François Bayrou : " Ceux qui ont le souci de la démocratie doivent prendre leurs responsabilités ".
François Bayrou, Président du Mouvement Démocrate, sera l'invité de la matinale de France Info ce mardi 2 juillet à 8h30.
Seul le prononcé fait foi.
Jérôme Chapuis : Bonjour François Bayrou.
François Bayrou : Bonjour !
Jérôme Chapuis : Le Rassemblement national pourrait gouverner le pays la semaine prochaine. Vous dites, vous aussi, qu'il faut tout faire pour l'en empêcher. « Tout sauf aller jusqu'à voter pour des candidats la France insoumise ». Pourquoi ?
François Bayrou : Non, ce n'est pas ce que j'ai dit. Alors mettons les choses au point d'abord. Toutes les décisions de désistement, chaque fois que le Rassemblement national était en ou est en situation d'être élu, à ma connaissance, sont faites, en tout cas pour le MoDem et pour l'immense majorité des candidats Ensemble pour la République.
Jérôme Chapuis : Ça veut dire que ce soir, 18h, les candidatures seront déposées ?
Les candidats MoDem ne seront maintenus nulle part où il y a en jeu cette configuration.
François Bayrou : Le danger d'une élection du Rassemblement national.
Agathe Lambret : en Seine-et-Marne il y a une candidate MoDem qui se maintient dans une triangulaire...
François Bayrou : Je veux simplement saluer les efforts parce que ce n’est pas facile quand vous menez campagne, parfois quand vous êtes député sortant, quand vous avez consacré des années à ce combat et au territoire qui est le vôtre, ce n’est pas simple de se retirer parce qu'il y a un danger national. Et je veux saluer toutes celles et tous ceux qui l'ont fait. Et à ma connaissance, pour le bloc Ensemble pour la République, c'est la totalité ou la quasi-totalité des décisions qui ont été prises et appliquées. Et il reste jusqu'à ce soir 18 h, s'il y en avait qui n'étaient pas, encore prises.
Jérôme Chapuis : Mais c'est un principe qui souffre des exceptions ?
François Bayrou : Il n’y a pas d'exception à ma connaissance, il n’y a pas d'exception réelle.
Agathe Lambret : Mais donc en Seine-et-Marne, cette candidate MoDem qui se maintient, pour vous, c'est parce qu'il n'y a pas de danger ? Elle se maintient face à un LFI et un RN dans une triangulaire ?
François Bayrou : Je vous dis que chaque fois qu'il y a danger d'une élection du Rassemblement national, chaque fois la décision a été prise sur l'ensemble du territoire national. C'est dire que ce sont des efforts. Je veux d'ailleurs dire aussi que symétriquement, un certain nombre de forces socialistes écologistes ont fait les mêmes efforts. Donc pour moi, c'est encourageant, ça veut dire qu'il y a une prise de conscience nationale. De gens qui ne sont pas toujours d'accord entre eux, qui ont des approches différentes, Dieu sait, mais qui disent « Là c'est trop grave ». C'est un risque que pour le pays, nous ne voulons pas prendre.
Agathe Lambret : À vous entendre, François Bayrou, ça a l'air simple et clair, mais la majorité est divisée, notamment sur l'attitude à adopter vis-à-vis de la France insoumise. Bruno Le Maire, par exemple, explique dans Le Figaro, « On combat le RN avec nos valeurs et nos convictions. On ne combat pas le RN avec les valeurs de la France insoumise », la France insoumise dont il dénonce le projet « communautariste et insidieusement antisémite ». Est-ce que vous partagez ce point de vue de Bruno Le Maire ?
François Bayrou : Dans cette extrême gauche-là, je vois François Ruffin ce n’est pas tout à fait la même approche, c'est la même étiquette, mais ce n’est pas la même approche. Il est normal, j'avais dit « au cas par cas », qu'on examine circonscription par circonscription…
Agathe Lambret : Les « bons insoumis et les mauvaises insoumis » ?
François Bayrou : Je n'aime pas employer des expressions comme ça. Mais il faut naturellement indiquer que dans la France insoumise, dans LFI, il y a des attitudes, des propos, des provocations qui durent depuis 2 ans et qui ont été ressenties extrêmement douloureusement par un très grand nombre de Français.
Jérôme Chapuis : Pardon François Bayrou, mais François Ruffin par exemple, c'est quelqu'un qui, y’a 3 semaines dit « On a un taré à la tête de l'État ».
François Bayrou : Je sais, c'est dans un débat avec moi.
Agathe Lambret : Donc, pour autant, vous décidez..
François Bayrou : Oui, parce que je ne crois pas que chez lui, il y ait de l'antisémitisme par exemple. Ce ciblage insidieux de nos concitoyens juifs, bien sûr que ça a profondément blessé un très grand nombre de nos compatriotes et une communauté, qui, dans l'Histoire, sait très bien ce que ça veut dire d'être ciblée.
Et c'est la même chose de l'autre côté. J'aurai les mêmes propos à l'égard de nos concitoyens musulmans. Il y a des mots, des propos, des attitudes à l'égard de nos concitoyens qui ont la peau un peu plus foncée que les autres. Tout ça, ce sont les remugles qui sortent du fin fond des sociétés et de l'histoire. Et face à cela, nous mettons un barrage.
Agathe Lambret : Est-ce que vous avez eu tort, pendant toute la campagne, de renvoyer les extrêmes dos à dos ? Emmanuel Macron les mettait sur le même plan. Et aujourd'hui vous dites « Non il y avait une hiérarchie ».
François Bayrou : Et il avait absolument raison. Simplement, ce qui a été écarté dimanche dernier, c'est qu'un extrême puisse l'emporter…
Jérôme Chapuis : Vous voulez parler de la France insoumise ?
François Bayrou : …Cette hypothèse n’existe plus. Et aujourd'hui, y a une autre hypothèse en face de laquelle oui, il faut mettre en barrage, c'est que le Rassemblement national puisse avoir la majorité absolue. Les Français, les citoyens en votant, ont écarté une question et ouvert une nouvelle question.
Jérôme Chapuis : Alors le Rassemblement national, justement, Jordan Bardella, lui, depuis dimanche soir et même un petit peu avant, il s'emploie à rassurer, il promet de respecter les institutions, il promet de respecter les oppositions. Vous avez, vous, François Bayrou, une raison de ne pas le croire ?
François Bayrou : Écoutez, il suffit que vous sortiez dans la rue, que vous regardiez les mots qui sont utilisés par un certain nombre de ceux qui croient qu'à partir de dimanche prochain, on pourra tout dire et tout faire. Et pourquoi croient-ils qu'on pourra tout dire et tout faire ? Parce qu’on a favorisé ce type d'attitude, ce type de rejet, on cible. Vous avez diffusé sur vos écrans des dizaines d'exemples, alors ne faisons pas semblant de ne pas voir les choses.
Bien sûr qu'il y a aujourd'hui des millions de Français par exemple, des Français qui sont de 2 ou 3 ou 4 générations « d'origine étrangère », qui ont le sentiment qu'on va les regarder de travers, que la manière dont on se comportera avec eux ne sera pas la même.
Jérôme Chapuis : Mais l'idée selon laquelle le Rassemblement national, ce n'est plus le Front national, que ce serait une droite qui s'assume et qui s'inscrit dans la République, ça, vous n'y croyez pas ?
François Bayrou : Non, je ne crois pas ça. Je pense que l'ADN des formations politiques est plus fort que les mots qu'ils utilisent pour se faire de la publicité, pour rassurer, pour pouvoir passer les obstacles. Je ne crois pas du tout que cette radicalité ait disparu.
Jérôme Chapuis : Donc le RN avance masqué jusqu'au 2e Tour des législatives ?
François Bayrou : Essayons d'utiliser des expressions qui ne soient pas perpétuellement excessives. Je dis que je ne crois pas que l'ADN de cette famille politique ait changé.
Agathe Lambret : Pour autant, François Bayrou dans votre propre camp on a contribué aussi d'une certaine façon à cette, peut-être pas dédiabolisation, mais en tout cas Emmanuel Macron a contredit Elizabeth Borne qui avait considéré que le RN était l'héritier de Pétain et il avait dit à Élisabeth Borne « On ne combat pas le RN avec les arguments des années 90, on le combat avec les arguments moraux. Il faut aller sur le fond et sur l’incohérence du projet ».
François Bayrou : Pétain ce ne sont pas les années 90, ce sont les années 40.
Agathe Lambret : C'était le président qui a dit ça et aujourd'hui vous vous nous dites…
François Bayrou : Excusez-moi, on a le droit à l'argument moral, parce que c'est plus profond que l'argument politique. Deuxièmement, je me suis battu toute ma vie pour que tous les courants de la démocratie puissent s'exprimer. Je me suis battu, j'ai pris des risques pour ça. Souvenez-vous la proposition de la Banque de la démocratie, toutes ces choses qui ont été faites parce que je pense que les Français ont besoin d'être assurés, qu'il n'y a pas de trucage de la vie politique.
Donc je me suis battu pour ça, toute ma vie, mais me battant pour la liberté d'expression et de participation à la vie publique, pour autant je n'exonère pas ces formations politiques des responsabilités graves qu'elles peuvent avoir. Et est-ce que je souhaite qu'on se réunisse entre républicains pour faire barrage ou pour faire que le Rassemblement national n'ait pas la majorité ? Ma réponse est oui, sans aucune ambiguïté.
Agathe Lambret : Vous parliez à l'instant d'un rassemblement pour contrer le Rassemblement national. Justement, Gabriel Attal a appelé à bâtir des majorités de projets. Qu'est-ce que ça veut dire concrètement ? Qu'est-ce que vous voulez dire ? Une coalition avec des communistes en passant par des LR ?
François Bayrou : Une chose ultra simple. Si le Rassemblement national n'a pas la majorité absolue, il a annoncé qu'il refuserait de gouverner. Je ne sais pas si c'est vrai, mais il a annoncé ça de la manière la plus explicite encore dimanche 3 ou 4 fois. Donc on se trouve dans une situation très difficilement gérable. À cette situation, il faut trouver des réponses inédites. Pourquoi inédites ? Parce que le président de la République a fait publiquement et de manière discrète, pendant toutes les 2 années précédentes, des offres d'ouverture de la majorité du gouvernement.
Agathe Lambret : Ce n’est pas ce que disent les oppositions.
François Bayrou : Mais moi je vous le dis, excusez-moi les oppositions moi j'y étais donc je peux dire tout ce qu'on veut.
Jérôme Chapuis : Non mais elles disent, par exemple, que sur la réforme des retraites, il a pas été spécialement ouvert à ce que proposaient les modérés.
François Bayrou : Si vous permettez, la réforme des retraites est une autre question. Ma vision à moi, c'était qu’on le fasse par référendum parce que je trouve le dossier tellement lourd…
Agathe Lambret : Mais en 2022 aux législatives…
François Bayrou : Donc je dis que des offres ont été faites, des propositions…
Agathe Lambret : Dès 2022 François Bayrou ?
François Bayrou : Des ouvertures pendant cette période de 2 ans, entre 2022 et 2024. Elles ont été toutes refusées et refusées dans des termes sans ambiguïté et un peu agressifs. Cette période est finie. Aujourd'hui, tous ceux qui ont le souci de la démocratie et le souci de la société française, tout ceux-là vont devoir prendre leurs responsabilités. Car si le Rassemblement national n'a pas la majorité, ça signifiera que se sont mobilisés toutes les forces politiques qui refusaient ce scénario.
Agathe Lambret : Mais à vous entendre, on a l'impression que vous n'avez aucune responsabilité, François Bayrou. Vous n'avez pas, en 2022, présenté des candidats macronistes face à des candidats Macron compatibles ? Vous, vous avez vraiment essayé d'aller vers les oppositions ?
François Bayrou : Si vous voulez qu'on fasse un débat ensemble, on va le faire.
Agathe Lambret : Pas du tout.
François Bayrou : Mais je n'ai aucune envie de faire ça. Je n'aime pas la mise en cause perpétuelle de ce qu'on dit. Je dis que des offres ont été faites, multiples, mais je dis..
Jérôme Chapuis : Vous dites que c'est ultra simple, c'est facile à dire mais c'est très complexe et puis c'est pas très lisible pour les Français. Bruno Le Maire par exemple, il dit, « Ce serait une majorité de briques et de broc ».
François Bayrou : Est-ce que c'est simple ? Ça n'est pas simple, c'est très difficile, la preuve c'est que ça a échoué depuis des décennies. Mais lorsque vous êtes devant un pays qui a prononcé son malaise aussi fortement et qui se retrouve avec des institutions qui ne fonctionnent pas, les républicains, les démocrates doivent prendre leurs responsabilités.
Agathe Lambret : C’est pour ça que vous avez suspendu la réforme de l'assurance-chômage, par exemple, c'est pour donner, pour faire un geste ?
François Bayrou : Oui, je pense que c'est ce genre de geste. Mais je sais que toutes ces réformes, il faudra les faire. Je sais qu’aucun des sujets qui ont été abordés, adroitement ou maladroitement, et sans doute, on aurait pu chercher des démarches différentes, mais aucun de ces sujets ne peut être éludé, parce que c'est la situation de la France et de l'Europe qui sont en jeu. Et donc ma certitude est que tous ceux qui ont des sentiments réellement démocratiques, démocrates et républicains, tous ceux-là devront, d'une certaine manière, s'asseoir autour d'une table et réfléchir à la manière dont ils sont capables d'assumer des responsabilités que d'autres auraient refusées.
Agathe Lambret : Quel profil pour diriger cette coalition de toutes ces personnes autour de la table ?
François Bayrou : On ne cherche des profils que si on est d'accord sur le fond, si une volonté s'exprime. Mais là, ce que je sens aujourd'hui, c'est que beaucoup de forces qui, hier, étaient de manière acharnée dans l'opposition et agressives dans l'opposition et ne voulant même pas considérer comme des interlocuteurs ceux qui étaient dans la majorité ou au pouvoir, beaucoup de ceux-là réfléchissent.
Jérôme Chapuis : Ça veut dire que beaucoup, un gouvernement dans lequel cohabiteraient les gens comme Raphaël Glucksmann, des gens issus du modem, des gens issus des rangs des républicains, c'est envisageable ? C'est possible ?
François Bayrou : Mais on a fait ça dans des périodes tragiques de l'histoire. Est-ce que la situation aujourd'hui est aussi grave ? Oui, elle est aussi grave, plus grave, parce que le contexte international est devenu une menace perpétuelle de chaque instant, parce qu'il y a la guerre sur le continent européen et qu'un certain nombre des forces que nous évoquons ne veulent pas réagir en face de cette guerre au fond. Plus grave parce que le contexte économique et commercial mondial est terrible parce que la volonté de domination des très grands États s'affiche ou s'affirme désormais sans complexe et de plus en plus. Pour ces raisons-là, il faut que les responsables, les personnes qui prétendent être animées d'esprit de responsabilité acceptent, si cette circonstance se présente, de faire face à leurs responsabilités.
Jérôme Chapuis : Mais il y aura une question qui va s'exercer dans l'autre sens, François Bayrou, parce que Jordan Bardella le disait hier soir, si il manque 2 ou 3 sièges ou un peu plus au Rassemblement national, ils vont aller chercher du côté des LR, non Ciottistes. Et est-ce que vous demandez aux candidats LR de s'engager avant le 2e tour à ne pas soutenir le rassemblement national ?
François Bayrou : Je n'ai aucune intention de donner des leçons à qui que ce soit. Je sais que s’il manque à une majorité qui vient de gagner les élections, 2 ou 3 sièges, il n’y a aucun mal à les trouver. Même s’il y en a 10, il les trouve. Et donc c'est la raison pour laquelle, la mobilisation des forces qui refusent cette hypothèse est très importante. Donc en effet, il ne s’agit pas d’1 ou 2 sièges, c'est une mobilisation beaucoup plus large des citoyens qui est nécessaire.
Agathe Lambret : Et vous avez dit que vous, vous saviez que des personnes en ce moment réfléchissaient à cette coalition des personnes qui s'opposaient auparavant à Emmanuel Macron. Vous pensez à qui par exemple ? Ou dans les rangs de quel parti ?
François Bayrou : Je n'ai aucune intention de vous donner quelques noms que ce soit. Je sais que tout le monde réfléchit. Dites-vous bien que, la vie politique française, qui, jusqu'à maintenant, a été faite de pour et de contre, et les contres étaient systématiquement contre toute mesure annoncée par les pour et réciproquement, cet état de fait, cette banquise-là, a sauté, a fondu. On est entré dans un autre monde dans lequel on ne peut pas continuer à faire semblant et on ne peut pas continuer à faire comme auparavant.
Agathe Lambret : Cette élection est la conséquence des Européennes et elle s'inscrit dans ce moment crucial de début de mandat pour le nouveau Parlement européen. Vous parliez du contexte international à l'instant, le Rassemblement national ne demande plus la sortie de l'euro ni de l'UE mais pour vous ça reste un parti profondément anti-européen?
François Bayrou : Mais on peut être jobard et croire ce qu'on vous dit quand l'évidence, c'est que c'est faux. Je prends un seul exemple, ils disent « Nous on ne veut plus la sortie de l'Union européenne ». D’abord « On veut plus la sortie », ça veut dire qu'on l'a beaucoup voulu. Mais ils disent, « Nous ne paierons plus la contribution française à l'Union européenne. C'est même là que nous allons trouver l'argent pour les sommes que nous avons annoncé vouloir dépenser ».
Agathe Lambret : Et ça, ils n'y arriveront pas ?
François Bayrou : Mais si vous n'assumez plus les charges que vous avez prises au sein de l'Union européenne, les autres pays vont vous dire « Nous on les assume plus non plus et en tout cas vous n'aurez aucun droit aux politiques européennes, aux aides que nous avons ». Donc vous voyez bien que c'est comme ça..
Agathe Lambret : Ça va remettre en cause la place de la France dans l'Union.
François Bayrou : Mais ce n’est pas seulement que ça va remettre en cause. Il ne peut pas y avoir d'Union européenne si ses membres ne respectent pas les obligations qu'ils ont prises.
Jérôme Chapuis : Il y a un risque d'éclatement, enfin en tout cas, de crise au sein de l'Union européenne ?
François Bayrou : Je pense que cette élection, en effet, comme d'autres en Europe, parce que nous ne sommes pas les seuls, présage, ouvre la porte à des crises, à une crise profonde au sein de l'Europe. Songez, par exemple, à l'aide que l'Union européenne apporte à l'Ukraine. Vous voyez bien que cette élection remet en cause, parce qu’ils n'ont plus de cesse, le Rassemblement national de faire la propagande de Poutine et d'être en réticence ou en résistance ou en refus face à ces aides-là. Et ce n’est pas le seul sujet. L'Union européenne, c'est un bloc. Si vous commencez à fissurer ce bloc, il s'effondrera. Et donc heureusement que le mouvement de conscience des Européens existe, par exemple sur ce sujet, pour se rassembler.
Jérôme Chapuis : Juste, d'un mot, c'est un symbole, mais c'est important le symbole.
L'idée que le drapeau européen puisse disparaître du paysage parce que le RN n'en veut pas, ça vous fait quoi ?
François Bayrou : Je pense qu'il y a une majorité de Français, des millions et des millions de Français qui considèrent désormais que oui, France et Europe, ce sont 2 faces de la même médaille pour résister aux tourmentes du monde. Il n'existe aucune autre possibilité, aucune autre construction politique que cette entité qui n'avait jamais eu d'exemple de pays libres qui s'associent pour avoir la même monnaie par exemple. Que croyez-vous que serait une monnaie française aujourd'hui avec l'annonce du Front national et de toutes les menaces qui pèsent sur l'unité du pays ?
Heureusement que nous avons cela, qu’ils n’ont pas voulu, qu'ils ont combattu de toutes leurs forces. Et donc vous voyez aujourd'hui que c'est infiniment précieux.
Agathe Lambret : François Bayrou, vous avez été ministre en 1993, notamment sous la cohabitation Mitterrand Balladur, surnommée la cohabitation de velours. Aujourd'hui, comment vous concevez une cohabitation, Jordan Bardella, Emmanuel Macron ?
François Bayrou : Une cohabitation, c'est inscrit dans les textes fondamentaux qui organisent notre République. Il y a une Constitution, le président a des droits qui sont très importants. Et le principal de ces droits ou de ses devoirs, c'est d'être le garant du vivre-ensemble dans notre pays, d'être le garant des institutions, d'être le garant de l'utilisation de l'armée. Ce sont nos institutions et il suffit de les respecter. Alors ce n’est pas simple. Mais j'ai vu vivre François Mitterrand en cohabitation. J'ai vu vivre Jacques Chirac en cohabitation. Et parfois j'ai vu des cohabitations à l'intérieur du même camp, de gens qui ne s'aimaient pas beaucoup, je pense à Mitterrand et à Rocard par exemple. Les institutions sont là pour être respectées.
Jérôme Chapuis : Les institutions, elles résisteraient à ce cas de figure ?
François Bayrou : Elles résisteront à tout, elles résistent depuis 75 ans, elles résisteront à tout. Je pense que le général De Gaulle avait le génie des situations historiques, il avait vécu le pire, c'est-à-dire l'effondrement d'un pays, de ses institutions. Et il a, en isolant le Parlement de la figure du président de la République, en donnant au président de la République des droits qui fassent que ça puisse marcher même quand les partis se déchirent et se divisent, donné un socle qui nous permet de regarder l'avenir sans crainte. On peut avoir des inquiétudes, on peut considérer que la situation est critique, mais les institutions résisteront à tout ça.
Jérôme Chapuis : François Bayrou, est-ce que vous considérez que cette dissolution aujourd'hui, c'est un échec ?
François Bayrou : Je considère que la figure qu'on peut prendre ou la comparaison qu'on peut prendre la plus pertinente, c'est qu’il y avait un abcès. Et il fallait crever cet abcès.
Jérôme Chapuis : L'abcès n’est-il pas encore plus grave aujourd'hui qu'il ne l'était il y a quelques semaines ?
François Bayrou : Je pense que quand s'expriment des sentiments, des jugements, des attentes, c'est mieux que quand ça bouillonne dans les profondeurs, c'est mieux que quand ça fermente. Alors je pense que c'était inscrit dans l'équilibre des forces ou le déséquilibre des forces parlementaires. Vous le savez bien, on était arrivé dans la situation dans laquelle aucun texte important ne pouvait passer sans le 49.3. Et vous, à longueur de commentaires, d'éditoriaux, d'interviews, vous disiez « Mais le 49.3, Monsieur, c'est pas démocratique ? ».
Jérôme Chapuis : Mais le 49 3, il pourrait bien avoir de nouveau son importance ?
François Bayrou : La dissolution étant passée par là, tout le monde aurait vu quel est le sens de cet article de la Constitution. Et le 49.3, il n'aura pas tout à fait le même sens parce qu’il ne peut plus y avoir de dissolution avant le 8 juillet 2025, notez cette date, c'est-à-dire avant l'automne 2025. Donc c'est une clarification. Elle n’est pas agréable, elle est tourmentée, elle est dangereuse à bien des égards. Mais ce n'est pas la dissolution qui a créé cet état de l'opinion. C'est l'état de l'opinion qui a créé la dissolution.
Jérôme Chapuis : François Bayrou, vous étiez l'invité de France Info ce matin, merci d'avoir été avec nous.