire n'importe quoi ». Et précisément, dit-il, « pour que l'Assemblée nationale ne puisse pas faire n’importe quoi ».
Benjamin Duhamel : François Bayrou, vous dites…
François Bayrou : Alors, je suis absolument sûr. Il y a des propos irréfléchis. Il y a des moments où on dit….
Benjamin Duhamel : Mais alors attendez, est-ce que vous savez qui disait il y a 6 ans, « Laurent Wauquiez cultive des passions qui alimentent l'extrême droite » ? Non ? C'est vous.
François Bayrou : Oui.
Benjamin Duhamel : Vous voyez, ça fait beaucoup. Mise en cause du Conseil constitutionnel dont vous dites à l'instant qu'il faut évidemment l'éviter, qu'il faut protéger les institutions. Vous-même, le 25 avril 2018, « Laurent Wauquiez cultive des passions qui alimentent l'extrême droite ».
François Bayrou : Oui, franchement, je pense que c'était assez juste.
Benjamin Duhamel : Et donc je me mets à la place de ceux qui nous regardent là et qui se disent, « mais à un moment donné, la politique, c'est aussi de la constance ». Comment imaginer des membres du MoDem, parti dirigé par François Bayrou, avec Laurent Wauquiez au gouvernement ?
François Bayrou : Et je ne manque pas à la constance. Je pense que les gens peuvent à certaines époques se tromper et changer leur jugement. J'espère qu'ils sont assez intelligents pour ça. Moi je m'efforce de ne pas me tromper au début pour ne pas avoir à changer de direction après. Encore une fois, le Conseil constitutionnel, c'est le général De Gaulle et Michel Debré qui l'ont mis en place précisément, disent-ils, pour que « le Parlement ne puisse pas faire n'importe quoi ».
Benjamin Duhamel : Un mot toujours sur la composition du gouvernement. Si pour le coup, ces alertes-là étaient entendues, c'est-à-dire s'il ne s'agissait pas d'un gouvernement LR, aujourd'hui il y a 4 membres du gouvernement issus de votre parti, du MoDem, vous en demandez autant, plus ?
François Bayrou : Dans ma vie, il m'est arrivé de vendre des veaux au marché de Morlaàs et de Soumoulou, dans le pays de Béarn.
Benjamin Duhamel : Là il ne s’agit pas de veaux mais de nous expliquer combien de membres du MoDem vous souhaitez au gouvernement…
François Bayrou : C'est la même chose. Ce sont des marchandages… Peut-être que vous ne me croirez pas. Je n'ai pas eu cette discussion une seule seconde avec Barnier et je n'avais pas eu cette discussion une seule seconde avec ses prédécesseurs. Ce qui m'intéresse, c'est que, quand nous sommes au gouvernement, nous soyons respectés et avec des postes de responsabilité qui nous intéressent. Si vous voulez m'amener au marché aux bestiaux, j'irai, mais pas pour acheter des ministères. C'est une vision qui compte. Je ne vais pas vous dire que ça ne compte pas, mais je ne veux pas faire de ça, le premier pas d'un engagement.
Benjamin Duhamel : Vous pourriez, vous, rentrer au gouvernement ?
François Bayrou : Non ?
Benjamin Duhamel : Pourquoi ?
François Bayrou : Parce que j'ai des responsabilités à Pau que je ne veux pas quitter.
Benjamin Duhamel : Vous en aviez aussi en début d'année quand il était envisagé que vous soyez nommé.
François Bayrou : Et j'ai refusé d'entrer au gouvernement comme vous le savez…
Benjamin Duhamel : Parce que vous aviez un désaccord avec Gabriel Attal pas parce que vous ne souhaitiez pas abandonner vos fonctions à la mairie de Pau…
François Bayrou : D'abord, j'ai dit, si vous m'aviez écouté, que j'aurais essayé d'exercer les 2 responsabilités en même temps. Mais voilà, j'ai d'autres moyens d'aider et notamment j'ai en tête ou au cœur, l'espoir qu'on va reconstruire en France une autorité du Plan digne de ce nom, qui soit capable de prospective sur les 10, 20, 30 ans qui viennent, parce que ça manque terriblement à l'action des pouvoirs publics d'avoir un horizon plus lointain.
Benjamin Duhamel : Pas d'entrée au gouvernement. Un mot avant de parler de la question de l'immigration. Pour résumer, au fond, ce que vous nous dites, on a bien compris, si mainmise à LR, ça ne marchera pas. Pas de membre du MoDem. Plus généralement, c'est quoi les lignes rouges vis-à-vis du gouvernement qui pourraient justifier, au-delà de la composition du gouvernement, de dire « là on arrête, on ne soutient plus » ? Ou est-ce qu'au contraire, vous dites « moi je ne veux pas fixer de ligne rouge » ? Par exemple, c'est ce que me disait Édouard Philippe, mercredi soir, qui dit, « on ne rentre pas dans une négociation en fixant des lignes rouges ».
François Bayrou : Je n’aime pas du tout l'idée des lignes rouges parce que les lignes rouges, c'est absolument la même approche que LFI : « Mon programme, rien que mon programme et tout mon programme ». C'est ça, les lignes rouges. Nous sommes un mouvement politique qui considère que l'éducation doit être prioritaire ; qui considère que l'Europe est une nécessité absolue, mais on va avoir l'occasion d'en dire un mot je pense ; qui considère que l'équilibre de la situation, c'est qu’on ait un marché qui ait autant de libertés que nécessaires et autant de volontés sociales qu'exigées. Ce sont des équilibres comme ça. Si on partait, tout à fait de l’autre côté, sur l'Europe par exemple, évidemment, ça nous ne pourrions pas l'accepter. Mais je ne veux pas entrer dans cette idée…Je ne peux pas croire que l'essentiel soit menacé : l'essentiel des idéaux du pays, l'essentiel du bon sens. Je ne veux pas croire ça. Si c'était le cas, on s'en occuperait, mais je ne veux pas le croire.
Benjamin Duhamel : Par exemple, François Bayrou, sur la question de l'immigration, il y a un contexte. L'Allemagne, à partir de demain, va renforcer ses contrôles aux frontières, mesure décidée par un chancelier social-démocrate qui gouverne avec des écologistes, avec des libéraux. En France, Michel Barnier a dit son sentiment que les frontières sont des passoires. Et Laurent Wauquiez, dit, « il faut une politique avec moins d'immigration ». Est-ce que moins d’immigration, ça doit être la ligne du gouvernement ?
François Bayrou : C'est un sujet sur lequel je trouve qu’on n’est pas sérieux. Alors je vais vous dire, ce que je crois moi. Faire de l'immigration le sujet obsessionnel du pays, c'est refuser de voir la réalité.
Benjamin Duhamel : Pour qui c'est obsessionnel ? Pour Laurent Wauquiez ?
François Bayrou : Pour un grand nombre de forces. Il suffit que vous vous promeniez dans toutes les villes de France, vous voyez des échafaudages ? Qui est sur les échafaudages ? Des immigrés. Des hommes, en général, qui sont arrivés en France tout à fait récemment et qui essaient de gagner leur vie. Qui va nettoyer les bureaux à 5h00 du matin ? Qui ? Quel est ce prolétariat qui va nettoyer les bureaux ? Ce sont des femmes généralement qui viennent des milieux qui sont considérés, par certains…
Benjamin Duhamel : Pardon, François Bayrou, ce que vous dites là, votre ligne politique, ce n’est pas du tout ce que dit Michel Barnier.
François Bayrou : Écoutez, je veux défendre, j'ai l'intention de défendre ma ligne politique sur ce sujet. Il est de bon ton d'ignorer tout ça ; je ne le ferai pas. En revanche, est-ce qu'on a besoin de réguler ces mouvements de population ? Ma réponse est oui, on a besoin de les réguler. Et vous me citiez Scholz, le chancelier allemand, qui a annoncé qu'il allait fermer les frontières de la République fédérale allemande. Vous savez ce qu'il aurait fait, Monsieur Scholz, vendredi ? Il aurait signé un accord avec le gouvernement du Kenya pour que 250 000 Kényans entrent en Allemagne. Où est la logique de tout ça ? Et je vous rappelle que Madame Meloni, alliée de l'extrême droite, en Italie…
Benjamin Duhamel : Oui, a régulé 450 000 étrangers en leur donnant du travail…
François Bayrou : Vous passez là-dessus, comme si c’était..
Benjamin Duhamel : Et on a passé la campagne des européennes à le signaler aux uns et aux autres sur ce plateau…
François Bayrou : Laissez-moi articuler ça, parce que vous ne pouvez pas poser la question de l'immigration comme si c'était uniquement un sujet politique et passionnel. Madame Meloni, extrême droite, s'est faite élire en Italie en disant « Avec moi, 0 immigration » et elle a régularisé cette année 350 000 ou 450 000 immigrés à qui elle a donné des papiers. Qui est sérieux dans tout ça ? Monsieur Scholz, il irait signer le jour même où il annonce la fermeture des frontières, un accord avec le Kenya pour que 250 000 kényans, dont j'imagine, le Kenya, aurait eu besoin chez lui, aillent en Allemagne. Je ne participe pas à ces mouvements qui sont des mouvements de mépris obsessionnel de la réalité et de la vérité. Je pense qu'il faut faire la différence entre les immigrés qui sont sur notre sol, qui travaillent, qui apprennent le français et qui acceptent nos coutumes et nos principes ; et les autres.
Benjamin Duhamel : Est-ce qu’il faut moins d'immigration ?
François Bayrou : Il faut en tout cas la réguler. On ne peut pas se trouver placé devant des situations qui créent autant de rejet et autant de passion. Le jour où on aura des moyens et ils existent, et les accords européens qu'on vient de signer et que paraît-il certains, les Pays-Bas veulent dénoncer, ces accords européens, ils permettaient d'avoir cette meilleure régulation. Mais il faut aller encore beaucoup plus loin.
Benjamin Duhamel : J'ai encore 3 sujets à aborder avec vous. François Bayrou, il ne nous reste pas beaucoup de temps. Le premier, je vais vous demander une réponse assez rapide, est-ce que les ministres actuels et ministres démissionnaires doivent quitter le gouvernement ? Au fond, est-ce qu'il faut qu'il y ait un renouvellement pour que les Français ne se disent pas « Au fond, on se retrouve avec à peu près la même chose ».
François Bayrou : Je suis pour le renouvellement intégral ou quasi intégral du gouvernement pour qu'on ait une autre approche, une autre sensibilité, d'autres visages.
Benjamin Duhamel : Intégral ou quasiment intégrale ? Ça veut donc dire que, à l'exception quoi, d'un ou 2 ministres ? L'idéal serait même, qu'il y ait un renouvellement intégral ?
François Bayrou : Ce n’est pas moi qui forme le gouvernement, j'aurais pu, mais ce n’est pas moi qui forme le gouvernement. Mais si j'avais eu cette responsabilité, j'aurais proposé un renouvellement intégral.
Benjamin Duhamel : Renouvellement intégral, c'est dit. Il me reste 2 questions. La première, elle concerne Édouard Philippe. Il a renouvelé cette semaine, c'était sur BFMTV, son ambition présidentielle. Je lui ai cité la phrase que vous aviez eue en disant « En politique les fautes de temps sont pires que les fautes de grammaire ». Il a balayé ça, d’un revers de main en disant, « Mais non, il n’y a pas de déloyauté. Simplement, je ne suis pas impatient, mais je me prépare ». Est ce qu’il n’a pas raison, c'est la vie politique, non, de déclarer sa candidature à l'élection présidentielle ?
François Bayrou : Je ne veux pas faire de polémique avec lui, mais quand même. Annoncer sa candidature précisément au moment où on est dans cette extrême difficulté nationale... Est-ce que vous croyez que c'est un signe d'entente, d'union, de respect réciproque et de respect des institutions ? Dites-moi, vous êtes un observateur. Vous trouvez que…
Benjamin Duhamel : Vous voulez que je vous dise ce je pense, François Bayrou ? Je pense que si vous n'aviez pas vocation, éventuellement, à être candidat à l'élection présidentielle en 2027, et donc d'avoir Édouard Philippe sur votre route, vous n'auriez peut-être pas réagi de cette façon-là.
François Bayrou : Vous dites des bêtises.
Benjamin Duhamel : Ah bon ? vraiment ?
François Bayrou : Oui, parce que j'aurais dit exactement la même chose. Je ne suis pas, moi, dans l'obsession présidentielle. J'ai été candidat 3 fois. J'ai une petite idée de ce qu'est l'élection présidentielle et de ce qu'elle représente dans le contact entre le responsable politique qui veut assumer les responsabilités de l'État et le peuple qui va l’élire. Je suis absolument épris de cette élection-là. Mais je ne juge pas tout à l'aune de cette élection et je pense que chaque fois qu'on peut montrer, dans les moments les plus difficiles du pays, de la solidarité et du désintéressement pour soi-même, c'est mieux.
Benjamin Duhamel : Et ce n'est pas ce qu'il a fait, selon vous ?
François Bayrou : Non, je n’en sais rien. C'est vous qui essayez de me faire dire des choses que je ne veux pas dire.
Benjamin Duhamel : Non, je pense que vous arrivez très bien à dire ce que vous avez envie de dire.
François Bayrou : C’est mieux. Vous ne m’inviteriez pas sinon.
Benjamin Duhamel : Pour terminer, François Bayrou, on ne sait pas combien de temps va tenir ce gouvernement Barnier puisque, rappelons-le, la configuration politique est ce qu'elle est, avec le risque que notamment Marine Le Pen et le Rassemblement National décident de le renverser. Il faudrait alors trouver un nouveau Premier ministre, si c'était le cas. Écoutez, ce que vous disiez sur ce plateau, c'était en janvier, précisément au moment où on s'interrogeait sur la personne qui allait succéder à Élisabeth borne. Regardez.
« François Bayrou : Je crois que ça serait marrant, oui.
Benjamin Duhamel : Et peut-être cela arrivera au cours du quinquennat
François Bayrou : Je crois que le futur est long. Je crois que l'avenir est long et j'ai toujours pensé ça. Et j'ai toujours pensé qu'il y a des moments où, en effet, s'imposent des parcours qui sont un peu différents et un peu atypiques. »
Benjamin Duhamel : Je vous interrogeais pour savoir si vous pourriez être nommé Premier ministre.
François Bayrou : Aujourd’hui ça serait moins marrant ? Parce que je vous rappelle qu'à l'époque, il y avait une configuration politique qui n’était pas la même.
Benjamin Duhamel : Est-ce que ça reste une possibilité d’ici la fin du quinquennat ?
François Bayrou : C’est toujours une possibilité. Alors, puisque vous passez un extrait où je parle de ce que j'ai toujours cru… J'ai toujours cru, curieusement et bizarrement, que le type de parcours qui était le mien conduisait plutôt à exercer les responsabilités quand la situation était très grave.
Benjamin Duhamel : Elle l'est.
François Bayrou : Le chemin que j'ai choisi n'est pas le chemin de la facilité dans un parti majoritaire où on se met à aller dans le sens de l'opinion et où on dit ce que les sondages veulent entendre. J'ai toujours pensé que les hommes politiques que je respectais, mettons Churchill par exemple, sont toujours des gens qui n'ont pas hésité à aller à contre-courant et qui ont eu à exercer les responsabilités les plus graves dans les moments les plus graves.
Benjamin Duhamel : Vous dites, « si la situation le nécessite » ?
François Bayrou : Oui, bien sûr. Vous n’imaginez pas que j'ai un engagement politique qui m'entraîne à occuper des responsabilités superficielles. Ce n'est pas du tout ça.
Benjamin Duhamel : Une toute dernière question, vraiment la toute dernière, parce qu'on a l'impression que c'est la deuxième fois que je dis « toute dernière question ».
François Bayrou : Mais cette fois, c'est la 3e fois…
Benjamin Duhamel : Oui mais ce n’est pas grave, c'est bien persévérer. À la question « où en êtes-vous personnellement ? » qui lui était posée par l'hebdomadaire Le point, Édouard Philippe répondait, « ce n'est un mystère pour personne que je serais candidat à la prochaine élection présidentielle ». Est-ce que là aussi, venant de vous, il n’y aurait pas une forme de franchise à dire « Oui, j'ai 2027 en ligne de mire » ? Ça ne veut pas dire que vous allez déclarer votre candidature ce soir, mais juste au moins d'assumer que c’est parmi les possibilités. Vous dites « je suis un homme politique qui est fait pour les situations délicates ». Est-ce que vous ne perdez pas une forme de franchise à assumer que ça vaut pour 2027 ?
François Bayrou : Là, on ne parle pas de présidentielle, on parle de gouvernement. Et puis vous voyez bien, je vais faire une petite explication de texte. Au fond, je dis qu’avant l'heure, ce n’est pas l'heure, et après l'heure c'est plus l'heure. Quand on choisit un moment, il vaut mieux le faire en adéquation avec ce que les gens attendent. Et c'est très perturbant pour nos concitoyens de voir un monde politique qui s'excite autour de problèmes qui ne sont pas posés et qui ne le seront que dans plus de 2 ans.
Benjamin Duhamel : Mais vous y pensez ?
François Bayrou : Mais vous essayez de me mettre en contradiction avec cette déclaration. Si je vous faisais la déclaration que vous attendiez, vous diriez, « voilà, c'est exactement ça ».
Benjamin Duhamel : Non, pas du tout, ce n’est pas mon genre.
François Bayrou : Et donc quand c'est de lui qu'il s'agit, il trouve que les choses sont normales. Ce n'est pas vrai. J'essaie d'avoir un minimum de justesse dans ce que je défends et ce que je défends pour les autres, je le défends pour moi-même aussi.
Benjamin Duhamel : Merci beaucoup, François Bayrou, d’avoir été l’invité de « C’est pas tous les jours dimanche ».
François Bayrou : Merci à vous.
Benjamin Duhamel : Je précise, puisque c'est important, vous avez dit ce soir, « Si c'était un gouvernement avec une mainmise Les Républicains, ça ne pourrait pas marcher. Il ne pourrait pas y avoir de membres du MoDem dans ce gouvernement, ça, c'est ce que vous avez dit. Et je précise aussi que vous avez expliqué que si vous aviez été en charge de former ce gouvernement, vous auriez pratiqué un renouvellement intégral, c'est-à-dire pas de ministre sortant. On verra si ces conseils sont suivis ou non par le Premier ministre Michel Barnier. Merci beaucoup.