François Bayrou, invité de Jean-Jacques Bourdin
François Bayrou, Président du Mouvement Démocrate, était l'invité de Jean-Jacques Bourdin sur BFM TV et RMC ce jeudi 30 septembre à 8h30.
Bonjour François Bayrou.
Bonjour Jean-Jacques Bourdin.
Haut-commissaire au Plan, maire de Pau, Président du Modem, nous allons parler entre autres énergie, démographie, mais je voudrais commencer par la politique.
Une question toute simple. Faut-il aujourd'hui, pour être écouté par les Français, tenir des propos violents, défendre des idées extrêmes et proposer des solutions radicales ?
C'est plus facile d'être entendu ou de choquer, ou de surfer sur des sentiments qui sont plus noirs, c'est plus facile, mais l'intérêt des pères et des mères de famille, l'intérêt des jeunes, l'intérêt du pays, c'est au contraire de refuser d'aller dans ce que l'on appelle des radicalités.
Les radicalités, qu'est-ce c'est ? Ce sont des extrémismes de tous les bords, l'idée que c'est en choquant, en allant agiter les vieilles passions dangereuses du pays, en allant verser de l'essence sur le feu, c'est plus facile, mais ceci est un abandon des responsabilités.
L'abandon des responsabilités. Le plus radical, c'est Éric Zemmour. Ne vous inquiétez pas, je ne vais pas passer cette interview sur Éric Zemmour.
Néanmoins le plus radical c'est Éric Zemmour, il brandit la menace du grand remplacement, une idée récurrente de l'extrême-droite depuis le 19e siècle. Est-ce qu’il nous entraîne vers ce que nous appellerions une guerre de civilisation ?
Il y a deux aspects de la campagne qu'il mène, le premier, c'est agiter ce fond qui est un fond des êtres humains depuis longtemps, qui consiste à cibler celui qui ne vous ressemble pas en disant : « on n'a rien à faire avec lui, qu'il retourne chez lui ».
C'est toute cette affaire insensée des prénoms, c'est-à-dire l'idée qu'en France ne serait autorisée qu'une liste de prénoms français, ce qui veut dire évidemment que l'on jette dans les cours de récréation des enfants les uns contre les autres, des enfants qui diraient : « qui c'est celui-là ? Il n'est pas de chez nous ! »
Or le plus précieux d'un pays, c'est qu'à l'école maternelle, à l’école primaire, celui qui est assis à côté de vous dans la classe, c'est votre petit frère, votre petite sœur, et on lui prend la main parce qu'il est comme nous. Vous voyez, pour moi la cour de récréation, c'est en fait le creuset du pays. Et l’idée que celui-là ou le père de celui-là ou de celle-là n'est pas du pays, c'est une idée qui entraîne à la cruauté dans la cour de récréation et donc cette idée-là, pour moi, est une idée insupportable.
Il y a une deuxième chose, c'est qu'il va chercher dans l'Histoire de la France ce qu'il y a de plus malsain, de plus honteux, de plus ignominieux pour le défendre ; par exemple il dit : « Pétain, bon, il a livré des juifs étrangers, ce n'étaient pas des juifs français… »
4000 enfants de 2, 3, 4 ans, ont été livrés, enfermés dans des camps et chargés avec ou sans leurs parents dans des wagons à bestiaux pour aller être brûlés en Allemagne. Et que l'on ose à nouveau en France faire la différence entre le petit garçon ou la petite-fille juif, nés en France, fils de parents étrangers et les enfants qui avaient simplement une carte d'identité, c'est… je ne sais pas si vous pouvez ressentir cela. Je suis sûr que vous ressentez la même chose.
Je sais que cela vous bouleverse.
Oui, et cela me bouleverse et il est normal que cela le fasse et que ces gens-là osent s’appeler « conservateurs » ou essaient de capter le mot « conservateur » alors que ce n'est pas conserver ce que nous avons de mieux dans le pays, c'est trahir ce que nous avons de mieux dans le pays.
C'est une trahison de la France, c'est une trahison de ce qui nous fait vivre-ensemble, de ce avec quoi nous avons construit le pays, c'est une trahison de Marie Curie, celle qui a inventé ou découvert les lois de physique sur les rayonnements.
Dans son livre, il est très dur avec vous, il dit : « Bayrou, ce bon judas béarnais est un machiavel de cour d'école qui monte des coups tordus de sous-préfecture ».
J'ai lu cela dans son livre, je ne sais pas si vous avez lu son livre…
Non.
Sur le terrain politique, est-ce qu’il est en train de diviser les Républicains ?
Vous entendez Christian Jacob, le Président des républicains, dire : « Il n’est pas d'extrême-droite, il n'est pas raciste », que lui répondez-vous ?
D'abord, je n'ai pas de débat avec Christian Jacob, j'ai des débats avec la réalité.
Si le président de la droite, dite de gouvernement en France, d’une certaine manière avalise ou lave, l'auteur de ces propos de la réalité de la honte qu'ils portent, alors il trahit lui-même l'héritage.
Je croyais vaguement que ce parti des Républicains que je connais bien et dont je connais beaucoup de membres que j'estime - on n'a pas les mêmes idées toujours, mais que j'estime - je croyais que ce parti était vaguement gaulliste. Et prétendre devant ceux qui se disent héritiers du Général de Gaulle que, Pétain, c'était la France, que le Pétain de la collaboration et de la livraison des Juifs c'était la France, alors, il y a là quelque chose qui est simplement un crachat au visage de l'Histoire, un crachat à leur héritage, à leur identité, et je suis absolument certain qu'à l'intérieur même du mouvement il y a des gens qui vont dire : « Mais cela ne va pas, dans quelle dérive sommes-nous entraînés ? ».
Vous voyez bien tout cela.
Pourquoi ? Vous n'allez pas me dire qu’Éric Zemmour est passionné par le destin historique de l’image du Maréchal Pétain, ce n'est pas cela du tout le sujet.
Le, sujet c'est qu'il se sert de cela pour faire des signes à ce qu'il y a de fermentation la plus dangereuse dans ce qui, depuis très longtemps dans le monde de la démocratie française, essaie de faire glisser les choses vers l'inacceptable.
François Bayrou, est-ce que vous allez un grand parti démocrate à la française ?
J'espère que oui.
Avant la fin de l'année ?
Avant la fin de l'année car autrement cela ne se fera pas.
Un grand parti que vous appelleriez comment ?
On verra.
Vous n’avez pas trouvé le nom ?
Il m'arrive d'avoir des idées et de ne pas les dire au micro de Jean-Jacques Bourdin !
Ici, on dit les choses !
Vous m'avez posé la question, j'ai dit oui, j'espère que l'on va y arriver.
Vous allez créer un grand parti démocrate à la française en réunissant le MoDem et La République en Marche. C'est l'objectif ?
Entre autres.
Donc rassembler ces deux mouvements politiques ?
Parce que ce sont les deux mouvements fondateurs de l’aventure de 2017 et qu'ils n'ont pas entre eux de différences de visions. Ils ont des différences d'histoire et d'organisation substantielles, mais sur ce qu'ils croient, c'est essentiel en politique ce que l'on croit, et sur ce qu'ils veulent, c'est aussi important, moi, je ne vois pas de différences substantielles entre eux.
Avant la fin de l'année donc ce grand parti démocrate, vous pourriez prendre la tête de ce parti.
Oui ou non ?
Franchement, cela n'a aucun intérêt et ma conviction, c'est que si l'on veut réunir alors il faut qu'il y ait des responsabilités partagées.
Mais vous n'êtes pas seul à vouloir créer un grand parti, Édouard Philippe, lui aussi, va annoncer la création de son parti ou de son rassemblement, le 9 octobre.
Il va soutenir Emmanuel Macron, comme vous en 2022, est-ce qu’il est en train de préparer sa candidature présidentielle à 2027 ?
Je pense ce que quelqu'un qui, en 2021, aurait comme projet, passant par-dessus l'élection présidentielle, de monter une structure pour 2027, c'est qu'il ne connaîtrait pas la politique et je ne soupçonne pas Édouard Philippe d'en être ignorant.
Par conséquent, ce n'est pas pour cela ?
Peut-être, est-ce cela dans un coin de sa tête ou de celle de ses amis....
Vous n'êtes pas dupe. Vous avez trop d'expérience en politique.
J'ai un peu d'expérience et donc, je vais vous dire, si on fait ou si on entre dans cette construction, dans l'édification d'un mouvement sérieux, il faut le faire pour des générations pas pour une élection, encore moins, faut-il le faire en pensant à une autre élection que celle qui vient et donc pour moi, ceci est totalement écarté de ma pensée. Ce qui est dans ma pensée, c'est bâtir quelque chose dans laquelle les jeunes, les Français, les citoyens, ceux qui sont aujourd'hui désabusés de la politique puissent reconnaître leur espoir ou leur rêve et qu'ils s'engagent pour cela.
Hier soir, vous avez dîné à l'Élysée avec lui, avec d'autres autour de la table. Vous n'avez pas parlé de cela, j'imagine.
Vous ne me direz rien !
Vous savez bien, j'ai un problème médical que je suis obligé de vous avouer à cette antenne.
Une amnésie matinale !
Non, pas matinale, récurrente.
Chaque fois que je franchis le seuil de l'Élysée, par exemple, ou que je participe à des réunions comme cela, le lendemain et le surlendemain a fortiori, je ne sais plus ce qu'il s'est dit, mais rassurez-vous, vous allez trouver beaucoup de personnes qui vous raconteront.
Qui vont raconter ce qu'il s'est passé hier soir.
Réforme des retraites : Édouard Philippe veut une réforme des retraites. Il le dit dans une interview, forte interview. Il dit : « il faut prolonger l'âge de départ 65-66 et même 67 ans. »
Est-ce qu’il y aura une réforme des retraites relancée avant la présidentielle de 2022 ?
La réforme des retraites sera au cœur de la campagne de l'élection présidentielle. C'est l'un des sujets, pas le seul, qui sera au cœur de la campagne de l'élection présidentielle.
Moi je crois qu'il y a des idées que l'on n'a pas encore explorées et, si je peux, je ferai tout ce que je peux pour que ces idées apparaissent dans le débat.
Pour l'instant, on fait uniquement des divisions, la charge des pensions divisée et je crois que l'on peut aller un peu plus loin dans la réflexion. Vous savez que j'avais depuis très longtemps plaidé pour la retraite par point. Cela a été pas très bien mené.
Par Édouard Philippe.
Non, par le Gouvernement.
Je dis cela comme cela !
Vous, vous dites cela parce que vous, vous aimez la polémique. Non, je n'aime pas la polémique.
Non, je n'aime pas la polémique. J'aime la vérité.
C'est votre boulot pour faire de l'audience.
François Bayrou, aujourd'hui, il y a une voiture pilotée par Emmanuel Macron. Sur le siège du passager avant droit, qui est assis Édouard Philippe ou François Bayrou ?
Franchement, si vous imaginez qu'il s'agit uniquement d'une bagnole et d'un siège, c'est que vous ne comprenez pas très bien la politique !
La politique, c’est une affaire de deux éléments. Le premier, c'est le leadership, qui a la faculté de porter des idées et de les faire entendre.
Vous ?
Le deuxième, c'est une affaire de communauté d'équipes, d’histoire de personnes qui se sont choisies depuis longtemps et qui pensent qu'ensemble, elles pourront y arriver. Ce n'est pas comme vous le dites : une bagnole, avec un siège.
D'accord, mais Emmanuel Macron a-t-il un soupçon de doute concernant la fiabilité d'Édouard Philippe, selon vous ?
Je ne crois pas.
Un mot pour ce qu'il propose encore. Le revenu pour les jeunes, le revenu d'engagement, il n'y est pas très favorable.
De quoi parle-t-il encore ? Il parle des dates des futures élections, de la dette. Il dit que c'est une question fondamentale, la dette. Vous aussi ?
J'ai plaidé pendant 20 ans pour que cela devienne une question fondamentale.
Est-ce que je peux vous dire, sur la dette, une chose ? Vous savez que j'ai fait un rapport au Plan sur la dette de guerre que représente le Covid-19 et sur le Plan Marshall dont nous avions besoin. Pourquoi ? Parce que ce n'est pas la même chose, je me suis battu comme un chien au début des années 2000 sur la dette.
Pourquoi ? Parce que les taux d'intérêt étaient à 4 ou 5 % par an alors que la croissance était à 1 %. Si vous empruntez à des taux aussi hauts alors que la croissance est si basse, alors tout d'un coup, le poids de la dette augmente sans interruption.
Si, comme aujourd'hui, vous empruntez à 0 % et que vous trouvez une croissance qui est à des 2, cette année 6, l'année prochaine 4 %, alors cette dette-là est justifiée, à condition de l'utiliser à de l'investissement et pas à la gaspiller.
Je comprends, mais quand je lis Édouard Philippe, j'en termine avec lui : "nous continuons à danser au-dessus d'un volcan"", dit-il.
Est-ce que nous continuons à danser au-dessus d'un volcan ?
Il a été chef du Gouvernement.
Je suis certain que tout le monde ressent la nécessité d'une solidarité minimale dans les moments où nous sommes.
Vous avez donc des doutes.
Non je n'ai pas de doute, vous voudriez me faire dire cela et ce n'est pas mon intention.
Les prix de l'énergie grimpent, montent. Que va annoncer le Premier ministre ? Quelle est la possibilité ? Je ne sais pas. Une prime pour les plus modestes ? Une baisse des taxes ? Un gel du prix du gaz ? De l'électricité ? C'est possible ?
Je ne crois pas que ce soit possible parce que, comme votre journaliste l'a très bien expliqué il y a 1 minute, le prix du gaz, ce n'est pas le Gouvernement qui le fixe, c'est le prix du gaz sur le marché de l'énergie mondiale.
Oui, mais est-il normal que l’on paye de la TVA sur ce que perçoit l'État, sur les taxes ? C'est invraisemblable, la taxe sur la taxe !
On va attendre ce que le Premier ministre dira. Je pense, ce qu'on lit dans les journaux que vous lisez autant que moi, c'est : on va aider les ménages les plus faibles pour faire face à ces augmentations qui sont, en effet, lourdes, mais la vraie question…
J'allais y venir, le nucléaire.
… A-t-on de la substitution. Est-ce que l'on peut, à la place du carburant des voitures, est-ce que l'on peut trouver de l'énergie moins cher et sans émission de gaz à effets de serre ?
Tout cela est à replacer dans la question planétaire du climat et de l'atmosphère qui est, de plus en plus, chargée en CO² gaz carbonique, comme on l'a appris à l'école.
La vraie question, c'est celle-là.
Donc, il faut développer, encourager le nucléaire ?
Je vais le dire comme je crois il faut le dire.
Si on veut aller vers de l'énergie qui soit sans émission de gaz à effet de serre, il y a deux choses à faire : le renouvelable, mais il est intermittent, il y a du soleil ou il n'y a pas de soleil. Il y a du vent ou il n'y a pas de vent. Il y a de l'eau dans les cours d'eau ou il n'y en a pas, et une énergie pilotable et la seule qui existe sans émission de gaz à effet de serre, c'est le nucléaire.
Elle est française....
Vous avez compris le gaz, ce n'est pas français, ce n'est pas chez nous.
Il faut d'urgence construire de nouvelles centrales ?
Il faut un programme qui permette de prendre le relais des centrales existantes sans danger en maîtrisant complètement le nucléaire et son avenir et tous les pays du monde sont, aujourd'hui, en train d'y réfléchir.
Nous avons la chance incroyable, grâce aux générations précédentes, d’être parmi les pays du monde qui maîtrisent le mieux cette technologie-là.
Donc, que l'on ne regarde pas cela en face, c'est un programme à 30 ans, si l'on ne prend pas les décisions dans les 2 années qui viennent, on va se trouver devant une rupture, "une falaise", disent les spécialistes, qui est épouvantable.
L'électricité nucléaire, au moment où on veut tout électrifier (les voitures, les chauffages) pour qu'il n'y ait plus de gaz, de charbon, de pétrole utilisé pour notre vie quotidienne, cette électrification générale impose que l'on produise de l'électricité au coût le moins cher et avec des émissions de gaz à effet de serre les plus basses et il n'y a que la maîtrise de la production nucléaire de l'électricité qui puisse faire cela.
Une dernière question, François Bayrou, à propos de démographie, faut-il plus d'immigrés en France pour assurer un équilibre démographique ?
Non. Cela dépend de la dynamique démographique, de nos concitoyens, des Français.
Il faut encourager les politiques familiales.
Absolument, c'est vital.
Pourquoi ? Si vous essayez, l'Allemagne a essayé de le faire, avec de très grandes difficultés, ils ont décidé un jour, comme il n'avait plus d'enfants, de faire rentrer un million de personnes et d'hommes, en Allemagne.
Angela Merkel.
Cela n'a pas changé la courbe démographique et, deuxièmement, cela crée des perturbations culturelles, le sentiment que nous n'assurerons plus nous-mêmes notre avenir au travers des enfants que nous allons mettre au monde, et qu'il faut aller chercher ailleurs la ressource qui nous permet simplement de survivre, de travailler, de payer des cotisations, de faire que le pays reste vivant.
C'est la raison pour laquelle la question de la dynamique des familles, du choix qui est tellement mystérieux, parce que c'est une question pour la Nation, mais c'est chaque femme, d'abord, et chaque homme, chaque mère et père de famille, qui décide pour lui-même.
Or, cela ne se fait que si la confiance revient. C'est pourquoi la question de la confiance est évidemment celle des échéances cruciales qui nous attendent.
Merci François Bayrou.
Seul le prononcé fait foi.