François Bayrou, invité de Jean-Pierre Elkabbach sur CNews et Europe 1
François Bayrou, Président du Mouvement Démocrate, était l'invité de Jean-Pierre Elkabbach ce samedi 5 mars, à 8h00 sur CNews et Europe 1.
Bonjour François Bayrou, bienvenue, je suis heureux de vous recevoir. Je pense que l'on ne vous présente plus.
Bonjour.
En 2017, vous étiez un des premiers à vous engager en faveur d’Emmanuel Macron après un quinquennat agité aux promesses qui n’ont pas été toutes tenues, est-ce que vous croyez encore en lui ?
Autrement, je ne le soutiendrais pas. D'ailleurs, tous les Français aujourd'hui ont sous les yeux le véritable critère de l'élection présidentielle.
Pourquoi élit-on un président ? Pas pour être un joyeux chef de bande, pas pour être seulement une figure de l'actualité, représenter la France à l'étranger. Non, on élit un Président de la République pour qu’il puisse faire face aux plus grands défis et aux plus graves risques.
On l’élit pour qu’il puisse, au nom du pays, jouer le rôle de protection et d'entraînement qui doit être le sien et tous les Français - ceux qui sont pour lui naturellement et ceux qui étaient contre - découvrent que cet homme a la dimension de la fonction.
Vous n'avez pas une vision idyllique de ce qu'il a fait, de ce qu'il est ?
Non, pas du tout et je pense d'ailleurs que beaucoup a été fait.
Si l’on vous disait il y a 5 ans qu'on allait supprimer la taxe d'habitation, si on vous disait il y a 5 ans qu'on allait mettre la retenue à la source sur l'impôt sur le revenu, tout le monde considérait que c’était impossible.
Cela, c'est le bilan.
Vous m'interrogez sur le bilan.
Le projet, on ne le voit pas encore, on a vu la lettre, on en parlera tout à l'heure. Avez-vous entendu Valérie Pécresse ? Elle a un jugement contraire.
« Il faut réparer la France » dit-elle, « le quinquennat a appauvri la France et l’a affaiblie. »
On peut échanger des mots qui n'ont pas de sens. Cela, c'est possible, mais il y a des éléments qui sont chiffrés.
Jamais depuis 15 ans, et notamment pas depuis que Valérie Pécresse était aux responsabilités, jamais il n'y a eu autant d'entreprises créées, jamais il n'y a eu autant d'emplois créés, jamais le chômage n'a été aussi bas depuis 15 ans et jamais le chômage des jeunes depuis 40 ans… 40 ans ! Jamais l'apprentissage n'a attiré autant de jeunes : 700 000 cette année.
Vous voyez bien que l'on peut faire des attaques partisanes et d'ailleurs on ne s'en prive pas. Cela me fait toujours rire quand on dit qu'il n'y a pas de campagne parce que le nombre d'attaques, d'injures, de mises en cause qui viennent de tous bords.
Une autre critique qui vous est adressée directement, elle vient de Mme Hidalgo, la Maire de Paris : « François Bayrou parraine Marine Le Pen, sans doute pour qu’elle soit présente au second tour. François Bayrou a perdu la boussole. »
On peut parler de la guerre longuement, mais c'est pour liquider ce type de problème.
On ne va pas perdre de temps à ce genre de remarque. Anne Hidalgo est à 2 % dans les sondages. Pour un parti politique qui a été un des plus grands partis politiques français, aucune de ses promesses n'a été entendue par qui que ce soit et en tout cas, pour ma part, j'ai choisi et je choisirai de défendre la démocratie chaque fois qu'il y a risque et le risque qu'un candidat, une candidate de premier plan ne soit pas présente dans cette élection était, pour moi, un risque inacceptable.
J'ai donc pris mes responsabilités.
C'est à elle de trouver sa boussole.
On passe plus sérieusement à l'Ukraine. La guerre ne s’est pas arrêtée pendant la nuit. Le port de Marioupol, d'autres villes subissent un blocus, ils n'ont ni l'eau, ni électricité, ni nourriture… Certes il y a un début de corridor humanitaire qui va s'ouvrir, on l'a appris tout à l'heure, mais Kiev est assiégé, bientôt affamé et bombardé.
Où va-t-on et jusqu'où ?
Où s'arrête la folie de Poutine ?
Pourquoi la folie ?
Parce qu’évidemment il est la proie ou il se laisse entraîner par un déséquilibre personnel.
C'est la première fois depuis trois-quarts de siècle qu'un État, de surcroît européen, attaque un pays indépendant qui ne lui a rien fait, pas un incident de frontière, pas un coup de feu, pas la moindre anicroche ni mise en cause.
Cela ne s'est jamais produit dans notre histoire et vous voyez bien de quelle folie il s'agit. Poutine poursuit un fantasme qui est un fantasme d'intégrisme nationaliste. Il veut reconstituer l'ancienne Russie en sacrifiant la liberté, l'indépendance et la démocratie.
En plus, il y a la menace du chantage atomique qui plane et pas seulement sur l'Europe.
Est-ce que les puissances nucléaires je ne dirai même pas « est-ce que »… : les puissances nucléaires occidentales sont en train de se préparer. Emmanuel Macron promet des mesures concrètes pour sécuriser les centrales nucléaires. Comment ?
Je ne sais pas.
On ne va pas rentrer dans l'Ukraine pour les protéger. Comment on fait ?
Vous voyez bien, aujourd'hui, ce que Poutine a fait la nuit précédente. Il a tiré sur la plus grande centrale nucléaire d'Europe.
Est-ce qu’on est sûr qu'il a tiré ou qu’il ne veut pas récupérer toutes les centrales pour en même temps couper toute l'énergie et affamer les populations ?
C'est tout à fait possible, mais il a tiré sur des bâtiments administratifs de ces centrales et vous voyez que, tout cela, c'est un jeu pour terroriser les nations, les peuples.
Je crois que c'est un jeu qui ne peut pas marcher.
Pour moi, Poutine ne sacrifie pas seulement le peuple ukrainien et la démocratie ukrainienne ni la démocratie en Europe, mais il sacrifie son propre peuple parce qu’au bout du chemin, qu'est-ce qu’il y a ? Il y a des souffrances pour le peuple russe, il y a des atteintes profondes à son économie, à ses exportations, à son équilibre budgétaire et monétaire et donc, la victime de Poutine dans un premier temps, après les Ukrainiens, c'est le peuple russe et, dans un second temps, je crois qu'il sera lui-même victime de sa propre dérive.
L'ambassadeur de France est installé à Lviv, comme vous le savez.
Ces diplomates sont en ce moment admirables. Cette nuit, il a déclaré : « Toute l'Ukraine va y passer » et, d'ailleurs, cela confirme ce que Poutine avait dit à Emmanuel Macron, il va probablement écraser Kiev et toute l'Ukraine, maison par maison et en même temps briser la résistance de la nation et du peuple.
Qu'est-ce qu'il reste pour nous ? La culpabilité, la compassion ?
Non, jamais de sentiment de défaite.
Il y a beaucoup de gens qui voudraient nous entraîner à des sentiments de résignation, de fatalisme, de défaite en quelque sorte. Ce n'est pas mon point de vue. Il nous reste à multiplier les pressions. Vous croyez qu'aujourd'hui en Russie, il n'y a pas des gens puissants qui commencent à s'inquiéter de la manière dont leur président les conduit ?
Il faut couper l'achat de gaz par les Américains et les Allemands…
Oui, c'est tout à fait envisageable et c'est la raison pour laquelle nous, Français, avons choisi d'être moins dépendants du gaz. Nous avons choisi de produire de l'électricité nucléaire parce qu'elle est sans carbone et elle nous rend indépendants et son prix est stable.
Est-ce que la disparition de l'Ukraine n'est pas la négation des frontières, de l'ordre, des règles, est-ce que ce n'est pas la force qui va faire la loi et est-ce que montrer la faiblesse symbolique, morale, réelle, politique de l'Occident ?
Non je ne crois pas.
L'Occident joue une partie importante.
Je ne crois pas une seconde que le peuple ukrainien va se laisser humilier sans rien faire au cours du temps.
L'idée que parce qu’on gagnerait, parce que ce n'est pas encore fait, l'appareil militaire russe connaît aujourd'hui comme vous savez beaucoup de limites et j'ai été absolument stupéfait lorsque le président ukrainien Zelensky a annoncé qu'il y avait 6000 morts russes. D'abord, j'ai cru qu'il exagérait que c'était de la communication de guerre, et puis vous avez vu comme moi, lorsque Poutine est intervenu avant-hier après-midi à la télévision devant son peuple, qu'est-ce qu'il a dit ? Il a commencé par présenter des excuses aux mères des soldats qui étaient morts et il a respecté une minute de… Enfin, il a imposé une minute de silence, ce qui veut dire qu'il y a en effet beaucoup de morts russes et donc ce sont des victimes de Poutine.
Est-ce qu’il a déjà perdu la guerre ?
Moi, je crois qu'il a perdu beaucoup plus que cela, je pense qu'il a perdu sa place dans le concert des nations et pour longtemps et, à mon avis, à jamais.
Il y a quelques experts américains, j'en lisais un dans Le Figaro de ce matin qui est très intéressant et qui dit : « ils ne faut pas trop parler de sa chute pour ne pas l'énerver davantage et qu’il ne fasse pas l'usage de la bombe atomique et, d’autre part, il faut lui trouver une porte de sortie plutôt honorable, c'est-à-dire présenter à son peuple sa défaite comme une petite victoire ».
Faut-il aller jusque-là ?
Tout cela suppose que la question est réglée et elle ne l'est pas.
Le problème de l’histoire, quand on est en train de la vivre, c'est que l'on ne voit pas bien quelle direction elle va prendre.
Ce que je crois, c'est qu'au XXIe siècle, dans les années que nous vivons, des réseaux sociaux de l'info en continu, du numérique partout, il n'est pas possible de faire croire à un peuple que l'on gagne quand on perd.
Il n'est pas possible de faire croire à un peuple que c'est une guerre justifiée alors qu’il n'y a aucune raison, pas la moindre, pas le moindre prétexte dont on puisse se saisir pour faire la guerre à l'Ukraine.
Je pense qu'au bout de chemin là il y a la déconsidération absolue, et le mot est vraiment très faible, de Poutine et, au bout du compte, c'est lui qui sera responsable devant son peuple, ce qui est important.
On a connu des guerres dans lesquelles les peuples étaient derrière les dirigeants, mais dans une guerre comme celle-là, ce n'est pas possible, ils sont peu informés et, en tout cas, ils ne peuvent pas être solidaires.
Ils seront informés par les familles qui auront des fils et des parents qui sont morts pendant cette guerre.
Je reviens un moment à la campagne. On a vu hier la première vidéo d'une série présentée par le candidat Emmanuel Macron, on peut se demander comment il va être : candidat/président, président/candidat. En 2017, quand vous étiez à ses côtés, il promettait la révolution.
Est-ce qu’après 5 ans de crise, cela ne va pas être la continuité sans changement ?
Je crois que l'on se tromperait en le croyant.
Je pense que cet homme jeune, parce qu'il est très jeune - on l'oublie toujours, d'abord parce que ses traits ont naturellement mûri et qu'il a traversé les crises, y compris dans sa sensibilité - cet homme jeune, pendant 5 ans, il a mesuré un certain nombre de faiblesses du pays et son obsession, je crois qu'on peut le dire aujourd'hui, c'est précisément que les 5 ans qui viennent servent à corriger ces faiblesses-là.
Ces faiblesses à lui ou du pays ?
Non les faiblesses du pays. En matière d'éducation…
Lundi, il va être quelque part pour en parler.
Des faiblesses du pays en matière d'éducation, faiblesses du pays en matière de production, faiblesses du pays en matière de contrat social, les fractures du pays et les faiblesses du pays en matière démocratique…
Il ne sera pas encore plus autoritaire que d’après ce que l’on dit maintenant ?
Je ne suis pas du tout sûr qu'il ait été autoritaire, je pense que parfois…
Peut-être pas avec vous, vous le voyez beaucoup !
Je suis un citoyen qui a un regard libre sur les choses.
Je pense qu'il est entré en responsabilité dans un pays dans lequel les cadres anciens jouaient un très grand rôle, rien n'était facile.
Sa lettre a été jugée floue, creuse. Naturellement, c'est une lettre de présentation de sa candidature.
Comment il va être après ? Est-ce qu’il y aura un vrai projet ? Est-ce qu’il va participer réellement à la campagne ? Je ne dis pas qu'il va faire un débat avec tout le monde dans un premier tour, mais est-ce qu’il va s'engager, est-ce qu’on va le voir pas seulement dans son bureau car, hier, la série qu'il a faite, il a commencé à la faire dans son bureau de l’Élysée.
Il a été filmé 4 minutes et il était dans son bureau.
Voyez à quel point on peut faire des polémiques, pardon de vous le dire, avec n'importe quoi mais ceux qui croient que l'on peut faire une campagne électorale sans présenter aux pays une vision, un vrai projet - je ne sais pas ce que cela veut dire …
Il aura la vision ?
… ça fait très longtemps que j'aie fait des campagnes présidentielles et, très longtemps que j'ai mis en cause cette formulation. Une vision partagée avec le pays, la volonté que l'on a et le but que l'on se propose d'atteindre et évidemment les moyens que l'on mettra en œuvre.
Il sera précis, engagé, candidat autant qu’il le faut et Président autant qu'il le faut parce que c'est son devoir.
Il y a la guerre.
Non mais vous voyez bien à quel point on a des polémiques enfantines, légères.
Jean-Pierre Elkabbach, je veux vous rappeler quelque chose. Sur vos plateaux, il n'y a pas si longtemps, les candidats de l'opposition disaient : « mais pourquoi est-ce qu’il assume la présidence de l'Union Européenne, il aurait dû la reporter après les élections. »
Qu'est-ce qu’on dirait aujourd'hui s'il avait renoncé à sa mission de Président du conseil de l'Union Européenne et s'il avait dit : « On se reverra après les élections » ?
Tous ont demandé cela et vous ne trouvez pas que rien que cela montre la légèreté de leurs choix, de leurs attitudes, de leur engagement et au fond par contraste, la gravité et le sérieux de celui qui assume toutes ses fonctions.
Le sérieux, François Bayrou, au début du XXIe siècle, on est en train de vivre une étrange et dangereuse période.
Merci d'être venu, d'en avoir parlé et d'avoir dit que le deuxième quinquennat ce n'est pas « Donnez-moi encore 5 ans je vais faire et corriger ce que je n'ai pas fait. »
Ce n'est sûrement pas cela. Toute campagne électorale se gagne sur une idée de l'avenir que l'on partage, pas sur le passé, pas seulement sur les bilans - et pourtant ils sont conséquents - mais sur quelque chose qui va entraîner un peuple à la rencontre de son propre destin.
Quel enthousiasme François Bayrou, bonne journée si on peut le dire aujourd'hui.
Seul le prononcé fait foi.